Réponses aux objections élevées contre le système colonial aux Antilles (1)

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RÉPONSES A U X OBJECTIONS

ÉLEVÉES

contre

LE SYSTÈME COLONIAL AUX ANTILLES.


PARIS.

IMPRIMERIE DR CASIMIR, RUE DE LA VIEILLE -MONNAIE , N째 1 2 .


RÉPONSES AUX

OBJECTIONS

ÉLEVÉES

COUTEE

LE SYSTEME COLONIAL AUX A N T I L L E S , Respectueusement soumises aux autorités constitutionnelles; PAR

B. B. O ' S H I E L L ;

suivies D'UN

APPENDICE

OU

L ' O N DÉMONTRE

DE

L'AFFRANCHISSEMENT

LES

COLONIES

GRADUEL

OCCIDENTALES ,

LES VICES DES

PROPOSÉ

ET

NEGRES

LES DANS

DERNIEREMENT

D E LA C H A M B R E D E S C O M M U N E S , EN A N G L E T E R R E ,

DANGERS TOUTES AU

SEIN

PAR M , BUXON.

« Je place au premier rang <lc nos moyens de restauration , C'est la seule planche qui nous leste dans

« nos colonies « le naufrage. »

Extrait ,1a Réflexions sur le budjet de l 8 1 4 , par M .

GINILU.

PARIS, GRIBERT,

LIBRAIRE, RUE

SUCCESSEUR

DE S A V O I E ,

1825.

162694

DE

MARADAN,



INTRODUCTION.

COMME créole et colon propriétaire à S a i n t - D o m i n g u e , comme habitant planteur, ayant résidé sur son habitation et l'ayant administrée en p e r sonne et avec succès pendant dix années c o n s é c u tives, c o m m e témoin des événemens qui ont p r é cédé et accompagné la révolution dans presque toutes ses périodes ; comme étranger aux scènes sanglantes et aux diverses factions qui ont b o u l e versé la c o l o n i e , n'ayant point participé à leurs agitations, à leur schisme ni à leurs erreurs; c o m m e tour à tour membre des assemblées, ou simple spectateur et observateur attentif, j e crois avoir a c q u i s , sous ces diverses qualifications, le droit i n contestable d'émettre une opinion libre , dégagée de toute animosité, de toute prévention particulière, et celui de réclamer l'attention, la bienveillance des autorités premières, p o u r tout ce qui intéresse les Antilles en g é n é r a l , et a un rapport d i r e c t , i m médiat avec le bonheur et la prospérité du royaume. Quelle plus noble garantie p e u t - o n offrir à des législateurs de la sagesse de ses o p i n i o n s , de la m o ralité de ses p r i n c i p e s , de la pureté et de la r e c t i tude de ses intentions ! Quelle plus noble garantie peut-on offrir à des législateurs que celle d'un colon propriétaire, né et résidant sur les lieux m ê m e s , attaché au sol et à ses divers habitans par les liens a


ij de l'habitude, du devoir et du sentiment; et qui j o i n t à toutes ces qualités le fruit d'une longue expérience et de ses profondes méditations! Quelle plus noble garantie peut-on offrir à des législateurs que celle d'un colon q u i , avant comme depuis son expulsion forcée de Saint-Domingue, a séjourné dans plusieurs colonies étrangères pendant plusieurs années de suite, où il a p u observer, juger leurs institutions diverses, et les comparer avec toutes celles qui nous sont propres ! Quelle plus noble garantie e n fin p e u t - o n offrir à des législateurs que celle d'un colon élevé au sein même de la m é t r o p o l e , y ayant passé les plus beaux jours de sa jeunesse dans la carrière militaire, et ayant reçu avec les principes de son éducation p r e m i è r e , le sentiment de l ' a m o u r du prince et celui de la commune patrie dont son cœur n'a cessé d'être embrasé! Ces garanties, n o n moins précieuses qu'indispensables, ne s a u raient être comparées ni mises en balance avec a u cune autre; elles seront d o n c notre titre et nous serviront de règle p o u r tous les éclaircissemens et tous les développemens que nous allons présenter dans tout le cours de cet écrit. Avant t o u t , il est une vérité première qui ne peut être révoquée ni mise en problème ; c'est qu'aussitôt que la nouvelle organisation sociale aura reçu toute son a c t i o n , les autorités supérieures ne p o u r r o n t s'empêcher de porter leurs regards sur leurs possessions éloignées ( 1 ) . Dans ce premier

(1) I l faut s a v o i r

q u e c e t é c r i t a été r é d i g é il y a p r è s de h u i t


iij acte de leur sollicitude paternelle, il est impossible qu'elles ne fixent d'abord leur attention sur la situation malheureuse de S a i n t - D o m i n g u e ; il est impossible qu'elles consentent à l'abandonner à l'anarchie, aux horreurs auxquelles elle est constamment en p r o i e , et qu'elles ne s'empressent d'y r a p peler, d'y fixer de nouveau les vrais et légitimes possesseurs du s o l , ceux qui ont remplacé les p r e miers indigènes, les seuls qui l'ont c o n q u i s , les seuls qui l'ont défriché et l'ont mis à jamais sous la protection de la couronne par un hommage aussi p u r que volontaire (1). Il est impossible enfin qu'elles ne s'occupent; aussitôt qu'elles auront la libre disposition de leurs f o r c e s , des moyens de

a n s , e t q u e l q u e t e m p s a p r è s la s e c o n d e r e s t a u r a t i o n . O n p o u v a i t e t o n d e v a i t c r o i r e q u ' a u s s i t ô t q u e l ' o r d r e serait r é t a b l i r o y a u m e , o n s'occuperait de S a i n t - D o m i n g u e ,

dans le

et e n effet o n y a

e n v o y é d e s c o m m i s s a i r e s d a n s l ' i n t e n t i o n d e f a i r e e n t e n d r e la v o i x paternelle d u m o n a r q u e à ces h o m m e s q u ' o n voulait Lien supposer n ' ê t r e q u ' é g a r é s . Mais ils o n t été s o u r d s à c e t t e v o i x c o m m e à t o u t e a u t r e , et les faits c o n s i g n é s

dans cet écrit le p r o u v e r o n t assez.

D ' u n e p a r t l e d é f a u t d e m o y e n s d e l ' a u t e u r , d e l ' a u t r e le p e u d ' e m pressement des colons à concourir à notre e n t r e p r i s e , nous ont e m p ê c h é j u s q u ' i c i d e le r e n d r e p u b l i c . (1)

L a conquête de Saint-Domingue sur

minateurs

les E s p a g n o l s ,

d e s a b o r i g è n e s , y f u t effectuée p a r l e s s e u l s

et b o u c a n i e r s ; e t , se r a p p e l a n t frirent à Louis X I V

exterflibustiers

q u ' i l s é t a i e n t F r a n ç a i s , ils l'of-

par u n acte de leur

seule volonté. Ce sont

é g a l e m e n t d e s e n g a g é s f r a n ç a i s q u i y o n t fait les p r e m i e r s d é f r i c h e n i e n s . Mais ce t r a v a i l e x c é d a n t l e u r s f o r c e s p h y s i q u e s , et l e u r n o m b r e dépérissant j o u r n e l l e m e n t , traite , déjà colonies.

o n f u t f o r c é d ' a v o i r r e c o u r s à la

a d o p t é e p a r t o u s les g o u v e r n e m e n s p o s s e s s e u r s des


iv rappeler, de maintenir l'ordre et la subordination sur des bases fixes et arrêtées, en coordonnant les intérêts et les droits de tous sur un système qui ne soit point en contradiction avec la nature du c l i mat et celle des propriétés, et qui puisse s'adapter en môme temps avec toutes les convenances locales et particulières. Cette question est sans doute importante, du plus haut intérêt, et se rattache, par ses principes et ses conséquences, à tout ce qui peut contribuer à la gloire, à la richesse et à la puissance nationales : nous n'en connaissons point d'une plus haute importance et d'un intérêt plus général. Elle est digne de fixer l'attention des esprits éclairés, et surtout celle des hommes d'état appelés à régler et à c o o r donner, dans un ensemble g é n é r a l , toutes les p a r ties de l'administration publique. Cette question aurait été néanmoins facilement résolue, si on ne l'avait pas obscurcie par tant de sophismes, si on ne s'était pas égaré gratuitement dans tant de r o u tes i n c o n n u e s , si on ne s'était pas livré en tout temps à une malveillance e x t r ê m e , et sans doute bien injuste, contre les c o l o n s , et si on avait voulu surtout suivre les seules lumières de la raison et de l'expérience. En suivant cette voie argumentative , nous p a r viendrons plus sûrement et plus complétement à notre b u t ; c a r , détruire les o b j e c t i o n s , les p r o positions et les erreurs qui leur servent de point d'appui , n ' e s t - c e donc pas établir l'évidence des propositions contraires, le règne des vérités utiles ? Malgré le désir dont nous sommes animés de


V

faire prévaloir des vérités importantes et d'une utilité générale, nous ne pouvons néanmoins nous dissimuler, d'après la manière perfide et perverse avec laquelle on a égaré l'opinion publique en tout ce qui a rapport aux c o l o n i e s , qu'elles seront, d é daignées et méprisées par les u n s , rejetées sans examen parles autres. Serait-il cependant à craindre qu'elles n'opérassent aucun changement en faveur des colons de Saint-Domingue ? Non : les résultats en seraient trop désastreux p o u r tous les habitans des grandes et des petites Antilles dans un laps de temps plus ou moins rapproché. Nous reviendrons sûrement à cette époque f o r tunée où les colonies excitaient un intérêt général, étaient envisagées comme un des pivots principaux du c o m m e r c e de la métropole , et une des sources premières de sa richesse et de sa prospérité, de sa puissance et de sa grandeur. Ce n'est pas seulement à l'époque à jamais lamentable de la révolution française que le système colonial a été proscrit et anathématisé comme insensé et b a r b a r e ; quelque temps avant il avait été décrié et c o n d a m n é , avec un acharnement impitoyable, par cette foule d'écrivains qui se sont livrés à la science de l'économie p o l i t i q u e , dont les p r i n c i p e s , reçus d'abord avec une sorte d'enthousiasme par tous ses partisans, ont été depuis rejetés par tous les bons esprits c o m m e destructifs de toute prospérité nationale et de tout bonheur individuel. Ainsi d o n c le système colonial a été d'abord dénaturé, attaqué et sapé par les économistes français et par tous les écrivains de l'école de Smith,


vj sans aucune exception (1) j ensuite détruit de fond en comble par les actes des assemblées nationales et par les agens envoyés de la m é t r o p o l e , par les instigations et les manœuvres , tant ouvertes que clandestines, des négrophiles et des révolutionnaires de toute espèce, par les complots et les machinations des hommes de couleur et nègres libres de Saint D o m i n g u e , q u i , en insurgeant nosateliers, ont entraîné la subversion totale de cette superbe colonie, en y employant à cet effet les incendies et les massacres concurremment avec leurs instigateurs ( 2 ) . La restauration

( 1 ) Je n e c o n n a i s q u ' u n s e u l é c r i v a i n , d ' u n e g r a n d e r é p u t a t i o n , M. G a n i l h , d o n t l ' o p i n i o n n e s a u r a i t ê t r e d é d a i g n é e et p e u t faire d o c t r i n e , q u i se soit a t t a c h é d ' u n e m a n i è r e p a r t i c u l i è r e d a n s t o u t e s ses diverses p r o d u c t i o n s à d é f e n d r e la c a u s e d e s c o l o n i e s , d ' u n e manière

n o n moins victorieuse q u e c o n c l u a n t e , en opposition à

ces é c o n o m i s t e s français et a n g l a i s , et q u i a i t d é m o n t r é en m ê m e t e m p s l e u r u t i l i t é et l e u r i m p o r t a n c e sous t o u s les r a p p o r t s p u blics comme particuliers. J'y comprendrais également un

autre

a u t e u r , M. F . A . F e r r i e r , l e q u e l , dans son ouvrage i n t i t u l é , du Gouvernement

considéré

dans ses rapports

avec le commerce,

etc.,

a réfuté d'une manière b i e n lucide , ce m e semble , Smith , S a y , cl a démontré avec une

égale

perspicacité

leurs

contradictions

m a n i f e s t e s et m u l t i p l i é e s , c e q u i , e n fait de r a i s o n n e m e n t , est d u genre

le

plus concluant pour nous

convaincre

et p o u r

cons-

t a t e r e n m ê m e t e m p s la fausseté et l e v i c e d e t o u t s y s t è m e

appuyé

sur des bases aussi incohérentes.

donner

mon

o p i n i o n , j e n'ai j a m a i s

S'il m'est p e r m i s

de

l u d'écrit plus fécond en vérités

u t i l e s q u e ce d e r n i e r e t o ù l ' o n

réfute

une plus grande

masse

d'erreurs. (2) S i t o u t e s l e s c o l o n i e s f r a n ç a i s e s n ' o n t p a s s u b i le m ê m e s o r t q u e S a i n t - D o m i n g u e , c e n ' e s t p a s q u e les a s s e m b l é e s n a t i o n a l e s et les n o v a t e u r s r é v o l u t i o n n a i r e s v o u l u s s e n t les m é n a g e r , faire u n e e x c e p t i o n e n l e u r f a v e u r et n e p a s les assujettir a u x m ê m e s lois et aux mêmes mesures

sous l e s q u e l l e s c e l l e - c i a s u c c o m b é . Mais i l s


vij

de ce système qui exigerait le concours de toutes les volontés, ou au moins celui des personnes c o n s t i tuées en dignité, en autorité, a pour opposans et ennemis déclarés ces écrivains physiocrates, tous les partisans des idées révolutionnaires, de ce système faux et exagéré de la souveraineté du p e u p l e , de liberté et d'égalité absolue sous tous les rapports sociaux et c o m m e r c i a u x ; et enfin cette foule d ' i n dividus qui forme la masse presque entière de la n a t i o n , dont on a égaré et perverti les o p i n i o n s , et laquelle, indépendamment de cette cause, reste

n e r e n c o n t r è r e n t p a s clans c e s p r e m i è r e s u n e p o p u l a t i o n e n h o m m e s d e c o u l e u r aussi c o n s i d é r a b l e et a u s s i r i c h e q u ' à S a i n t - D o m i n g u e , laquelle

e n o u t r e se t r o u v a i t d a n s u n e s i t u a t i o n

toute

particu-

l i è r e d ' e s p r i t et d e c o r p s q u e n o u s f e r o n s c o n n a î t r e d a n s u n é c r i t détaché. C e s a u t r e s c o l o n i e s , telles q u e l a M a r t i n i q u e , les îles de F r a n c e et de B o u r b o n , f u r e n t assez h e u r e u s e s p o u r n ' ê t r e pas forcées d'ad o p t e r les a c t e s d e s a s s e m b l é e s , e n c e q u i a v a i t r a p p o r t a u x e s c l a v e s e t a u x a f f r a n c h i s ; et elles n ' h é s i t è r e n t p a s à r e p o u s s e r à c o u p s d e c a n o n les c o m m i s s a i r e s et les d i v e r s a g e n s e x p é d i é s d e la m é t r o p o l e a u s s i t ô t l e u r a p p a r i t i o n s u r l e u r s c ô t e s . N o n o b s t a n t ces c i r c o n s tances favorables , elles n e p u r e n t n é a n m o i n s e m p ê c h e r q u e l e u r sûreté intérieure ne fût é m i n e m m e n t compromise par le soulèvem e n t p a r t i e l d e q u e l q u e s a t e l i e r s , p a r u n e s o r t e d ' a g i t a t i o n et d e f e r m e n t a t i o n q u i n'a cessé d e r é g n e r d a n s p r e s q u e t o u s l e s a u t r e s et q u ' o n a p e i n e à r é p r i m e r ; et l e u r e x i s t e n c e e n t i è r e c o m m e c e l l e des colonies situées dans le g r a n d a r c h i p e l o c c i d e n t a l , tant françaises

qu'étrangères,

n'acquerra

jamais de repos

n i de

fixité,

restera toujours précaire , chancelante et incertaine tant que grande colonie

de Saint-Domingue

n'aura pas

la

été d e n o u v e a u

assujettie sous l ' e m p i r e d e ses a n c i e n s p o s s e s s e u r s . C ' e s t l à u n e d e ces vérités importantes et d'un ordre supérieur dont nous pris sur nous de démontrer l'évidence et toute l'urgence.

avons Si l'on

s'y m o n t r e r e b e l l e , é t r a n g e r o u i n s e n s i b l e , n o u s n ' a u r o n s p l u s r i e n


viij étrangère o u indifférente, soit par ignorance o u par tout autre m o t i f , à une question p o l i t i q u e , n a tionale et commerciale qu'elle n'a jamais p u , o u eu un intérêt direct à examiner et à approfondir. Parmi cette f o u l e , ceux de ces individus qui ont voulu l'entreprendre ont montré une ignorance totale et sur les hommes et sur les c h o s e s , soit au m o r a l , soit au p h y s i q u e , soit sous les rapports p o litiques et sociaux, n'admettant pour bases de leur raisonnement que des idées métaphysiques et de pure abstraction, o u , ce qui est également v i c i e u x , des faits dénaturés, controuvés, toutes voies q u i conduisent immanquablement à l'erreur, à l ' a b s u r d e , quand l'expérience, cette pierre de touche de toute vérité utile et de toute mesure praticable, ne leur sert plus d'appui ni de fondement. Cet é c r i t , quoique d'un auteur isolé et i n c o n n u , p o u r r a , j e l'espère, être assez concluant p o u r c o n tribuer à détruire un égarement et une p r é v e n t i o n , une insouciance et une ignorance aussi générale? Ce sera donc moins sous le rapport que présente notre sujet p r i n c i p a l , celui de vouloir ramener

à o p p o s e r , e t il f a u d r a s u b i r e u c o m m u n , d a n s t o u t e l a r i g u e u r d ' u n s o r t i n e x o r a b l e , n o t r e d e s t r u c t i o n f i n a l e , à la g r a n d e s a t i s faction s a n s d o u t e d e t o u s c e u x q u i la d é s i r e n t e t v e u l e n t é t a b l i r sur ces ruines toutes détrempées d u sang h u m a i n , u n e anarchie barbare et a f r i c a i n e , s e m b l a b l e à c e l l e q u i a t o u j o u r s s u b s i s t é d a n s toutes leurs peuplades depuis le c o m m e n c e m e n t d u m o n d e j u s qu'aux temps actuels. Quel inconcevable gratitude , d'incivisme et de fureur

délire! quel excès d'in-

révolutionnaire envers des

Français et des compatriotes ! Jamais aberration dans nos sentim e n s et d a n s n o s d e v o i r s n e fut p l u s é t r a n g e e t p l u s

immorale.


ix tous les esprits à s'occuper et à se convaincre de l'utilité et de l'importance des colonies pour leur m é t r o p o l e , c o m m e de la nécessité de la r é o c c u p a tion et de la réorganisation future de S a i n t - D o mingue , que cet écrit a été r é d i g é , mais par une considération toute particulière, ressortissant de notre sujet et de la discussion actuelle. Notre entreprise a pour objet spécial, sous une proposition générale, de défendre nos malheureux compatriotes de Saint-Domingue des inculpations calomnieuses et atroces que la h a i n e , l'esprit de parti et de prévention se sont plu à distiller c o n tre eux tous , sans aucune exception , avec une malice et une perfidie sans égale , et qui subsiste encore trop généralement ; de rétablir et [de restituer en entier leur caractère m o r a l , qui n'est point inférieur à celui d'aucun E u r o p é e n , et qui a été tout à la fois dénaturé, stigmatisé et r e p r é senté sous les couleurs les plus fausses et les plus odieuses; de constater les injustices énormes et multipliées sous lesquelles ils ont tous succombé d'une manière non moins cruelle que b a r b a r e , et qui avaient p o u r but unique de favoriser e x c l u s i v e m e n t , d'exalter et d'enivrer une race étrangère et ignorante d'idées et de sentimens au-dessus de sa capacité, et qui ne lui furent jamais applicables; tous résultats qu'aucune nation j u s q u ' i c i , dans son plus grand aveuglement, ne s'était encore rien p e r mis de semblable envers des compatriotes et des concitoyens. Si nous parvenons à constater tous ces faits d'une manière irrévocable , nous croirons avoir


X

rempli un devoir sacré, la plus noble des fonctions ; et avoir disposé les esprits éclairés, les cœurs droits et sensibles, à reconnaître que les colons de SaintDomingue ont d r o i t , et par des malheurs inouïe et non mérités, et par leur caractère, et par leur qualité de Français, et par leur attachement et leur dévouement envers la mère patrie, à l'estime et à l'amour de tous leurs compatriotes européens comme à toute la sollicitude et à toute la bienveillance du gouvernement. Cette tâche est belle sans d o u t e , et elle ne peut que nous encourager et h o norer tous nos efforts. Elle appartenait essentiellement à un c o l o n , à un c r é o l e , témoin et victime tout à la fois des souffrances et des malheurs c o m m u n s , dont l'existence entière, et comme individu et c o m m e membre du corps social en sa qualité de propriétaire, participant à tous ses d r o i t s , à tous ses devoirs, et à toute l'expansion de ses sentimens, se trouve à jamais confondue et identifiée avec celle de tous ses infortunés compatriotes.


DES COLONIES, ou

RÉPONSE AUX OBJECTIONS

ÉLEVÉES CONTRE LE

COLONIAL

AUX

SYSTÈME

ANTILLES.

§ Ier. OBJECTION « LES

PREMIÈRE.

nègres ayant été déclarés libres par la volonté n a -

« tionale , o n n e p e u t , sans une injustice manifeste, leur « ravir cette liberté acquise ; et c'est aujourd'hui une o b l i « g a t i o n , fondée sur la nécessité des circonstances et sur la « force des é v é n e m e n s , de la reconnaître et de la c o n f i r « m e r de n o u v e a u . »

RÉPONSE. O n parle depuis long-temps de la nécessité des c i r c o n stances et de la force des événemens. Il s e m b l e , par ce langage, que la j u s t i c e , les qualités et les vertus qu'elle c o m m a n d e soient d'un o r d r e inférieur et n'occupent q u ' u n rang secondaire. O u se ménage par Là sans doute une plus grande latitude p o u r justifier et consacrer des excès et des horreurs dont j e n e v e u x n i ne désire rappeler en ce m o ment le souvenir. Cependant la nécessité, c o m m e toutes les autres i d é e s ,

1


2 a des bornes sans lesquelles elle ne présenterait aucune prise au raisonnement. Je ne connais qu'une nécessité i m p é r i e u s e , c'est celle de la f o r c e ; encore n'est-clle q u e m o mentanée , car quand la force cesse , la nécessité disparaît. Il en est u n e a u t r e , la plus c o m m u n e et la plus g é n é r a l e , c'est en effet celle des circonstances ; mais elle est toujours relative à la fermeté o u à la faiblesse d u caractère , à la rectitude o u à la fausseté du j u g e m e n t , à la volonté o u à la non-volonté à tendre vers un résultat final. A i n s i , quant à S a i n t - D o m i n g u e , est-ce une nécessité de force dont o n entend parler ? N o n assurément. Car la force est ici dans l e tout et n o n dans sa p a r t i e ; o u , p o u r nous e x p r i m e r d'une manière plus e x a c t e , dans la plus grande portion du t o u t , la nation entière , comparée à la plus petite , celle des colonies (1) ; et cette portion du plus grand t o u t , c o m p a r é e à sa p a r t i e , e s t , dans le degré d u m a x i m u m le plus élevé au m i n i m u m le plus bas. Est-ce u n e

(1) Q u o i q u e la F r a n c e et ses c o l o n i e s s o i e n t d e u x c o r p s d i s t i n c t s e n raison d e l e u r d i s t a n c e , d e la d i f f é r e n c e d u c l i m a t et d e s l o i s , c e l l e r é s u l t a n t e d e la n a t u r e d e s p r o p r i é t é s et d e la d i v e r s i t é d e s h o m m e s , t o u s r a p p o r t s q u i é t a b l i s s e n t u n e d i s t i n c t i o n et s e m b l e n t a n n o n c e r la s é p a r a t i o n d e d e u x états , c e p e n d a n t ils p e u v e n t et d o i v e n t ê t r e c o n s i d é r é s , t a n t q u ' i l s s o n t r é u n i s d a n s la t o talité d e l e u r e n s e m b l e , c o m m e f o r m a n t u n c o r p s p o l i t i q u e ,

un

s e u l t o u t , d o n t les c o l o n i e s s o n t d e s p o r t i o n s . O r , c e l l e s - c i é t a n t s o u m i s e s , p a r la n a t u r e m ê m e d e s f o n c t i o n s a p p r o p r i é e s à c h a q u e p o u v o i r , à la p l é n i t u d e d e la p u i s s a n c e e x é c u t r i c e d e la m é t r o p o l e et à toute la f o r c e q u i e n d é r i v e , cette p u i s s a n c e se t r o u v e en c o n s é q u e n c e i n v e s t i e d ' u n e s u r a b o n d a n c e de m o y e n s p o u r c o n t r a i n d r e t o u t e s les p a r t i e s , s u r t o u t des p o r t i o n s aussi f a i b l e s q u e des î l e s à s u c r e , à t o u t ce q u e le b i e n - ê t r e et l ' i n t é r ê t g é n é r a l c o m m a n d e n t . J e n e fais p a s m e n t i o n ici d e s r a p p o r t s q u i é t a b l i s s e n t ,

ci-

m e n t e n t et c o n s o l i d e n t n o t r e u n i o n d ' u n e m a n i è r e i n d i s s o l u b l e , p a r c e q u e c e t t e q u e s t i o n t i e n t à u n o r d r e d'idées q u i t r o u v e r a a i l l e u r s sa s o l u t i o u .


3

nécessite de circonstance q u ' o n suppose ? Indubitablement. Mais alors elle d é p e n d , dans l'une des alternatives q u e nous venons d ' i n d i q u e r , d u degré d'énergie dont n o u s serons animés p o u r ressaisir nos droits u s u r p é s , de la sagacité de nos m e s u r e s , de la sagesse de leur e m p l o i , d'une volonté persévérante à les faire c o n c o u r i r vers le bien-être et l'intérêt général. Cette d e r n i è r e nécessité peut faire naître u n e nécessité d'opposition,

de lutte et de c o m b a t . P o u r le p r o u v e r ,

supposons que les nègres a u j o u r d ' h u i , o u plutôt leurs c h e f s , sont tels qu'ils o n t manifesté vouloir l'être à une certaine é p o q u e ; c ' e s t - à - d i r e , voulant avec leur liberté rester indépendans et maîtres suprêmes de la c o l o n i e , r o m p r e toute correspondance

et toute

communication

avec la m é t r o p o l e , et déclarant en outre anathême haine éternelle

à la France,

dera.it sur leurs côtes

etque

tout Français

serait incontinent

et

quiabor-

mis à mort. Celle

supposition n'est pas gratuite ; elle a existé dans toutes les circonstances décrites ci-dessus

(1).

Dans cette s u p p o s i t i o n , j e demande si la F r a n c e , i n t é ressée à rétablir son c o m m e r c e m a r i t i m e , à rouvrir les ( 1 ) Pour s'en convaincre on n'a qu'à lire les différentes proclamations de Dessalines , et les actes d'adhésion donnés par ses principaux subordonnés. J e me contenterai d'en rapporter seulement quelques expressions extraites de ces mêmes pièces : «

Les généraux, pénétrés de ces principes sacrés , après

« avoir d o n n é , d'une voix unanime , leur adhésion au projet bien « manifesté d'indépendance, ont tous juré à la postérité, à l'univers « entier, de renoncer à jamais à la F r a n c e , et de mourir plutôt « que de vivre sous sa domination. Qu'ils frémissent de la résolu« tion terrible que nous avons prise de dévouer à la mort quicon« que , né Français, souillerait de son pied sacrilége le territoire de « la liberté. Auathême aux Français , haine éternelle à la France ; « voilà notre c r i , e t c . , e t c . , etc. , etc. Fait au quartier-général « des Gonaives , le premier de janvier mil huit cent quatre , an


4 c o m m u n i c a t i o n s avec ses anciennes p o s s e s s i o n s , afin de se p r o c u r e r e n tout temps des d é b o u c h é s sûrs et avantageux à tous ses produits agricoles et m a n u f a c t u r i e r s , et de r é p a r e r p a r là ses forces c l sa puissance ; si la j u s t i c e , qui l u i i m p o s e l'obligation ( c a r la justice est aussi u n e nécessité , la plus i m p é r i e u s e et la p r e m i è r e dans la h i é r a r c h i e des droits ) de r e n d r e aux c o l o n s et leurs propriétés et le d r o i t d'habiter leur sol n a t i f , j e demande si la nécessité des c i r constances dans lesquelles les nègres se sont placés p a r r a p p o r t à la F r a n c e , ne doit pas ètre s u r m o n t é e , v a i n c u e p a r la nécessité des circonstances

relatives aux intérêts et

a u x droits imprescriptibles de cette d e r n i è r e ? Les

per-

sonnes q u i , en réclamant la nécessité des c i r c o n s t a n c e s , veulent soutenir les seuls droits des nègres , n e c o n s e n t i raient pas a s s u r é m e n t , e n l e u r supposant m ê m e les n o t i o n s

« p r e m i e r d e l ' i n d é p e n d a n c e » S i g n é , D e s s a l i n e s et p l u s i e u r s a u t r e s c h e f s , et B o i s r o n - T o n n e r r e , s e c r é t a i r e . C e B o i s r o n - T o n n e r r e e s t u n h o m m e d e c o u l e u r d e la p a r t i e d u s u d , u n des p l u s g r a n d s fauteurs d e s incendies e t des m a s s a c r e s , q u i a r é d i g é sans d o u t e t o u t e s c e s p r o c l a m a t i o n s a d r e s s é e s à l a p r é t e n d u e a r m é e i n d i g è n e . O n y r e m a r q u e u n e foule d e p a s s a g e s copiés m o t à mot de l'histoire d e l'abbé R a y n a l , dont ce mulâtre s'était v r a i s e m b l a b l e m e n t n o u r r i l ' e s p r i t . A u reste, ces protestations s o l e n n e l l e s , ces fureurs i n v o q u é e s , ces a u a t h ê m e s d é c e r n é s n e r e s s e m b l e n t p a s m a l à t o u s c e u x p r o n o n c é s e n F r a n c e p e n d a n t t o u t e la t o u r m e n t e r é v o l u t i o n n a i r e , e t r é p é t é s d u r a n t les c e n t j o u r s e n f a v e u r d e la s o u v e r a i n e t é d u p e u p l e , en haine contre la royauté et contre le retour de l'autorité légit i m e , e n imprécations contre les prétendus ennemis d'une liberté légale. Ces exclamations révolutionnaires

et f u r i b o n d e s se s o n t

sans d o u t e é v a n o u i e s p o u r n e p l u s r e p a r a î t r e . I l n e f a u t d o n c p a s p l u s s'y a r r ê t e r a u j o u r d ' h u i p o u r c e q u i c o n c e r n e S a i n t - D o m i n g u e , q u ' o n n e s'en o c c u p e a c t u e l l e m e n t p o u r tout ce q u i a r a p p o r t à l a F r a n c e , et elles disparaîtront de notre sol avec encore p l u s de f a c i l i t é e t d e p r o m p t i t u d e , si o n v e u t e m p l o y e r l e s s e u l s m o y e n s que réclame l'ordre colonial.


5 les plus c o m m u n e s sur l'importance des colonies

pour

leur m é t r o p o l e , et sur les droits les plus légitimement acquis par les colons , à reconnaître n i à se soumettre à cette nécessité q u e n o u s avons supposée dans le paragraphe p r é c é d e n t , et laquelle a réellement existé. Ils la combattraient ; ils n e l'admettraient pas m ê m e

comme

mesure de p r u d e n c e indispensable. Ainsi d o n c la nécessité des circonstances est u n e idée p u r e m e n t relative. P o u r savoir si on doit s'y soumettre avec résignation o u la combattre avec f e r m e t é , il f a u t , c o n f o r m é m e n t à notre définition, p r o u v e r l'impossibilité, l'inutilité des efforts c o m m e le défaut et l'impossibilité des m o y e n s de la F r a n c e à faire prévaloir les droits de sa s o u veraineté incontestable ; il faut en m ê m e temps p r o u v e r que la liberté des nègres est compatible avec la nature des propriétés coloniales, avec la s é c u r i t é , la tranquillité des individus de toute couleur et leur b o n h e u r c o m m u n . O r , nous croyons p o u v o i r d é m o n t r e r précisément le contraire d e toutes ces p r o p o s i t i o n s , e t , par c o n s é q u e n t , mettre au néant cette nécessité p r é t e n d u e .

Si

nous s u c c o m -

b o n s dans notre e n t r e p r i s e , ce n'est pas faute de b o n s r a i s o n n e m e n s , car ils se présentent ici en foule. N o u s n o u s ferons cependant u n devoir de les appuyer sur les faits et sur l'expérience , tout en notre f a v e u r ,

bases

de toute législation possible et raisonnable. Je ne pense pas cependant que les propositions inverses énoncées au c o m m e n c e m e n t du passage précédent aient besoin d'être p r o u v é e s ; leur existence est tellement i n contestable, que l'esprit le plus obtus o u le plus p r é v e n u ne peut les m é c o n n a î t r e . La f o r c e et la puissance de la F r a n c e , le génie et le courage de ses h a b i t a n s , ne s a u raient , sous aucun r a p p o r t , m ê m e h y p o t h é t i q u e , être mis en parallèle avec plusieurs c o l o n i e s , e n c o r e m o i n s avec une seule et avec quelques nègres a r m é s , lorsque surtout


6 cette force et ce courage seront employés dans la seule direction c o n f o r m e aux intérêts c o m m u n s ; lorsqu'ils

ne

s'égareront p o i n t , c o m m e c i - d e v a n t , dans leur marche , en suivant les guides infidèles de la philanthropie m o d e r n e , les négromanes et les mulâtromanes , o u en se dirigeant sur les étendards sanglans de la révolution inscrits des n o m s de liberté et d'égalité, de la liberté o u la m o r t . C'est à cette funeste i n f l u e n c e , que n o u s constaterons par la 6uitc , qu'il faut attribuer la perpétuité des m a u x de SaintD o m i n g u e , et l'impossibilité o ù se sont trouvées les forces expédiées de la métropole p o u r y consolider sa puissance et les droits des c o l o n s . Les nègres ont été tumultuairement et illégalement affranchis par les seconds commissaires n a t i o n a u x - c i v i l s , envoyés

p o u r le rétablissement de l'ordre ,

qui

n'en

avaient assurément pas le d r o i t , e t , par suite de mesures fausses , impolitiques , auxquelles leur i m p r é v o y a n c e , leur impéritie

et leur frénésie révolutionnaire les ont

portés. Ils ne se sont pas m ê m e entendus sur cette grande m e s u r e , ni dans les réglemens rendus par e u x a n t é r i e u r e m e n t et depuis cette é p o q u e ; Santhonax l'ordonnant dans le n o r d sans ses collègues , avec certaines réserves et restrictions ; Polvérel la désapprouvant formellement et la p r o c l a m a n t ensuite lui seul dans l'ouest et le sud de la manière la plus ample , en accordant aux nègres l ' u n i v e r salité des propriétés ; D e l p e c h , troisième c o m m i s s a i r e , blâmant et censurant ses collègues , réclamant sa p a r t i cipation et son c o n c o u r s , dédaignés par ces derniers , sans l e s q u e l s , d i s a i t - i l , tout devenait irrégulier et illégal. L a prétendue assemblée de cette m ê m e é p o q u e n'en avait pas plus l e droit que les commissaires; elle l'avait d ' a u tant moins qu'aucun député des colonies n'y siégeait, n i n'avait été appelé à la c o n v e n t i o n , si ce n'est seulement quelques nègres o u m u l â t r e s , à peine sortis de l'esclavage,


7 et envoyés irrégulièrement par ces commissaires, e t , j e c r o i s , sans aucun vote préalable. O r , il était d'une injustice manifeste, et contraire aux principes préconisés à cette m ê m e époque et par cette m ê m e assemblée, d'assujettir les colons des îles o c c i d e n tales et orientales à des lois qui anéantissaient tous leurs droits , lorsqu'ils n'avaient ni ne pouvaient avoir aucun représentant p o u r la discussion et la défense de ces grands intérêts publics n o n représentés, et p o u r lesquels ils a u raient d û être au moins consultés et entendus. E n o u t r e , cette assemblée s'est b o r n é e p u r e m e n t et simplement à constater cet acte d'affranchissement, et en a renvoyé le m o d e d'exécution à l'un de ses comités. Ce comité ne s'en est jamais o c c u p é ; l'assemblée n e l'en a jamais requis , et il n'en a plus été question. Par ce renvoi de l'assemblée au c o m i t é , et par le silence de l'un et de l'autre , et par l'oubli total o ù cet acte est t o m b é , il est b i e n évident q u e ces autorités, tout usurpatrices qu'elles étaient des droits de tous , l'ont regardé c o m m e u n projet de décret n o n

en-

c o r e résolu ni déterminé définitivement, sans application directe ni immédiate , et c o m m e il leur est souvent arrivé p o u r plusieurs projets de lois renvoyés et perdus dans leurs comités. O n c o n ç o i t encore sans peine que l'assemblée venant à s'occuper sérieusement de cette m e s u r e , d o n t elle n'avait pas pris sur elle l'initiative , mais déterminée forcément et uniquement par la seule impulsion

donnée

par les c o m m i s s a i r e s , p o u r laquelle ceux-ci auraient d û être rappelés et mis en j u g e m e n t p o u r avoir excédé leurs pouvoirs et exercé des actes d'une autorité s o u v e r a i n e , si la justice et l'honneur national avaient p u se faire entendre dans ces j o u r s de fureur et d'anarchie e x t r ê m e s , cette a s semblée aurait p u néanmoins la modifier d'une telle m a nière , par le m o d e d'exécution encore i n c o n n u , qu'elle l'aurait rendue à peu près nulle quant à ses effets.


8 Cette mesure était tellement éloignée de sa pensée , q u e lorsque Garant de C o u l o n en fit la m o t i o n expresse dans le sein de la convention , elle fut écartée à une très-grande majorité et sans aucune discussion, autant q u e j e

m'en

souviens. O n doit également se rappeler q u e , l o n g - t e m p s a v a n t , lorsque les députés de Saint-Domingue se p r é s e n tèrent par-devant l'assemblée nationale p o u r en faire partie, et q u ' o n en admit six c o m m e députés et d o u z e c o m m e suppléants, M . Garât le j e u n e lut u n discours dans lequel il avançait, avec raison et par de beaux dévcloppemens , q u e S a i n t - D o m i n g u e devait avoir une assemblée législative et souveraine agissant c o n c u r r e m m e n t avec l'autorité royale. Mais il aurait d û , par une juste et une infaillible conséquence de ces mêmes principes , rejeter toute la d é p u t a t i o n d e S a i n t - D o m i n g u e , et la renvoyer par-devant ses constituans p o u r s'organiser c o n f o r m é m e n t aux principes avancés,' sou admission étant superflue et étrangère aux délibérations de celle m ê m e assemblée ; et c'est ce que le j u d i c i e u x abbé Maury avait conseillé. Il admettait de plus ( M . G a r a t ) que cette représentation coloniale devait être c o m p o s é e entièrement de b l a n c s , et il avait encore sur ce p o i n t a p p r o c h é de la vérité (1). Plût à D i e u que ces d i s p o -

(1) M i r a b e a u a l l a i t p l u s l o i n et v o u l a i t q u e l e s c o l o n i e s f u s s e n t d e s états i n d é p e n d a n s et alliés ( s y s t è m e e r r o n é , m a i s p r o c l a m é e t exalté p a r les é c o n o m i s t e s ) ;

c e q u i était b i e n p e u c o n n a î t r e

la

n a t u r e d e s c o l o n i e s situées a u x A n t i l l e s , b i e n d i f f é r e n t e s e n t o u s p o i n t s et sous tous les r a p p o r t s d e c e l l e s p l a c é e s s u r le c o n t i n e n t . C a r c e l l e s - l à , p a r la n a t u r e c i r c o n s c r i t e de l e u r t e r r i t o i r e , p a r l e u r p o s i t i o n i n s u l a i r e q u i les e x p o s e n t a u x i n s u l t e s et a u x d é p r é d a t i o n s d u p r e m i e r f o r b a n a u d a c i e u x , p a r la faiblesse d e l e u r p o p u l a t i o n b l a n c h e q u i se t r o u v e d a n s u n r a p p o r t i n f i m e a v e c c e l l e d e s e s c l a y e s , et trop faible par conséquent p o u r p o u v o i r , surtout

avec

l e u r s o c c u p a t i o n s o r d i n a i r e s et f o r c é e s ,

force

consacrer aucune

p u b l i q u e p o u r la d é f e n s e d e l e u r s û r e t é i n t é r i e u r e o u e x t é r i e u r e ,


9 suions sages, qui furent à peine écoutées , eussent été d é crétées par l'assemblée ! N o u s aurions évité par là notre horrible et sanglante révolution , et la F r a n c e jouirait a u j o u r d ' h u i de cette sage et haute p o l i t i q u e , au grand avantage et à l'entière salisfaction de toutes les classes de la société. L'assemblée dite conventionnelle

n'a jamais eu l ' i n -

tention de proclamer la liberté générale ; le décret r e n d u par la c o n v e n t i o n , le 5 mars 1 7 9 3 , le p r o u v e

encore

m i e u x , s'il est possible. Par le troisième article de ce décret elle disait : « Les commissaires nationaux et gouverneurs généraux sont autorisés à faire provisoirement dans les réglemens de police et de discipline des ateliers, tous les c h a n g e mens qu'ils j u g e r o n t nécessaires au maintien de la paix intérieure des colonies.» décret o r d o n n e n t :«

Les autres dispositions de ce

Q u e les colonies seront déclarées en

état de guerre ; q u e tous les h o m m e s libres des colonies seront autorisés à se réunir en légions o u

compagnies

f r a n c h e s ; que la formation des compagnies franches, faite

p a r l ' i m p o s s i b i l i t é enfin d e p o u v o i r s ' é t a b l i r e n c o r p s s é p a r é et i n d é p e n d a n t ,

distinct,

n'en a y a n t a u c u n des éléméns p r o p r e s ;

e l l e s s o n t , p a r t o u t e s ces c o n s i d é r a t i o n s , f o r c é m e n t assujetties

et

p o u r t o u j o u r s e n v e r s l e u r s m é t r o p o l e s . S i ces c o l o n i e s é t a i e n t d é c l a r é e s i n d é p e n d a n t e s , e l l e s d e v i e n d r a i e n t b i e n t ô t , et sous p e u , la p r o i e d e la p u i s s a n c e q u i v o u d r a i t les e n v a h i r , o u d ' u n s i m p l e r a m a s d e b r i g a n d s ; ou b i e n e l l e s s e r a i e n t l i v r é e s à l e u r s p r o p r e s d é s o r d r e s c l a n a r c h i e . I l e n est t o u t a u t r e m e n t d e s c o l o n i e s situées Sur le c o n t i n e n t ; l e u r s r a p p o r t s s o n t e n t i è r e m e n t , d a n s l e u r e n s e m b l e et d a n s t o u t e s l e u r s c i r c o n s t a n c e s , d a n s u n o r d r e i n v e r s e , et n'offrent a u c u n e s i m i l i t u d e a v e c c e l l e s d e s A n t i l l e s ; elles o n t e n e l l e s - m ê m e s t o u t e la f o r c e v i r t u e l l e p o u r se c o n s t i t u e r sous u n e f o r m e i n d é p e n d a n t e , sans q u ' i l e n p u i s s e r é s u l t e r a u c u n i n c o n v é nient , danger ni m a l h e u r p o u r

e l l e s ; et l ' e x e m p l e d e s A n g l o -

A m é r i c a i n s le c o n s t a t e assez a m p l e m e n t .


10

à S a i n t - D o m i n g u e , «era sous les ordres des commissaires nationaux et approuvée p a r l a convention. » Mais , dans la discussion sur ce décret d u 5 mars 1 7 9 3 , renvoyée par-devant les deux comités des colonies et de la m a r i n e , et les commissaires de S a i n t - D o m i n g u e , il fut constaté démonstrativement par ces derniers q u e le droit de p r e n d r e des mesures nécessaires au salut de la c o l o n i e , n'avait p o u r objets

que

des réglemens de police p r o -

visoires et n o n des actes législatifs ; que

l'affrahisse-

m e n t général n'était et ne pouvait être envisagé c o m m e réglement de police , mais b i e n c o m m e ressortissant de la puissance souveraine , à l'exercice et à la puissance de laquelle les commissaires n'avaient aucun droit de p r é t e n d r e ; que la discipline des ateliers, et tout ce qui pouvait s'y rapporter, appartenaient aux seules assemblées coloniales. Ces observations parurent si convaincantes aux m e m bres du c o m i t é , qu'ils déclarèrent d'une v o i x u n a n i m e q u e les colons propriétaires et les assemblées coloniales seraient spécialement chargés de cet o b j e t important et relatif à leur administration intérieure. 11 a été c o n v e n u q u e l'article serait rejeté par la question p r é a l a b l e , et qu'il serait seulement décrété qu'aussitôt que les autorités civiles seraient constituées , elles s'occuperaient de l ' a m é lioration du sort des esclaves. ( V o y e z Registres mission 3 mai

de

Saint-Domingue,

séances

de la

com-

des 27 mars

et

1793.)

Q u o i qu'il en soit de ces diverses c i r c o n s t a n c e s , cet acte d'affranchissement i n c o m p l e t , a b o r t i f , ne peut tout au plus être envisagé aujourd'hui

q u e sous le rapport

d'une circonstance f o r c é e , que d'autres circonstances f o r cées et plus impérieuses encore doivent à leur tour a n é a n tir. Mais faisons valoir des considérations d'une

tout

autre importance -, et, p o u r ceteffete t , j e prie le lecteur de me suivre dans le raisonnement suivant.


11 Il est une vérité inattaquable, à l'abri de toute o b j e c t i o n et de tout subterfuge ; c'est que si u n e autorité, n'importe laquelle , a p u , contre l'intérêt des p r o p r i é t a i r e s , et sans leur participation , rendre les nègres libres , il est é v i d e m ment d û à ces premiers u n e indemnité q u e l c o n q u e . C'est ce qui a été observé par tous les gouvernemens anciens et modernes lorsqu'ils ont r é g l é , plutôt q u ' o r d o n n é , l'affranchissement des esclaves : l'histoire e n t i è r e , et la nôtre en p a r t i c u l i e r , constatent amplement cette vérité. D e p l u s , toute propriété est sacrée, dans l'ordre de la politique , d u m o m e n t qu'elle a été acquise avec toutes les formalités r e quises et ordonnées par le législateur, o u simplement c o n sacrée par l'usage et u n e longue possession : ce qui c o n s titue le droit de prescription établi p o u r l'intérêt p u b l i c . L ' u n et l'autre de ces titres sont également en notre faveur, et ne sauraient nous être légalement contestés ni refusés. S i , parles différens changemens survenus dans les m œ u r s , les opinions et dans la constitution d'un p e u p l e , il trouve q u il est de son intérêt b i e n o u mal entendu, ou plutôt par une sorte de frénésie révolutionnaire, de p r o s c r i r e u n genre de propriété étranger à ses droits et à ses i n t é r ê t s , et relatif seulement à u n e société particulière , o n peut l é g i t i m e ment le lui contester; m a i s , en l'admettant, ce n'est j a mais qu'en accordant préalablement u n e juste et suffisante indemnité : telle est la loi de toutes les nations policées. Si elle pouvait être e n f r e i n t e , la société s'écroulerait de toutes parts par ses propres fondemeus ; car la p r o p r i é t é , de quelque nature qu'elle s o i t , est la base

fondamentale

du pacte s o c i a l , et plus i m p o r t a n t e , à certains égards , que la liberté elle-même : c'est Rousseau qui l'a d i t ( 1 ) .

(1) « L e d r o i t d e p r o p r i é t é est le p l u s s a c r é d e tous les d r o i t s d e s c i t o y e n s , e t p l u s i m p o r t a n t , à c e r t a i n s é g a r d s , q u e la l i b e r t é m ê m e , soit p a r c e q u ' i l t i e n t d e p l u s p r è s à la c o n s e r v a t i o n d e la


12 Ainsi le c o l o n est fondé à dire : D é d o m m a g e z - m o i de la perte de cette propriété acquise sous la sanction et la g a rantie de vos p r o p r e s l o i s , ou , si vous ne le voulez n i n e le p o u v e z , o r d o n n e z d o n c qu'elle m e soit restituée; car rien n'a p u m e faire perdre le droit de garantie, ce droit de recours que la vente m'a c o n f é r é , soit contre l'autorité q u i l'a c o n s a c r é e , soit contre le vendeur q u i se l'est p e r mise , et en a retiré c o m m u n é m e n t plus que la v a l e u r , soit enfin contre tous deux à la f o i s , l'un c o m m e caution de la transmission réelle de la propriété aliénée , et

l'autre

c o m m e garant de la validité des engagemens particuliers et de la foi p u b l i q u e . L a révolution , r é p o n d r a - t - o n , e m pêche ce retour à la justice ; et c'est u n e nécessité de r e connaître tacitement au moins u n e partie de ses erreurs et de ses écarts : fort b i e n . Mais si vous ne pouvez m e r e n d r e cette propriété o u sa v a l e u r , déchargez-la au m o i n s des créances qui y sont attachées; cela est de rigueur a b solue , et ne peut admettre aucune e x c e p t i o n . Il serait, en effet, trop absurde et trop dérisoire de m'enlever le droit acquis sur m o n nègre par la vente faite par u n e autorité r e c o n n u e et c o m p é t e n t e , et de m'assujettir en m ê m e temps au paiement des sommes n o n acquittées et résultant de celte m ê m e vente (1), et cela à la suite d'une révolution

v i e , soit p a r c e q u e les b i e n s é t a n t p l u s aisés à u s u r p e r et p l u s p é n i b l e s à d é f e n d r e q u e la p e r s o n n e , o n d o i t p l u s r e s p e c t e r ce q u i p e u t se r a v i r p l u s a i s é m e n t , soit e n f i n p a r c e q u e la p r o p r i é t é e s l l e v r a i f o n d e m e n t d e la société c i v i l e ; c a r si l e s b i e n s n e r é p o n d a i e n t p a s d e s p e r s o n n e s , r i e n n e s e r a i t p l u s facile q u e ses d e v o i r s et d e se m o q u e r d e s l o i s .» sur l'Économie, politique.

( J.-.J. R O U S S E A U ,

Discours

)

(1) D e p u i s l ' é p o q u e d e la r é v o l t e ( a o û t 1 7 9 1 ) j u s q u ' à 1793,

d'éluder

l'année

a n n é e o ù la l i b e r t é g é n é r a l e a été p r o c l a m é e , il s'est v e n d u

a u C a p et d a n s différons p o r t s d e la c o l o n i e d e s c a r g a i s o n s e n t i è r e s d e n è g r e s a v e c les c r é d i t s a c c o u t u m é s . I l p a r a î t r a a u j o u r d ' h u i i u -


13 violente o ù tous les droits o n t été également c o n f o n d u s et dispersés. Les acquéreurs s e r o n t - i l s soumis à toute l'étendue de leurs obligations, lorsque les vendeurs en s e ront affranchis ? E t f a u d r a - t - i l q u e ces premiers restent

j u s t e sans d o u t e d'assujettir l e s a c q u é r e u r s a u p a i e m e n t d e s s o l d e s p r o v e n a n t d e ces v e n t e s , les propriétés a y a n t été successivement e n v a h i e s à f o r c e o u v e r t e , e t les n è g r e s d é c l a r é s l i b r e s . P o u r d é m o n t r e r j u s q u ' à q u e l p o i n t l e s c o m m i s s a i r e s se p e r m e t t a i e n t l e s a c t e s les p l u s a t r o c e m e n t i n i q u e s , j e v e u x , à c e s u j e t , c o n s t a t e r i c i u n fait i m p o r t a n t . L a f r é g a t e l'Astrée, c r o i s a n t d a n s l a p a r t i e d u s u d , s ' e m p a r a d ' u n b â t i m e n t n é g r i e r d e s t i n é p o u r l a J a m a ï q u e , et l e c o n d u i s i t a u x Caves S a i n t - L o u i s , c h e f - l i e u d e c e d é p a r t e m e n t . L e s n è g r e s f u r e n t v e n d u s p u b l i q u e m e n t , p a r le c o m m i s s a i r e D e l p e c h , d a n s le mois de juin o u juillet 1 7 9 0 , partie c o m p t a n t , partie à t e r m e , et a d j u g é s a u p l u s offrant et d e r n i e r e n c h é r i s s e u r . L a p r o c l a m a t i o n d e la l i b e r t é , d u fait d e s c o m m i s s a i r e s , f u t p u b l i é e e n a o û t d e l a m ê m e année , c'est-à-dire u n mois o u six semaines après q u e cette v e n t e f u t e f f e c t u é e , et p a r c o n s é q u e n t à u n e é p o q u e o ù ils a v a i e n t déjà s a n s d o u t e a r r ê t é l e u r p l a n d e s u b v e r s i o n ; et l e s a c q u é r e u r s , dont les termes se prolongeaient au-delà d u mois d ' a o û t , c l q u i n ' a v a i e n t p u s ' e n f u i r d e la c o l o n i e , f u r e n t c o n t r a i n t s d e p a y e r a u x é c h é a n c e s , quoiqu'il fût bien évident q u e l e u r s obligations étaient devenues nulles et caduques p a r l'affranchissement général. Mais t e l l e était a l o r s l a s o r t e d e j u s t i c e o b s e r v é e à l ' é g a r d d e s c o l o n s e t q u i r é g l a i t l e u r s destinées. Les commissaires n'ayant jamais r e n d u aucun compte de l e u r gestion , il est p r é s u m a b l e qu'ils a p p l i q u è r e n t à leur profit toutes les s o m m e s p e r ç u e s . Ils n e v o u l a i e n t p a s q u e les n è g r e s f u s s e n t e s c l a v e s , mais ils aimaient bien à s'en a p p r o p r i e r la valeur e n l e s affranchissant. Q u e l l e audace i m p u d e n t e et quelle perversité ! E t c est s u r les p l a n s et les a c t e s d e p a r e i l s h o m m e s q u ' o n p e r s é v é r e r a i t à asseoir n o s d r o i t s e t à r é g l e r n o s d e s t i n é e s f u t u r e s ! N o n , l u n e l e p e r m e t t r a s p a s , sagesse d e s s i è c l e s , d i e u d e n o s p è r e s , p r o t e c teur de cet e m p i r e ,

e t v o u s , p u i s s a n c e s o u v e r a i n e et n a t i o n a l e ,

c o n s e r v a t r i c e t u t é l a i r e , p e r p é t u e l l e e t sacrée d e s d r o i t s d e t o u s l e s Français répandus sur les deux h é m i s p h è r e s ! B e a u c o u p d e p e r s o n n e s t r o u v e r o n t h o n t e u x et s ' é l è v e r o n t p e u t -


14 seuls responsables et victimes cl événemens forcés et d'une nature supérieure ? Cela n e serait ni juste ni raisonnable. Q u e d e v i e n n e n t , dans u n autre sens, une

partie des

créances d u c o m m e r c e de la m é t r o p o l e , relativement à la vente de ces mêmes nègres , effectuée avant et pendant la révolution , et n o n payées encore dans leur totalité ? Mais ce n'est pas tout. Si le nègre n'a jamais p u ni d û être esclave, par la m ê m e raison o n n'a jamais été fondé à me le vendre ; cela est incontestable. V o u s d o n c tous qui avez c o n c o u r u , en première m a i n , à cette vente , et qui l'avez formellement autorisée et sanctionnée ; vous tous q u i y avez participé en tout temps , librement et v o l o n tairement, m é t r o p o l e , officiers de navire et m a r i n s , a r mateurs et co-intéressés dans l'expédition, vous êtes é v i d e m m e n t les p r e m i e r s , les plus grands c o u p a b l e s , et les p r i n c i p a u x transgresseurs de cette loi naturelle. Et f a u dra-t-il que m o i , colon , m o i seul, j e sois et reste victime d'un marché qui ne nous est devenu c o m m u n que subsi-

ê t r e i c i c o n t r e n o u s et c o n t r e p l u s i e u r s p a s s a g e s d e c e t é c r i t , d e ce q u ' o n ose e n c o r e p a r l e r e n F r a n c e d e l ' e s c l a v a g e c l de la v e n t e d e s n è g r e s . M a i s n ' e s t - i l p a s p l u s h o n t e u x et p l u s i n c o n s é q u e n t e n c o r e d'en p r o s c r i r e le p r i n c i p e , l o r s q u ' o n m ê m e t e m p s o n laissa s u b s i s t e r t o u s ses effets ? c ' e s t - à - d i r e l o r s q u ' e n n o u s p r i v a n t , s o u s le p r e m i e r r a p p o r t , de t o u t ce q u i n o u s est d û , o n n o u s c o n t r a i n t , sous l e s e c o n d , a u p a i e m e n t d ' o b l i g a t i o n s q u i n e s o n t q u e d e s c o n séquences directes c l immédiates des droits qu'on p r o s c r i t ? Si le p r i n c i p e est v i c i e u x , l'effet d o i t s ' e n s u i v r e , d i s p a r a î t r e sans r e t o u r , e t n e laisser a p r è s soi a u c u n e t r a c e q u i r a p p e l l e c e t o d i e u x t r a f i c . Si n o t r e c o n t r a t est m ê m e a t t e n t a t o i r e a u x d r o i t s d e l ' h o m m e , c e n'est pas n o u s q u ' i l f a u t e n a c c u s e r , m a i s v o s lois faites p a r v o u s s e u l s et sans n o t r e c o n c o u r s , sous l ' e m p i r e d e s q u e l l e s n o u s é t i o n s forcés d'exister,

d o n t n o u s s o m m e s d é j à , et d o n t n o u s d e v i e n -

d r i o n s b i e n a u t r e m e n t p a r la suite , p a r u n e i n c o n s é q u e n c e et u n e injustice victimes.

m a n i f e s t e et d é p l o r a b l e ,

l e s s e u l e s o u les

principales


15 d i a i r e m e n t , dans lequel e n c o r e j e n'ai été q u ' u n agent passif, secondaire et f o r c é ? Est-il juste de faire peser sur le seul c o l o n tout l'odieux d'une transaction réputée i m morale ; d'en flétrir, c o m m e se le permettent effrontément les n é g r o p h i l e s , et son noble caractère et toutes ses a c t i o n s ; de l u i faire supporter sans indemnité toutes les charges et pertes qui en résultent, parce qu'il est en p o s session de l'objet aliéné au m o m e n t m ê m e d'une intervention inconsidérée , si elle n'était déjà illégale; tandis q u e tous les p r e m i e r s , vous o u les v ô t r e s , avez retiré et vous vous êtes assuré d'avance des bénéfices énormes attachés à ce trafic,

en m ê m e temps que vous échappez à l ' a -

nathême et à la malédiction lancée contre nous tous c o l o n s , et que la race n è g r e , par u n autre contraste également c h o q u a n t , est p r é c o n i s é e , exaltée contre toute raison , toute justice , et clans la seule intention perfide et c r i m i nelle d'opposer son i n n o c e n c e et toutes ses vertus p r é t e n dues à notre i m m o r a l i t é , à notre barbarie et inhumanité supposées? P e r s o n n e , j e pense , qui conserve la m o i n d r e rectitude d'esprit et u n coeur tant soit p e u h o n n ê t e , n e souscrirait à des dispositions aussi injustes, aussi i n c o h é rentes et contradictoires. Nous ferons remarquer de plus q u e ce n'est pas le c o l o n , niais la loi seule qui fait les esclaves, loi faite sans le c o n cours et la participation de ce p r e m i e r ; et ce sont les seuls c o l o n s , o u i , eux seuls qui ont successivement affranchi, par un acte libre et spontané de leur p a r t , la masse entière des nègres l i b r e s , grands et p e t i t s , existans avant la r é volution. Ils n'ont p u m ê m e satisfaire à ce besoin de leur c œ u r , qu'en payant au fisc une s o m m e plus o u m o i n s forte p o u r leur l i b é r a t i o n ; disposition réglementaire q u i ne leur appartient pas , et q u i ne subsiste, à ce q u e j e c r o i s , q u e dans les seules colonies françaises. A i n s i , en libérant le nègre o u la négresse de la servitude, ce qui e m -


16 portait déjà u n sacrifice r é e l ,

la perte de son travail et

le p r i x de sa valeur primitive o u acquise , ils ont été o b l i gés d'en faire u n second plus o u moins considérable, p o u r le r e n d r e entièrement à la liberté et le faire j o u i r de tous ses droits. Voilà cependant les h o m m e s q u ' o n c a l o m n i e , q u ' o n injurie et dénigre , qui font en partie ce qu'on désire, et p l u s , sans d o u t e , p o u r leurs esclaves que tous ceux q u i veulent inconsidérément leur affranchissement, qui sacrifieraient pas u n denier , p e u t - ê t r e

ne

pas u n e seule

jouissance p o u r l ' o p é r e r , se contentant d'étaler de grandes maximes p h i l o s o p h i q u e s , des vertus de c o m m a n d e , et croient avoir ainsi satisfait au plus saint devoir de la m o rale et de l'équité, en m ê m e temps qu'ils censurent avec amertume et u n e injustice inouïe c e u x qui leur sont s u p é rieurs à tant d'égards. Car c e u x - c i n'ont jamais cherché n i songé à bouleverser leur o r d r e social par le s o u l è v e m e n t des dernières classes de la s o c i é t é , en leur i m p r i mant des idées fausses et exagérées de leurs droits contre les p r o p r i é t a i r e s , contre

toutes les supériorités p o l i t i -

ques et morales. Il y a eu m ê m e plusieurs de ces n é g r o p h i l c s , et les plus exaltés de la s e c t e , qui ont reçu des mulâtres des sommes assez considérables p o u r leur c o n seil et leur c o n c o u r s à l'anéantissement de S a i n t - D o mingue

(1).

Sous u n autre point de v u e , si le nègre ne doit plus être désormais esclave, vous ne p o u v e z , sous aucun prétexte légitime ni m ê m e apparent, vous dispenser de m e rendre o u de m e faire restituer la libre disposition de ma p r o priété foncière , de ces biens-fonds originairement mis e n valeur par les capitaux , l'industrie et l'intelligence de nos pères , et transmis , par droit de s u c c e s s i o n , à leurs h é -

(1) V o y e z les Mémoires

de M.

Bertrand

faits s o n t c o n s i g n é s clans l ' é d i t i o n a n g l a i s e .

de Molleville,

où ces


17 ritiers légitimes. Ces biens n'ont été ni confisqués n i aliénés par aucune l o i , m ê m e révolutionnaire; et les n è gres et mulâtres qui s'en sont emparés à main

armée,

n'en ont pas seulement dépouillé les colons , mais la F r a n c e tout e n t i è r e , l a q u e l l e , par la nature de son c o m m e r c e e x clusif et privilégié , était d e v e n u e , en quelque s o r t e , c o propriétaire dans les revenus c o m m u n s q u i forment autant de nouveaux fonds , autant de valeurs nouvelles créées et servant à l'accroissement de l'industrie

nationale , au

soulagement c o m m e à l'aisance de toutes les classes de la société. P a r conséquent tous les motifs d'intérêt p u b l i c , d'ordre g é n é r a l , et jusqu'à l'honneur national m ê m e , c o m m a n dent impérativement de rétablir les anciens possesseurs dans leurs domaines , et l'on n e p e u t , dans a u c u n c a s , consacrer une usurpation que la révolution e l l e - m ê m e , dans ses criminels é c a r t s , n'a point décrétée , et à laquelle le corps de d e u x cents et de cinq cents n'ont pas v o u l u souscrire, q u o i q u e vivement pressés par le directoire , q u i les sollicitait par différens messages de p r o n o n c e r la c o n fiscation

des propriétés coloniales en faveur de tous les d é -

tenteurs, nègres et mulâtres. Ces domaines sont d o n c restés à leurs anciens possess e u r s , propriétaires i n c o m m u t a b l e s , qui n e peuvent être remplacés , et leurs droits , quoique suspendus , n'en existent pas moins dans toute leur puissance morale et p o l i t i q u e , dans toute leur force législative, dans toute la rigueur des lois anciennes et nouvelles. Et ces lois nouvelles sont la Charte r o y a l e , la Charte c o n s t i t u t i o n n e l l e , q u i , en p r o c l a m a n t , par l'article 73 ( section intitulée Droits ticuliers garantis

par-

par l'état), que les colonies seront régies

par des lois et des réglemens particuliers, a, par là m ê m e , consacré le p r i n c i p e de leur conservation, de leur e x i s tence p o l i t i q u e , et les droits des colons sous l'empire a u 2


18 guste d u chef suprême de la nation. C a r , là o ù il y a des lois positives et des réglemens p a r t i c u l i e r s , là il existe un g o u v e r n e m e n t , et tout gouvernement suppose la d i s tinction des rangs , des conditions , et u n e certaine c l a s sification entre les h o m m e s , suivant tous les rapports q u i entrent dans leur organisation s o c i a l e , et qui la c o n s t i tuent toujours d'une manière plus o u m o i n s particulière et distincte. Il suppose de plus la reconnaissance et la d i s tinction des p r o p r i é t é s ; c a r , là o ù il n'y a p o i n t de p r o priétés , et o ù elles n e sont p o i n t respectées, là il n'existe p o i n t de société régulière , p o i n t de société réelle ; là il n'existe n i c u l t u r e , ni i n d u s t r i e , ni c o m m e r c e , ni aucun de ces bienfaits attachés au perfectionnement des c o n n a i s sances humaines. E t ces lois nouvelles se puisent e n c o r e dans les r é s o l u tions prises dans les différentes sections des corps législatifs q u i se sont succédés, et q u i accordent aux colons et à leurs cautions u n e prolongation jusqu'à la fin des sessions p r o chaines , p o u r le p a i e m e n t de leurs dettes. O r , il n'a p u entrer dans les vues des législateurs de frustrer les c o l o n s de leurs propriétés en m ê m e temps qu'ils les assujettiraient au paiement de leurs vieilles dettes. Ces d e u x idées sont inadmissibles , contradictoires ; l'obligation de payer d'anciens engagemens hypothéqués sur des p r o p r i é t é s , e n t r a i n e , par u n e juste c o n s é q u e n c e , l'indispensable n é c e s sité de la restitution de ces mêmes p r o p r i é t é s ,

lorsque

surtout o n en a la puissance, et que la justice la plus o r dinaire vous en impose le devoir. Si o n a trouvé équitable de rendre aux émigrés leurs biens i n v e n d u s , c o m m e n t ne restituerait-on p a s , et à plus forte raison , aux colons , eux q u i n'ont jamais été réputés ni signalés c o m m e émigrés par les l o i s , ces mêmes biens q u i n'ont jamais été vendus ni n'ont p u l'être, aucun d é cret ni projet de d é c r e t , dans l'excès de la démagogie la


19 plus e x t r ê m e , n e l'ayant o r d o n n é ? Ils n'en o n t été d é pouillés que par d e u x mandataires infidèles à leurs m a n dats , assistés de la f o r c e armée par eux cl par leurs p a r tisans de toute c o u l e u r , q u i , tous

ensemble,

ont f o n d u

sur nos personnes et nos propriétés avec toute la violence sanguinaire q u e se permettrait u n essaim de barbares s o r tant de leurs r e p a i r e s , et envahissant u n e contrée e n n e m i e o u étrangère. M a i s , en restituant les propriétés aux c o l o n s , d o n n e z leur le droit d'y résider avec s û r e t é ; c a r , sans cette c o n dition i n d i s p e n s a b l e , leur droit serait n u l

et de toute

nullité : e t , si vous n e voulez pas rendre cette restitution vaine et i l l u s o i r e , d o n n e z - l e u r o u , p o u r m i e u x d i r e , n e les empêchez pas de les faire fructifier par les seuls m o y e n s q u i sont en leur puissance. N o u s v o i l à , par u n e série de p r i n c i p e s et de conséquences qui s'enchaînent m u t u e l l e m e n t et sont incontestables , amenés f o r c é m e n t , et p o u r d e r n i e r résultat, à examiner , à discuter ces m o y e n s . A v a n t de p r o c é d e r à cet e x a m e n , n o u s c r o y o n s devoir insister de nouveau sur l'injustice résultante de l ' o b l i g a tion imposée aux colons de payer leurs anciens engagem e n s , parce que , de tous les actes, il n'en est p o i n t de plus contraire à l'équité et plus opposé en m ô m e temps à tous les décrets rendus en matière d'émigration, de c o n fiscation,

e t c . , e t c . , etc.

P a r les lois des I

e r

mars et 2 5 j u i l l e t , rendues par la c o n -

v e n t i o n , p e u disposée à reconnaître les principes de la j u s t i c e , toutes les dettes d o n t les émigrés étaient grevés au m o m e n t de la confiscation ont été éteintes à l'égard des émigrés, et sont passées, avec l'universalité de leurs biens, à l'état q u i s'était chargé de les acquitter; les immeubles ont été affranchis de toutes les dettes d o n t ils étaient g r e ves ; ces dettes ont été éteintes sans retour à l'égard de 1 é m i g r é , q u i ne peut plus être tenu de les acquitter sur


20 les biens qu'il a p u acquérir par la s u i t e , la novation , d'après u n savant jurisconsulte , ayant éteint la créance. L'assemblée conventionnelle distingue également les biens n o n vendus appelés biens usurpés , d o n t aucun titre, a u c u n e loi ne garantit la possession à l'usurpateur , et dont toutes les lois au contraire c o m m a n d e n t la recherche et la restitution. O r , suivant le texte et l'esprit de cette première l o i , toutes les propriétés c o l o n i a l e s , sans aucune

exception

( j e parle toujours de S a i n t - D o m i n g u e ) , ayant passé entre les mains de nos esclaves et de nos affranchis , les dettes d o n t ces propriétés étaient g r e v é e s , et d o n t la plupart étaient hypothécaires par suite des j u g e m e n s et arrêts r e n dus par les cours supérieures de j u s t i c e , doivent être a c quittées par les détenteurs de ces mêmes propriétés. Si on n o u s dit qu'ils s'en sont emparés p a r l a f o r c e , qu'ils ne se sont soumis et q u ' o n ne les a astreints à aucune obligat i o n , nous r é p o n d r o n s , c o n f o r m é m e n t au texte et à l'esp r i t de cette seconde loi : que ces propriétés n'ayant jamais été v e n d u e s , q u e , n e pouvant p r o d u i r e aucun t i t r e , a u c u n e loi p o u r en valider la possession, et p o u r laquelle, en o u t r e , ils n'ont jamais d o n n é u n e seule o b o l e ni aucun équivalent q u e l c o n q u e , ces nègres et mulâtres sont é v i d e m m e n t des usurpateurs, et des usurpateurs d'autant plus criminels, d'autant plus atroces, que , p o u r se rendre maîtres de nos h a b i t a t i o n s , ils o n t , c o n c u r r e m m e n t avec leurs agens , malgré tous nos efforts , massacré et torturé le plus grand n o m b r e d'entre n o u s , à la seule exception de c e u x qui ont p u échapper à temps à cette h o r r i b l e p r o s c r i p t i o n . Ainsi d o n c tout nous impose le devoir de les en d é p o u i l l e r , et l ' h o n n e u r , et la j u s t i c e , et les lois éternelles de la m o r a l e , et celles prescrites par toute s o ciété b i e n o r d o n n é e , et par la révolution elle-même. Q u e p e u t - o u d o n c véritablement nous o p p o s e r ?


21

Que

signifie a c t u e l l e m e n t , j e le demande

avec u n e

pleine confiance , ce sursis p r o n o n c é par chaque législature depuis Bonaparte j u s q u ' a u m o m e n t actuel, par lequel les colons restent constamment assujettis au paiement de leurs anciennes dettes hypothéquées sur des propriétés usurpées? D e quel droit et sur quel p r i n c i p e

veut-on

nous forcer à n o u s en libérer p e r s o n n e l l e m e n t ? Si les n è gres et mulâtres sont devenus des acquéreurs légitimes , n'importe par quelle cause o u par quel m o t i f , ils doivent acquitter les dettes hypothécaires des c o l o n s , dont ces derniers ne sont plus responsables , et contre lesquels on n e p e u t exercer désormais aucune réclamation n i p o u r suite q u e l c o n q u e ; au défaut de toute loi positive , l'équité seule impose partout de pareilles obligations. S i , au c o n traire, ces premiers n e peuvent p r o d u i r e e u leur faveur aucun titre l é g a l , s'ils n e peuvent s'appuyer q u e sur le droit de la f o r c e , ils sont p o u r lors d'exécrables spoliateurs, des brigands et des voleurs p u b l i c s , q u ' o n doit s'empresser de déposséder , en restituant les biens aux l é gitimes propriétaires par l'emploi de cette; m ê m e

force;

et c'est encore là u n principe d'équité g é n é r a l e , sans qu'auc u n e disposition législative l'ait formellement o r d o n n é , et qui n e peut être violé et maintenu q u e p a r la force avec ses horribles c o n s é q u e n c e s . Serait-ce

à dire a u s s i , parce q u ' o n ne p e u t forcer

les nègres et mulâtres à se libérer envers des c r é a n c i e r s , qui n e sont plus les nôtres mais b i e n les l e u r s , o u , p o u r mieux d i r e , parce q u ' o n n e veut pas e m p l o y e r tous les moyens q u i sont en notre p o u v o i r p o u r rétablir les colons dans l'entière possession deleurs d o m a i n e s , q u e v o u s r e j e t e riez sur c e u x - c i l'effet de celle impossibilité apparente o u de votre mauvaise v o l o n t é ? R i e n , sans d o u t e , n e serait plus d é r a i s o n n a b l e , plus injuste et plus contraire m ê m e aux principes de toute é q u i t é , et dont o u ne pourrait


22 présenter u n second e x e m p l e qui y eût quelque r a p p o r t . D'ailleurs, tant q u e l'on n'aura pas rétabli les colons sur leurs anciennes propriétés , il leur est de toute i m p o s sibilité de se libérer de leurs engagemens tant h y p o t h é caires q u e tous autres. Car il est d'une notoriété p u b l i q u e qu'ils ont été dépouillés complétement de tous leurs biens meubles et i m m e u b l e s , ruinés de fond en c o m b l e , réduits à la plus affreuse m i s è r e , et f o r c é s , p o u r soutenir leur fragile et précaire existence, de recourir aux faibles s e cours que leur accorde le gouvernement. Q u e

veut-on

d o n c et q u e p e u t - o n véritablement exiger d'eux dans leur état d'impuissance absolue et de nullité totale ? O h ! q u e j'aime b i e n m i e u x les sentimens et les vérités exprimés d'une manière aussi simple que concise et t o u c h a n t e , par M . le comte d'Arjuson dans la c h a m b r e des pairs ,

au

sujet de ces sursis p e r p é t u e l s , objets d'inquiétude et d'eff r o i , s'ils n'étaient déjà d'une injustice manifeste : «Je r é clame en faveur des c o l o n s , dit ce digne et h o n o r a b l e pair auquel n o u s ne saurions trop témoigner notre r e c o n naissance , les droits q u e leur d o n n e u n malheur sans e x e m p l e : réduits à vivre loin de leur terre natale, des secours d u gouvernement et des dons de l ' a m i t i é , qu'ils jouissent au m o i n s d u repos de la m é d i o c r i t é c l de la s é curité de la misère. » E n f i n , si les dettes hypothécaires dont les possessions des émigrés étaient grevées ont été o u ont d û être acquittées par l'état, les créanciers d e v a n t , en temps u t i l e , faire liquider leurs c r é a n c e s , sans q u o i ils encouraient la d é c h é a n c e , sur quel p r i n c i p e s'appuierait-on p o u r v o u l o i r que les dettes de la m ê m e nature soient acquittées par ceux-là seuls q u i ont été spoliés au mépris de tout d r o i t , de toute justice, et par u n acte qui n e porte le caractère d'aucune a u t o r i t é , ni l é g a l e , ni l é g i t i m e , n i m ê m e r é v o lutionnaire ? P o u r q u o i nous range-t-on a i n s i , par u n e


23 supposition entièrement gratuite et f o r c é e ,

dans

une

classe toute p a r t i c u l i è r e , i n s o l i t e , et d'une manière si i n i que,

lorsque peut-être nous aurions u n droit b i e n évident

à être traités avec moins de r i g u e u r ,

avec plus d'indul-

gence et de faveur ; puisqu'il n e n o u s a jamais été permis d'habiter notre sol sans e n c o u r i r à chaque instant le r i s q u e d'être assassiné d'une m a n i è r e n o n moins cruelle que b a r b a r e , notre seule couleur étant u n titre de p r o s c r i p tion q u e n o u s n e pouvions ni dissimuler n i cacher ; et puisque nos propriétés nous ont été enlevées f o r c é m e n t , et par les nègres , et par les mulâtres , et par les c o m m i s saires nationaux-civils , sans q u ' a u c u n e concession , a u cune soumission n i aucun sacrifice de notre p a r t , m ê m e d'opinion p u b l i q u e , aient p u opposer des obstacles à cet envahissement total et illégal de tous nos droits? Il n o u s est d o n c p e r m i s de c o n c l u r e , sous quelque r a p p o r t q u ' o n e x a m i n e la question q u e n o u s traitons , soit par rapport à la vente des n è g r e s , soit sous celui de nos propriétés f o n c i è r e s , soit p o u r les dettes contractées et reconnues hypothécaires , q u ' o n ne peut se d i s p e n s e r , si l'on veut être simplement juste à notre é g a r d , et si o n veut en m ê m e temps que nous nous acquittions de tous n o s e n g a gemens , de quelque nature qu'ils s o i e n t , de n o u s réintégrer nous et nos familles sur nos héritages , aussi a t r o c e ment qu'illégalcment u s u r p é s .

OBJECTION

SECONDE.

« Avant tout o n n o u s dira : quelle q u e soit n é a n m o i n s « la légitimité o u l'illégitimité de l'acte de l'affranchissè« m e n t , quelle q u e soit la c o m p é t e n c e o u l ' i n c o m p é t e n c e « de l'autorité qui l'a p r o c l a m é , il n'en est pas moins c e r -


24 « tain que les nègres en jouissent depuis plus de vingt« cinq ans , et qu'ils y attachent tous le plus grand prix. »

RÉPONSE. D ' a b o r d , est-il b i e n certain quela masse des nègres , celle des cultivateurs , attachent u n grand p r i x à leur liberté ? Ils n'en jouissent d'aucune m a n i è r e , ils sont esclaves d e f a i t , ils sont forcés au travail par des m o y e n s violens et c o ë r c i t i f s ; leur sort n'est a d o u c i , n'est soulagé par aucun de ces s o i n s , par aucune de ces assistances q u e l'intérêt propre,

au défaut de l'humanité, n o u s c o m m a n d a i t , et

surtout par cette sollicitude continuelle q u i nous portait à veiller sur leur situation présente et f u t u r e , sur leur existence entière et sur toute leur genération. Il n'y a d o n c rien de déraisonnable à affirmer positivement qu'ils p r é f é r e r a i e n t , e u x tous cultivateurs, à vivre sous l'autorité de leurs anciens maîtres , avec leur assujettissement a c c o u t u m é , plutôt que de subir le j o u g atroce et barbare de leurs semblables. Il n'est p o i n t en effet, et l'expérience de tous les temps et celle de notre p r o p r e révolution l'ont amplement c o n s t a t é , d'autorité plus v e x a t o i r e , plus insolente, plus c r u e l lement tyranni que q u e celle de nos é g a u x , plus encore celle de nos inférieurs , et contre laquelle tous les h o m m e s en général et sans exception r e g i m b e n t , se raidissent et finissent par b r i s e r , non-seulement parce qu'elle est t y r a n n i q u e et presque toujours sanguinaire, mais e n c o r e p a r c e qu'elle contrarie et c h o q u e les a m o u r s - p r o p r e s , les prétentions anciennes et nouvelles , et qu'elle n o u s paraît d è s - l o r s , et tout à la f o i s , le c o m b l e de l'injustice, de l'humiliation et de la dégradation. Sans doute si les nègres pouvaient continuer à vivre dans leur état d'oisiveté et d'apathie naturelles, sans doute


25 s'ils pouvaient errer çà et l à , sans autre g u i d e , sans autre frein que leurs passions déréglées et sauvages, ils d é s i r e raient et s'efforceraient de se maintenir dans cet état. Mais f o r c é s , au c o n t r a i r e , de fléchir sous le j o u g le plus dur et le plus c r u e l , d'employer et d'épuiser leurs forces p o u r des c h e f s , leurs é g a u x , qu'ils savent fort

bien

n'avoir

aucun droit sur leurs personnes , ni à aucun partage dans leurs travaux ; condamnésà ne jamais j o u i r d'aucun r e p o s , d'aucune sécurité, par suite d'une autorité soupçonneuse et usurpatrice dans l'exercice de tous ses actes et par le défaut de tout intérêt direct p o u r leurs personnes ; c'est se refuser aux simples lumières du b o n s e n s , c'est être en contradiction avec la nature elle-même , de supposer qu'ils préfèrent cette situation à celle de leur ancienne d é p e n d a n c e , à cette dépendance d o u c e et régulière , atténuée et affaiblie par les habitudes, par les mœurs d'un peuple hautement civilisé , qui mettait au rang de ses p r e miers d e v o i r s , de ses premières j o u i s s a n c e s ,

nous ne

craignons p o i n t de l'avancer , malgré les assertions calomnieuses de tous les sectaires et dogmatiscurs modernes , de s'occuper de leur b i e n - ê t r e , d'assurer leur b o n h e u r par tous les m o y e n s compatibles avec leur faiblesse , l'infériorité de leur intelligence et de leur inaptitude à se diriger par e u x - m ê m e s p o u r leur plus grand avantage c o m m u n . Il n'y a véritablement q u e les chefs à épaulettes, ceux possédant les emplois o u jouissant des propriétés usurpées, et le petit n o m b r e de gens a r m é s ; car la plupart de ces derniers n e recevant q u ' u n e solde plus o u moins b i e n p a y é e , ne participant pas aux é m o l u m e n s c o m m u n s ni à aucune faveur particulière , sont peut-être fatigués

de

cette agitation générale et de leur état d'insécurité c o n t i nuelle ; il n'y a , disons-nous , que ces chefs , ces p r o p r i é taires usurpateurs et ce petit n o m b r e de gens armés qui désirent cet étal de l i b e r t é , parce qu'ils en jouissent c o m -


26 plétement et avec toute la licence q u i en est inséparable p o u r des peuples b a r b a r e s . Mais le voeu de ce petit n o m b r e , relativement à la masse, n'est et n e saurait être le v o e u , nous osons l'affirmer de n o u v e a u et sans c r a i n t e , d e celte r é u n i o n entière des n è g r e s , de cette classe de c u l tivateurs e n c h a î n é e , v e x é e , t o r t u r é e ; et plus ce petit n o m b r e abuse de son p o u v o i r usurpé et exercé t y r a n n i q u e m e n t , s'appropriant presque exclusivement des p o s sessions

injustement envahies et jamais

reconnues

ni

sanctionnées, plus il est d u devoir et de l'humanité des autorités premières d'y mettre u n terme. S i , au mépris de ces réflexions fondées sur l'expérience et sur la connaissance du cœur h u m a i n , o n persiste à v o u loir q u e les nègres de Saint-Domingue soient l i b r e s , c o m m e n t n é a n m o i n s c o n c i l i e r a - t - o n cette mesure avec l'esclavage é t a b l i , affermi et toujours subsistant aux îles d u vent et dans nos possessions orientales ? L a F r a n c e a d o p t e r a t-elle p o u r lors d e u x poids et d e u x mesures? Sanetionnera-t-ellc d'un c ô t é , ce qu'elle aura proscrit de l'autre? Se mettra-t-elle ainsi gratuitement en o p p o s i t i o n , en c o n tradiction avec e l l e - m ê m e et avec les p r i n c i p e s dans l ' a d ministration de ses colonies ? de ces colonies entièrement semblables entre e l l e s , parfaitement identiques , et lesquelles ne sauraient dès-lors admettre u n régime différent ; L'injustice en serait trop frappante , l'inconséquence trop choquante et le danger trop évident p o u r p o u v o i r être justifié o u c o l o r é , m ê m e par aucun raisonnement n i par aucune mesure de nécessité. Dans u n e de ces suppositions , n e doit-on pas p r é s u m e r q u e les n è g r e s , les chefs des ateliers, o u m i e u x e n c o r e les mulâtres et les nègres libres des îles du v e n t , venant à connaître q u e les nègres de S a i n t - D o m i n g u e sont enfin en possession de leur liberté par u n nouvel acte de l'autorité légitime, d u cousentement apparent o u forcé de leurs


27 maîtres, sans avoir à redouter aucune nouvelle o p p o s i t i o n , n'est-il pas à craindre que ces chefs d'ateliers et ces h o m mes l i b r e s , à l'imitation d e c e u x de S a i n t - D o m i n g u e , n e profitent de ces circonstances p o u r les tourner à leur avant a g e , et se rendre maîtres des c o l o n i e s , en ébranlant la fidélité

des esclaves et e n e x c i t a n t , par ce m o y e n , des

m o u v e m e u s , et par suite u n soulèvement général ? S i , p o u r éviter cette catastrophe , elle p r o c l a m e la l i berté dans toutes les A n t i l l e s , j e d e m a n d e s'il est sage , si ce n'est pas m ê m e une inconsidération i m p o l i t i q u e , u n e mesure fausse et dangereuse , de mettre des colonies clans u n état d'agitation et d'alarmes c o n t i n u e l l e s , q u i exigeront de leur part u n e surveillance active et p e r p é t u e l l e , sans q u e cependant elles puissent s'opposer aux dangers résultans d'un ressort auquel o n veut d o n n e r u n e élasticité n o u v e l l e ? Je demande s'il est j u s t e , si ce n'est pas m ê m e u n excès d'imprudence et de folie insignes d'ébranler , de saper les fondemens sur lesquels repose u n e société tout entière ; s'il est juste q u e des habitans restés fidèles à leur m é t r o p o l e et à leur c h e f légitime , dans la dernière invasion opérée dans le r o y a u m e , q u i ont c o n servé leur repos et leur organisation particulière par des mesures de sagesse et de f e r m e t é , soient amenés forcément à u n m o d e de gouvernement en opposition et en contradiction ouverte

avec leur

régime d o m e s t i q u e , et d o n t

l'essai, fait ailleurs, a été aussi insensé que funeste ? Je demande enfin s'il est raisonnable d'agiter des colonies tranquilles et h e u r e u s e s , de vouloir les régler et les c o o r donner

par

une

loi

révolutionnaire , par

cela

seul

qu'elle a été proclamée à Saint - D o m i n g u c , d'une m a nière encore irrégulière et illégale ; o u , s'il n'est pas plus conséquent et plus c o n f o r m e à la droite raison de ramener et d'assujettir cette dernière c o l o n i e à la loi générale d o n t elle fait seule exception , n o u - s e u l e m e n t par r a p -


28 rapport

à nos

p o s s e s s i o n s , mais e n c o r e

par

rapport à

celles de toutes les autres puissances e u r o p é e n n e s situées dans cette partie d u g l o b e ? Ces puissances n'auraient-elles pas m ê m e

un

intérêt à s'opposer

à cette

émancipation

générale des c o l o n i e s f r a n ç a i s e s ? N ' o n t - e l l e s pas le droit d e r é c l a m e r , par la voie des négociations les plus é n e r g i ques , appuyées sur les considérations

de la plus liante

i m p o r t a n c e et relatives au droit de b o n v o i s i n a g e , le m a i n tien d u seul système c o n s e r v a t e u r , à l ' a p p u i d u q u e l toute c o m m o t i o n , toute révolte et les désastres funestes qu'elles entraînent à l e u r suite n e p o u r r o n t plus avoir lieu et d e v i e n d r o n t impossibles ? U n e de ces puissances pas manifesté

quelques dispositions

sensiblement vers c e b u t

(1)?

qui

se

n'a-t-elle

rapprochent

et ces considérations et ces

(1) D a n s la s é a n c e de la c h a m b r e des c o m m u n e s d u 7 j a n v i e r 1 8 1 6 , l o r d C a s t e l r e a g h o b s e r v e , r e l a t i v e m e n t à la r é d u c t i o n d e l ' a r m é e s o l l i c i t é e p a r l e p a r t i d e l ' o p p o s i t i o n , q u e sa c o n s e r v a t i o n est n é c e s s a i r e , s u r t o u t a u x I n d e s o c c i d e n t a l e s , p o u r se g a r a n t i r d e c e t e m p i r e d e s n o i r s d e S a i n t - D o m i n g u e q u i m e n a c e n o n - s e u l e m e n t la s é c u r i t é d e la J a m a ï q u e , mais é g a l e m e n t l ' e x i s t e n c e p o l i t i q u e d e toutes les colonies.

( Voyez

l e s d é b a t s p a r l e m e n t a i r e s d e cette

époque. ) Les mesures prises p a r le ministère doivent paraître aujourd'hui f o r t sages , p u i s q u e l e s d e r n i è r e s n o u v e l l e s ( j u i n 1 8 1 6 ) , n o u s a p p r e n n e n t la r é v o l t e d e s n è g r e s d e l a B a r b a d e ,

apaisée

presque

aussitôt par l'arrivée des troupes c o m m e renforts , et stationnées d a n s les p o i n t s l e s p l u s i m p o r t a n s . E l l e s n o u s a p p r e n n e n t

égale-

m e n t q u e la f e r m e n t a t i o n à la J a m a ï q u e e s t p r e s q u e c o n t i n u e l l e , et q u ' o n a p l u s d ' u n e fois c r a i n t u n s o u l è v e m e n t g é n é r a l ; c e q u i a d é t e r m i n é l e g o u v e r n e u r à p r o c l a m e r la l o i m a r t i a l e , e t la m é t r o pole à y envoyer plusieurs régimens ; q u e , depuis, quelques i n s u r r e c t i o n s p a r t i e l l e s y o n t é c l a t é , à la s u i t e d e s q u e l l e s l e s a u t o r i t é s r é u n i e s o n t , d ' u n c o m m u n a c c o r d et p a r u n e m e s u r e g é n é r a l e , c h a s s é , p u r g é la c o l o n i e d e t o u s l e s n è g r e s l i b r e s d e la m o n t a g n e Bleue. Si les g o u v e r n e m e n s p o s s e s s i o n n é s a u x c o l o n i e s n e v e u l e n t , n i n e


2

9

droits d u b o n voisinage n e sont-ils pas de la m ê m e nature q u e c e u x qu'elles o n t exercés en armes et en c o m m u n p e n dant le c o u r s de la r é v o l u t i o n , dans la seule intention d e s'opposer à la p r o p a g a t i o n de certains p r i n c i p e s q u i c o m promettraient

éminemment

et l e u r

tranquillité et l e u r

s û r e t é , et d o n t elles se flattent d'avoir o p é r é le r e n v e r s e m e n t p a r l e u r c o n c o u r s au g r a n d œ u v r e de la restauration m o n a r c h i q u e et légitime ? 11 n'y a d o n c d'autre d'échapper

moyen

à ces craintes et à ces alarmes , a u x i n c o n v é -

niens et aux dangers qui naissent d'une position fausse et

p e u v e n t rendre les nègres des Antilles l i b r e s , il f a u t , p a r u n e conséquence i n é v i t a b l e , q u e c e u x de Saint-Domingue soient d e n o u v e a u assujettis. I l e s t i m p o s s i b l e et d u p l u s g r a n d d a n g e r d e laisser s u b s i s t e r c e f o y e r d e r é v o l t e , c e g e r m e d e l i b e r t é , m ê m e e n a p p a r e n c e , d a n s la p r i n c i p a l e d e c e s î l e s , p u i s q u e des r a p p o r t s récens nous informent q u e les chefs a r m e n t , entretiennent d e s i n t e l l i g e n c e s s e c r è t e s et c r i m i n e l l e s d a n s t o u t l ' a r c h i p e l o c c i d e n t a l ; q u ' i l y a v a i t u n e c o n s p i r a t i o n g é n é r a l e p a r m i les n è g r e s d e la B a r b a d e , d e S a i n t - V i n c e n t , d e la J a m a ï q u e , e t c ' e s t d e c e f o y e r p r i n cipal , toujours

en combustion,

S a i n t - D o m i n g u e , qu'est sortie

v r a i s e m b l a b l e m e n t la r é v o l t e d e la p r e m i è r e d e ces î l e s . Si c e f o y e r n'a p a s e m b r a s é u n e p l u s g r a n d e é t e n d u e d e t e r r a i n , s'il n ' a p a s r é p a n d u ses r a v a g e s s u r t o u t e s c e s î l e s q u i se t o u c h e n t , se c o m m u n i q u e n t et f o r m e n t entre elles autant d'attalons et u n e c h a î n e n o n i n t e r r o m p u e , i l f a u t l ' a t t r i b u e r à la v i g i l a n c e d e l ' a u t o r i t é et à c e l l e d e ses h a b i t a n s . Mais c e t t e s i t u a t i o n e x i g e u n e s u r v e i l l a n c e c o n t i n u e l l e , p r e s q u e i m p o s s i b l e à m a i n t e n i r , q u i se r a l e n t i r a e t s'affaiblira p a r d e g r é s et à m e s u r e q u e l a s é c u r i t é r e n a î t r a ; e l l e e s t d'ailleurs p é n i b l e et d a n g e r e u s e , et cet appareil militaire coûteux. L ' o n v i e n d r a e n f i n à r e c o n n a î t r e q u e l a s e r v i t u d e u n e fois é t a b l i e se m a i n t i e n t a u t a n t e t p l u s p a r l ' o p i n i o n q u e p a r la f o r c e ; q u e cette opinion est contrariée et détruite

p a r le spectacle

d'une

c o l o n i e a b a n d o n n é e e t l i v r é e à la h o r d e q u i l ' h a b i t e , p a r c e t état d ' u n e l i b e r t é i r r é g u l i è r e e t o r a g e u s e , i n c o m p a t i b l e a v e c l e syst è m e e n t i e r et t o u j o u r s s u b s i s t a n t d e s a d m i n i s t r a t i o n s d e s î l e s à sucre.


3o de principes subversifs, qu'en r a p p e l a n t , qu'en m a i n t e nant la servitude à S a i n t - D o m i n g u e .

Cette

conclusion

nous paraît péremptoire et inattaquable.

OBJECTION

TROISIÈME.

« J'entends déjà u n e foule de personnes s'écrier toutes à « la fois et c o m m e à l'unisson : q u ' i m p o r t e à certaines « p u i s s a n c e s , et surtout à l'Angleterre , q u e les colonies « soient enveloppées dans u n e c o m m o t i o n et une d e s t r u c « tion générales. Cette dernière , car c'est celle-là q u ' o n « a principalement en v u e , n'a-t-elle pas u n intérêt direct « à l'anéantissement de toutes les possessions européennes « dans le grand archipel o c c i d e n t a l , les siennes comprises ? « N e s'assure-t-elle pas immédiatement par là de la vente « exclusive et d u m o n o p o l e des denrées c o l o n i a l e s , s u r et tout de celle d u s u c r e , par l ' e x t e n s i o n , par l'activité et « la multiplicité de ses relations politiques cl c o m m e r « ciales dans l'Inde ? »

RÉPONSE. Cette o p i n i o n est fausse et dénuée de tout fondement ; elle p r e n d sa s o u r c e , d'un c ô t é , dans cette prévention aveugle contre u n e nation r i v a l e , prévention néanmoins naturelle et juste quand elle est r a i s o n n é e , et lorsque aucun sentiment de haine ne s'y mêle ; de l'autre, dans cette assurance présomptueuse avec laquelle certaines p e r s o n nes déclament et accréditent, c o m m e vérités, des erreurs p a r m i u n peuple qui ne juge c o m m u n é m e n t q u e sur p a role , sans p r e u v e et sans examen ; et c'est ainsi que m a l heureusement presque toutes les questions relatives aux c o l o n i e s , ont été résolues par la plus grande masse des


31 citoyens. Q u a n d j e parle d u publie , j'entends la presque généralité des h o m m e s , les personnes instruites mêmes , lesquelles ne sauraient avoir une o p i n i o n à elles, u n e o p i n i o n vraie , sentie sur des objets qu'elles n'ont point e x a minés ni étudiés ; aucun i n d i v i d u ne pouvant d'ailleurs , dans ses recherches laborieuses, embrasser tout à la fois et avec u n avantage égal plusieurs de ces branches q u i e n trent dans la sphère immense des connaissances humaines. Cherchons , à la faveur de quelques faits incontestables , à dissiper ces erreurs et ces préventions trop généralem e n t répandues. Si l'Angleterre venait à perdre ses possessions aux A n tilles par l'effet contagieux de la r é v o l t e , elle ferait u n s a crifice de plus de cent millions tournois à q u o i s'élèvent ses p r o d u c t i o n s coloniales.

A

cette

p e r t e , il

faudrait

ajouter celle de vingt-cinq millions résultante de son c o m m e r c e interlope avec le continent espagnol, d o n t l'entrepôt est fixé à la J a m a ï q u e , et dont elle vient de s'assurer u n autre plus avantageux par la conquête et la cession de l'île

de la T r i n i t é ( r ) . Ces divers sacrifices formant u n e

s o m m e de cent vingt-cinq m i l l i o n s , est à v i n g t - c i n q m i l lions près le tiers d u produit total de son c o m m e r c e général et d u q u a r t , suivant les nouvelles évaluations faites aux douanes ( 2 ) .

( 1 ) A l ' é p o q u e o ù j ' é c r i v a i s c e p a s s a g e , les o b j e t s p r é s e n t a i e n t cet aspect ; mais depuis que l ' i n d é p e n d a n c e des colonies e s p a g n o l e s , situées s u r le c o n t i n e n t , p a r a î t s ' a f f e r m i r ,

elle amènera n é -

c e s s a i r e m e n t d ' a u t r e s r e l a t i o n s d o n t il n ' e s t p a s e n c o r e p o s s i b l e d e p r é v o i r t o u t e l ' é t e n d u e , et q u i n ' o n t p u e n t r e r d a n s d e s c o m b i n a i s o n s a n t é r i e u r e s , J'ai d o n c d û l a i s s e r s u b s i s t e r ce p a s s a g e , t e l qu'il

se t r o u v e c i - d e s s u s , et e n r a p p o r t a v e c l e s é v é n e m e n s d e

cette é p o q u e . (2) C e t t e é v a l u a t i o n , laite q u e l q u e s a n n é e s a v a n t o u à l ' é p o q u e de la r é v o l u t i o n f r a n ç a i s e , n e s ' a c c o r d e p l u s a v e c

l'accroissement


32 Peut-on raisonnablement croire q u e , sur la possibilité? d'un avantage futur et toujours i n c e r t a i n , l'Angleterre souscrira à se priver de suite et de p r i m e abord d'un fond p r o d u c t i f aussi considérable, et q u e son remplacement

r a p i d e q u ' a a c q u i s d e p u i s le c o m m e r c e b r i t a n n i q u e . M . C a l q u e h o u n p o r t e a u j o u r d ' h u i le n o m b r e d ' e s c l a v e s d e s c o l o n i e s a n g l a i s e s à 7 7 0 , 0 9 6 , et le p r o d u i t des c u l t u r e s à 2 2 , 4 9 6 , 6 8 0 l i v r e s s t e r l i n g s , q u i l'ont c i n q c e n t s m i l l i o n s d e l i v r e s t o u r n o i s ; r é s u l t a t b i e n diffé r e n t de celui présenté p a r M . B r y a n E d w a r d s , dans son civile et politique

des colonies

britanniques,

Histoire

ouvrage qui a paru

a u c o m m e n c e m e n t d e la r é v o l u t i o n f r a n ç a i s e . C e p r e m i e r a u t e u r , e n r é s u m a n t la v a l e u r d e s e s c l a v e s et d e s t e r r e s , la p o r t e à d e u x m i l l i a r d s et d e m i d e t o u r n o i s , c a p i t a l q u i d o i t ê t r e b e a u c o u p p l u s c o n s i d é r a b l e , d'après les r e v e n u s p r é s u m é s . Si

ces c a l c u l s s o n t

constatent

e x a c t s , ils f o r t i f i e n t n o s r a i s o n n e m e n s

l'importance

actuelle

des p o s s e s s i o n s

anglaises

et aux

A n t i l l e s p o u r sa m é t r o p o l e . Ils p r o u v e n t e n c o r e q u e c e c o m m e r c e é g a l e , surpasse m ê m e celui des colonies françaises dans leur a n c i e n état d e s p l e n d e u r ; q u e s o n a c c r o i s s e m e n t t i e n t a u x m a l h e u r s d e n o t r e l ' é v o l u t i o n , l a q u e l l e , p a r la d é v a s t a t i o n et la r u i n e d e nos possessions a

sapées p a r

coloniales, surtout celle de Saint-Domingue , les ses f o n d e m e n s ,

et a- a m e n é

l'anéantissement

de

n o t r e c o m m e r c e e x t é r i e u r , p a r c o n t r e - c o u p c e l u i d e l ' i n t é r i e u r et d e n o t r e m a r i n e m a r c h a n d e et m i l i t a i r e . N o s c o l o n i e s n e p o u r r o n t q u ' à la f a v e u r d u t e m p s , e t a v e c u n r e d o u b l e m e n t d'efforts et d ' i n d u s t r i e , l u t t e r c o n t r e l ' a s c e n d a n t p r é p o n d é r a n t et t o u j o u r s c r o i s s a n t de la p u i s s a n c e a n g l a i s e . O n n e p e u t s ' e m p ê c h e r d e r e c o n n a î t r e q u e la d o m i n a t i o n e x e r c é e p a r c e t t e p u i s s a n c e s u r les m e r s , e t q u e les a u t r e s p u i s s a n c e s m a r i t i m e s s e m b l e n t n é g l i g e r , a b a n d o n n e r , et c o n t r e l a q u e l l e e l l e s n'opposent aucun

obstacle,

aucune

entrave, a

quelque

chose

d ' é g a l e m e n t r é v o l t a n t et p e u t - ê t r e d e p l u s c r u e l l e m e n t v e x a t o i r e ( telle q u e la saisie d e s b à t i m e n s a v a n t t o u t e d é c l a r a t i o n de g u e r r e , et a u t r e s d i s p o s i t i o n s é g a l e m e n t i n j u s t e s ) , q u e c e l l e d o n t B o n a parte

a c c a b l a i t le c o n t i n e n t e n t i e r d e sa m a i n d e fer t o u t e n s a n -

g l a n t é e ; e n c e q u e la p r e m i è r e p o r t e u n e a t t e i n t e d i r e c t e à t o u t e s l e s s o u r c e s d e la r i c h e s s e p u b l i q u e et p a r t i c u l i è r e , les s e u l s u n i q u e s f o n d e m e n s d e la p r o s p é r i t é et d u b o n h e u r

et

des p e u p l e s ,


33 cût été une opération p r o m p t e et facile ? Certes , ce n'est pas une nation essentiellement calculatrice qui abandonne ainsi le certain p o u r l'incertain , et se permet de pareilles opérations commerciales. E n supposant enfin les produits de tout l'archipel occidental anéantis sans r e t o u r , est-ce que le continent de l'Amérique méridionale ne présente pas des productions de la m ê m e nature q u e celles des A n tilles , susceptibles d'un accroissement considérable et q u i a eu lieu déjà depuis la malheureuse catastrophe de S a i n t D o m i n g u e ? Il n e lui serait pas p o s s i b l e , quant à l'objet du sucre , de soutenir la seule c o n c u r r e n c e de la G u y a n e hollandaise et surtout d u Brésil, de ce dernier r o y a u m e appelé à la plus haute prospérité par la translation

du

siége de l'empire fixé désormais dans ses contrées (1), par sa facilité à y faire naître les productions des deux m o n des , par ses mines d'or et de d i a m a n s , par une étendue de côtes qui se p r o l o n g e n t depuis la ligne équinoxiale j u s -

les e m p ê c h e d e n a î t r e , d e se m u l t i p l i e r , d e c i r c u l e r ; e t , e n n u i s a n t a i n s i , p a r c e t e s p r i t d e m o n o p o l e u n i v e r s e l , à la c o m m u n i c a t i o n l i b r e d e s sociétés , à l e u r b i e n - ê t r e et à l e u r e x i s t e n c e ,

il

d e v i e n t u n d e s p l u s g r a n d s fléaux d e la c i v i l i s a t i o n m o d e r n e . S i u n e s o r t e d ' é q u i l i b r e est r e c o n n u e i n d i s p e n s a b l e m e n t n é c e s saire s u r le c o n t i n e n t e u r o p é e n , p a r t o u s les s o u v e r a i n s et les p u b l i c i s t c s , afin d ' a s s u r e r l ' i n d é p e n d a n c e et les d r o i t s d e s n a t i o n s , et afin q u ' a u c u n e d ' e l l e s n e se p r é v a l e d e ses f o r c e s p a r t i c u l i è r e s a u d é t r i m e n t d e t o u t e s ; c e t é q u i l i b r e est e n c o r e d ' u n e nécessité p l u s r i g o u r e u s e s u r les m e r s , p a r c e q u e les d r o i t s e n s o n t p l u s i n c e r t a i n s et p l u s l i t i g i e u x ; les a b u s , p l u s f u n e s t e s et p l u s difficiles a ê t r e r e m é d i é s ; l e s v i o l e n c e s , p l u s t y r a n n i q u e s et p l u s a i s é m e n t e x e r c é e s ; et p a r c e q u ' e n c o r e c e t t e g r a n d e r o u t e d e

communica-

t i o n , o u v e r t e à t o u s les p e u p l e s , d o i t ê t r e l i b r e , n e p e u t ê t r e le d o m a i n e d ' u n s e u l sans l e m e t t r e d e s u i t e en état d ' h o s t i l i t é c o n t r e tous en violant leurs droits respectifs. (1) M ê m e s r é f l e x i o n s à faire r e n f e r m é e s d a n s n o t r e a v a u t - d e r nière note.

3


34 qu'au trentième degré s u d , sous les latitudes les plus h e u reuses et dans u n espace immense q u i se perd dans des terres i n c o n n u e s . V e u t - o n enfin se persuader que tôt o u tard toute cette partie d u N o u v e a u - M o n d e éprouvera u n e c o m m o t i o n g é nérale qui anéantirait les c u l t u r e s , supposition sans doute forcée et i n a d m i s s i b l e , et q u ' e n conséquence l'Angleterre deviendrait le seul et l'unique

monopoleur du

sucre?

V o i c i la réponse q u e m e fournissent des observateurs éclairés, français et anglais. O n s'est i m a g i n é , en voyant arriver en E u r o p e q u e l ques vaisseaux de l'Inde chargés d u sucre de Bengale , au m ê m e p r i x et de la m ê m e qualité q u e c e u x des colonies , qu'il pouvait remplacer ces derniers dans le c o m m e r c e général,

en supposant toute autre importation

impos-

sible : c'est là u n e grande e r r e u r . L e sucre est une m a r chandise de trop grand e n c o m b r e m e n t et d'une trop f a i b l e valeur p o u r p o u v o i r supporter à lui seul tous les frais d'un long t r a n s p o r t , et dont le résultat infaillible serait d'en élever le p r i x au-delà des facultés des consommateurs. Il arrive aujourd'hui en lest sur des vaisseaux dont la c a r gaison principale est en marchandises très-précieuses sous u n petit v o l u m e qui en couvre tous les frais. L e c o m m e r c e de l'Inde , au lieu de cent vaisseaux qu'il e m p l o i e , serait obligé de faire cette navigation

avec au moins q u i n z e

cents navires p o u r le seul transport d u sucre q u e les b e soins de l'Europe réclament. Il serait impossible à la n a tion anglaise de soutenir u n e pareille navigation

sans

porter une atteinte nuisible à toutes les autres branches de son c o m m e r c e plus r a p p r o c h é et plus avantageux, et les consommateurs de cette denrée n'en pourraient payer les frais. E n o u t r e , il n'en est pas de l'Asie c o m m e des Antilles. A u x î l e s , les bàtimens marchands abordent et partent en


35 tout t e m p s , et quelques semaines suffisent p o u r traverser l'océan Atlantique ; tandis que le trajet de l'Inde

vous

o b l i g e à p a r c o u r i r u n espace six fois plus étendu, à partir et à revenir à des époques réglées et fixées par la nature m ê m e , à faire des relâches forcées qui prennent plusieurs s e m a i n e s , et n e permet des retours qu'au m o m e n t o ù les moussons c o m m e n c e n t à souffler; de manière que si vous n e profitez p a s , dès le c o m m e n c e m e n t , de ces vents f a v o rables , le voyage se trouve retardé d'une a n n é e . E n sorte q u e la p r e m i è r e de ces voies peut être envisagée c o m m e u n cabotage en g r a n d , se faisant à b o n c o m p t e , sans grand risque ni d a n g e r , d'une manière r é g u l i è r e , assurée, et avec des bénéfices constans ( l e temps de guerre e x c e p t é ; i n c o n v é n i e n t attaché à tout c o m m e r c e e x t é r i e u r ) ; et l ' a u tre n e peut avoir lieu qu'à grands frais , avec tous les d é lais , toutes les chances hasardeuses d'une l o n g u e , d'une périlleuse n a v i g a t i o n , et de l'incertitude de son p r o d u i t et de ses bénéfices. Je c r o i s , de p l u s , devoir m'appuyer d'une observation importante faite par M . G a n i l h , qui se rapporte d i r e c t e m e n t à notre sujet a c t u e l , l e q u e l , avec une rare sagacité, a approfondi tout ce qui est relatif aux c o l o n i e s , et a r é p o n d u , avec u n e égale s u p é r i o r i t é , aux détracteurs de ce système. « U n é c r i v a i n , M . Say, a reproduit et s'est efforcé d a c « créditer l'assertion d ' A d a m S m i t h , que la première q u a « lité d u sucre de la C o c h i n c h i n e ne reviendrait à l ' E u « r o p e , si le c o m m e r c e était l i b r e , qu'à 8 o u 9 s o u s ; et « il argumente de ce fait p o u r soutenir q u e le système « prohibitif est préjudiciable à l ' E u r o p e . « A cela j e réponds q u e , quand m ê m e le c o m m e r c e d e « l ' E u r o p e serait l i b r e , quand la C o c h i n c h i n e et les a u « très contrées de l'Asie pourraient l'approvisionner des « produits des Antilles à meilleur m a r c h é q u e ses c o l o -


36 « nies,elle ne pourrait pas profiter de ce grand bienfait. » « E n effet, la totalité des produits coloniaux de l ' E u « r o p e , avant la r é v o l u t i o n , était évaluée à 4 5 o millions « tournois. » ( Je crois ccttejévaluation trop faible de b e a u coup,

puisque nous avons vu que

M.

Calquchonn la

porte à près de 5 o o millions p o u r les seules colonies a n glaises. Si ce fait peut être a d m i s , il ne peut que

forti-

fier les raisonnemens de M . Ganilh. ) « O r , o ù prendrait-elle cette valeur ? ce n'est pas dans « le produit de son sol et de son industrie : on sait qu'ils « n ' o n t que p e u o u p o i n t de débit en Asie. Elle n'aurait « d o n c de ressource que dans ses métaux p r é c i e u x ; mais « la quantité q u e l ' E u r o p e en importait avant la r é v o l u « d o n n'était évaluée qu'à 125 millions par an. Il f a u « drait d o n c qu'aux métaux importés l'Europe

ajoutât

« annuellement 100 m i l l i o n s , ce q u i , dans moins d'un « siècle, aurait épuisé tous c e u x qu'elle possède. Je pense « q u e cette perspective n'est pas p r o p r e à encourager le « p r o j e t d u c o m m e r c e avec la C o c h i n c h i n e . L o i n de d i s « créditer le système p r o h i b i t i f des denrées coloniales, « le b o n marché des denrées de la C o c h i n c h i n e n'en fait q u e « m i e u x ressentir les avantages. Il vaut m i e u x , sans doute, « être m o i n s riche , en achetant u n p e u plus cher les d e n « rées des Antilles , que de s'appauvrir en achetant à b o n « m a r c h é celles de la C o c h i n c h i n e ( 1 ) . »

(1) Théorie sultans

de l'Économie

des statistiques

politique,

de France,

fondée

etc.,

etc.,

sur les faits par M.

ré-

Ganilh,

tom. I I , pag. 291. E n s u i v a n t le r a i s o n n e m e n t é t a b l i s u r le fait d e l ' i m p o r t a t i o n d u s u c r e d e l ' I n d e e n E u r o p e , il est é v i d e n t q u ' e l l e t e n d à d i m i n u e r d ' a n n é e e n a n n é e , et d a n s u n e p r o g r e s s i o n p l u s c o n s i d é r a b l e q u e n e l ' i n d i q u e M . G a n i l h , l e n u m é r a i r e , et à le faire

disparaître

e n t i è r e m e n t d e toute r e l a t i o n c o m m e r c i a l e . C e t t e i n t r o d u c t i o n d u s u c r e , faible o u f o r t e , n e p e u t q u ' ê t r e i n f i n i m e n t p r é j u d i c i a b l e à


37 A ces observations, qui nous paraissent déjà victorieuses et sans réplique , nous y ajouterons cependant les c o n s i dérations suivantes , parce qu'elles présentent des vues nouvelles et d'une haute importance. Malgré la puissance colossale que les Anglais viennent d'acquérir dans la presqu'île de l ' I n d e , ils ne peuvent néanmoins se méprendre ni s'abuser sur la n a t u r e , l ' i n certitude et les dangers attachés à cette c o n q u ê t e , laquelle leur échappera tôt o u tard, parce qu'il est contre la nature, contre la force des choses et des é v é n e m e n s , qu'un pays éloigné de quatre mille lieues de la m é t r o p o l e , et r e n f e r mant une population triple de la s i e n n e , reste c o n s t a m ment asservi à des étrangers. L'autorité qu'ils exercent dans l'archipel occidental est fondée sur des bases plus solides, totalement différentes, et n e paraît pas devoir leur être jamais enlevée. Ils ne pourraient m ê m e la p e r d r e que par le maintien de ce système perfide et désastreux établi à S a i n t - D o m i n g u e , et qu'il est de leur intérêt, plus qu'à aucune autre p u i s sance , de faire cesser au plus tôt. Ils se garderont d o n c b i e n d'abandonner des possessions assurées p o u r u n e c o n quête à l'autre extrémité d u g l o b e , par conséquent t o u j o u r s incertaine et précaire. l'Europe, arrêterait et anéantirait par degrés son industrie , paralyserait toutes les sources de la prospérité publique et particulière ; parce que , connue le prouve également bien cet écrivain, les métaux monnoyés, l'or et l'argent, sont le premier et le plus puissant mobile du travail, de l'industrie et des richesses; que leur abondance , et nécessaire et profitable , n'a été nuisible , o u , pour mieux d i r e , moins profitable, qu'à l'époque de la découverte des mines de l'Amérique, circonstance qui a cessé depuis long-temps; et que ces mêmes métaux, d'après l'accroissement progressif de l'industrie dans presque toute l'Europe, sont aujourd'hui a u dessous des besoins de la circulation générale, ce qui a déterminé l'établissement des banques chez toutes les nations industrieuses.


38 Cette différence relative entre ces deux possessions, p r o vient de ce q u e l'une est u n établissement européen d a n s tous ses rapports fondamentaux et accessoires, p o l i t i q u e , agricole et c o m m e r c i a l , q u i a été constitué tel dès sa f o r m a tion ; et elle n e saurait changer de f o r m e et d'existence sans u n danger réel p o u r tous c e u x q u i l'habitent. T o u t c h a n g e m e n t , toute altération dans le p o u v o i r gouvernant n e pourrait qu'en amener le bouleversement et la d i s s o lution c o m p l è t e , puisque la population p r i n c i p a l e , celle des propriétaires , est presque entièrement e u r o p é e n n e , ainsi q u e la masse totale de sa force p u b l i q u e , et qu'elle a pris des l o i s , des usages, des moeurs de la m é t r o p o l e avec le maintien de sa langue m è r e , tout ce q u i pouvait se c o n c i l i e r avec sa situation nouvelle. L a possession de l ' a u t r e , celle de l'Inde , n'est point u n e c o l o n i e , à p r o p r e m e n t p a r l e r , n'en a aucune des conditions et n'est fondée sur aucun de ses p r i n c i p e s . Elle n'a p o i n t été f o n d é e , c o m m e c e l l e - c i , sur u n terrain en fric h e , vague o u i n o c c u p é dans sa plus grande é t e n d u e , avec la totalité des capitaux et le surcroît de la population de la m é t r o p o l e , avec u n c o d e de lois civiles et politiques semblable à celui de la m è r e p a t r i e , à l'exception de c e qui c o n c e r n e les esclaves et les affranchis ; c'est là u n e extension d e territoire , de population et de d o m i n a t i o n , u n e nouvelle et véritable création. C e l l e - l à , au c o n t r a i r e , est u n établissement p u r e m e n t c o m m e r c i a l et é v e n t u e l , sur u n territoire déjà organisé et florissant, sans liaison et sans cohésion véritable avec sa m é t r o p o l e , q u i ne lui est attaché q u e p a r les faibles liens de la conquête , et s u j e t , par c o n s é q u e n t , à toutes les d é p e n s e s , à tous les embarras et à tous les dangers résultans d'une pareille situation. L e s chefs et les administrateurs divers , ainsi q u e les employés de la compagnie et quelques marchands aventuriers , les seuls Européens résidant sur


39 les l i e u x , et en petit n o m b r e ( quarante-cinq m u l e en tout, répandus sur u n e étendue immense dont chaque partie séparée forme u n royaume plus grand q u e celui d ' A n g l e terre p r o p r e m e n t d i t ) , se succédant rapidement les uns aux autres, restant toujours étrangers à ces contrées sous tous les rapports d'une aggloméré,

société compacte et d'un

corps

n'ayant ni le m ê m e langage ni les mêmes

m œ u r s , ni les mêmes h a b i t u d e s , n'étant p o i n t , en leurs qualités individuelles, propriétaires n i c o l o n s , mais de simples passe-volans ; tous ces hommes n e peuvent q u ' a buser de leur p o u v o i r , s'empressant d'amasser des m o n ceaux d'or p o u r venir les étaler aux y e u x de leurs c o m patriotes : aussi sont-ils c o n n u s et d é n o m m é s à leur retour sous le n o m de nababs,

titre affecté aux princes de l ' I n d e .

L a force a r m é e , c o m p o s é e presque entièrement des n a turels d u p a y s , q u i c o n s e r v e n t , c o m m e le restant de la p o p u l a t i o n , toutes les habitudes et m œ u r s asiatiques, est u n instrument fragile, dangereux ; et cette armée , q u o i q u e c o m m a n d é e par des officiers anglais , p e u t u n j o u r l

méconnaître l'autorité et la v o i x de ses chefs , et se rallier sous l'étendard de quelque ambitieux q u i la mènera à la victoire et à la vengeance. Cette possession est de plus exposée à des guerres c o n tinuelles par l ' i n q u i é t u d e , par la jalousie des nations i n dépendantes et guerrières qui conservent le désir légitime et la n o b l e ambition d'affranchir leur pays d'une d o m i n a tion étrangère et v e x a t o i r e , et sur le territoire duquel la compagnie souveraine n e cesse néanmoins de faire de n o u velles incursions et de n o u v e a u x empîétemens. Elle est surtout tourmentée de la crainte b i e n réelle de voir u n sec o n d T a m e r l a n o u T h a m a s K o u l i - K a n , sortant d u f o n d de la Tartarie à la tête de ses bandes n o m a d e s , portant partout la dévastation et la m o r t ; o u b i e n u n nouveau H y d e r Ally o u T y p o o

S a ï b , plus h e u r e u x , lui faisant


4o éprouver tout ce que des passions haineuses et trop l o n g temps c o m p r i m é e s peuvent engendrer de m a u x et de destructions ; et la souveraineté attachée à la

compagnie

n'étant point implantée , si j e puis m e servir de cette e x pression , dans le s o l , ni en rapport avec ses divers élémens c o m m e aux Antilles , l'exercice en est toujours c h a n c e lant , et son étendue devient de j o u r en j o u r i n c o m p a tible avec son affermissement et le b o n h e u r des individus qui s'y trouvent assujettis. A p r è s celle explication devenue indispensable p o u r d é truire une erreur trop généralement

répandue,

nous

a l l o n s , en rentrant dans notre sujet p r i n c i p a l , serrer de plus près nos adversaires ; et, p o u r cet effet, n o u s s u p p o serons la liberté générale r e c o n n u e et en plein exercice : d é m o n t r o n s - e n les c o n s é q u e n c e s , et surtout les effets qui en sont déjà résultés.

OBJECTION

QUATRIÈME.

Des gens inexpérimentés ont prétendu et p r é t e n d e n t e n c o r e , malgré le démenti

d o n n é à leurs

assertions ,

« q u e les nègres, séduits par l'attrait de la liberté e l l e p r i x « attaché à leur l a b e u r , se p o r t e r o n t volontairement au « travail, et chercheront à accroître leur a i s a n c e , leur « bien-être par tous les m o y e n s industriels. »

RÉPONSE. L ' e x p é r i e n c e et le raisonnement viendront également à notre appui p o u r détruire cette o b j e c t i o n . D ' a b o r d , il est de fait qu'à S a i n t - D o m i n g u e les S a n thouax et les Polverel n'ont jamais p u les assujettir à aucun o r d r e , à aucune d i s c i p l i n e , ni les contraindre à cultiver


41 les habitations , m ê m e m o m e n t a n é m e n t , m a l g r é tous les m o y e n s qu'ils o n t e m p l o y é s , leurs invitations , leurs m e naces et la perspective des plus belles r é c o m p e n s e s . T o u t e s les proclamations qu'ils r e n d i r e n t à c e t effet et successiv e m e n t , dans lesquelles ils n e cessent de se p l a i n d r e de la vie l i c e n c i e u s e des n è g r e s , d e l e u r état d e vagabondage et d e l e u r refus à travailler , e n sont des p r e u v e s sensibles et irrécusables.

A u s s i , d u m o m e n t q u ' o n les a déclarés

l i b r e s , ils se sont aussitôt d é b a n d é s ,

a b a n d o n n a n t leurs

h a b i t a t i o n s , se transportant d u n o r d au s u d , c o u r a n t çà et là dans la c o l o n i e e n t i è r e , n e se fixant nulle p a r t , se livrant à leurs j e u x et à leurs d a n s e s , méprisant les r é g l e m c n s , les o r d r e s des c o m m i s s a i r e s ,

et se livrant a u x

plus grands excès (1). L e s personnes d e tout é t a t , c o l o n s

(1) A l ' é p o q u e d e la p r o c l a m a t i o n d e l a l i b e r t é , p u b l i é e d ' a b o r d par le seul S a n t b o n a x , celui-ci étant a u h a u t d u c a p , u n d e n o u s l u i fit o b s e r v e r , d e ce p o i n t é l e v é , l e n o u v e l e m b r a s e m e n t q u i se prolongeait de toutes parts et consumait les p r o p r i é t é s , q u o i q u e p o u r l o r s l e s n è g r e s e u s s e n t u n i n t é r ê t b i e n é v i d e n t à les c o n s e r v e r i n t a c t e s :«

E t voilà , l u i disait-on, les h o m m e s q u e vous c h é -

r i s s e z d e p r é f é r e n c e , et l'effet p r o d u i t s u r e u x p a r v o t r e p r o c l a m a t i o n !»

I l s e c o n t e n t a d e r é p o n d r e f r o i d e m e n t :«

m e i l l e u r s ,»

et d ' a j o u t e r : « J e fais m o n m é t i e r .»

Je l e s croyais Quel

grand D i e u ! quelle perversité et quel machiavélisme

métier,

dans

celle

e x p r e s s i o n ! A u s s i c o n t i n u a - t - i l , p e r s e v é r a - t - i l d a n s tous s e s p l a n s de s u b v e r s i o n , de haine c o n t r e les colons et de prédilection p o u r l e s n è g r e s , j u s q u ' à l e u r d i r e , e n a d m i r a n t l e u r toison é p a i s s e , q u ' i l était b i e n f â c h é q u e sa tête n e f û t p a s c o u r o n n é e d ' u n e s e m blable p a r u r e . Q u e l délire et fanatisme insensé et b a r b a r e ! si toutefois o n n ' y t r o u v a i t p a s p l u s d'hypocrisie e t d e m a c h i a v é lisme ! A p e u près à cette m ê m e é p o q u e , nouvelant

ce même

commissaire r e -

sa p r o c l a m a t i o n s u r l ' h a b i t a t i o n L a v a u d , à l a p o i n t e

Palmiste , quartier d u port d e Paix , u n e négresse , portant

dans

ses b r a s s o n e n f a n t e n c o r e à l a m a m e l l e , s ' é c r i a i t , d a n s s o u lang a g e c r é o l e :«

A h ! D i e u ! p'lit à m o i , moi bien c o n t e n t , toi pas


42 et autres, habitant S a i n t - D o m i n g u e à cette é p o q u e , p e u vent certifier la vérité de ces faits, et nous ne craignons pas d'en appeler à leur témoignage. D i r a - t - o n qu'il n'est pas é t o n n a n t , qu'il est m ê m e n a turel q u e des hommes asservis et affranchis tout à c o u p , et sans aucune mesure préparatoire , aient m é c o n n u toute a u t o r i t é , toute dépendance l é g a l e , et se soient livrés à l'excès des passions les plus déréglées? P o u r lors o n aurait e u d o n c tort de les avoir si inconsidérément affranchis ; et cependant les commissaires annoncent dans d'autres p r o clamations , dans leurs correspondances et messages adressés aux autorités nationales, que ces h o m m e s étaient m û r s p o u r la l i b e r t é , s'en montraient déjà d i g n e s , et qu'ils c o m p r e n a i e n t fort b i e n la constitution et les lois q u i en dérivent ; et tous ces grands effets ont été o b t e n u s , s u i vant e u x , dans l'espace de quelques mois. Q u e l l e

impu-

d e n c e et mauvaise foi insigne ! Q u a n d ensuite les Anglais se sont présentés à S a i n t D o m i n g u e , et se sont emparés successivement o u q u ' o n leur a livré plusieurs quartiers i n s u r g é s , ils n'ont p u r a m e n e r , assujettir les nègres à l'ordre et au travail, q u ' e n rétablissant la servitude, et cela s'est o p é r é aussi facilement que p r o m p t e m e n t . Il n'entre pas dans notre p l a n , et cela n o u s éloignerait trop de notre s u j e t , de développer les motifs q u i ont empêché les Anglais d'effectuer la c o n quête de S a i n t - D o m i n g u e , et les ont forcés d'en faire l'abandon

(1).

j a m a i s a l l e r t r a v a i l . — Q u e dis-tu là ? r e p a r t i t S a n t h o n a x ; a u c o n t r a i r e , il faut t r a v a i l l e r p l u s q u e j a m a i s . — N o n , c h i t o y e n c o m m i s s a i r e , t r a v a i l , l i b e r t é , ç a p a s c a p a b l e a l l e r .» T e l l e s s o u t l e s d i s p o s i t i o n s et le c a r a c t è r e d e s n è g r e s , sans e x c e p t i o n , r e l a t i v e ment à leur liberté. (1) C e s motifs s e r o n t e x p l i q u é s d a n s u n o u v r a g e p a r t i c u l i e r e n -


43 A p r è s leur évacuation, en 1 7 9 8 , la défaite des gens de c o u l e u r , et de R i g a u d l e u r c h e f , le nègre Toussaint L o u verture , alors seul chef et maître de la c o l o n i e , e n c o u ragé et dirigé en partie par des colons , o n lui fit sentir la nécessité de rappeler les nègres au t r a v a i l , e t , p o u r cet effet, c o m m e mesure principale et p r e m i è r e , il leur o r d o n n a de se rendre sur leurs habitations respectives. Ces ordres ne s'exécutantpoint ponctuellement et aussi p r o m p t e m e n t q u e d u temps de l'administration anglaise, et cela parce qu'ils étaient censés rester l i b r e s , et q u e cette idée p o u r e u x e m p o r t e la cessation de toute o c c u p a t i o n m a n u e l l e , Toussaint a n n o n ç a , par u n e seconde p r o c l a m a tion , que c e u x q u i , sous huit j o u r s , n e se rendraient pas sur leurs habitations, seraient sur-le-champ fusillés. D é terminés par u n e mesure aussi v i o l e n t e , les travaux furent repris ; mais T o u s s a i n t s'apercevant que le travail, m a l gré tous ses efforts, languissait, il établit p o u r lors des commissions p r é v ô t a l e s , des inspecteurs de travaux sous le féroce Dessalines. Ces inspecteurs, se transportant sur les habitations, aidés de leurs r e c o r s , assujettirent les nègres à u n travail rude et c o n t i n u e l , à grands c o u p s de bâton et de plat de s a b r e , sous lesquels plusieurs s u c c o m bèrent , et souvent par des exécutions réelles, en les faisant

trepris depuis long-temps, qui aura p o u r b u t , e n donnant l'histoire de S a i n t - D o m i n g u e , d e faire c o n n a î t r e les c a u s e s , les m o t e u r s et les a g e n s d e n o t r e r é v o l u t i o n . L ' o n v e r r a q u e l ' a b a n d o n A n g l a i s p r o v i e n t d e la faiblesse

des

de leurs forces , dans u n temps

d o n n é , c o n t r a r i é e s e n c o r e p a r les d i v i s i o n s s u r v e n u e s e n t r e l e s c o l o n s , p a r des trames et des conspirations dirigées contre l e u r a u t o r i t é p a r d e s c h e f s n è g r e s et m u l â t r e s ; e t q u ' i l s o n t été

finale-

' n e n t d é t e r m i n é s , p a r la n é c e s s i t é o ù ils se s o n t t r o u v é s à la m ê m e é p o q u e , d ' e m p l o y e r toutes leurs forces s u r le c o n t i n e n t , et p a r u n e suite d e m e s u r e s f a u s s e s , q u e l e u r i g n o r a n c e s u r l e s l o c a l i t é s et l e u r q u a l i t é d ' é t r a n g e r s l e u r o n t fait c o m m e t t r e .


44 passer par les verges, fusiller o u sauter la t ê t e , et tout cela sans émotion et avec u n sang - froid ble

imperturba-

(i).

Les c o l o n s , témoins et affectés au vif de toutes ces e x é cutions

sanguinaires, intervenaient toujours par leurs

suppliques et leurs prières p o u r r é p r i m e r , p o u r m o d é r e r ces fureurs sauvages ; mais ils n'étaient jamais écoutés , et on leur répondait en langage créole :«

V o u s pas connaît

nègre ; toute malice et toute méchanceté à y o u , tout ça y o u capable.»

E t c'étaient des nègres qui s'exprimaient

ainsi sur le compte de leurs semblables! Se trouvant ainsi pressés et c o m p r i m é s , la frayeur les atteint tous ; ils gémissent, ils c o u r b e n t sous le poids é n o r m e q u ' o n leur impose ; ils font des efforts incroyables p o u r satisfaire l'avidité de leurs c h e f s ; car la plupart des p r o priétés étaient déjà possédées par ces derniers en leur q u a lité de séquestres , fermiers o u régisseurs. Ils se rendent sur le terrain avant j o u r , et attendent, accroupis , q u e les premières clartés leur permettent de s'acquitter de leur pénible tâche ; mais ces efforts languissent partout o ù les visites des inspecteurs sont interrompues o u p e u f r é q u e n tes. Dès qu'ils disparaissaient, les désordres et l ' i n s u b o r dination reprenaient u n e nouvelle force ; les propriétaires, fermiers o u régisseurs n'étaient plus écoulés , et tout cela parce q u ' o n leur disait qu'ils étaient l i b r e s , et qu'en celle qualité ils veulent et prétendent ne rien faire. Ce n'est qu'en répétant ces visites , ces tournées à p e u d'intervalles

( 1 ) Ce fut à cette même époque que Toussaint ordonna ù Dcssaliucs de parcourir toutes les habitations depuis le Cap jusqu'aux Cayes Saint-Louis, pour y rétablir l'ordre et le travail. Dans cette fameuse tournée, ce dernier , escorté de cent guides ou alguazils, armés de courts bâtons, fit périr environ quatre mille nègres, deux cents mulâtres cl quelques blancs.


45 de t e m p s , et presque toujours accompagnées d'exécutions, ce n'est que par cette police sanguinaire , constamment en activité et en surveillance, que Toussaint a su d o n n e r quelque activité aux cultures. Je prie de croire que rien n'est ici imaginé ni exagéré; tout y est de la plus grande et de la plus exacte vérité. Je ne crains pas de nouveau d'interpeller en témoignage nos adversaires m ê m e s , s'ils ont habité la colonie pendant ces a n n é e s , o u s'ils ont e u des correspondances avec des p e r sonnes impartiales; et j e pense q u e tout s'y encore de m ê m e , si le chef a c t u e l , m u l â t r e , exercer i m p u n é m e n t ,

et sans danger

passerait pouvait

p o u r lui et sa

c a s t e , la m ê m e autorité que le nègre T o u s s a i n t , p o u r en obtenir le m ê m e travail et u n p r o d u i t égal. A u reste, les personnes instruites n'avaient pas besoin de tous ces exemples p o u r savoir que des nègres faits aussi inconsidérément q u e légèrement l i b r e s , ne pouvaient être amenés au travail q u e par des moyens violens et c o c r c i t i f s , en tant qu'ils sont libres o u réputés devoir l'être ; parce q u e , encore u n e f o i s , liberté et travail ne peuvent e n trer ni se concilier avec leurs i d é e s ; qu'ils ne c o n c e v r o n t jamais les devoirs et les droits qui y sont attachés; ils m é priseront, dédaigneront les uns , et abuseront c o n s t a m ment des autres. T e l s o n les a vus et tels o n les voit e n core dans leurs différentes associations l i b r e s , soit qu'ils y soient réunis par une force compulsive o u par u n simple acte de leur volonté. P o u v a i t - o n , en effet, ignorer que c e u x de la S i e r r a L e o n a , de la montagne Bleue à la J a m a ï q u e , c e u x de la Semarica et O n c a s , deux de leurs établissemens dans la Guyane hollandaise, quoiqu'ils jouissent tous d'une l i berté pleine et e n t i è r e , n'ont jamais v o u l u s'adonner à aucun genre d'industrie q u e l c o n q u e . Ces premiers ont abandonné en plusieurs occasions leur établissement après


46 y avoir fomenté des t r o u b l e s , des conspirations et massacré les c h e f s , se sont répandus le l o n g de la côte et dans q u e l ques factoreries p o u r y faire le c o m m e r c e d'esclaves. C'est avec u n e peine i n f i n i e , des soins répétés et une surveillance continuelle , q u ' o n peut les f o r c e r à cultiver m o mentanément leurs champs p r o p r e s ; les maintenir dans u n o r d r e s u p p o r t a b l e , malgré les ménagemens extrêmes apportés à leur faiblesse, à leur état, et toutes les faveurs d o n t ils sont en possession. N o n satisfaits d'un traitement aussi d o u x , l e q u e l , par son extrême indulgence et ses concessions, approche de celui de l ' e n f a n c e , ils v i e n n e n t d e se soulever et de se p o r t e r à de n o u v e a u x d é s o r d r e s , d'après les rapports consignés dans les gazettes

(1).

L e s d e r n i e r s , c e u x de la G u y a n e , ne connaissent q u e la chasse et la p ê c h e , lesquelles, venant à m a n q u e r

ou

être m o i n s favorables , les exposent à des famines affreus e s ; et ils ajoutent à ces ressources incertaines, celles plus incertaines encore , l'arrestation, m o y e n n a n t u n e faible r é t r i b u t i o n , de quelques-uns de leurs s e m b l a b l e s , s'échappant parfois des ateliers hollandais. C e p e n d a n t , j o u r n e l l e m e n t témoins des biens et des jouissances attachés a u x travaux des E u r o p é e n s , ils y restent indifférens, et n'en r e ç o i v e n t aucun stimulant. Ils préfèrent leur état d'oisiveté p e r p é t u e l l e , d'en c o u r i r les chances hasardeuses et misérables qui s'y trouvent attachées, plutôt q u e de se livrer à la plus légère o c c u p a t i o n manuelle ( 2 ) .

( 1 ) V o y e z European

magazine,

t o m . 41 ; W a d s t z o n , s u r la c o -

l o n i s a t i o n ; l e s d é b a t s p a r l e m e n t a i r e s d u 5 o m a i 1 7 9 1 , et l e port

Rap-

des d i r e c t e u r s d e la c o m p a g n i e d e la S i e r r a - L e o n a , e n d a t e

d u 27 m a r s 1 7 9 4 (2) C o n s u l t e z les Mémoires

de M . Malouet, ancien intendant de

C a y e n n e ; et l ' o u v r a g e i n t i t u l é : Expédition Surinam

contre

les révoltés

de

, p a r S t e d m a n , officier e m p l o y é d a n s c e t t e e x p é d i t i o n ,


47 N e savait-onpas, en o u t r e , que sous les t r o p i q u e s , et p a r ticulièrement aux A n t i l l e s , les h o m m e s en général, surtout les nègres sont enclins à la paresse, à t o m b e r dans une sorte de langueur et d'assoupissement ? P o u r vaincre ces dispositions n u i s i b l e s , il faut éprouver u n certain degré d'énergie ; il faut ressentir l'aiguillon des besoins factices , de ces j o u i s sances multipliées d o n t o n n'obtient la possession q u e par des efforts répétés et continus. Les n è g r e s , dans toutes les situations possibles, ont m o n t r é u n e incapacité totale à sortir de leur état d'engourdissement et de t o r p e u r o r i ginelles. Ils sont sans i n d u s t r i e , sans prévoyance ; ils n e connaissent et ne désirent aucune de ces jouissances attachées aux p r o d u c t i o n s des arts ; ils sont et demeurent tels qu'ils ont été dans tous les temps , soit réunis o u d i s p e r sés , soit dans leur pays natal o u dans leur transplantation, avec les mêmes usages, les mêmes habitudes et les mêmes m œ u r s , avec leur insouciance et leur apathie p r e m i è r e . C o n f o r m é s de m ê m e , c o m m e n t p e u t - o n se flatter q u ' o n les assujettira à u n travail régulier et s u i v i , l o r s q u e , sans s o i n s , sans efforts et sans aucune p r é v o y a n c e , ils t r o u v e n t , p o u r ainsi d i r e , sous leurs mains u n e subsistance a b o n d a n t e , v a r i é e , et toutes les douceurs de la vie a n i m a l e ; lorsqu'ils peuvent se passer de tout vêtement, et q u ' u n e misérable hutte , u n simple ajoupa suffit p o u r les garantir de l'intempérie des saisons ; lorsque enfin le c l i m a t , en leur prodiguant si généreusement ses dons et ses trésors , les invite au repos et à l'inaction la plus absolue. Dans une pareille situation , la crainte seule peut vaincre notre penchant vers l ' i n d o l e n c e , vers l'apathie, et n o u s contraindre au travail. Ce serait, ce m e s e m b l e , se r e -

et a y a n t r é s i d é d a n s la c o l o n i e p e n d a n t p l u s i e u r s a n n é e s . J ' i g n o r e si ce d e r n i e r é c r i t , r é d i g é e n a n g l a i s , a été t r a d u i t e n

français.


48 fuser à l'évidence et à une e x p é r i e n c e constante q u e de n e pas admettre cette conclusion ( 1 ) .

OBJECTION

CINQUIÈME.

O n insistera cependant et on dira : « Les nègres j o u i s « saut de leur liberté depuis vingt-cinq a n s , il est c o n v e « n a b l e , il est au moins prudent de leur laisser

cette

« croyance en les attachant néanmoins aux habitations , à « une sorte de g l è b e , et en les obligeant forcément à c u l t i « ver les terres. Q u ' i m p o r t e , a j o u t c r a - t - o n , s i , sous cet « appât de l i b e r t é , qui ne sera que

de n o m , une v é r i -

té table tricherie si l'on v e u t , ils consentent o u sont forcés (c au travail ? »

RÉPONSE. N o u s avons vu précédemment q u e la masse des nègres, celle des cultivateurs, bien loin d'être libres , sont véritab l e m e n t esclaves de leurs égaux , de ce genre d'esclavage q u i c o m p o r t e le plus de m a u x , plus d'excès tyranniques c l sanguinaires, et doit leur être le plus en h o r r e u r . N o u s avons vu également q u e c'est cette idée de liberté q u i n e

( 1 ) P o u r u n e p l u s g r a n d e e x p l i c a t i o n s u r t o u t ce q u i est r e l a t i f a u x n è g r e s , eu tout ce q u i touche leur caractère p h y s i q u e , inoral et i n t e l l e c t u e l , consultez l ' o u v r a g e , sur le même s u j e t , i n t i t u l é : Considérations

générales

sur les trois classes qui peuplent les co-

lonies françaises , et s u r t o u t ce q u i c o n c e r n e l e u r a d m i n i s t r a t i o n i n t é r i e u r e . C e t é c r i t se t r o u v e c h e z P o u l e t , quai

imprimeur-libraire ,

des A u g u s t i n s .

« I l y a d e s p a y s o u la c h a l e u r é n e r v e les c o r p s et affaiblit « fort le c o u r a g e , que les h o m m e s ne sont portés à u n

si

devoir

« p é n i b l e q u e p a r la c r a i n t e d u c h â t i m e n t ; l ' e s c l a v a g e y c h o q u e « d o n c m o i n s la r a i s o n . Mais c o m m e t o u s les h o m m e s

naissent


49 peut s'allier dans leur esprit avec celle d u travail, qui les force à méconnaître l ' u n e , et à ne pas vouloir s'assujettir à l'autre, et les dispose constamment à se livrer à l'insurrection et aux écarts les plus m o n s t r u e u x . C'est en vain q u ' o n voudrait s'élever c o n t r e cette d i s p o s i t i o n , la c o m battre par des raisonnemens philosophiques plus o u moins vrais o u s p é c i e u x ; elle est dans leur n a t u r e , dans toutes leurs habitudes et sensations ; et c'est sur ces derniers m o biles qu'il faut diriger les h o m m e s si o n veut les gouverner d'une manière sensée et praticable. D'ailleurs, n'est-il pas absurde et dérisoire , n'est-il pas m ô m e barbare de n e leur laisser cette apparence de l i berté et de s'en p r é v a l o i r , q u e p o u r les contraindre au travail par des m o y e n s b i e n autrement rigoureux

que

c e u x de la servitude m ê m e ? C a r , que l'on ne s'y m é p r e n n e pas de n o u v e a u , sous cet appât de l i b e r t é , ils ne voudront p o i n t se prêter à cultiver les t e r r e s , surtout les sucreries, avec ces soins journaliers et n o n interrompus qu'elles r é clament ; e t , p o u r les y contraindre , vous serez toujours en lutte avec eux ; vous ne p o u r r e z vous faire obéir ni faire exécuter vos ordres , qu'armés du glaive , qu'avec la sévérité des tyrans les plus cruels ; vous serez forcés enfin d'adopter et de suivre les mesures atroces de T o u s s a i n t , dans lesquelles sans doute

les chefs actuels

s'efforcent

de persévérer. U n e semblable liberté est-elle d o n c à d é sirer? K'est-elle pas illusoire dans ses effets , vicieuse dans ses principes , inexécutable et funeste p o u r nous tous ? A i n s i , il ne doit p o i n t paraître p a r a d o x a l , et c'est m ê m e

« égaux , il faut dire que l'esclavage est contre nature , quoique , « dans certains pays , il soit fondé sur une raison naturelle ; et il « faut bien distinguer ces pays d'avec ceux où les raisons natu« relies mêmes les rejettent, comme les pays d'Europe , où il a été « si heureusement aboli. » (Esprit des lois,

chap. V I I , liv. 15. )

4


50 u n e conséquence des faits établis ci-dessus, d'affirmer q u e la servitude, régularisée et adoucie sous le régime des c o lons , p e u t seule apporter d u soulagement au sort actuel des nègres constitués tels qu'ils s o n t ; parce que dans cet é t a t , n'étant plus en contradiction avec la force des c h o s e s , et se trouvant en rapport avec e u x - m ê m e s , ils sont p o u r lors docilement s o u m i s , vous respectent, vous obéissent sans m u r m u r e et sans résistance, avec une entière et pleine résignation; et ils vous permettent également par là de vous abandonner à tous les m o u v e m e n s n o b l e s , à tous les actes de bienveillance q u i ne sont jamais aussi efficaces q u e lorsqu'ils s'exercent sans contrainte et avec ce n o b l e abandon qui f o r m e leur honorable cortége.

OBJECTION

SIXIÈME.

« Les nègres restant libres d o i v e n t , d i t - o n , recevoir « u n e rétribution j o u r n a l i è r e , o u m i e u x e n c o r e partager « dans les revenus c o m m u n s ; ce qui les r e n d r a i t , sous c e « dernier r a p p o r t , co-propriétaires et nos associés f o r c é s . »

RÉPONSE. Il n'y a que les lois d e ces f o u g u e u x et monstrueux c o m missaires q u i aient p u établir u n pareil système. Il est plus q u e temps que la raison et la justice fassent entendre leurs v o i x , et proscrivent d'un c o m m u n accord toutes ces e r r e u r s , tous ces attentats contre la p r o p r i é t é , toutes ces violations d u pacte social enfantées au milieu des orages et des convulsions politiques. D é m o n t r o n s - e n néanmoins les v i c e s , et surtout l'impossibilité de leur e x é c u t i o n . N o u s partirons de la supposition q u e les n è g r e s , rendus l i b r e s , travailleront sans y être contraints ; supposition, comme

o h l'a v u , inadmissible ; mais le raisonnement


51 nous force de l ' a d o p t e r , et c'est aller sans doute aussi loin q u e nos adversaires et les partisans de la liberté générale puissent le désirer. Nous supposerons de plus qu'en leur qualité d'agens l i b r e s , ils ont le droit incontestable de disposer de leur temps et de leur p e r s o n n e suivant leur b o n p l a i s i r , de se transporter et de se fixer ailleurs q u e sur les h a b i t a t i o n s , c o n f o r m é m e n t à leur goût et à leur c o n v e n a n c e particulière. Sous ce dernier r a p p o r t , en admettant au propriétaire u n droit simplement égal à celui d u n è g r e , ce q u ' o n n e p e u t raisonnablement

ni équitablement lui r e f u s e r , il

doit lui être permis de choisir entre tous les h o m m e s q u i se présenteront, d'agréer les u n s , de rejeter les autres; e t , dans tous les cas , o n ne p e u t , sans commettre u n acte hautement attentatoire à sa liberté personnelle et à sa p r o priété , le forcer à contracter u n engagement avec tous c e u x q u i , par leurs qualités physiques , m o r a l e s , et quelques autres i n c o n v e n a n c e s , paraîtraient devoir être r e fusés. Q u e deviendront alors tous ces nègres de r e b u t , sans demeure n i habitation f i x e , les mauvais sujets en tout g e n r e , les assassins et les i n c e n d i a i r e s , c e u x mêmes qui ne sont q u e paresseux o u i n s u b o r d o n n é s , les estropiés et les i n c u r a b l e s , les enfans et les vieillards ? Il faudra établir p o u r e u x tous des maisons de force et des hôpitaux , et o n sait c o m b i e n ces fondations sont onéreuses au p u b l i e , et répondent p e u en général aux fins et au but qu'on s'est proposés en les établissant. O n ne p o u r r a é v i d e m m e n t parer à ces inconvéniens majeurs et manifestes qu'en attachant forcément et i r r é vocablement les nègres aux habitations, au sol. Mais p o u r lors vous en faites des gens de m a i n - m o r t e , des serfs de la g l è b e , et vous les assujettissez à toutes les lois q u i en dérivent. D e quelle importance leur sera une liberté q u i aura été envahie et détruite de fond en c o m b l e , et q u i


52 n'existera plus q u e sous u n n o m équivoque et p e r f i d e ? Je r e v i e n s , et j e demande si tous les nègres choisis o u autres auront la liberté de se livrer à tel genre de travail, de préférence à tout a u t r e , d'être ouvriers plutôt que c u l tivateurs , de se réfugier dans les villes et b o u r g s , ou de se cantonner chez quelques anciens mulâtres o u nègres libres , leurs parens et a m i s ? s'ils auront celle de se louer p o u r quelques j o u r s seulement de la semaine , o u p o u r u n certain temps de l'année ? s'ils auront surtout l'option de n e travailler qu'aux époques et de la manière q u i

leur

conviendra?

alors

V o t r e réponse

est-elle

affirmative?

tout sera dans la plus grande confusion ; les cultures a b a n données , les habitations désertes, et les nègres errans çà et là dans la c o l o n i e entière. Si vous m e répondez négativement , je demanderai et j'insisterai à m o n tour s'il n'est pas contraire aux principes de la liberté naturelle et c i vile de forcer u n h o m m e libre au travail, et s i , dans tous les états o ù il j o u i t de ses d r o i t s , il ne conserve pas la f a culté de disposer de l'emploi de son temps de la manière qu'il j u g e la plus c o n v e n a b l e , suivant ses goûts et ses i n térêts, sans p o u v o i r être autrement contraint à changer ses dispositions ? O n m e soutiendra peut-être que tout gouvernement a le droit de forcer les individus soumis à son empire de d e venir des m e m b r e s u t i l e s , que le travail est une des p r e mières obligations s o c i a l e s , à la seule faveur duquel les états peuvent exister et prospérer ; et q u e la loi de S o l o n , qui

autorisait l'aréopage

à s'informer

des m o y e n s e m -

ployés par chaque citoyen p o u r subvenir à ses b e s o i n s , et à p u n i r tous c e u x q u i menaient u n e vie oisive, devrait être imitée par toutes les n a t i o n s , et n'a rien q u e de jusle, de c o n f o r m e aux principes de toute société b i e n organisée. Je ne sais jusqu'à quel p o i n t la loi d'un petit état t r è s b o r n é , et circonscrit souvent dans ses murailles, est a p p l i -


53 cable à u n grand état d o n t la surveillance sur chaque i n dividu devient presque impossible ; mais j e veux b i e n a d mettre le p r i n c i p e . D e quel droit cependant prétendraito n soumettre à u n travail continuel et pénible celui qui p e u t , p a r u n travail de quelques h e u r e s , dans une seule j o u r n é e , subvenir abondamment à tous ses besoins d u rant u n e semaine entière? L a loi qui l'y c o n t r a i n d r a i t , et qu'aucune nation n e s'est p e r m i s e , porterait une atteinte directe à sa l i b e r t é , et serait en contradiction avec tous les principes voulus et préconisés. Ainsi l'on v o i t , sous quelque aspect q u ' o n envisage la question , q u e la liberté est incompatible avec la nature des propriétés , avec celle d u climat et avec l'inclination naturelle des nègres. D ' u n autre c ô t é , si le nègre reçoit u n salaire j o u r n a l i e r , il faudra sans doute avoir égard à l ' â g e , au s e x e , à la force p h y s i q u e , aux qualités morales et intellectuelles de l ' i n d i v i d u , c'est-à-dire à celles d o n t il est susceptible. Car il est tel nègre faible et chétif q u i , par ses dernières disp o s i t i o n s , surtout par sa b o n n e c o n d u i t e , méritera

la

préférence et sera réellement préférable à son camarade f o r t , plein de santé et de v i g u e u r , mais i n s u b o r d o n n é , q u e r e l l e u r , et p e u t - ê t r e pire que tout cela. Dans quelle p r o p o r t i o n comparative

ce salaire scra-t-il réglé ? Q u i

d o n c fixera le p r i x de leur valeur individuelle sous ce d o u b l e rapport ? S e r a - c e l'autorité s u p é r i e u r e ? Celte a u torité o u toute autre n e saurait apprécier la valeur de c h a q u e h o m m e en p a r t i c u l i e r , parce qu'elle dépend de ses qualités p h y s i q u e s , morales et intellectuelles, d'une foule d'autres convenances qui n e peuvent être saisies et a p p r é ciées que par c e u x - l à seuls qui les emploient. Si elle p r é tend cependant les fixer d'après certains rapports qu'elle établirait relativement à l ' â g e , au sexe et à la c a p a c i t é , elle exercerait alors le p o u v o i r le plus arbitraire , le plus violent , et il restera toujours à constater q u e tel nègre est


54 dans telle classe , dans telle

circonstance particulière ,

lesquelles seront sujettes à des variations continuelles, à des fixations nouvelles, mensuelles o u au moins annuelles, en raison de tous les changemens auxquels le temps et u n e différence de conduite n e peuvent m a n q u e r de d o n ner lieu. Mais ce n'est pas tout. Les n è g r e s , n'étant plus la p r o priété du maître , et recevant u n e rétribution q u e l c o n q u e p o u r le p r i x de leur l a b e u r , d o i v e n t , c o m m e tous les autres h o m m e s l i b r e s , se n o u r r i r , se v ê t i r , se l o g e r , se soigner dans toutes leurs maladies

et i n f i r m i t é s , e u x ,

leurs enfans et toute leur famille ; cela est incontestable. C e p e n d a n t , quand il surviendra u n e inondation o u u n e sécheresse auxquelles le climat des Antilles est particulièrement sujet, qui feront p o u r r i r les vivres o u les e m p ê cheront de g e r m e r , qu'est-ce qui les nourrira pendant tout ce temps de disette qui peut durer quatre o u cinq m o i s , parce qu'il faut tout ce temps p o u r la reproduction de ces mêmes vivres ? Les p r o d u c t i o n s spontanées de la nature auront p u également et en partie souffrir de ces contre-temps ; m a i s , appartenant aux p r o p r i é t a i r e s , ils n'y ont a u c u n droit. Q u i assistera u n nègre q u i , après p l u sieurs mois de m a l a d i e , manquera de tout? E n o u t r e , s'il estropie par sa faute u n mulet q u i vaut c o m m u n é m e n t c i n q cents francs t o u r n o i s ; s i , par n é g l i g e n c e , il fait du sucre inférieur o u gâte u n e o u plusieurs batteries ( l e s dernières chaudières o ù le sucre reçoit sa dernière f a b r i cation ) ; s'il vole d u sucre o u tout autre denrée p r é c i e u s e , c o m m e cela arrive assez f r é q u e m m e n t , p o u r le vendre à des petits marchands dans les villes o u b o u r g s , més marchands

dénom-

de lune ; qu'est-ce qui viendra à son s e -

cours p o u r le paiement de tous ces objets ? L e r e n d r e z vous

personnellement

responsable de ces

événemens,

c o m m e la justice le requiert ? Son salaire , quel qu'il s o i t ,


55 n e saurait y suffire, et deviendrait souvent n u l . S i ,

au

c o n t r a i r e , vous soumettez l'habitant à remplir toutes ces o b l i g a t i o n s , à supporter toutes ces charges et tous ces risques , vous n'aurez d o n c aboli l'esclavage q u e p o u r lui imposer des conditions onéreuses et injustes , sans aucun équivalent q u e l c o n q u e , et p o u r conférer aux nègres des droits destructifs des p r o p r i é t é s , dont aucun h o m m e libre ne j o u i t dans aucun des états policés de l ' A n c i e n c o m m e du Nouveau-Monde. et sans h é s i t a t i o n ,

Convenons-en donc n'est-ce

pas

franchement

u n e conséquence i n -

faillible de tout ce q u i est renfermé dans la présente r é p o n s e , que les propriétés coloniales sont d'une nature p a r t i c u l i è r e , et que la servitude s'y trouve

forcément

annexée ?

OBJECTION

SEPTIÈME.

« O n veut et o n s'est flatté de remédier à ces difficultés « insolubles en rendant les nègres collectivement c o - p r o « priétaires dans u n e des portions d u revenu annuel ; sys» tème plus a b s u r d e , plus injuste et plus inexécutable « encore q u e le précédent. « O n avait i m a g i n é , et o n le croira e n c o r e juste p e u t « ê t r e , de partager les produits annuels d'une habitation « en quatre masses. La p r e m i è r e serait affectée sans doute « p o u r la régie et les frais, p o u r les accidens sans n o m ce b r e auxquels ces propriétés sont sujettes ; elle était et « je la crois insuffisante ; les commissaires l'appelaient la « faisance-valoir. La seconde appartenait au g o u v e r n e • « ment sous la f o r m e de subvention. Q u o i q u e ce q u a r t , « en f o r m e de t a x e , fut

contraire et incompatible avec

« tout le système c o l o n i a l , puisque l'obligation forcée de « ne c o m m e r c e r qu'avec la métropole est et sera toujours


56 « envisagée c o m m e la plus forte de toutes les impositions « possibles, ce quart n'en étaitpas moins hors de toute p r o « p o r t i o n avec les ménagemens dus aux propriétaires, avec « lesbesoins réels d u gouvernement, n'enrichissant, à cette « é p o q u e , que les agens du fisc et tous les spoliateurs du « revenu p u b l i c . Il y aura toujours néanmoins u n p r é l è v e ee ment à faire sur les produits c o m m u n s p o u r les frais de ee l'administration et p o u r tout ce qui intéresse l'ordre p u ee b l i c , lequel ne peut être à la charge de la m é t r o p o l e , et s'éte levait autrefois à m o i n s de dix millions argent des c o l o ee nies ; ce qui ne faisait que 5 p o u r 100 sur la totalité des ee produits , au lieu d u quart prélevé par les commissaires, « L a troisième était répartie , suivant certaines dispositions, ee toujours arbitraires, entre les cultivateurs ; la quatrième ee constatait le droit d u propriétaire. Par suite , et par e x a « gération

de ce s y s t è m e ,

o n distribuait des

terrains

ee aux nègres p o u r la culture des vivres, dont ils jouissaient e< gratuitement et sans aucune redevance envers les p r o ee priétaires. C'est contre ce plan o u tout autre s e m b l a b l e , ee c'est contre les différentes modifications dont on v o u « drait l'élayer, o u dont o n le croirait susceptible, que ee nous allons opposer des faits et des raisonnemens q u i ee nous paraissent hors de toute atteinte. »

RÉPONSE. D ' a b o r d , il suffirait que ce plan arbitraire et violent eût été c o n ç u par les commissaires, par ces h o m m e s a t r o c e ment révolutionnaires, les vrais Marats et Robespierres de nos contrées , p o u r qu'il fût généralement proscrit et a b h o r r é ; ces délégués ayant montré une ignorance p r o fonde , u n e perversité sans égale sur tout ce q u i avait rapport aux h o m m e s et aux choses , et ne s'étant p r o p o s é d'autre but que le bouleversement et l'anéantissement de


57 la c o l o n i e , par u n système machiavélique et par des c o n ceptions atroces q u e les seules furies méditent dans leurs antres infernaux. L e maintien de ce système ne ferait q u e p e r p é t u e r , qu'enraciner de plus en plus les principes r é volutionnai res, principes essentiellement désorganisateurs, et qu'il est aussi i m p o r t a n t , aussi urgent de détruire à S a i n t - D o m i n g u e qu'en F r a n c e ; car il faut q u e ces p r i n cipes aient u n terme , sans quoi toutes les colonies des Antilles seront ensevelies sans retour sous leurs fléaux d é vastateurs. E n s u i t e , qui n e voit au p r e m i e r c o u p d'œil q u e cette répartition, o u toute a u t r e , porte une atteinte directe au droit de p r o p r i é t é , le plus sacré de tous et la pierre f o n damentale de l'architecture sociale? Car l'autorité qui se permet a r b i t r a i r e m e n t , sans m o n c o n c o u r s et sans ma participation expresse et f o r m e l l e , de distraire de m o n revenu u n e p o r t i o n q u e l c o n q u e p o u r l'appliquer à u n tiers, aux besoins des cultivateurs, d o n t elle se rend seul j u g e , seul a r b i t r e , peut r é c l a m e r , exiger une portion plus forte toutes les fois qu'elle le jugera c o n v e n a b l e , et rendre par là tout droit de propriété illusoire. Il ne suffit pas de dire que la justice réglera cette répartition ; il n'y a plus de justice là o ù le p r i n c i p e de la propriété est aussi ouvertement, aussi scandaleusement attaqué et envahi ; la spoliation u n e fois admise c o m m e droit o u c o m m e simple c o n v e n a n c e , il n'y a plus de b o r n e s n i de règle p o u r la contenir n i la r é p r i m e r . E n o u t r e , j e demande si dans tous les gouvernemens , m ê m e despotiques, si dans toutes les sociétés politiques , quelle q u e soit leur organisation p a r t i c u l i è r e , les e n t r e preneurs de culture et de manufacture ( et les habitans des colonies sont l'un et l'autre, quant aux premières o p é r a t i o n s , surtout p o u r le s u c r e ) , ne jouissent pas d'une l i berté pleine et entière p o u r contracter tout engagement


58 q u e l c o n q u e avec les personnes qu'ils e m p l o i e n t , p o u r écarter les uns , agréer les autres, sans autre d é t e r m i n a tion q u e leur volonté p r o p r e ? Q u i est-ce qui a jamais p u c r o i r e o u établir en p r i n c i p e q u e l'autorité p u b l i q u e p o u vait intervenir dans ses conventions p r i v é e s , les r é g l e r , les fixer arbitrairement et p o u r toujours ? Q u i est-ce qui a jamais p u croire o u établir en p r i n c i p e qu'elle pouvait dire aux propriétaires des terres et des manufactures : Vous accorderez,

et n o u s vous l'enjoignons

ment par n o s l o i s , u n e portion

fixe,

expressé-

perpétuelle dans

vos bénéfices et dans vos revenus , à tous vos s u b a l ternes et a g e n s ; n o u s les établissons, nous les c o n s t i tuons , b o n gré mal g r é , vos associés f o r c é s , les c o - p r o priétaircs de vos terres et de vos machines ? Q u i est-ce q u i a jamais p u croire pouvait

de plus dire

o u établir en p r i n c i p e a u x colons

qu'elle

: Nous vous

con-

damnons à soigner et à entretenir vos cultivateurs dans toutes les occasions épineuses de l'a vie , à supporter vous seuls tous les frais, toutes les charges de cette administration c o m p l i q u é e , de leur conférer des terrains sans pouvoir jamais rien réclamer p o u r ces dilférens o b j e t s , soit c o m m e propriétaires o u régisseurs ? Car le quart alloué à ceux-ci f o r m e à peine la représentation p u r e et simple des intérêts p r o v e n a n t d u capital primitif e m p l o y é à l ' a c q u i sition de la p r o p r i é t é . Q u e l est le p o u v o i r suffisamment c o m p r i m a n t o u tyrannique p o u r m e faire fléchir sous ces dispositions a r b i t r a i r e s , en opposition directe avec tous les m o u v e m e n s d u corps social? Sous ce régime de f e r , q u e deviennent l ' i n d u s t r i e , la l i b r e disposition

de ses

fonds , de ses c a p i t a u x , et le droit de régler s o u v e r a i n e m e n t et sans partage sa propriété suivant ses lumières , c o n f o r m é m e n t «à ses intérêts et à ses c o n v e n a n c e s , avec des agens de son c h o i x et de son approbation ? Si o n assure q u e les propriétés coloniales exigent celte


59 contrainte , cette répartition en masse , ces différentes classifications arbitraires, convenons-en d o n c de nouveau ( e t ce n'est pas n o u s ' q u i vous forçons à adopter cette c o n clusion , mais la nature impérissable des c h o s e s ) , q u e ces propriétés ne ressemblent en rien à celles de la m é t r o p o l e , qu'elles réclament impérativement des lois et une o r g a n i sation toutes particulières; que ces lois et cette organisation se trouvant établies depuis long-temps , à la faveur d e s quelles les colonies , surtout celle de

Saint-Domingue,

sont parvenues à un degré de prospérité étonnante , dont le dernier terme était encore i n c o n n u ; q u e ces lois et celte organisation étant c o n f o r m e s aux usages, aux m œ u r s et aux habitudes de ses habitans , à toutes les convenances locales et imprimées par la nature m ê m e , c'est une f o l i e , une entreprise hasardeuse et téméraire de vouloir les aband o n n e r , lorsque surtout nous sommes instruits par

une

trop l o n g u e , une trop malheureuse e x p é r i e n c e , des t e n tatives inutiles c o m m e des efforts multipliés auxquels o n s'est livré à différentes fois p o u r introduire forcément u n régime o p p o s é . T o u t e tentative n o u v e l l e , tout essai n o u v e a u , tous ces palliatifs et ces s u b t e r f u g e s , tous ces contre-sens par l e s quels o n veut se dissimuler à s o i - m ê m e u n e vérité i m p o r tante, aboutiront i n f a i l l i b l e m e n t , n o u s ne craignons pas de l ' a n n o n c e r , à de n o u v e a u x m a l h e u r s , à une nouvelle catastrophe; e t , après avoir ainsi p a r c o u r u le m ê m e c e r cle v i c i e u x , après avoir é p r o u v é les agitations , les m o u vemens irréguliers et discordans,

résultant d'une fausse

p o s i t i o n , de principes o p p o s é s , nous serons forcés à la fin d'obéir à cette loi g é n é r a l e , à cette force compulsive q u i porte les corps politiques vers ce p o i n t f i x e , cet état de repos , vers ces seuls p r i n c i p e s en harmonie avec les i n s titutions primitives et particulières appartenant à chaque


60 p e u p l e , régulatrices et conservatrices de l'ordre et de l'existence sociale. E n effet, tous les efforts faits en F r a n c e p o u r s'éloigner de la constitution monarchique o n t été infructueux et e n sanglantés ; tous c e u x q u ' o n a tentés à S a i n t - D o m i n g u e , en opposition avec son système p r i m o r d i a l , ont été également , j e ne crains pas de le d i r e , et plus insensés et plus tragiques, parce qu'elle à été plus l o n g - t e m p s , et qu'elle est e n c o r e hors de sa sphère d'attraction, h o r s de son o r bite sociale. Si les preuves appuyées sur des raisonnemens n'étaient pas déjà en notre faveur , l ' e x p é r i e n c e , cette s a gesse en a r r i è r e , d o n t nous avons fait une si cruelle é p r e u v e , suffirait à elle seule p o u r constater cette vérité i m p o r t a n t e , et elle doit nous servir à jamais de guide et de flambeau dans nos directions futures. Mais démontrons de plus en plus les i n c o n v é n i e n s , les dangers et l'incompatibilité de la répartition en masse avec la liberté , avec les propriétés. O b s e r v o n s , en p r e m i e r l i e u , q u e les mêmes o b j e c t i o n s , les mêmes difficultés se présentent ici c o m m e dans la p r e mière s u p p o s i t i o n , celle relative à u n salaire journalier , aux classifications et autres circonstances q u i y sont m e n tionnées. Sans nous y arrêter de n o u v e a u , considérons seulement celles q u i sont particulièrement applicables à la supposition présente. Les propriétés c o l o n i a l e s , surtout les s u c r e r i e s , se cultivant en m a s s e , par u n m o u v e m e n t c o m m u n et s i m u l t a n é , le travail ne pouvant être réparti par t â c h e , ni être exécuté par chaque individu s é p a r é ment , c o m m e

dans toutes les autres occupations

ma-

n u e l l e s , o u c o n ç o i t sans peine q u e , par ce travail en c o m m u n et collectif, le nègre a c t i f , v i g o u r e u x et b i e n portant , s'il n'est pas m i e u x récompensé que le nègre faible o u p a r e s s e u x , sera nécessairement p o r t é à ralentir son travail et à le mesurer sur ce d e r n i e r . Si le nègre vé-


61 ritablement malade pendant plusieurs mois n'est pas admis à recevoir sa quote part dans le partage c o m m u n , il se croira l é s é , et sa situation deviendra excessivement f â cheuse ; s'il y est admis , tout le m o n d e voudra , se s e n tira et se dira m a l a d e , soit p o u r c r o u p i r dans l'oisiveté, soit p o u r se reposer d'une course n o c t u r n e , d'une o u p l u sieurs nuits passées en excès et en débauches , auxquelles malheureusement les nègres n e sont q u e trop adonnés. N o u s voilà de suite en o p p o s i t i o n , en lutte avec e u x , laquelle qui deviendra d'autant plus pénible q u e , sous l'apparence de la santé, o n p e u t être réellement malade , sans q u e le médecin le plus expérimenté puisse d o n n e r u n sûr p r o nostic ; et si cette détermination influe sur votre j u g e m e n t et vous rend f a c i l e , vos hôpitaux se r e m p l i r o n t , et vos malades n e seront jamais ,

à leur gré ,

suffisamment

guéris. D u temps de T o u s s a i n t , o n n'était p o i n t arrêté par ces diverses

considérations.

O n ne leur permettait

guère

d'être malades ; o n les chassait, n o n des h ô p i t a u x , q u i avaient déjà disparu depuis long - temps , mais de leurs cases à grands coups de bâton ; et tous les m a l i n g r e u x , les pianistes , les estropiés et c e u x qui étaient infectés d u vice siphilitique, étaient abandonnés à e u x - m ê m e s et à leur; p r o p r e incurie , sans secours ni assistance. V o u s aurez encore à éprouver d'autres difficultés l o r s que vous viendrez à leur livrer leur contingent dans le produit c o m m u n , soit en n a t u r e , soit en argent. Ils t r o u veront que celte p o r t i o n n e s t pas exacte , qu'elle est faible ou d'une qualité m o i n d r e o u plus mauvaise q u e la vôtre -, e t , c o m m e ils sont excessivement méfians et s o u p ç o n n e u x , dispositions qui appartiennent à tous les êtres faibles et ignorans , et c o m m e vous êtes directement

intéressés

dans la discussion p r é s e n t e , ils s'élèveront en m u r m u r e s , en imprécations contre v o u s , et vous taxeront indubila-


62 b l e m e n t d'être

des h o m m e s

injustes et de mauvaise

foi

avec e u x . En

e f f e t , sous l'administration d e T o u s s a i n t ,

cussions

avaient l i e u , et

ils se retiraient assez

très-irrités, j u r a n t , menaçant,

ces d i s souvent

n e voulant pas r e c e v o i r

l e u r q u o t e part, sous le prétexte qu'elle était insuffisante et q u ' o n les t r o m p a i t , q u o i q u e ces partages étaient faits par l e j u g e de p a i x et le c o m m a n d a n t d u q u a r t i e r , tous d e u x nègres

A u m i l i e u de ces contestations

(1).

multipliées,

p r o v o q u é e s autant par l e u r ineptie q u e par l e u r m é f i a n c e , au m i l i e u de ce conflit d'intérêts o p p o s é s , l ' o r d r e p u b l i c p o u r r a - t - i l d o n c subsister, la s u b o r d i n a t i o n s'établir ? I l

(1) «

Lorsque la loi p a r laquelle ils devaient avoir le quart des

r e v e n u s a été p r o m u l g u é e ,

i l n ' a p a s été p o s s i b l e d e l e u r

faire

c o n c e v o i r e n q u o i c o n s i s t a i t l e q u a r t ; e t c h a q u e fois q u e s u r u n e h a b i t a t i o n il s'agissait d e faire l e s p a r t a g e s d u r e v e n u , o n était obligé d'avoir u n piquet de gendarmerie p o u r empêcher le tumulte, e t p o u r m e t t r e h o r s d e d a n g e r la v i e d u p r o p r i é t a i r e q u ' i l s a c c u s a i e n t t o u j o u r s d e l e s t r o m p e r . P o u r t a n t l e s p a r t a g e s é t a i e n t faits p a r l e j u g e d e p a i x et l e c o m m a n d a n t d u q u a r t i e r , q u i t o u s l e s d e u x é t a i e n t n è g r e s . C e q u i l e s m é c o n t e n t a i t l e p l u s , c'est q u ' i l s v o y a i e n t d o n n e r u n e p o r t i o n p l u s forte a u x u n s q u ' a u x autres ; o n n e p o u v a i t l e u r faire e n t e n d r e q u e les n è g r e s p a r e s s e u x , l e s malades , les infirmes

n e devaient pas être payés a u m ê m e taux

q u e c e u x q u i t r a v a i l l a i e n t tous l e s j o u r s . B e a u c o u p p r é t e n d a i e n t q u e le quart d u r e v e n u devait être la moitié ; d'autres

voulaient

qu'on partageât d'une autre manière. S u r n e u f b a l l o t s de coton , ils e n v o u l a i e n t s e p t et d i s a i e n t : C ' e s t l à l e q u a r t . V o i l à l e s h o m mes q u e l'évêque G r é g o i r e préconise p o u r leurs facultés tuelles (

,

Extrait

et

qu'il

d'un

place

ouvrage

au

premier

intitulé

Cri

rang des

dans colons,

le en

d e l ' a b b é G r é g o i r e , a y a n t p o u r titre De la lilérature

genre

intellechumain.

réponse

à

»

celui

des nègres.

)

S i a u c u n d e s n é g r o p h i l e s o n t assisté à c e s p a r t a g e s , i l s n e s o n t pas a d m i s , sur leur seul t é m o i g n a g e ,

e t d ' a p r è s les n o t i o n s i n s e n -

sées q u ' i l s se s o n t p l u à f o r g e r , à e n n i e r l e s c i r c o n s t a n c e s , n i à affirmer q u ' e l l e s s o n t fausses o u e x a g é r é e s .


63 n'en r é s u l t e r a , au c o n t r a i r e , q u e c o n f u s i o n , q u e r e l l e , p r o p o s séditieux o u outrageans, u n mécontentement g é néral q u i dégénérera en haine et en animosité r é c i p r o ques. P o u r terminer ces différends, il faudra u n j u g e , u n médiateur. Si c'est u n c o l o n , il n'aura pas leur confiance , surtout d'après la haine q u ' o n s'est p l u à leur

inspirer

avec u n e malice extrême contre leurs anciens maîtres , leurs protecteurs naturels et leurs bienfaiteurs c o n s t a n s ; si c'est u n de leurs semblables , il n'aura p o i n t les lumières requises, e t , malgré la prévention dont o n le pourrait supposer a n i m é , o n voit qu'il parviendrait difficilement à les satisfaire ; si c'est enfin u n conseil m i x t e , ce q u i serait le plus j u s t e ,

et n'a cependant jamais été o b s e r v é , ils

souscriront difficilement à ses décisions et lui supposeront toujours des vues intéressées. C o m m e n t , en o u t r e , répartir à chacun des c o - p a r t a geans sa q u o t c part ? O n n e saurait la distribuer en n a ture , le sucre n'étant pas susceptible d'une pareille d i vision ; e t , en le s u p p o s a n t , ils n e sauraient se défaire d'une p o r t i o n aussi f a i b l e , nullement a p p r o p r i é e aux o p é rations d u c o m m e r c e ,

ni en faire a u c u n e m p l o i , si ce

n'est celui aifecté à leurs p r o p r e s c o n s o m m a t i o n s , é g a l e ment inutile et désavantageuse. Il faut d o n c nécessairement avoir recours à la vente des denrées en espèces s o n nantes. Mais les colonies n'ont p o i n t d'hôtel de m o n n a i e ; l'argent de F r a n c e y est entièrement i n c o n n u ; celui qui y a cours est frappé au coin et à l'effigie des rois d'Espagne et de P o r t u g a l , n'est introduit que par la voie interlope , s'échappe et coule sans cesse dans le grand réservoir de la m é t r o p o l e , soit par des remises f o r c é e s , soit par la c i r constance particulière d'un

capitaine dont la vente en

marchandises européennes aura excédé l'achat des d e n rées coloniales emportées en retour , soit enfin par les r é sultats définitifs d'un c o m m e r c e d o n t les o p é r a t i o n s , tant


64 p o u r les habitans résidant en F r a n c e que p o u r ceux s é journant dans les colonies , se c o n c e n t r e n t , se balancent et se soldent dans la mère-patrie. L'argent qui séjourne dans la colonie suffit à peine p o u r les petits besoins j o u r n a l i e r s , p o u r ces besoins qui n'exigent que des petites sommes et p o u r le paiement des c h a r ges et des contributions publiques ,

objet

d'une

plus

grande valeur et d'une tout autre i m p o r t a n c e . A u s s i , l ' h a bitant le plus riche n'a c o m m u n é m e n t en sa possession que p e u de n u m é r a i r e . A u r e s t e , il n'en a pas besoin d'une grande a b o n d a n c e , son c o m m e r c e et celui de la c o lonie entière n'étant avec celui de la métropole q u ' u n c o m m e r c e d'échange de leurs p r o d u c t i o n s respectives, é g a l e m e n t avantageux aux d e u x parties contractantes. 11 est d o n c de leur intérêt de le c o n s e r v e r , et il n'est pas d'ailleurs susceptible de changement. D e plus , il sera impossible au négociant de Bordeaux , de Nantes, d u Havre , etc. , e t c . , dont les capitaux en n u méraire se trouvent d i m i n u é s par suite des événemens survenus dans la circulation générale ( c a r je ne crois pas q u e la masse en soit aussi considérable aujourd'hui qu'elle l'était avant la révolution , d e u x milliards et p l u s ) , de trafiquer avec les espèces. D'ailleurs, tous les intérêts, les siens p r o p r e s , c e u x de la m é t r o p o l e et des colonies mêmes lui c o m m a n d e n t de transporter dans ces dernières le p r o duit d u sol et surtout des manufactures nationales, et d'en extraire ces denrées précieuses p o u r u n e valeur s u périeure à celle de ses propres e x p o r t a t i o n s ,

bénéfice

résultant de son c o m m e r c e privilégié. Ces échanges m u tuels , en alimentant tout à la fois tous les genres d'indust r i e , a g r i c o l e , manufacturier et c o m m e r c i a l , lui p e r m e t tront également de les étendre et de les faire fructifier dans toute la circonférence q u e ses spéculations p o u r r o n t embrasser, à la seule faveur desquelles il pourra , c o m m e


65 par le passé, se ressaisir et accroître les fonds circulant dans u n e progression n o n i n t e r r o m p u e . Sous l'ancienne administration des c o l o n s , tout à la fois tutélaire et h u m a i n e , les nègres n'étaient p o i n t exposés à tous ces traitemens cruels et barbares de leurs s e m b l a bles , à toutes ces misères et vicissitudes dépendantes d u hasard et des circonstances variables, à cet abandon total de leurs personnes et de leur p r o g é n i t u r e , soit en maladie o u en santé, soit dans leur état d'enfance, de virilité, de vieillesse et d'infirmité. N o u s avons présenté dans notre réponse actuelle et dans les deux précédentes les tristes et déplorables effets résultant de l e u r l i b e r t é , o u , ce qui en est une suite infaillible, de leur asservissement de fer sous l'empire impitoyable de plusieurs de leurs chefs et de leurs innombrables satellites de toutes couleurs. Ils étaient autrefois soulagés et secourus d'une manière généreuse et libérale dans toutes les occasions et o c c u r rences de la v i e , dans leurs m o m e n s de nécessité c o m m e d'affliction; et c o m m e des êtres qui nous étaient d o u b l e ment c h e r s , et par le haut p r i x attaché à leurs personnes , à leur l a b e u r , et par tous les devoirs et les sentimens q u i nous liaient à leur sort et à leur bien-être ; traités avec indulgence et humanité dans ces écarts et irrégularités q u i emportent avec e u x , en E u r o p e , des châtimens assez s é vères. N o u s , ainsi que nos autres compatriotes en g é n é r a l , nous p o u v o n s nous rappeler ces circonstances favorables avec u n e sorte d'orgueil colonial et u n sentiment de satis*faction i n t é r i e u r e , quedes négrophiles et autres sectaires ne p o u r r o n t jamais obscurcir ni effacer de nos souvenirs et de n o s c o e u r s , malgré leurs vociférations

furibondes

et leurs injures calomnieuses , q u e nous dédaignons , m é prisons et livrons à la juste sévérité d'un p u b l i c éclairé et impartial.

5


66

OBJECTION

HUITIÈME.

« Vous faites naître des difficultés, me dira-t-on , afin « de vous ménager le plaisir, l'unique plaisir de les com« battre avec succès. N'est-il d o n c pas de f a i t , ajoutera« t-on , que sous Toussaint, sous ce régime de fer, et que « vous croyez impossible , la vente des denrées en espèces «

s'effectuait,

les

«

existait,

tout

et

travaux

s'exécutaient,

présentait

un

ordre

la bien

subordination différent

de

« celui que vous supposez et présagez ? »

RÉPONSE. Cette objection se détruit d'elle-même. C a r ,

comme

n o u s l'avons déjà constaté, et c o m m e les colons et autres personnes résidant sur les lieux peuvent le certifier de n o u v e a u , Toussaint n'a p u maintenir cet o r d r e forcé q u e par la compression des individus

et par u n e police plus

qu'orientale. E t , dans les discussions q u i s'élevaient entre les régisseurs, propriétaires et cultivateurs , relativement au partage et à la division des revenus ; dans les contestations qui naissaient et d u ralentissement des travaux et des actes d'insubordination ; dans les débats et risques de tout genre q u i survenaient parmi les nègres et leurs p r é posés divers , ce chef n o i r les tranchait tous avec le sabre de son inspecteur des travaux. Ces inspecteurs r é p a n daient une épouvante semblable à celle que nous é p r o u vons à l'aspect soudain d'un animal terrible et f é r o c e , à la rage et aux griffes duquel o n ne pourrait se d é r o b e r , et leur seule présence glaçait d'effroi le trop malheureux et trembla ut nègre. C'est ainsi que la liberté des nègres peut exister ; c'est


6

7

ainsi qu'elle p e u t s'allier avec les c u l t u r e s , l ' o r d r e , la subordination et les propriétés coloniales ; et nous serons forcés d'adopter les mêmes mesures si nous v o u l o n s , dans nos institutions p o l i t i q u e s , consacrer ce premier p r i n c i p e . Il nous semble qu'avoir ramené la question à ce premier p o i n t de simplicité et de comparaison , c'est l'avoir en quelque sorte résolue. C a r , ne p o u v o i r rendre les nègres libres qu'en les maltraitant sans relâche , qu'en leur i n f l i geant , j e n e dis pas des supplices , c o m m e o n se le permet a c t u e l l e m e n t , mais m ê m e des punitions qui leur étaient entièrement i n c o n n u e s dans leur ancien état de d é p e n dance ; qu'en nous exposant en m ê m e temps â des d é s o béissances f o r m e l l e s , à des réclamations m u t i n e s , i n s o lentes, et à des actes d'insubordination fréquens p o u r p e u q u e n o u s nous relâchions de cette p o l i c e sanguinaire et sauvage , qui n'est n i dans nos moeurs ni dans nos h a b i t u des , et à laquelle n o u s n e saurions jamais souscrire n i être a m e n é s , n'est-ce d o n c pas se j o u e r des mots et des p r i n c i p e s ? N ' e s t - c e d o n c pas leur présenter des biens i l lusoires , des m a u x réels et une véritable calamité p o u r nous tous ? Mais poursuivons notre tâche. L a vente des denrées en argent avait l i e u , parce q u e les A n g l o - A m é r i c a i n s , qui y faisaient seuls le c o m m e r c e à cette é p o q u e , y transportaient des espèces, les seules q u i eussent cours chez e u x c o m m e dans les colonies. Leurs rapports c o m m e r c i a u x , qui s'étendaient dans les

deux

hémisphères, leur p e r m e t t a i e n t , en leur qualité de n e u tres , et par suite de la guerre allumée entre presque toutes les puissances maritimes, de trafiquer dans tous les ports , de se saisir des denrées et des marchandises qui entraient dans le cercle de leurs spéculations, et de les assujettir aux combinaisons les plus avantageuses et les plus conformes à leurs intérêts. E n c o n s é q u e n c e , ils avaient établi des entrepôts p r i n c i p a u x dans les villes anséatiques, B r è m e ,


68 L u b e c k et surtout à H a m b o u r g , et leurs relations c o m merciales s'étendaient de toutes parts , et jusque dans les grandes Indes. Mais , à la p a i x , chaque nation , reprenant de nouveau l'exploitation des différentes branches de son c o m m e r c e , restreindra, par u n e juste c o n s é q u e n c e , celle des autres nations dans la sphère de leur activité p r o p r e . Les c o l o nies françaises se trouveront p o u r lors privées de ce m o y e n en numéraire d o n t elles ont été en possession pendant la révolution , pendant l'interruption de leurs relations avec leur métropole ; à moins que c e l l e - c i ne se détermine à o u v r i r au c o m m e r c e neutre les ports de S a i n t - D o m i n g u e . E n p r i n c i p e g é n é r a l , dans les temps o r d i n a i r e s , et d'après l'expérience constante des peuples qui ont le m i e u x a p p r o f o n d i la théorie d u c o m m e r c e , et ont su en faire la meilleure a p p l i c a t i o n , des colonies situées dans des c l i mats différens de c e u x des métropoles , et produisant des denrées auxquelles le sol de ces dernières se refuse, q u i leur

sont néanmoins

indispensablement nécessaires et

c o m m e objets de c o n s o m m a t i o n directe et c o m m e matières premières p o u r les f a b r i q u e s , ces colonies ont été s o u mises, avec r a i s o n , au régime prohibitif. Elles ont été établies p o u r l'utilité des métropoles qui y ont consacré c o m m u n é m e n t u n e partie de leurs forces et de leurs capitaux, les ont assistées et couvertes de leur égide à leur naissance, en ont f o r m é des établissemens nationaux , et leur d o i vent en conséquence une protection constante c o m m e e n fans de la m ê m e patrie. Q u a n d elles sont peuplées d'esclaves transplantés , et que la population régnicole se trouve dans u n rapport infime avec ces premiers c o m m e aux Antilles , ce qui maintient celles-ci clans une d é p e n dance forcée envers leurs m é t r o p o l e s , cette protection d e vient encore d'une nécessité plus impérieuse et plus o b l i gatoire , en ce qu'elle fait leur seule f o r c e , leur seule sûreté.


69 A i n s i , d'un c ô t é , protection constante et garantie assurée d u maintien imperturbable de l'esclavage, base p r i m o r diale et inhérente de n o t r e acte d'association p r i m i t i v e , sans laquelle elle n'aurait p u se f o r m e r ni se maintenir , seul et u n i q u e fondement de la société et de la propriété parmi nous ; de l ' a u t r e , soumission absolue au régime prohibitif, avec la reconnaissance pleine et entière de la souveraineté nationale en la p e r s o n n e de son c h e f s u p r ê m e , en tout ce q u i c o n c e r n e l'action de la puissance e x é c u t r i c e , des attributions et des prérogatives ressortissant de ce p o u v o i r . T e l l e est la nature d u contrat primitif o u tacite passé entre e l l e s , d u pacte social q u i cimente leur u n i o n , leur puissance et leur sûreté, établit nos r a p ports et nos obligations mutuelles. Si nos adversaires trouvaient que ce contrat nous est trop f a v o r a b l e , repose sur u n p r i n c i p e faux o u exagéré , et doit être en conséquence rejeté c o m m e inadmissible, nous nous prévaudrons p o u r lors de celui moins imaginé qu'explicatif de nos rapports et de nos obligations r é c i p r o ques , d o n n é par u n auteur m o d e r n e ( M . F . - L . F e r r i e r , dans son excellent écrit intitulé : Du gouvernement sidéré

dans

ses rapports

avec

le

commerce),

con-

dont les

élémens sont réduits à des termes p r é c i s , les m o i n s o n é reux et en m ê m e temps les plus avantageux p o u r les m é tropoles : nous le transcrivons. « V o u s v o u l e z , dirent les chefs de l'état à ces fugitifs, abandonner p o u r des contrées lointaines la terre q u i vous a vus naître : b i e n loin de s'opposer à vos projets , le g o u vernement prétend les servir. Maîtres du pays o ù vous allez tenter la fortune , il vous concédera autant de t e r rain q u e vous en p o u r r e z exploiter ; mais le seul travail qu'il vous permettra sera celui de la culture ; vous n'aurez ainsi ni manufactures, ni fabriques : les objets nécessaires à votre consommation vous seront fournis par la m é t r o -


70 p o l e , q u i vous achètera

en retour les p r o d u c t i o n s

de

votre sol et vous les achètera toutes. Les lois qu'elle vous impose sont celles auxquelles vous étiez assujettis en E u r o p e , o ù vous ne pouviez c o n s o m m e r que des m a r c h a n dises d u pays : elles s'accordent avec votre i n t é r ê t , p u i s q u e vous aurez plus de terres qu'il ne vous sera possible de mettre en v a l e u r , et que vous ne sauriez élever des f a briques sans priver de bras le sol qui les réclame. A ces c o n d i t i o n s , vous n e changerez ni de patrie ni de g o u v e r n e m e n t : celui sous lequel vous êtes nés n e cessera p o i n t de vous considérer c o m m e ses e n f a n s , et vous aurez t o u j o u r s les mêmes droits à sa protection : votre prospérité deviendra la s i e n n e , et il travaillera à l'accroître par tous, les m o y e n s qui sont en son p o u v o i r : vous aurez besoin de bras étrangers; il veillera à ce que vous en soyez p o u r v u s . ( L'auteur a craint d'exprimer ici le m o t p r o p r e à cause de la suppression de la traite; mais il est évident q u e ces bras étrangers q u e la métropole s'oblige à n o u s f o u r n i r , c o m m e il était de son devoir et de son i n t é r ê t , ne p e u yent être que des n è g r e s , les seuls p r o p r e s à la culture dans ces c l i m a t s ; p u i s q u e , dans u n autre passage de ce m ê m e écrit, il dit : <t C'est en effet u n e très-grande q u e s tion que celle de savoir si la culture s'y maintiendra ( a u x Antilles), et p o u r r a prospérer partout sans l'auxiliaire des nègres.»

Or,

c o m m e les nègres sont esclaves de tout

temps , dans leur pays n a t a l , il est évident que les c h e f s , les roitelets et autres personnes ne v o u d r o n t pas les céder sans u n équivalent q u e l c o n q u e ; que les négocians qui les auront acquis en échange d'une valeur ne voudront pas à leur tour s'en dessaisir en faveur des planteurs , sans en recevoir u n dédommagement augmenté des risques et d u bénéfice d u c o m m e r c e , d'où résulte évidemment la c o n tinuation de leur servitude, à moins q u ' o n ne veuille que ces d e r n i e r s , en les acquérant par u n sacrifice, n e les


7 affranchissent, ce q u ' o n ne p e u t raisonnablement ni é q u i 1

tablement exiger ; car p o u r lors ils se refuseraient à cette acquisition , ce q u i détruirait tout le système c o l o n i a l , et l'aurait empoché m ê m e de naître. ) V o t r e fortune n a i s sante p o u r r a porter o m b r a g e à des nations rivales qui e n treprendront sur votre liberté ; n'appréhendez rien de leurs efforts ; la mère-patrie vous défendra contre ces peuples agresseurs : elle vous garantira de leurs attaques par des ouvrages construits et entretenus à ses frais ; ses troupes garderont votre territoire ; ses vaisseaux p r é s e r veront vos côtes. V o u s n'aurez à vous o c c u p e r q u e d u soin de multiplier vos p r o d u c t i o n s ; vos enfans seront m ê m e dispensés de servir l'état, o u plutôt ils n e p o u r r o n t m i e u x le servir qu'en vous secondant dans vos travaux ; r e n d e z les d o n c fructueux : surtout n'oubliez j a m a i s , dans cette terre lointaine o ù vous allez chercher des richesses, q u e c'est à la protection de la m é t r o p o l e q u e vous devez les moyens de les a c q u é r i r , et rapportez-les lui u n j o u r p o u r la dédommager de ce q u e vous lui aurez coûté. » Dans la supposition q u e ce c o n t r a t , cet accord o u tout autre eût été ainsi rédigé o u c o n s e n t i , soit réellement o u tacitement ( c a r , sous quelque aspect q u ' o n envisage cette q u e s t i o n , il faut nécessairement en admettre u n , a u c u n émigrant n'ayant p u souscrire à son expatriation sans la stipulation de quelque avantage p e r s o n n e l , sans u n e g a rantie q u e l c o n q u e p o u r lui et obligatoire p o u r chacune des parties contractantes ) , j e demande actuellement s i , depuis l'époque funeste et à jamais lamentable de la r é v o l u tion française, si sous tous les gouvernemens qui se sont successivement emparés de l'autorité suprême , l a m é t r o p o l e a exécuté aucune des conditions de ce contrat o u de tout autre , si m ê m e elle l'exécute e n c o r e au m o m e n t actuel ? Cependant nous n'avons cessé, quant à nous c o l o n s , de remplir toutes nos obligations supposées o u souscrites, de


72 recevoir exclusivement toutes les productions de la m é t r o p o l e , et de livrer à elle seule tous nos produits agricoles, sans avoir jamais cherché à leur faire p r e n d r e une autre direction , ni d o n n e r à nos travaux un emploi différent : de consacrer notre industrie, nos efforts et toute notre i n telligence à l'accroissement perpétuel de sa richesse , de sa prospérité et de sa puissance : de nous considérer c o m m e enfans de la m ê m e patrie , nés d u m ê m e sang, invariablem e n t attachés à ses intérêts, soumis à son gouvernement et à tout ce qui constitue l'unité de l ' e m p i r e , dont n o u s n'avons p u cesser un seul instant d'être des parties essentielles et intégrantes ; conservant l ' e s p o i r , et le réalisant p a r f o i s , de rentrer dans son s e i n , o ù nous avons t o u s , dans notre e n f a n c e ,

par u n acte libre et spontané de

notre p a r t , été puiser nos premières l u m i è r e s , nos p r e miers sentimens , nos premiers devoirs et nos plus chères espérances. Et si nous , colons de S a i n t - D o m i n g u e , n o u s avons fléchi f o r c é m e n t , m o m e n t a n é m e n t , et malgré nos plus secrètes i n c l i n a t i o n s , sous une domination étrangère, anglaise et e s p a g n o l e , ce n'est encore qu'après que toute protection réelle et toute assistance efficace nous ont été refusées par la m è r e - p a t r i e , o u traîtreusement employées contre nous par tous ses agens p r i n c i p a u x et subalternes; ce n'est qu'après que celle-ci a violé ses engagemens et s'est j o u é e effrontément de tous nos droits en déliant nos affranchis des obligations contractées envers nous par u n acte synallagmalique, tout en leur f a v e u r , en affranchissant nos esclaves sans notre c o n s e n t e m e n t , en leur c o n f é r a n t , ainsi qu'à nos affranchis, toutes nos propriétés et tous les pouvoirs publics. E n nous dépouillant ainsi de tous nos droits légitimement a c q u i s , garantis et sanctionnés par les lois existantes, par l'autorité souveraine et par toutes les clauses réelles o u supposées de notre contrat primitif; en nous réduisant à un état d'ilotisme le plus a b j e c t , à vivre


73 sous la dépendance de nos esclaves et de nos affranchis devenus nos m a î t r e s , nos tyrans et nos b o u r r e a u x , elle a livré notre existence e n t i è r e , la seule chose dont elle ne s est jamais o c c u p é e , à la seule commisération qu'elle p o u vait exciter dans l a m e d'un peuple i g u o r a n t , barbare et antropophage

(1).

Cet exemple u n i q u e dans les annales

des n a t i o n s , et l'infraction portée à cet acte p r i m i t i f , à cette p r e m i è r e loi organisatrice des sociétés, et à ce q u ' o n n o u s devait au m o i n s , sans aucune stipulation, et c o m m e hommes

et c o m m e Français , a été aussi notoirement i n -

juste q u e barbarement a t r o c e , et réclame impérativement u n e réparation éclatante que la justice , la morale , l'honn e u r et la dignité nationale c o m m a n d e n t également. A i n s i , d'après ces principes généraux et dans les temps ordinaires , le régime prohibitif doit être maintenu dans toute sa rigueur. Si une nation se permettait de s'en écarter lorsque surtout les autres nations s'obstineraient à fermer leurs ports aux étrangers, elle p e r d r a i t , nonobstant les assertions des économistes français et autres , les avantages de son c o m m e r c e p r o p r e sans en recevoir aucun b é néfice ni aucun équivalent. L'Angleterre , malgré le s y s tème prohibitif c o n d a m n é par le trop célèbre A d a m Smith, système qui a été depuis vivement et victorieusement d é fendu , ce m e s e m b l e , par des écrivains nationaux et étrangers, entre autres, par M . A n d e r s o n , dans son

Na-

(1) L e s M o n d o g u e s et les M a n d i n g u e s , assez n o m b r e u x à S a i n t D o m i n g u e , sont antropophages dans

leur

pays natal.

Lorsque

tant d e b l a n c s o n t été assassinés et m a s s a c r é s , et q u ' o n s'est e m pressé d e b o i r e et d e s ' a b r e u v e r d e l e u r s a n g , il f a u t c r o i r e q u e ces actes d e c a n n i b a l e s o n t été e x é c u t é s p a r c e s m ê m e s h o m m e s , lesquels

deviendront

de nouveau

entièrement

antropophages,

l o r s q u e , p a r la s u i t e , l e s n è g r e s se l i v r e r o n t d e s g u e r r e s d e p e u l'iades à p e u p l a d e s .


74 douai

industry

; par M . D e G u e r , dans son ouvrage i n -

titulé : Considérations

sur les

finances;

M . F e r r i e r , dans

l'écrit déjà cité-, M . G a n i l h , dans presque tous ses é c r i t s , et particulièrement dans son d e r n i e r , De l'économie

l'Angleterre,

politique;

la théorie

disons-nous,

de n'en

persévère pas moins dans son exécution r i g o u r e u s e , à l a quelle elle ajoute sans cesse de nouvelles restrictions. C'est par ce m o y e n qu'elle est parvenue à u n degré étonnant de richesse et de puissance, à laquelle elle ne semblait pas naturellement appelée si o n a égard à toutes ses r e s s o u r ces primitives, et à laquelle elle n e serait pas parvenue si les autres nations avaient établi aussi b i e n qu'elles l e u r acte de navigation. Cet e x e m p l e réfute complétement la doctrine des économistes en tout ce q u i est relatif aux c o lonies , au c o m m e r c e e x t é r i e u r , p r o h i b i t i f , et aux m a n u factures, et cet a x i o m e , réprouvé par l ' e x p é r i e n c e : sez faire

et laissez

lais-

passer.

Mais si o n a senti la nécessité, après u n ouragan et autre calamité de la nature q u i aura p o r t é la dévastation dans les p r o p r i é t é s , d'ouvrir m o m e n t a n é m e n t au c o m merce

n e u t r e , sous

certaines clauses et r é s e r v e s , les

ports d'une colonie ainsi ravagée ; il est permis de c r o i r e q u ' o n sentira e n c o r e m i e u x cette nécessité p o u r SaintD o m i n g u e q u i a été détruit de fond en c o m b l e , o ù tout aura besoin d'une r é p a r a t i o n , d'une construction

nou-

velle et de fortes avances p o u r o p é r e r cet oeuvre de r e s tauration générale. E n facilitant l'entrée de ses ports aux étrangers, o n les soumettra

à quelques

droits plus o u

moins forts , afin de ménager les intérêts de la m é t r o p o l e , et de lui conserver u n e préférence qui lui est t o u j o u r s d u e . Cette c o n c u r r e n c e sera utile à t o u s , p a r t i c u lièrement p o u r cette d e r n i è r e , en ce qu'elle ravivera plus p r o m p t e m e n t les cultures , et lui permettra de j o u i r plus tôt de tous les avantages d'un c o m m e r c e p r o d u c t i f et ex-r


75

clusif, qu'elle n e pourrait se p r o m e t t r e , si la c o l o n i e , privée de ces secours auxiliaires, se traînait languissante pendant près

d'un d e m i - s i è c l e , au grand

désavantage

de tous. O n voit que les étrangers , par leur admission , a p p o r teraient p e u o u p o i n t d'espèces, mais seulement des a n i m a u x et des bois de construction q u e la m é t r o p o l e n e peut pas convenablement f o u r n i r , et quelques objets de fabrique étrangers à cette d e r n i è r e , o u en c o n c u r r e n c e avec elle. Ces étrangers, p o u r les articles qui leur seraient p e r s o n n e l s , pourraient et seraient disposés à n o u s accorder u n crédit dont nous aurons u n besoin si urgent. P o u r f a voriser ce crédit et en assurer le r e m b o u r s e m e n t , il est i n dispensable q u e le c o m m e r c e neutre reste libre pendant quelques années. Ainsi d o n c , en reprenant la suite de nos raisonnemens, cette d o u b l e impossibilité, q u e n o u s avons r e c o n n u e p o u r la répartition des denrées en nature entre plusieurs c o partageans, ainsi que p o u r leur vente en n u m é r a i r e , s u b sistera dans son e n t i e r , ne p o u r r a être l e v é e , et f o r m e u n obstacle invincible à l'adoption de tout plan de liberté q u i serait fondé sur u n e pareille d o n n é e . V o i c i de n o u v e a u x

i n c o n v é n i e n s , de nouvelles diffi-

cultés et injustices attachées à la répartition collective et à l'exercice de la liberté. La portion applicable à la masse des cultivateurs est nécessairement variable et i n c e r t a i n e , parce qu'elle d é pend de la totalité d u p r o d u i t , et que ce produit est assujetti à la m ê m e incertitude et à la m ê m e variabilité. Il est sujet, ce p r o d u i t , aux fléaux et aux ravages de la nature, tels que ouragans auxquels les îles du vent et la partie d u sud de S a i n t - D o m i n g u e

sont

annuellement exposées ,

treniblemens de terre assez fréquens dans la partie de l'ouest, débordemens de rivières et irruption dans leurs


76 c o u r s , suites de pluies abondantes pendant plusieurs j o u r s consécutifs nommées avalasses,

qui arrivent deux fois par

an dans la presque généralité des Antilles. Ce m ê m e produit total est exposé à des événemens f o r tuits , tels q u ' e s t r o p i e m e n t , mortalité et épidémie p a r m i les animaux , incendie de bâtimens par la négligence des nègres toujours fumans et par la paille répandue de toutes parts; par le feu d u ciel (1), les orages accompagnés de tonnerres y étant très-fréquens ; sécheresses o u i n o n d a tions excessives. De p l u s , il est affecté et détérioré par la guerre m a r i t i m e , b i e n autrement funeste p o u r les c o l o nies q u e p o u r les métropoles , si surtout la g u e r r e est malheureuse ; parce

qu'elle

interrompt

brusquement

toute c o m m u n i c a t i o n avec la m è r e - p a t r i e , la r e n d i n c e r taine et irrégulière par le retard des bâtimens et p é r i l leuse par l'infériorité o u la défaite des convois militaires ; p a r c e qu'elle suspend o u entrave les ventes et les achats , de manière q u e les objets de première nécessité, p r o v e nant du sol et des manufactures nationales, tant p o u r la c o n s o m m a t i o n personnelle que p o u r c e u x relatifs à l ' e x ploitation des habitations , s'élèvent à des p r i x e x o r b i l a n s , d i x , vingt et trente fois plus chers que dans les années de p a i x , en m ê m e temps que les productions coloniales restent amoncelées , invendues , o u se vendent à des p r i x v i l s , à des p r i x aussi bas que les achats ont été élevés ( 2 ) . Il est impossible de c o n c e v o i r une situation plus f à -

(1) L'incendie d'une case à bagasse peut retarder la roulaison pendant plusieurs mois do suite et déranger l'ordre des travaux durant une saison entière. Si toutes venaient à être embrasées par un accident quelconque, la perte du revenu serait considérable dans cette année , et influerait sensiblement sur la suivante. (2) Dans la guerre de 1 7 7 9 , guerre glorieuse sous tant de rapports, les colonies n'en ont pas moins été exposées, à différentes


77 c h e u s e , plus critique et plus p r o p r e à anéantir, à tarir toutes les sources de la r e p r o d u c t i o n et de la richesse p r e mière q u e celle relative à cette dernière circonstance , l a quelle peut avoir une d u r é e de plusieurs années ; et il est impossible en m ê m e temps d'en c o n c e v o i r u n e plus o p posée à la liberté des n è g r e s , c'est-à-dire à la possibilité d'une soustraction de revenu en sa faveur. Enfin le produit peut être aifecté d'une autre manière. Il peut l'être par le retard et le ralentissement au travail, par la négligence, l'inconduite et la maladresse des nègres-, enfin par u n défaut de concert et d'ensemble de la part de tous ces agens n o m b r e u x qui doivent c o n c o u r i r à u n b u t u n i q u e , à u n o b j e t final et c o m m u n ; et ces agens doivent être surveillés avec u n e attention et une vigilance s o u t e n u e s , avec u n e autorité sans réclamation et sans débat dans tous ces objets de police i n t é r i e u r e ; sans q u o i ces rapports et ces m o u v e m e n s c o o r d o n n é s se r o m p e n t et ne présentent plus q u e confusion et désordre

(1).

é p o q u e s et d a n s p l u s i e u r s q u a r t i e r s p r i n c i p a u x , a u x i n c o n v é n i e n s r é s u l t a n s d e la s i t u a t i o n d é c r i t e ci-dessus. A Saint-Domingue,

d a n s la p a r t i e d u s u d , a u x C a y e s S a i n t -

L o u i s , c h e f - l i e u d e c e d é p a r t e m e n t , v e r s la fin d e l ' a n n é e 1 7 8 2 , a n n é e q u i a p r é c é d é l a p a i x , et à u n e é p o q u e o ù les b â t i m e n s n e u t r e s é t a i e n t a d m i s d a n s ses p o r t s , c i r c o n s t a n c e

favorable

sans

d o u t e , d e s c h a u d i è r e s à s u c r e se s o n t v e n d u e s j u s q u ' à trois c e n t s f r a n c s l e q u i n t a l ; l e u r p r i x o r d i n a i r e est d e c e n t f r a n c s et q u e l q u e f o i s m o i n s ; e t u n e p a i r e d e s o u l i e r s a été q u e l q u e f o i s é c h a n g é e pour une barrique de sucre b r u t valant c o m m u n é m e n t de cinq à six cents francs argent des colonies. (1)Pour

se c o n v a i n c r e d e la v é r i t é d e t o u s ces r a p p o r t s , de c e t

e n c h a î n e m e n t d e c a u s e s , d'effets et d u r é s u l t a t q u ' i l s e n t r a î n e n t , p o u r p e u q u e quelques parties soient négligées ou interrompues , soit p a r m a u v a i s e v o l o n t é o u t o u t a u t r e m e n t , c o n s u l t e z l ' o u v r a g e cité, o ù l e m o u v e m e n t d ' u n e h a b i t a t i o n , d ' u n e s u c r e r i e , e s t r e p r é senté d a n s t o u s ses détails et d a n s toutes ses c i r c o n s t a n c e s .


78 O n voit par ce tableau succinct que les revenus d'une plantation,

surtout d'une

p r o d u i t s , sont d'une

s u c r e r i e , quoique riche

en

nature délicate et susceptible d e

b e a u c o u p de variations. Ces différentes causes p e u v e n t , dans leur totalité, tellement se multiplier et se c o m p l i q u e r , q u e les h a b i t a t i o n s , l o i n de présenter u n revenu net et d i s p o n i b l e , éprouveront une perte s e n s i b l e , u n déchet réel. Aussi n'était-ce qu'après un espace de dix

années

q u ' o n pouvait calculer , d'une manière à p e u près certaine, le revenu de sa propriété , les b o n n e s années compensant les mauvaises durant cet intervalle de temps. Dans ces dernières années o ù le produit sera n u l , dans celles o ù les revenus n e feraient que c o u v r i r les frais de régie ; dans celles encore o ù il existerait quelque excédant plus o u moins considérable relativement à ces premières avances de culture , sans lesquelles la reproduction a n nuelle ne p o u r r a i t avoir lieu ; dans toutes ces circonstances , e n f i n , o ù la masse appartenant aux nègres d e v i e n drait nulle o u serait plus o u moins retranchée par les prélèvemens à faire , quel serait le fonds disponible q u i p o u r r a i t leur être assigné p o u r y puiser la rétribution à laquelle ils ont droit c o m m e cultivateurs l i b r e s ? Ce n e sera assurément pas sur celui de l'habitant, puisque sa p o r t i o n de revenu aura s u i v i , dans ces différentes s u p p o sitions , la m ê m e marche décroissante q u e celle des c u l t i vateurs. O ù ces derniers trouveront-ils m ê m e u n e x c é dant des capitaux libres p o u r entretenir les fonds d'avance lorsqu'ils auront besoin d'être renouvelés par

l'insuffi-

sance o u le m a n q u e total d'une reproduction nouvelle ? O ù trouveront-ils des capitaux p o u r les avances foncières, à la suite de grands désastres, et au m o m e n t d u retour sur nos propriétés délabrées , qui exigeront des r é p a r a tions et une construction nouvelle? O ù trouveront-ils une rétribution q u e l c o n q u e pendant tout ce temps de mises


79 dehors , de travaux préparatoires, et à la suite de tous les accidens et événemens q u e n o u s venons de tracer? Car enfin ils s o n t , suivant la supposition et c o n f o r m é ment aux conséquences q u i en d é r i v e n t , propriétaires conjointement

avec les p l a n t e u r s , puisqu'ils partagent

forcément et ont une fraction fixe, perpétuelle et d é t e r minée d'avance, celle d u quart dans les revenus c o m m u n s . Ils d o i v e n t , en cette qualité de propriétaires , en r e m p l i r toutes les charges et les c o n d i t i o n s , maintenir les avances primitives, annuelles et foncières. Si vous les en affranchissez , vous leur accordez p o u r lors , toutes les fois q u e le p r o d u i t le permettra , u n e part à p e u près égale à celle d u f e r m i e r , en m ê m e temps q u e vous les exemptez et les défrayez , contre toute règle et toute justice , de la gestion, des soins et des charges imposés à ce dernier dans toute transaction l i b r e et équitable. V o u s enlevez également à l'habitant, par la m ê m e disposition a r b i t r a i r e , la p o r t i o n qui lui appartient incontestablement en sa qualité de r é gisseur et inspecteur des t r a v a u x , d'administrateur

des

h o m m e s et des c h o s e s , celle du quart n ' é t a n t , e n c o r e u n e f o i s , que la représentation faible et nullement

propor-

tionnée des intérêts dus p o u r le capital e m p l o y é à l ' a c q u i sition de sa terre. Cette p o r t i o n , c o m m e régisseur et administrateur, lui est tellement d u c , qu'il la p e r d n é c e s sairement toutes les fois qu'il afferme son habitation au lieu de la faire valoir par l u i - m ê m e , et elle passe de suite au f e r m i e r , à l'exploitateur de la t e r r e , et cette règle s ' o b serve scrupuleusement clans toute transaction d'une s e m blable nature. V o u s lui e n l e v e z , en outre , dans plusieurs cas , la p o r t i o n d u revenu q u i lui appartient c o m m e ayant fourni les fonds d'avance, et vous lui faites supporter seul, dans plusieurs c i r c o n s t a n c e s , toutes les charges relatives à la p r o p r i é t é . S i , au c o n t r a i r e , vous y soumettez les cultivateurs devenus propriétaires , c o n f o r m é m e n t

aux


8o règles prescrites et observées dans tout système d ' a g r o n o m i e é q u i t a b l e , vous les c o n d a m n e z à être privés parfois de la rétribution à laquelle ils ont droit c o m m e agens l i b r e s ; vous les assujettissez à des obligations qu'ils n e p o u r r o n t jamais remplir , q u o i q u e justes , et vous rendez en tout temps leur situation incertaine et variable, p é n i ble et malheureuse. Certes, il n'était pas nécessaire de s'écarter des règles o r d i n a i r e s , d u c h e m i n tracé par l ' e x périence et la r a i s o n ; il n'était pas nécessaire de se frayer des roules nouvelles dans le système c o l o n i a l , de vouloir y p e r s é v é r e r , b o n gré mal gré , p o u r arriver forcément .à u n pareil alternatif, à u n e répartition aussi i n é g a l e , aussi injuste et aussi impraticable.

§

IL

U n e dernière considération reste à e x a m i n e r , p a r t i c u lièrement applicable à la m é t r o p o l e . Elle e s t , ce m e s e m b l e , des plus importantes ; néanmoins quelques réflexions, puisées dans les principes généraux et universellement adoptés, suffiront p o u r l'éclaircir. Dans u n système de l i b e r t é , d'un paiement individuel o u collectif accordé aux n è g r e s , il devient impossible de lutter avec avantage, avec égalité m ê m e , contre u n e c o lonie qui n'aurait p o i n t adopté u n pareil système. Les hab i t a n s , d o n t les revenus seront affranchis de cet accroissement de frais et de charges résultans du quart o u de toute autre rétribution a n a l o g u e , j o u i r o n t nécessairement d'un fonds libre dont les habitans, soumis à ces mêmes frais et charges, seront privés. Ces premiers p o u r r o n t , à la f a veur d'un pareil fonds , diriger et c o m m a n d e r toutes leurs o p é r a t i o n s , v e n d r e à meilleur m a r c h é , et obtenir une préférence toujours p r o f i t a b l e , et laquelle ne peut m a n -


81 q u e r , en augmentant leurs produits par la c o n s o m m a t i o n , d'accroître la masse de leurs capitaux et de leurs richesses. Ils p o u r r o n t , par les mêmes m o y e n s , rivaliser et s u p planter m ê m e ces seconds dans tous les marchés c o m m u n s et jusque sur leur p r o p r e territoire, s i , s u r t o u t , le c o m merce devenait l i b r e , les contrarier et les entraver dans leurs ventes et leurs achats, retarder les progrès de leur culture et de leur i n d u s t r i e , en rendre m ê m e le d é v e l o p pement impossible au grand détriment d'eux tous , de leur métropole et de tous les consommateurs d u r o y a u m e en denrées coloniales. Cette situation est-elle d o n c à désirer p o u r une nation intéressée à conserver ses droits , à faire fleurir indistinctement toutes les branches de son

com-

merce et de son industrie ? N'est-elle pas ruineuse et f u neste p o u r toutes les classes , p o u r tous les individus de la société ? Et n e suffit-il pas de la constater p o u r la p r o s c r i r e ? Mais v o y o n s la suite. C o m m e l'intérêt d'une m é t r o p o l e est n o n - s e u l e m e n t de se p r o c u r e r , p o u r sa p r o p r e c o n s o m m a t i o n , des denrées précieuses , devenues d'une p r e m i è r e nécessité et q u e son climat lui refuse ; mais encore de son excédant de c o n sommation en faire u n nouveau fonds q u i lui permettra d'ouvrir de nouvelles branches de c o m m e r c e , et de d o n ner par là et plus d'étendue et plus d'activité à son i n dustrie et à ses richesses ; c'est aussi, par ce dernier m o y e n , que la F r a n c e , avant la révolution , était parvenue , par ses seuls produits c o l o n i a u x , à d o m i n e r dans les marchés de l'Europe o ù ces denrées étaient constamment en demande ; et c'est aussi par ces mêmes produits qu'elle couvrait le délie u de son c o m m e r c e en g é n é r a l , s'élevant à plus de 3 o m i l lions , et recevait en outre une balance de 70millions dont 40 se convertissaient annuellement en m o n n a i e courante ( 1 ) .

( 1 ) V o y e z l'Administration des finances,

par M. Necker.

6


82 O r , il ne sera pas possible à la F r a n c e , appelée e s s e n tiellement à u n c o m m e r c e maritime par sa position entre deux mers qui la baignent dans la plus grande partie de sa circonférence , par la nature de quelques-unes de ses r i ches productions agricoles , constamment en demande en tous l i e u x , et lesquelles n e sauraient y parvenir q u e par cette grande route de c o m m u n i c a t i o n ouverte à tous les p e u p l e s , par le génie et l'activité de ses habitans auxquels il faut présenter de nouveaux alimens si on veut les d i s traire , les détourner de cette agitation inquiète et t o u r mentante que leur a i m p r i m é la r é v o l u t i o n ; il ne sera pas p o s s i b l e , d i s o n s - n o u s , à la F r a n c e , d'atteindre à cette prospérité passée , d'y tendre m ê m e si elle ne ressaisit ses colonies d'une m a i n ferme et v i g o u r e u s e , si elle n e les rattache à son t i m o n avec ces fortes amarres qui résistent aux temps et aux orages ; si elle ne s'empresse de les faire fructifier par les seuls m o y e n s q u i sont en sa p u i s s a n c e , par ces seuls m o y e n s démontrés en cet é c r i t , et en r a p p o r t constant avec la nature des propriétés et les habitudes d'un p e u p l e , et en ne les mettant pas s u r t o u t , ces c o l o nies , dans une impossibilité réelle à soutenir la c o n c u r rence é t r a n g è r e , p r i n c i p e fondamental de tout c o m m e r c e , et duquel o n ne saurait jamais s'écarter, si l'on ne veut sacrifier les droits et les intérêts de tous. N o u s avons fait connaître , dans le paragraphe p r é c é d e n t , la nature du contrat qui lie les colonies aux m é t r o p o l e s , les obligations qui en d é c o u l e n t , et q u ' a u c u n e des parties contractantes n'avait le

droit

de r o m p r e

sans

m a n q u e r à ses engagemens les plus sacrés. Q u ' i l n o u s soit permis de présenter i c i , c o m m e supplément et par des considérations générales, l'importance des îles à sucre p o u r leurs métropoles. L'utilité des Antilles est fondée : 1° en ce qu'elles d é b a r rassent la m é t r o p o l e d'une partie de sa population s u r -


83 a b o n d a n t e , i n o c c u p é e o u aventureuse ; 2° en ce qu'elles fournissent des débouchés assurés et constans aux p r o ductions de son sol et de son industrie auxquelles elles donnent par là u n e nouvelle et une plus grande valeur ; circonstance importante p o u r une nation c o m m e r ç a n t e et industrieuse, adonnée à la navigation , laquelle peut seule contribuer à l'accroissement de sa force et de sa richesse comme

puissance

territoriale et maritime : 3°

en

ce

qu'elles d o n n e n t , par leurs p r o d u c t i o n s , des moyens de travail, des salaires et des bénéfices à une f o u l e , à p l u sieurs millions d'ouvriers et agens d u c o m m e r c e ; c i r c o n stance autant et p e u t - ê t r e plus importante que la précéd e n t e , puisque c'est en e u x tous q u e résident ces p r e miers principes matériels de vie et d'existence, les f o n d e mens de toute association, et puisque toute la science é c o n o m i q u e ne tend évidemment qu'à a u g m e n t e r , à r é partir ces m o y e n s de subsistance , celte aisance générale dans la p o r t i o n la plus n o m b r e u s e de la s o c i é t é ,

devoir

c o m m a n d é autant par l'humanité que par l'intérêt général. S i , c o n f o r m é m e n t aux principes des économistes f r a n çais, o n est disposé à envisager le c o m m e r c e

intérieur

provenant des seuls produits du sol c o m m e le plus utile , le plus p r o d u c t i f , et le seul qui soit réellement avantageux et profitable , en q u o i d o n c le c o m m e r c e des c o l o nies situées aux Antilles diffère-t-il de celui de la m é t r o pole ? E s t - c e q u e les p r o d u c t i o n s de leur s o l , soit c o m m e objets de c o n s o m m a t i o n

d i r e c t e , soit c o m m e matières

premières p o u r les f a b r i q u e s , n e sont pas consacrées e x clusivement aux jouissances et au profit de la m é t r o p o l e , et ne c i r c u l e n t - e l l e s pas aussi librement dans son s e i n , de m ô m e que ses p r o p r e s p r o d u c t i o n s , p o u r l'avantage et l'utilité générale de tous ses habitans ? S i , au contraire , le c o m m e r c e e x t é r i e u r , lorsque s u r fout il est surveillé et dirigé avec p r u d e n c e , sagesse , et


84 c o n f o r m é m e n t aux intérêts n a t i o n a u x , est réputé le plus avantageux et tendant plus directement à l'accroissement de la richesse et de la puissance nationale, c o m m e p l u sieurs auteurs célèbres le s o u t i e n n e n t , et c o m m e l ' e x p é rience de tous les peuples c o m m e r ç a n s , anciens et m o dernes , semblent le p r o u v e r d'une manière assez p r o bante , en q u o i d o n c le c o m m e r c e des Antilles est-il différent de celui de la m é t r o p o l e sous ce dernier rapport ? E s t - c e q u e c e l l e - c i , après avoir prélevé sur les p r o d u c tions de notre sol tous les objets de sa c o n s o m m a t i o n p r o p r e , et après avoir e m p l o y é toutes nos matières premières à la fabrication d'étoffes variées , si généralement r e c h e r chées et préférées par le p u b l i e e u r o p é e n , et d o n t elle se réserve une certaine quantité p o u r son usage , n'exporte pas le surplus des unes et des autres, hors de p r o p o r tion avec ses b e s o i n s ,

aux étrangers, c o m m e elle e x -

porte la surabondance de ses propres p r o d u c t i o n s excédant ses consommations ? et les retours effectués par ses é c h a n ges n e produisent-ils pas les m ê m e s effets dans les deux circonstances ? ne sont-ils pas soumis aux mêmes o p é r a tions? ne sont-ils pas de la m ê m e nature et également avantageux ? O n ne saurait en disconvenir. Les c o l o n s , dans les d e u x systèmes q u e nous venons d'établir, n e sont-ils pas p o u r la m é t r o p o l e des c o n s o m mateurs assurés et constans des productions nationales c o m m e celle-ci l'est des p r o d u c t i o n s c o l o n i a l e s , avantage inappréciable dans nos relations c o m m u n e s et c o m m e r ciales ? et ces premiers ne produisent-ils pas u n i q u e m e n t p o u r elle u n e masse de richesses infiniment

Supérieure

et hors de p r o p o r t i o n avec u n pareil n o m b r e de ses c u l tivateurs? ne c o n s o m m e n t - i l s pas en outre , relativement à leur n o m b r e et attendu leurs richesses, des produits n a tionaux dans u n e plus forte p r o p o r t i o n que les habitans de la métropole ? ils ne peuvent être néanmoins perdus


85 p o u r elle que par la c o n q u ê t e , de la m ê m e manière q u ' u n e des provinces frontières d e l'empire peut être envahie et subjuguée par l'ennemi. Mais ces événemens de la guerre peuvent nous être favorables c o m m e contraires. Les colonies situées aux Antilles sont évidemment des établissemens agricoles et c o m m e r c i a u x , et ce n'est que sous ces deux rapports qu'elles sont véritablement utiles et importent aux métropoles. Plus

elles p r o d u i r o n t

et

c o n s o m m e r o n t , plus elles offriront des moyens d'échange et de c o n s o m m a t i o n , plus elles se c o n f o r m e r o n t et r e m pliront l'objet de leur f o r m a t i o n . Mais il est assez évident qu'elles ne p o u r r o n t y parvenir q u ' e n maintenant

leur

paix et leur tranquillité intérieure par des lois sages a p propriées à leurs localités et au système entier de leur a d ministration , et autant qu'elles n e seront p o i n t contrariées ni retardées dans leur industrie et dans leur avancement progressif par la d i m i n u t i o n de bras q u e réclament également et le rétablissement de leurs cultures et l ' e x p l o i tation d'un sol fertile, renfermant dans son sein des r i chesses qui n e demandent qu'à éclore , et

supérieures

peut-être à toutes celles d u P o t o s i . N o u s disons d é p l u s que le c o m m e r c e des Antilles est celui qui présente le plus d'avantage à la m é t r o p o l e . U n des c o m m e r c e s les plus p r o d u c t i f s , qui n'entraîne a u c u n i n c o n v é n i e n t , aucune p e r t e , mais p r o c u r e au contraire b é n é f i c e , travail, et n o u s soustrait en m ê m e temps à la dépendance é t r a n g è r e , est sans contredit celui p r o v e n a n t de rechange des manufactures nationales p o u r des m a tières premières q u e son sol ne saurait lui f o u r n i r ,

qui

lui sont néanmoins nécessaires p o u r ses fabriques et p o u r l'emploi de ses i n n o m b r a b l e s ouvriers. O r , le c o t o n , l ' i n digo , le r o u c o u et le sucre m ê m e sont des matières p r e mières. L e s u c r e , lorsqu'il est b r u t , et les colonies f r a n çaises en fabriquent

une certaine

q u a n t i t é , surtout

à


86 S a i n t - D o m i n g u e autrefois, subit en F r a n c e u n e m a i n d'œuvre qui d o n n e des salaires aux ouvriers et des b é n é fices aux entrepreneurs de manufactures en raffinerie. Il serait m ê m e à souhaiter, et les Anglais ont grand soin d'y assujettir leurs colonies , que les planteurs français ne p u s sent fabriquer que d u sucre b r u t et n o n terré dans leurs possessions. Par celte utile interdiction , nous a u g m e n t e rions le n o m b r e de nos bâtimens marchands et de nos h o m m e s de m e r ( car le sucre b r u t c o m p o r t e u n

grand

e n c o m b r e m e n t , et son v o l u m e est d'un grand tiers plus c o n sidérable que celui d u sucre t e r r é , et il f o r m e à lui seul la plus grande partie de nos exportations) ; ce qui serait n o n m o i n s avantageux p o u r notre c o m m e r c e en général q u e p o u r l'accroissement de nos forces en temps de guerre , et de notre p r é p o n d é r a n c e m a r i t i m e . Si elle avait existé et avait été maintenue dès les c o m m è n e e m e n s de nos é t a b l i s s e m e n s , la F r a n c e aurait toujours été en état de lutter avec avantage, avec succès m ê m e , contre la puissance a n glaise ; puisque , sans celte circonstance favorable , n o u s l'avons quelquefois f a i t , spécialement dans la guerre de l'indépendance a m é r i c a i n e , o ù nos flottes, nos escadres, et souvent u n seul vaisseau, ont eu constamment la s u p é riorité sur tous les points d u globe 5 et cela jusqu'au m o m e n t de la fatale j o u r n é e d u 12 o c t o b r e , sous M . de Grasse. Elle fut engagée et p e r d u e inconsidérément par lui p o u r avoir v o u l u sauver le vaisseau Le Zélé , hors de toute p r o tection , au lieu de s u i v r e , sans s'arrêter ni relarder la destination d o n n é e à l'escadre , la prise de la Jamaïque , p r i n c i p a l établissement des A n g l a i s , avec l'assistance des Espagnols , déjà rendus au Cap p o u r cette expédition , laquelle aurait vraisemblablement réussi, avec les forces considérables

dont

nous disposions à celte é p o q u e , et

aurait été suivie peut-être de quelques autres succès i m portâtes. E n f i n , si la mesure que n o u s i n d i q u o n s , celle


8

7

d'interdire la fabrication d u sucre t e r r é , avait été constamment mise en usage et p r a t i q u é e , n o u s n'eussions jamais subi la loi ni la domination des Anglais sur les mers. Celte considération m e paraît d'une trop haute importance , pour

devoir

être

négligée

dans

nos

déterminations

futures. Mais ce n'est pas tout. La F r a n c e , par ses relations avec ses c o l o n i e s , lui vend ses p r o p r e s p r o d u c t i o n s au plus haut p r i x , en m ê m e temps qu'elle achète celles des c o l o nies au plus b a s , par le défaut de toute

concurrence

étrangère, et par suite d u m o n o p o l e établi , ce qu'elle ne peut se permettre dans a u c u n autre genre de c o m m e r c e q u e l c o n q u e . Q u o i q u e ce soit là u n désavantage p o u r les c o l o n i e s , mais u n e suite nécessaire de leur constitution p r i m i t i v e , et en retour d e la p r o t e c t i o n accordée par la m é t r o p o l e , c o m m e n o u s l'avons p r o u v é p r é c é d e m m e n t , et dont celles-là n e sauraient se p a s s e r , sans que leur sûreté et leur existence n e fussent ébranlées et anéanties, il n'en est pas m o i n s évident qu'il en résulte u n avantage réel et considérable p o u r la m é t r o p o l e , malgré tout ce q u e peuvent objecter les économistes à cet égard. L o r s q u e ensuite elle exporte toutes ces p r o d u c t i o n s coloniales aux étrangers, sur ses p r o p r e s b â t i m e n s , acquises avec tant de p r o f i t , augmentées de la m a i n - d ' œ u v r e et des profits des e n t r e p r e n e u r s , elle retire u n n o u v e a u bénéfice r é s u l tant d u f r e t , de la c o m m i s s i o n , de la paye des matelots , tous acquittés par les consommateurs étrangers, au grand avantage de la m é t r o p o l e et de tous c e u x q u i ont c o n c o u r u à l'exploitation de ces différentes branches de c o m m e r c e . E n o u t r e , M . G a n i l h , dans l'ouvrage intitule Théorie

de l'économie NIES, p r o u v e

politique,

liv. 2 , c h . 9, article

DES COLO-

q u e le m o n o p o l e tant décrié par Smith et

par c e u x qui o n t adopté ses p r i n c i p e s , n'en est p o i n t u n quand il est exercé par u n peuple tout entier , c o m m e


88 la simple raison le d é m o n t r e ; qu'il était de la plus haute importance p o u r la métropole sans être nuisible aux c o l o n i e s , autrement qu'en les soumettant à une c o n t r i b u tion légitime et la moins onéreuse de toutes. Il d é m o n t r e également, en s'appuyant toujours sur les faits, que les colonies françaises produisaient u n revenu de 2 1 8 m i l lions de francs , et donnaient à la F r a n c e u n bénéfice de 121

millions résultans de son c o m m e r c e p r i v i l é g i é ,

et,

par suite des mêmes calculs , u n p r o d u i t net de 141 m i l lions , ce q u i forme , suivant ce m ê m e auteur , le d o u z i è m e du p r o d u i t net de la F r a n c e : il conclut de là que la F r a n c e devait regarder ses colonies c o m m e le d o u z i è m e de sa richesse et de sa puissance. Q u e l riche résultat en faits et en vérités , b i e n opposé à tout ce que la spéculation a avancé ( 1 ) . A c t u e l l e m e n t , en réunissant tous ces avantages et p r o fits d i v e r s , et en considérant de plus q u e les productions coloniales , en déduisant celles que la métropole destine p o u r sa c o n s o m m a t i o n , aussi b i e n q u e celles qui ont servi c o m m e matières premières ,aux fabriques dont elle s'est réservé exclusivement l ' e m p l o i , entrent p o u r u n e valeur de 15

7

millions dans cette exportation g é n é r a l e , sans l a -

quelle la balance d u c o m m e r c e lui serait défavorable, peut-

( 1 ) D a n s ce m ê m e é c r i t , il r e n v e r s e u n e d e s b a s e s p r i n c i p a l e s d e la t h é o r i e d e S m i t h . C e d e r n i e r p r é t e n d q u e l e s c a p i t a u x e m p l o y é s d a n s l ' a g r i c u l t u r e s o n t p l u s p r o d u c t i f s et d o n n e n t d e s b é néfices plus considérables q u e c e u x consacrés a u x manufactures , c e l l e s - c i p l u s q u e le c o m m e r c e i n t é r i e u r , et ce d e r n i e r p l u s q u e le c o m m e r c e extérieur. M. G a n i l h , toujours à l'appui des faits, démontre

l ' i n v e r s e d e ces p r o p o s i t i o n s d a n s u n e s é r i e

tout-à-fait

o p p o s é e ; c'est-à-dire il d é m o n t r e q u e ce s o n t les c a p i t a u x e m p l o y é s d a n s L'agriculture q u i d o n n e n t le m o i n s d e p r o d u i t n e t , et q u e le c o m m e r c e e x t é r i e u r est l e p l u s p r o d u c t i f ,

celui qui contribue

p l u s à l ' a c c u m u l a t i o n des r i c h e s s e s et à la f o r c e d e s e m p i r e s .

le


89 o n m é c o n n a î t r e l'utilité et l'avantage i m m e n s e q u e

pré-

sente le c o m m e r c e des A n t i l l e s , soit q u ' o n l'envisage dans son r a p p o r t intérieur o u e x t é r i e u r , et sous ces d e u x r a p ports il ne diffère e n r i e n , et il est e n t i è r e m e n t semblable à celui de la m é t r o p o l e ? I l f o r m e d o n c u n e partie e s s e n tielle de la richesse et de la puissance de la F r a n c e , et i l ne saurait être a b a n d o n n é p a r elle sans c o m p r o m e t t r e ses intérêts les plus chers , les plus évidens , et sans lui faire p e r d r e ce haut degré de p r é p o n d é r a n c e q u i lui appartient incontestablement c o m m e puissance c o m m e r c i a l e et m a ritime d u p r e m i e r o r d r e

(1).

(1) I n d é p e n d a m m e n t d e t o u t e s n o s p r e u v e s , q u ' o n p a r c o u r e l e s é c r i t s p a r n o u s c i t é s , o n se c o n v a i n c r a d e p l u s e n p l u s d e s v é r i t é s par nous exposées dans ce p a r a g r a p h e . L e u r s auteurs

s'accordent

tous à affirmer q u e n o s c o l o n i e s d o n n a i e n t à la F r a n c e p l u s d e r i chesses q u e l ' I n d e n ' e n p r o c u r a i t a u x A n g l a i s ; q u e l e u r s p o s s e s sions é t a i e n t p l u s p r é c i e u s e s e t b e a u c o u p p l u s a s s u r é e s q u e c e t t e dernière p o u r l ' A n g l e t e r r e ; q u e , sans e l l e , avoir n i commerce

la F r a n c e ne pouvait

ni marine; q u e leurs réintégrations,

surtout

c e l l e d e S a i n t - D o m i n g u e , s e r o n t t o u j o u r s la s o u r c e d e sa p r o s p é r i t é , d e sa r i c h e s s e et l e f o n d e m e n t d e sa p u i s s a n c e ; q u ' a v a n t la r é v o l u t i o n , s o n c o m m e r c e e t s o n i n d u s t r i e , p a r l e moyen d e s c o lonies , étaient p a r v e n u s à u n degré d e s p l e n d e u r s u p é r i e u r à celui de l ' A n g l e t e r r e ; q u e c'était e n c o r e à e l l e s q u e la F i a n c e d e v a i t sa p r o s p é r i t é d a n s l e s t e m p s m ê m e s l e s p l u s p r o s p è r e s , et q u ' e l l e d e v r a i t l e r é t a b l i s s e m e n t d e sa f o r t u n e ; q u e la F r a n c e d o i t t o u j o u r s p o r t e r ses r e g a r d s s u r S a i n t - D o m i n g u e , c o m m e l e p e u p l e H é b r e u s u r la t e r r e p r o m i s e ; q u e si l ' o n a v a i t s u i v i a v e c p e r s é v é r a n c e l e s y s t è m e d ' a d m i n i s t r a t i o n d e C o l b e r t , e l l e serait d e v e n u e , e n a u g m e n t a n t p r o g r e s s i v e m e n t sa p u i s s a n c e m a r i t i m e , s o u v e r a i n e d e s m e r s , e t la p r e m i è r e n a t i o n c o m m e r ç a n t e d u m o n d e . « L a c u l t u r e a v a i t fait d e r a p i d e s p r o g r è s à S a i n t - D o m i n g u e e t dans t o u t e s n o s c o l o n i e s d e s A n t i l l e s . C e s c o l o n i e s f o r m a i e n t p o u r nous d e s p o s s e s s i o n s p l u s p r é c i e u s e s , e t s u r t o u t b i e n p l u s a s s u r é e s que l ' I n d e p o u r l e s A n g l a i s . E l l e s e n v o y a i e n t à la m é t r o p o l e d e s richesses p r o d i g i e u s e s . E l l e s offraient a u x d e n r é e s et a u x m a r c h a n -


90 Il n'y a de différence entre ces deux c o m m e r c e s , que lorsque la guerre vient i n t e r r o m p r e momentanément leurs relations c o m m u n e s , et n o u s en avons fait sentir p r é c é d e m m e n t les inconvéniens , plus e n c o r e p o u r les colonies que p o u r la m é t r o p o l e . Celle-ci en ressent également les inconvéniens p o u r son c o m m e r c e particulier d'exportation. Mais le seul m o y e n de faire disparaître toutes ces entraves mises à son c o m m e r c e , et de les r e n d r e en quelque sorte n u l l e s , c'est en c r é a n t , en entretenant u n e force navale militaire suffisante p o u r la protection de tous ses d r o i t s ; et c'est là une obligation de la m é t r o p o l e q u i n ' i m p o r t e pas moins à sa d i g n i t é , à sa g l o i r e , qu'à la conservation de ses intérêts les plus chers. Q u ' o n n e croie pas cependant q u e le maintien de cette puissance maritime soit relatif aux seules colonies. C e r tains auteurs se sont prévalus de ce prétexte fallacieux

dises françaises u n vaste d é b o u c h é qui donnait le p l u s g r a n d e n c o u r a g e m e n t à l ' a g r i c u l t u r e et à l ' i n d u s t r i e . L e u r a p p r o v i s i o n n e m e n t et le c o m m e r c e d e l e u r s p r o d u c t i o n s n o u s a s s u r a i e n t des b é néfices i m m e n s e s ; n o s f a b r i q u e s é t a i e n t d a n s l ' é t a t le p l u s floriss a n t ; n o s m a n u f a c t u r e s d e d r a p s fins , d e t o i l e s , d e l i n o n s , d e d e n telles , de s o i e r i e s , de p o r c e l a i n e s , de g l a c e s , e t c . , n o u s formaient une branche d'exportation d'un produit énorme. « L e g o u v e r n e m e n t s a u r a r e n d r e à la F r a n c e , à la c u l t u r e , à la c i v i l i s a t i o n , c e t t e î l e de S a i n t - D o m i n g u e , cette s u p e r b e c o l o n i e q u e l e s r a i s o n n e m e n s a b s t r a i t s et le f a n a t i s m e d e n o s o r a t e u r s et d e n o s écrivains politiques avaient livrée à des b a r b a r e s , avaient c o n d a m n é e à la s t é r i l i t é . M a i s des p r o p r i é t a i r e s t o t a l e m e n t

ruinés

pourront-ils relever leurs b â t i m e n s , repeupler leurs ateliers? Le c o m m e r c e , d é p o u i l l é de ,cs r i c h e s s e s p a r la r é v o l u t i o n , p r i v é d e t

t o u t e s r e s s o u r c e s p a r le d i s c r é d i t c o m m e r c i a l , s e r a - t - i l e n état d e l e u r e n f o u r n i r les m o y e n s ? S a i n t - D o m i n g u e p o u r r a - t - i l r e n a î t r e de ses c e n d r e s , si le g o u v e r n e m e n t n e p r o d i g u e p a s a u x c o l o n s les •secours les p l u s a b o n d a n s , et si la n a t i o n n e l u i f o u r n i t p a s , p a r d e s impôts,

les m o v e n s de m u l t i p l i e r ces s e c o u r s ?


91 p o u r prétendre qu'une pareille force était onéreuse et p e u p r o p o r t i o n n é e à son objet. Elle a également p o u r b u t la protection de nos c ô t e s , de notre cabotage et de nos p ê cheries , lesquels, sans cette f o r c e , seraient exposés à des ravages et à des pertes sans n o m b r e , indépendamment de l'avanie à essuyer de la part d'un e n n e m i insolent qui viendrait nous insulter jusque dans nos ports et nos rades. Cela est tellement vrai q u ' o n a v u , p e n d a n t u n

certain

temps de la révolution et particulièrement sous Bonaparte, q u i avait entièrement négligé la m a r i n e , n e s'occupant q u e des conquêtes sur le c o n t i n e n t , des vaisseaux de ligue ennemis et des escadres l é g è r e s , non-seulement croiser le long de nos c ô t e s , sans o b s t a c l e , mais également des f r é gates et autres petits bâtimens de guerre stationnés et à l'ancre avec toute sûreté p o s s i b l e , c o m m e s'ils eussent été en relâche dans leurs rades et p o r t s . O n les a vus a r r ê tant les bâtimens marchands de toute nation , arrivant

« Q u e l est c e l u i q u i p o u r r a i t m u r m u r e r d ' u n e p a r e i l l e c o n t r i b u t i o n ? Serait-ce le c o m m e r ç a n t , q u a n d ses r e l a t i o n s a v e c c e t t e î l e l u i f e r a i e n t g a g n e r c e n t fois p l u s q u ' i l n e l u i e n c o û t e r a i t p o u r c o n t r i b u e r à le r é t a b l i r ? S e r a i t - c e l e p r o p r i é t a i r e d o n t elle a u g m e n t e r a i t l e r e v e n u p a r le g r a n d d é b o u c h é q u ' e l l e f o u r n i r a i t p o u r l e s f a r i n e s e t les v i n s ? S e r a i t - c e l ' o u v r i e r

d o n t elle

améliorerait le salaire

p a r l e n o m b r e p r o d i g i e u x d e b r a s q u ' o c c u p e r a i e n t ses c o n s o m m a tions

et

le

commerce

des denrées qu'elle

p r o d u i t ? Serait-ce

l ' h o m m e aisé d e t o u t e s les classes , d o n t le r é t a b l i s s e m e n t d e S a i n t D o m i n g u e d i m i n u e r a i t les d é p e n s e s p a r la b a i s s e d u p r i x des d e n rées c o l o n i a l e s , d o n t la c o n s o m m a t i o n est a u j o u r d ' h u i si g é n é r a l e ? S e r a i t - c e l ' h o m m e sage q u i g é m i t d e p u i s si l o n g - t e m p s d u m a l h e u r des colons ? Serait-ce l'insensé qui a c o n t r i b u é à l e u r r u i n e ? N o n , il n ' e x i s t e pas u n s e u l F r a n ç a i s q u i p u i s s e r e p o u s s e r , q u i n e d o i v e pas a p p e l e r l ' i m p ô t n é c e s s a i r e p o u r s o u t e n i r u n e c o l o n i e aussi p r é c i e u s e .»

( Considérations

sur les

finances,

p a r M.

de G u e r ,

la d o c t r i n e d e s é c o n o m i s t e s est e x a m i n é e , d i s c u t é e et r é f u t é e c o m plètement. )


9

2

o u sortant de nos ports , les i n q u i é t a n t , les molestant, et interrompre a i n s i , en quelque s o r t e , toute c o m m u n i c a tion libre par m e r , m ê m e de simple cabotage.

Quelle

honteuse et humiliante d é p e n d a n c e ! A u c u n e nation m a ritime n e saurait la supporter sans q u e son h o n n e u r et sa d i g n i t é , sa sûreté et ses intérêts les plus chers n'en soient é m i n e m m e n t c o m p r o m i s et dégradés ( J ) . Cette protection est de plus relative à la sûreté qu'exige l'exportation de tous les produits de la métropole

que

celle-ci doit faire avec ses seuls bâtimens. Elle n e doit p o i n t , en effet, se b o r n e r à u n c o m m e r c e passif, si elle veut conserver tous ses avantages, et n'en point faire l'ab a n d o n à des étrangers. U n avantage p r i n c i p a l , de la plus haute importance et supérieur à toutes les considérations précédentes , c'est d'empêcher qu'aucune nation ne se rende la dominatrice des m e r s , ne fasse prévaloir ses droits au détriment de toutes, n'exclue les autres pavillons de cette grande roule de c o m m u n i c a t i o n ouverte à tous les p e u p l e s , o u n e leur permette de la f r é q u e n t e r ,

en

temps de g u e r r e , q u e

( 1 ) J'ai été m o i - m ê m e t é m o i n d e c e t t e h u m i l i a t i o n , v e n a n t e n 1806 d e C h a r l e s l o n , o ù le b â t i m e n t s u r l e q u e l j ' a v a i s p r i s m o u p a s s a g e fut

a r r ê t é a u m o m e n t o ù il était p r ê t à e n t r e r e n r i v i è r e .

f û m e s o b l i g é s d e j e t e r l ' a n c r e a u p r è s d e la f r é g a t e e n n e m i e ; nous retint pendant plusieurs jours de suite, ayant

Nous elle

constamment

à n o t r e b o r d d e s officiers et d e s m a t e l o t s f u r e t a n t d e t o u t e s p a r t s et i n t e r r o g e a n t t o u t l e m o n d e a v e c m e n a c e ; et e l l e finit p a r n o u s e n l e v e r plusieurs matelots sous le prétexte qu'ils étaient A n g l a i s , q u o i q u e p e u t - ê t r e ils f u s s e n t v é r i t a b l e m e n t A n g l o - A m é r i c a i n s . O n sait q u e c'est c e t t e p r é t e n t i o n d ' u n c ô t é , e t ce d é s i r d e l ' a u t r e d e s'en a f f r a n c h i r , q u i o n t été la p r i n c i p a l e c a u s e d e la g u e r r e q u i a été a l l u m é e e n t r e ces d e u x n a t i o n s . S i n o u s e u s s i o n s été r e n c o n t r é s e n p l e i n e m e r , et si o n n o u s e û t e n l e v é u n p a r e i l n o m b r e d e m a telots , o n n o u s a u r a i t m i s d a n s l ' i m p o s s i b i l i t é d e c o n t i n u e r n o t r e r o u t e , c e d o n t p e u t - ê t r e les A n g l a i s se s e r a i e n t f o r t peu i n q u i é t é s .


93 sous son h o n plaisir , c o n f o r m é m e n t aux règles et aux droits qu'elle croit devoir établir : tels, par e x e m p l e , que ses lois de blocus d'après lesquelles une simple déclaration de son conseil suffisait p o u r y soumettre fictivement u n e côte entière de plusieurs centaines de lieues , sans o c c u pation de vaisseaux de g u e r r e ; la multiplicité des articles réputés arbitrairement c o n t r e b a n d e , et défense de tout transport de denrées à l'effet d'affamer son ennemi ; les restrictions mises despotiquement aux droits des neutres, q u i , à différentes f o i s , ont indisposé et irrité les p u i s sances du N o r d , et les ont engagées à établir la neutralité a r m é e , laquelle a été depuis dissoute par suite de celte m ô m e p r é p o n d é r a n c e maritime ; la saisie des bâtimens marchands avant toute déclaration de g u e r r e , naviguant sous la foi des traités et sous la sauvegarde des intérêts généraux , injustice la plus i n i q u e , la plus révoltante , et la plus grande infraction apportée aux lois des n a t i o n s , que

le g o u v e r n e m e n t d'Angleterre

se permet en

tout

t e m p s , avec u n e assurance p r é s o m p t u e u s e , c o m m e u n droit naturel q u i lui serait exclusivement d é v o l u . Il appartient essentiellement à la F r a n c e , par le rang h o n o r a b l e qu'elle o c c u p e dans l ' E u r o p e , et par sa p o s i tion entre d e u x m e r s , situation peut-être plus avantageuse que celle d'Angleterre p o u r se créer u n c o m m e r c e et une puissance m a r i t i m e , d'assurer la liberté des m e r s , les droits de t o u s , et de ne pas p e r m e t t r e , o u d u m o i n s de s'efforcer

à ce q u ' a u c u n e nation y règne en. tyran et

en e n n e m i p u b l i c . Elle est plus intéressée q u ' a u c u n e autre à cet é q u i l i b r e ; elle ne peut c o n s e n t i r , sans perdre de sa considération et de sa haute d i g n i t é , à figurer sur les mers avec u n e autorité m o i n d r e et d'une manière différente q u e celle qu'elle exerce sur le continent. Elle ne pourra cependant remplir ses hautes destinées q u e par le maintien d'une marine militaire imposante , et c e l l e - c i ne


94 p e u t exister q u e p a r l e m o y e n d'un c o m m e r c e e x t é r i e u r , l e q u e l , à son

tour,

n e p e u t a c q u é r i r la

prépondérance

et la f o r c e , l'étendue et la d u r é e q u i lui sont nécessaires , q u e par la conservation et l'augmentation des c o l o n i e s . Si tous ces élémens de p r o s p é r i t é et de f o r c e avaient été c o n s t a m m e n t et sagement c o m b i n é s et dirigés , la F r a n c e n'aurait j a m a i s p e r d u sa p r é p o n d é r a n c e m a r i t i m e (1) , et elle l'aurait maintenue i n v a r i a b l e m e n t la m ê m e c o n t r e les attaques et la malveillance de ses e n n e m i s . Il serait diffic i l e , i m p o s s i b l e m ê m e de

concevoir un

genre de c o m -

m e r c e plus généralement utile et p r o d u c t i f q u e celui des Antilles,

p o u r toutes les classes de la société c o m m e p o u r

le maintien , l'accroissement de la richesse et de la p u i s -

(1) L e s c o l o n i e s e n t r e t e n a i e n t a n n u e l l e m e n t u n e n a v i g a t i o n d o d o u z e c e n t s n a v i r e s , S a i n t - D o m i n g u e h u i t c e n t s à elle s e u l e ; e t si t o u s les h a b i t a n s p l a n t e u r s d e s c o l o n i e s f r a n ç a i s e s a v a i e n t été f o r c é s de fabriquer d u sucre b r u t au lieu de cette immense quantité d e t e r r é , cette navigation aurait exigé le d o u b l e d e bâtimens. C e nombre , multiplié p a r vingt hommes seulement pour chaque b â timent,

l'un portant l'autre,

aurait donné quarante-huit

mille

m a r i n s . L'autre partie de notre c o m m e r c e extérieur , dans la M é d i t e r r a n é e , la m e r B a l t i q u e , a u t r e s p o r t s d e l ' E u r o p e et d u m o n d e c o m m e r c i a l , réclamait sans d o u t e u n n o m b r e de b â t i m e n s dans une proportion infiniment supérieure,

si, surtout,

nous

nous

c h a r g i o n s e x c l u s i v e m e n t d e n o t r e c a b o t a g e , e t si n o u s n e n o u s bornions pas parfois à u n c o m m e r c e passif n u l l e m e n t profitable. P a r ces d i v e r s e s a u g m e n t a t i o n s , n o u s a u r i o n s p u a v o i r e n a c t i v i t é , en tout temps , u n e population au-delà de cent cinquante mille m a r i n s , et p e u t - ê t r e d a v a n t a g e ; p u i s q u e , sous l ' a d m i n i s t r a t i o n d e C o l b e r t , q u i d a t e déjà d ' u n s i è c l e e t d e m i , n o u s e û m e s e n t e m p s de paix , suivant M . F e r r i e r , jusqu'à cent d i x vaisseaux de ligne montés de plus de c e n t mille matelots. D e s forces navales de cette i m p o r t a n c e é t a i e n t p l u s q u e suffisantes p o u r a r m e r d e s e s c a d r e s n o m b r e u s e s , protéger le c o m m e r c e

national s u r tous les points

d u g l o b e , sans avoir à craindre la domination d ' a u c u n e puissance maritime.


95 sance nationales. Il a fallu toutes les erreurs consignées dans les écrits des économistes français et anglais , toutes celles de la révolution et de l'égarement des temps p o u r porter atteinte à ces vérités importantes , confirmées par les faits et par u n e e x p é r i e n c e de d e u x siècles entiers. Il existe de plus une circonstance particulière et r e l a tive au temps présent q u i démontre plus évidemment e n core , s'il se p e u t , l'avantage d u c o m m e r c e des colonies en faveur des nations q u i en sont e n c o r e heureusement en possession. D e p u i s la r é v o l u t i o n et le blocus c o n t i n e n t a l , toutes les nations de l ' E u r o p e , sans aucune e x c e p t i o n , sont d e v e nues manufacturières et c o m m e r ç a n t e s , ont cherché et se sont efforcées de suppléer à leurs besoins à l'aide de leurs moyens p r o p r e s , en écartant de leur t e r r i t o i r e , par de forts droits o u par des prohibitions , les productions , soit du s o l , soit de l'industrie é t r a n g è r e , q u i p o u r r a i e n t e n trer en c o n c u r r e n c e avec les leurs et n u i r e à la c o n s o m mation de leurs p r o p r e s produits. Dans cette lutte g é n é rale , il ne restera à chaque nation , p o u r

commercer

avec les a u t r e s , q u e les productions d'un sol et d'une i n d u s t r i e , privilégiées et relatives à chacune d'elles en p a r ticulier. Sans chercher à

reconnaître

et à spécifier quelles

sont ces p r o d u c t i o n s p r i v i l é g i é e s , plus o u moins bornées o u é t e n d u e s , il sera toujours avantageux, p o u r chacune de ces n a t i o n s , d'y j o i n d r e un p r o d u i t d'une nature e n c o r e plus privilégiée. Il sera néanmoins impossible à celles q u i n'ont pas des colonies et n'en sauraient avoir ; parce q u e , par leur situation i n t é r i e u r e , elles ne sont ni ne peuvent devenir maritimes , se p r o c u r e r des denrées coloniales et les fabriques résultant de leurs matières , autrement que par le secours et l'assistance de celles qui auront conservé la possession de leurs colonies. Ces premières p o u r r o n t difficilement s'en passer, parce que ces objets de c o n s o m -


9 6

mation sont devenus d'un besoin g é n é r a l , certainement b e a u c o u p plus nécessaires et plus utiles que la plante d u tabac et la feuille du t h é , d o n t o n fait en E u r o p e u n e si grande c o n s o m m a t i o n , estimée p o u r la première à 5o m i l lions pesant par an , et la seconde à 3 o millions , laquelle, q u o i q u e i m p é r i e u s e , peut être néanmoins regardée c o m m e superflue et peut-être nuisible. Il sera d o n c heureux , important et essentiel p o u r la F r a n c e , dans cette rivalité universelle, de conserver tant p o u r sa c o n s o m m a t i o n personnelle que p o u r son c o m m e r c e extérieur , u n produit privilégié , indispensablem e n t nécessaire et u t i l e , constamment en demande en tous lieux , et qui n'éprouvera de c o n c u r r e n c e , dans le m a r c h é g é n é r a l , que de la part de deux o u trois p u i s sances et dont u n e seule est à craindre. Il serait possible m ê m e que l'Angleterre , car c'est celle-là que nous avons en v u e , après avoir été la première à établir le système prohibitif et son acte de navigation , et voyant les p r o h i bitions établies de toutes parts , fût également la p r e m i è r e à vouloir les annuler p o u r conserver ses avantages acquis , les étendre m ê m e , et je ne sais si elle n'a pas déjà fait quelques réglemens tendans vers ce résultat final. Mais malheur aux nations q u i , n'ayant pas la masse de ses c a p i t a u x , et dont l'industrie particulière ne serait pas portée au m ê m e degré de perfectionnement que la s i e n n e , v o u draient adopter les mêmes p r i n c i p e s . Elles verraient sous p e u leur industrie envahie et détruite de toutes p a r t s , leurs ouvriers réduits à la dernière mendicité ; leur p r o s périté s'arrêterait et rétrograderait rapidement vers u n déclin inévitable. Cette chute serait encore plus p r o m p t e , si une de ces nations avait adopté de préférence l'usage des manufactures

étrangères. T o u t e s

ces circonstances f â -

cheuses se sont en grande partie réalisées par le funeste traité de c o m m e r c e c o n c l u entre la F r a n c e et l'Angleterre


97 en l'année 1 7 8 6 , lequel paraissait devoir être également avantageux aux deux nations, mais n e le fut véritablement que p o u r les Anglais. O n peut v o i r , dans l'ouvrage de M . F e r r i e r déjà c i t é , les eifets amigeans et désastreux, tantôt extrêmes et bizarres qui en sont résultés

(1).

( 1 ) Jcvcux transcrire ici un de ces traits particuliers, pour ceux de nos lecteurs qui ne connaissent pas cet écrit véritablement su péricur et remarquable sous tous les rapports. « O n se rappelle encore ce qui arriva au duc d'Orléans, après u n de ses voyages à Londres. Il avait apporté de cette ville une épée dont la poignée excitait l'admiration générale : on n'avait rien fait de plus fini ; c'était un chef-d'œuvre ; toutefois il avait payé ce chef-d'œuvre fort c h e r , et il s'en dédommageait en le produisant partout. L'épée arrive dans les mains d'un étourdi ; l'arme glisse , elle t o m b e , et voilà la poignée brisée : le duc d'Orléans témoigne beaucoup d'humeur; l'ouvrier

anglais n'avait réussi au

même

degré que cette seule fois. Quelqu'un propose d'appeler un ouvrier de Paris dont l'habileté était connue : l'ouvrier est mandé ; il examine l'arme, la tourne, la retourne, et déclare qu'il la réparera très-bien, parce que c'est lui qui l'a faite. En effet, il la démonte, e t , sur la principale pièce de l'ouvrage, il montre son nom qu'il avait eu la précaution d'y graver. « Cette anglomanie fut poussée si loin que des ouvriers français, ne trouvant plus à placer les produits de leur travail, se virent contraints de les revêtir du nom des fabricans de Londres ; et c'est un fait constant que les Anglais , ne pouvant suffire aux demandes , se procurèrent en France de la coutellerie, de la fourbisserie, etc., e t c . , qu'ils nous renvoyaient ensuite avec les noms de leurs ouvriers. » J'ajouterai une observation qui m'a été confirmée dans le temps ; je ne sais jusqu'à quel point elle est exacte; e t , si elle l'est, je suis surpris que M . Ferrier l'ait passée sous silence. A l'époque de ce même traité, des marchands et des négocians anglais vendaient en France les objets de leurs fabriques au-dessous du prix ordinaire, et avec perteréelle , le gouvernement leur tenant compte de ce déficit, de cette non-valeur. Les nôtres , ne pouvant soutenir ni lutter contre une semblable concurrence , furent forcés de fermer leurs magasins, et nos manufacturiers

d'interrompre

7


9 8

L o r s q u e n o u s t r a c i o n s , il y a près de huit a n s , cette seconde phrase

renfermée dans le passage

précédent,

nous avions le pressentiment q u e l'Angleterre ne

tar-

derait pas à apporter quelques modifications à son régime prohibitif. Cependant le g o u v e r n e m e n t b r i t a n n i q u e , tous leurs h o m m e s d'état, leurs publicistes et leurs législatures successives jusqu'au m o m e n t actuel, ont considéré leur système prohibitif et leur acte de navigation, passé en 1 6 5 1 , c o m m e leur grande charte m a r i t i m e , et le palladium de leur grandeur c o m m e r c i a l e ;

aucune o p i n i o n dissidente

( S m i t h l u i - m ê m e a p p r o u v e l'acte de n a v i g a t i o n ) ne s'est élevée contre cette décision consacrée par Une longue e x p é r i e n c e . C o m m e n t se fait-il d o n c q u e ce système, si religieusement observé pendant près de deux siècles avec l'addition

nouvelles entraves , subisse

aujourd'hui

quelques m o d i f i c a t i o n s ? Il faut c r o i r e q u e

de

l'Angleterre

l e u r s t r a v a u x , d e r e n v o y e r l e u r s o u v r i e r s , l e s u n s et les a u t r e s r e s t a n t o i s i f s ; a l o r s les m a r c h a n d s a n g l a i s r é t a b l i r e n t s u c c e s s i v e m e n t et p a r d e g r é s l e u r s p r i x , et les é l e v è r e n t p e u t - ê t r e a u - d e s s u s de leur taux naturel. C'est ainsi q u e , p a r l e u r s capitaux immenses et p a r l e u r s y s t è m e f i n a n c i e r , ils s o n t p a r v e n u s à s u p p l a n t e r

les

n a t i o n s j u s q u e d a n s l e u r m a r c h é i n t é r i e u r ; et d e là o n p e u t c o n c l u r e , c o m m e notre a u t e u r , que tout traité de c o m m e r c e avec e u x n e p e u t ê t r e q u e d é s a v a n t a g e u x et r u i n e u x p o u r la F r a n c e . N o u s n e d e v o n s p l u s c r a i n d r e tous ces é c a r t s d a n s nos r e l a t i o n s c o m m e r c i a l e s , d'après l'établissement d'un conseil supérieur

de

c o m m e r c e et d e s c o l o n i e s , q u i d o i t e m b r a s s e r d a n s ses a t t r i b u t i o n s t o u t ce q u i c o n c e r n e le c o m m e r c e e n g é n é r a l , n o s r a p p o r t s i n t é r i e u r s et e x t é r i e u r s , p r o p o s é d e r n i è r e m e n t p a r le m i n i s t r e d e s fin a n c e s et aussi

agréé

par

profondément

sa m a j e s t é . politique ,

Par et

une

mesure

aussi

que notre situation

sage, récla-

m a i t , n o u s a s s e o i r o n s n o t r e c o m m e r c e s u r d e s b a s e s fixes et i m m u a b l e s , l e s s e u l e s r e c o n n u e s p o u r ê t r e les v r a i s i n t é r ê t s n a t i o n a u x , d e m a n i è r e à n o u s m e t t r e à l ' a b r i d e n o s p r o p r e s e r r e u r s et de toute invasion étrangère.


99 entrevoit u n grand intérêt dans ces changemens apportés. Il est sans doute u n e suite et u n e conséquence des lois prohibitives mises de toutes parts à son m o n o p o l e , c h a q u e nation ayant pris la résolution de subvenir à ses p r o pres b e s o i n s , et de s'approprier toutes les branches d'industrie d o n t elle p o u r r a disposer et se rendre maître. Q u e l sera le résultat définitif de cette c o m b i n a i s o n n o u velle par laquelle l'Angleterre

semble

vouloir

mettre

quelques restrictions à son acte de navigation? C'est là u n e grande question au-dessus de nos f o r c e s , q u e n o u s ne présumons pas p o u v o i r résoudre , et dont le temps seul p o u r r a d o n n e r une solution satisfaisante. E n attendant, faisons remarquer qu'elle n'accorde certains avantages que sous la condition expresse d'une r é c i procité parfaite de la part de chaque état étranger, ce qui lui permettra de conserver et d'étendre m ê m e ses avantages a c q u i s , en raison de sa supériorité maritime et de ses immenses capitaux versés dans tous les marchés et sur presque tous les points c o m m e r c i a u x d u g l o b e . Par les nouvelles lois qu'elle vient de r e n d r e ,

les produits de

l ' A s i e , de l'Afrique et de l ' A m é r i q u e q u i seront importés chez elle par des étrangers, ne p o u r r o n t être admis à la c o n s o m m a t i o n i n t é r i e u r e , mais u n i q u e m e n t à l'entrepôt p o u r être réexportés ; de manière que leurs ports p r i n c i p a u x , et particulièrement L o n d r e s , deviendront l ' e n t r e pôt général et le marché universel des produits éloignés e t d e tous les objets d'exportation e u r o p é e n n e , o ù toutes les nations viendront s'approvisionner, à la grande satisfaction de ses spéculateurs et agens de toute espèce. Les colonies b r i t a n n i q u e s , par suite de ces nouveaux r é g l e m e n s , p e u vent c o m m u n i q u e r directement avec toutes les contrées ; mais l'Angleterre se réserve de leur f o u r n i r exclusivement tous les articles de manufactures; objet de la plus grande importance p o u r elle , puisque ce n'est q u e sous le r a p -


100

port des

manufactures

en tout g e n r e , susceptibles d'être

multipliées à l'infini et sous les formes les plus v a r i é e s , q u e les nations sont véritablement rivales et cherchent à se supplanter

réciproquement.

Elle n'apporte

aucune

restriction au m o n o p o l e de la compagnie des I n d e s , qui reste intact etdans son entier ; elle défend l'introduction d u poisson afin de multiplier les pépinières de marins , et de c o n s e r v e r , par ces moyens , la faculté d ' é q u i p e r , d'armer des Hottes n o m b r e u s e s , et sa domination sur les m e r s . N o u s finirons par u n e remarque que nous présumons importante. P o u r assurer ces avantages c o m m e r c i a u x , p o u r faciliter cette c o m m u n i c a t i o n l i b r e et nouvelle entre tous les p e u p l e s , et en supposant qu'ils soient également p r o fitables

à t o u s , ce d o n t n o u s d o u t o n s , n e serait-il pas

c o n v e n a b l e et u r g e n t , c o m m e mesure principale et base originelle de toute transaction c o m m e r c i a l e , de fixer les droits des n e u t r e s , le c o d e maritime en g é n é r a l , de s p é cifier irrévocablement quels seront les articles de c o n t r e b a n d e , et de s'interdire surtout à jamais le droit d'exercer, en quelque s o r t e , le métier de pirate avant toute d é c l a r a tion de g u e r r e ? Sans ces stipulations p r é c i s e s , et sans u n a c c o r d solennel entre toutes les puissances européennes de les r e s p e c t e r , d'en devenir les garans , les protecteurs constaus et sacrés envers tous ; ces prétendus avantages c o m m e r c i a u x seront vains et illusoires, disparaîtront à la p r e m i è r e guerre maritime , seront c o m p r o m i s , entravés, violés par la nation qui régnera tyranniquement et sans contradicteur réel sur la vaste étendue des m e r s . Je n e sache pas cependant q u e rien ait été réglé et stipulé, à cet é g a r d , par ces n o u v e a u x réglemens proposés aux différentes nations de l ' E u r o p e ( 1 ) .

( 1 ) S a n s l e s y s t è m e c o m m e r c i a l , d i t M . F e r r i e r , s a n s ce s y s t è m e p r o h i b i t i f , p r o t e c t e u r et d e f e n s i f p o u r t o u s , il n ' y a u r a i t e n E u -


101

S III. E n insistant sur la nécessité d u maintien de l'esclavage , o n commettrait u n e grande e r r e u r , u n e grande injustice d o n t n o u s serions douloureusement et p r o f o n d é m e n t affectés, si o n voulait se persuader par là que nous o u a u c u n de nos compatriotes sommes ennemis de toute l i b e r t é , étrangers à tous les sentimens de j u s t i c e , de bienveillance et d ' h u m a n i t é , q u e n o u s c o m m a n d e n t le respect et l'am o u r de nos semblables. Il n'est a u c u n de n o u s , j e le dis p o u r tous avec u n e n o b l e et entière assurance, q u i n e souscrivît avec plaisir et avec un plein contentement à la manumission g é n é r a l e ; il n'en est aucun qui n e préférât et ne se trouvât plus h e u r e u x , plus en r a p p o r t avec les h a b i t u d e s , les idées et les sentimens q u ' u n e

éducation

soignée a fait n a î t r e , de c o m m a n d e r à des h o m m e s libres, de les faire c o n c o u r i r , en les dirigeant, et par le seul m o bile de leurs intérêts et de leur v o l o n t é p r o p r e , à des travaux c o m m u n s , si cette mesure était réellement p r a t i c a b l e . C'est son

impossibilité s e u l e ,

constatée par

une

e x p é r i e n c e constante de tous les temps , et par les récits de tous les voyageurs en A f r i q u e , laquelle s'est perpétuée la m ê m e dans toutes les circonstances possibles et v a r i a b l e s ; ce sont surtout les malheurs qui en sont i n s é p a r a b l e s , et lesquels se sont renouvelés dans tous les t e m p s , qui n o u s forcent à rejeter cette liberté désordonnée et anarchique.

r o p e q u ' u n s e u l p e u p l e m a n u f a c t u r i e r ; t o u t e s les a u t r e s n a t i o n s dependraient de ce peuple ; leurs m o y e n s d'échange seraient réduits a u x p r o d u c t i o n s d u s o l . E l l e s p e r d r a i e n t a i n s i à la fois l e u r d u s t r i e et l e u r c o m m e r c e ; e l l e s s e r a i e n t s u b j u g u é e s .

in-


102

Ce n'est pas m ê m e notre intérêt p r o p r e et i n d i v i d u e l , dont n o u s avons depuis long-temps fait le sacrifice, étant sans issue et p a r v e n u déjà au déclin de la vie ( s o i x a n t e d i x ans r é v o l u s ) , qui peut nous engager à vouloir l'établissement de la servitude ; ce n'est pas n o n plus celui q u e nous p o u r r i o n s ressentir p o u r nos infortunés compatriotes, par u n sentiment de prédilection bien légitimé , et auquel les coeurs sensibles et patriotiques n e pourraient s'empêcher d ' a p p l a u d i r ; mais c'est par u n motif, s'il se p e u t , et plus louable et plus g r a n d , q u i embrasse dans son u n i versalité et les nègres, et les A n t i l l e s , et la m é t r o p o l e et l ' E u r o p e tout entière. C'est p o u r le soulagement et le b i e n - ê t r e de ces p r e m i e r s , compatibles avec leur nature physique état d'enfance

perpétuelle ; c'est p o u r

imperturbable de l'ordre

et leur

l'affermissement

aux Antilles , afin q u e

leur

paix intérieure et domestique ne puisse jamais être t r o u blée ni menacée ; c'est p o u r la conservation des droits de la m é t r o p o l e et de sa souveraineté, p o u r

l'accroissement

de son i n d u s t r i e , de sa richesse, et p o u r la faciliter à r e p r e n d r e par

degrés sa p r é p o n d é r a n c e

maritime,

plus

importante peut-être que la c o n t i n e n t a l e , sous le rapport de la richesse et de la puissance r é e l l e ; car la nation m a î tresse des m e r s , o u , p o u r m i e u x d i r e , q u i ne reçoit la loi d'aucune a u t r e , d i s p o s e , jusqu'à u n certain p o i n t , de la t e r r e ; ce qu'affirme également un auteur justement c é l è b r e ( F o r b o n n a i s ) , qui dit que l'équilibre maritime est la base réelle de l'équilibre de l ' E u r o p e , vérité dont o n doit sentir toute l'importance (1). C'est enfin p o u r l'avan-

(1)Un

auteur m o d e r n e , un savant du premier o r d r e , M. Heeren,

d a n s son Manuel

historique

du système

rope et de leurs

colonies,

depuis

politique

la découverte

des états de des deux

l'Eu-

Indes

,

o u v r a g e t r a d u i t e n f r a n ç a i s , d i t : « Q u e l ' é t a b l i s s e m e n t d ;s p u i s -


103 tage de l ' E u r o p e et du m o n d e c o m m e r c i a l en g é n é r a l , d o n t les relations entre les différens

états deviendraient

et

m o i n s multipliées et moins productives s'ils venaient à perdre cette source

d'activité

et de

richesses. Il n o u s

semble que ce m o t i f est aussi p u r q u ' h o n o r a b l e . Il ne peut m a n q u e r d'être favorablement accueilli par c e u x qui sont a p p e l é s , par leurs hautes f o n c t i o n s , à s'occuper des grands intérêts de l'état, d'individu à i n d i v i d u , de peuple à p e u p l e , d o n t nous ambitionnons plus particulièrement les suffrages, c o m m e la r é c o m p e n s e la plus assurée et la plus digne de tous nos efforts. Ainsi tous les r a i s o n n e m e n s , quelque b e a u x , quelque vrais et solides qu'ils soient en a p p a r e n c e , dans leur plus grande généralité , c o m m e dans leur expression p a r t i c u l i è r e , viennent nécessairement é c h o u e r , se briser contre ces d e u x é c u e i l s , l ' e x p é r i e n c e , la sagesse des siècles passés et p r é s e n s , et cette force irrésistible i m p r i m é e par la n a ture m ê m e dans certaines circonstances données. C'est d o n c se jeter , se débattre dans des dissertations superflues, c'est se p e r d r e en vaines d é c l a m a t i o n s , c'est se complaire dans des fictions et des diatribes q u e de s'élever avec tant d'inconsidération et d ' i r r é f l e x i o n , avec a u tant d'emportement et d'aigreur contre l'esclavage établi aux Antilles , de représenter les nègres c o m m e excessivem e n t malheureux sous la d é p e n d a n c e de leurs anciens maîtres, et c e u x - c i c o m m e des h o m m e s dépourvus de tout sentiment de j u s t i c e , d'honneur et d'humanité.

sanecs maritimes est le troisième appui au système européen, et qu'il a contribué, plus qu'aucune autre cause, au maintien de l'équilibre politique.» Mais cet équilibre est évidemment détruit si une seule puissance dicte ses lois en souveraine, les change, les commente et les applique conformément à ses intérêts particuliers.


104 N o u s s e r a - t - i l p e r m i s de faire o b s e r v e r , e n cette o c c a sion , mal,

q u e ces

reproches ,

ces invectives

viennent

surtout de la part de certaines g e n s , q u i ,

bien

en fai-

sant parade de l e u r tendre s o l l i c i t u d e , d e l e u r sensibilité e x q u i s e , de l e u r a m o u r e x p a n s i f p o u r des êtres q u i l e u r s o n t étrangers sous tous les rapports de la société et de la c o n s a n g u i n i t é , entièrement i n c o n n u s , se sont l i v r é s , au sein de l e u r patrie et j u s q u e dans l'intérieur de leurs f a milles , à des e x c è s , à des actes de cruautés d o n t l ' h i s t o i r e , si f é c o n d e j u s q u ' i c i

en calamités de tout g e n r e , n e n o u s

avait pas e n c o r e offert cle

(1).

le dégoûtant et l ' h o r r i b l e

specta-

A u r e s t e , ces p r o j e t s f a n t a s t i q u e s , ces a m é l i o r a -

(1) I l e s t à r e m a r q u e r q u e l e s p e r s o n n e s q u i o n t m o n t r é le p l u s d'engouement et d'exaltation en faveur des nègres et m u l â t r e s , p l u s d ' a c h a r n e m e n t et d e h a i n e c o n t r e les c o l o n s ; c e l l e s q u i o n t le p l u s c o n t r i b u é , p a r l e u r i n f l u e n c e d i r e c t e e t m a t é r i e l l e , à l a passation

d e s d é c r e t s e t d e s a c t e s d e la p l u s v i o l e n t e

tyrannie

exercée contre ces derniers, avaient, par u n e inconséquence i n c o n c e v a b l e e t i n e x p l i c a b l e , la p r é t e n t i o n d ' ê t r e d e z é l é s , d ' a r d e n s républicains , ce q u i présuppose u n a m o u r exclusif ou au moins u n e p r é d i l e c t i o n p o u r la p a t r i e et p o u r t o u s ses c o n c i t o y e n s ; m a i s i l s a p p a r t e n a i e n t t o u s à m e i l l e u r d r o i t à la s e c t e d e s j a c o b i n s . C e t t e s e u l e c o n s i d é r a t i o n d e v r a i t ê t r e , c e m e s e m b l e , u n m o t i f suffisant p o u r r e j e t e r sans e x a m e n ces p r i n c i p e s d e t i b e r t é e t d ' é g a l i t é a b s o l u e s , c e s lois c o n s t i t u t i o n n e l l e s et r é g l e m e n t a i r e s c o n ç u e s d a n s l e m ê m e e s p r i t d ' i g n o r a n c e , d ' i n f a l u a l i o n et d e d é l i r e , et l e s q u e l l e s , c o m m e u n e l a v e d é v o r a n t e , se s o n t é t e n d u e s s u r t o u t n o t r e s o l . S i les principes f o n d a m e n t a u x de cette secte sont généralement prosc r i t s p a r t o u t h o m m e é c l a i r é , s e n s i b l e et v e r t u e u x , c o m m e d e s attentats contre le repos et le b o n h e u r des p e u p l e s , c o m m e n t et p o u r q u o i donc voudrait-on o u supposerait-on possible pour SaintD o m i n g u e , même avec des atténuations incompatibles avec son r é g i m e , l e m a i n t i e n o u la r é n o v a t i o n d e c e m ê m e s y s t è m e d é c r i é ? C e serait consacrer de n o u v e a u les principes révolutionnaires et leur horrible r é s u l t a t ; ce serait reconnaître q u e c e q u i est faux et v i c i e u x p o u r la m é t r o p o l e p e u t ê t r e v r a i et u t i l e p o u r l e s c o l o n i e s ,


105 tîons idéales e n faveur des nègres n e sont pas moins d é placées ; elles n ' e x c i t e r o n t , n e p r o d u i r o n t ente t r o u b l e s , anarchie et massacres. Ces j a c o b i n s , ces négrophiles s'apitoient sans cesse sur le sort d u n è g r e , et n o u s , n o u s le soulageons; ils rêvent

tandis que l'inverse d e cette proposition pourrait être rigoureusement d é m o n t r é dans u n e f o u l e d e c i r c o n s t a n c e s e t d e c a s p a r t i c u l i e r s , s u r t o u t p o u r t o u t c e q u i t i e n t à la l i b e r t é , a u x a s s e m b l é e s d é l i b é r a n t e s , à ces n u a n c e s délicates d e droits et de p r i v i l é g e s , de f o n c t i o n s

e t d ' a t t r i b u t i o n s a c c o r d é e s a u x différens

pouvoirs

publics. I l y a m ê m e ici u n e c o n s i d é r a t i o n d e p l u s . Q u e la F r a n c e , a u m i l i e u d e l a q u e l l e s'est o p é r é e la p l u s é t o n n a n t e d e s r é v o l u t i o n s , subisse, e n raison d e cette c i r c o n s t a n c e , certaines modifications, adopte quelques nouveaux principes dans son administration, et étende la liberté et les droits de la n a t i o n , elle le p e u t et le d o i t , p a r c e q u e , formant u n s e u l t o u t , e l l e n e p e u t se d i s p e n s e r d e r é g l e r tous ses m o u v e m e n s e t r a p p o r t s i n t é r i e u r s

conformément

a u x c i r c o n s t a n c e s n o u v e l l e s , à ses c o n v e n a n c e s p o l i t i q u e s et particulières , e t e n tant qu'elle ne blesse pas les rapports généraux-qui la l i e n t à t o u t e l ' E u r o p e . Mais il n ' e n est p a s d e m ê m e d e S a i n t D o m i n g u e ; son système particulier n e p e u t être détaché n i disjoint d e c e l u i d e s A n t i l l e s , a u q u e l i l est i n d i s s o l u b l e m e n t l i é p a r u n e conformité d e situation , de vues et de principes semblables , p a r u n e a s s o c i a t i o n o r i g i n a i r e m e n t e t s u b s é q u e m m e n t la m ê m e , e t p a r f a i t e m e n t i d e n t i q u e , p a r u n e e x i s t e n c e e n f i n q u i c o m p o r t e la m ê m e v i e , l e s m ê m e s o r g a n e s e t la m ê m e c i r c u l a t i o n . C e s y s t è m e , o u p l u t ô t c e t t e v i e g é n é r a l e e t c o m m u n e n ' a y a n t p o i n t e n c o r e été , a u x A n t i l l e s , a l t é r é e n i v i c i é e d a n s ses p r i n c i p e s c o n s t i t u t i f s , m a i s s e u l e m e n t affaiblie m o m e n t a n é m e n t p a r l a s u p p r e s s i o n d e la t r a i t e , c'est u n e n é c e s s i t é p o u r la c o l o n i e d e S a i n t D o m i n g u e d e s ' y i n c o r p o r e r et d e s'y c o o r d o n n e r p l u s f o r t e m e n t q u e j a m a i s , o u d ' e n t r a î n e r a v e c e l l e t o u t l e s y s t è m e o r g a n i q u e et v i t a l d e s A n t i l l e d a n s u n e d i s s o l u t i o n d e r n i è r e et g é n é r a l e ,

si s o n a s s i m i l a t i o n n e

s'effectue p a s . P o u r justifier c e q u i se t r o u v e a u c o m m e n c e m e n t d e c e l t e n o t e , o n se r a p p e l l e e n c o r e s a n s d o u t e c e l u i q u i s'écriait e n p l e i n e t r i -


106 sur son b o n h e u r , et n o u s , nous le réalisons : ils d é c l a m e n t avec emphase et exagération sur ses m i s è r e s , sur ses souffrances p r é t e n d u e s , sur les m a u x innombrables dont ils le supposent e n v i r o n n é ; et n o u s , sans b r u i t et sans ostentaiion, nous allons au devant de ses besoins r é e l s ; n o u s écartons et d i m i n u o n s , autant qu'il est en nous , les

b u n e ( R o b e s p i e r r e ) , a v e c les a c c e n s e t les gestes d ' u n v é r i t a b l e démoniaque :«

P é r i s s e n t les c o l o n i e s p l u t ô t q u ' u n p r i n c i p e

con-

s t i t u t i o n n e l !» c e l u i q u i p r é t e n d a i t ( P é t i o n ) q u e l e s h o m m e s d e c o u l e u r é t a i e n t les v r a i s et u n i q u e s i n d i g è n e s d e n o s c o n t r é e s , e r r e u r g r o s s i è r e et h o n t e u s e p o u r u n l é g i s l a t e u r q u i v e u t l e u r d o n n e r d e s lois ; e t , s u r la d i s c u s s i o n d u d é c r e t r e l a t i f à l e u r s d r o i t s p o l i t i q u e s , affirmait q u e la q u e s t i o n se r é d u i s a i t à s a v o i r si les h o m m e s d e c o u l e u r et n è g r e s l i b r e s ( tous n o s a n c i e n s e s c l a v e s , a f f r a n c h i s la p l u p a r t , d e p u i s p e u d ' a n n é e s , p a r n o t r e s e u l e v o l o n t é , et e n p a y a n t t o u j o u r s a u fise u n e s o m m e assez c o n s i d é r a b l e p o u r l e u r affranchissement

prononceraient

sur

les d r o i t s

politiques

des

b l a n c s , o u c e u x - c i s u r l e s d r o i t s p o l i t i q u e s des a u t r e s ; e t , d a n s c e t t e a l t e r n a t i v e , il n ' h é s i t a i t p a s à c o n c l u r e q u e ce d r o i t a p p a r t e n a i t a u x p r e m i e r s ; e r r e u r m o n s t r u e u s e et la p l u s i n c o n c e v a b l e d e toutes , q u i d é n o t a i t t o u t à la fois l ' i g n o r a n c e c r a s s e o u la m a l v e i l l a n c e de ce p e t i t a v o c a t d e C h a r t r e s , n e c o n n a i s s a n t v r a i s e m b l a b l e m e n t q u e les b r o u t i l l e s d e sa p r o f e s s i o n , et d o n t les t a l e n s et les v e r t u s o n t été e x a l t é s , à u n e c e r t a i n e é p o q u e , d ' u n e m a n i è r e a u s s i i n s e n s é e q u e r i d i c u l e et d é g o û t a n t e . O n se r a p p e l l e é g a l e m e n t c e u x q u i affirmaient

audacieusement

( l e p a r t i g i r o n d i n et p a r t i c u l i è r e m e n t B r i s s o t q u i e n était u n des c o r y p h é e s ) q u e la r é v o l t e , les i n c e n d i e s et les m a s s a c r e s des b l a n c s é t a i e n t p r o v o q u é s p a r ces m ê m e s b l a n c s , p r o p r i é t a i r e s , t o u s v i c t i m e s d e ces m e s u r e s a t r o c e s ; l ' a p p r o b a t i o n d o n n é e p a r e u x a u x c o n c o r d a t s r é d i g é s p a r les m u l â t r e s , a c t e m o n s t r u e u x s'il e n

fut

j a m a i s , q u e B r i s s o t a n n o n ç a i t ê t r e le c h e f - d ' œ u v r e d e l ' e s p r i t h u m a i n , s u p é r i e u r à ce q u e les M o n t e s q u i e u et les p l u s s a v a n s p u b l i c i s t e s a v a i e n t j a m a i s p u b l i é . Q u e l l e a u d a c e i m p u d e n t e et q u e l l e i n e p t i e i n s i g n e ! O n n'a p a s o u b l i é n o n p l u s les m e m b r e s d u d i r e c t o i r e q u i , en a p p r o u v a n t e t e n l o u a n t les m e s u r e s d e ses a g e n s , Les S a n t h o n a x , le m u l â t r e R a y m o n d et c o n s o r t s , a s s u r a i e n t q u ' e l l e S


107

maux auxquels la nature y a soumis tous les hommes : ils réclament impérativement des sacrifices qui ne leur e m portent aucun d o m m a g e , et des devoirs dont ils se t r o u vent affranchis; et n o u s , nous exécutons franchement et sans rétribution ces

sacrifices, nous remplissons

avec

plaisir ces devoirs : ils exaltent, en périodes éloquentes et

étaient qu'ils

conformes y

ont

à

la

reconnu

constitution leurs

,

à

principes,

la

et

justice

un

et

grand

à

l'humanité

respect

pour

, les

p e r s o n n e s et les p r o p r i é t é s . Q u e l a b u s d a n s les m o t s , et q u e l f o n d s d ' h y p o c r i s i e et d e p e r v e r s i t é

O n se r e s s o u v i e n t e n c o r e m i e u x d e

c e l u i o u, p o u r m i e u x d i r e, d e t o u s c e u x q u i m a i n t e n a i e n t q u e l e s n è g r e s é t a i e n t les v r a i s d é f e n s e u r s d e la c o l o n i e et ses v é r i t a b l e s h a b i t a n s ; l e u r s c h e f s , les T o u s s a i n t , les D e s s a l i n e s, les C l a i r v a u x , C h r i s t o p h e , e t c . , e t c . , les seuls s o u t i e n s et les p l u s a r d e n s a m i s d e l ' a u t o r i t é de la m é t r o p o l e, l e u r s v é r i t a b l e s f r è r e s et c o n c i t o y e n s , des h o m m e s p r o b e s, é c l a i r é s et v e r t u e u x ; q u e S a i n t - D o m i n g u e n e serait h e u r e u s e et t r a n q u i l l e q u e p a r l ' e x p r o p r i a t i o n ,

la d é p o r t a -

t i o n et le m a s s a c r e m ê m e d e s p r o p r i é t a i r e s , d e ces h a b i t a n s a p p e l é s p a r e u x aristocrates

de la peau,

des n é g r i v o r e s ,

ennemis

a c h a r n é s , d i s a i t - o n , d u n o m et d e la p u i s s a n c e f r a n ç a i s e , épithètes une

et

toutes

malveillance

expressions implacable

qui et

décélaient une

injustice

une

haine

atroce

toutes

invétérée

,

contre

tous

E t q u a n d on v i e n t à c o n s i d é r e r q u e ces e x p l o s i o n s d ' u n e

furie

les c o l o n s . a v e u g l e s ' a d r e s s e n t à d e s F r a n ç a i s,

à des c o m p a t r i o t e s

qui

n'a-

vaient commis envers leurs concitoyens a u c u n acte d'aggression n i d ' i n j u r e p e r s o n n e l l e , q u i n ' é t a i e n t p a s m ê m e e n c o n t a c t ni e n o p p o s i t i o n d i r e c t e a v e c e u x, si c e n'est la c o n s i d é r a t i o n d ' u n

seul

p r i n c i p e a b s t r a i t , o n r e s t e c o n f o n d u d ' é t o n n e m e n t et d ' i n d i g n a t i o n . S a n s d o u t e ces s e n t i m e n s h a i n e u x se s o n t a s s o u p i s et é t e i n t s e n p a r t i e d a n s la p l u s g r a n d e g é n é r a l i t é d e s e s p r i t s ; m a i s o n est e n c o r e b i e n loin d e n o u s a c c o r d e r c e t i n t é r ê t de b i e n v e i l l a n c e d û à des m a l h e u r s i n o u ï s et n o n m é r i t é s,

et à v o u l o i r q u e n o s d r o i t s

p r é v a l e n t o u s o i e n t m ê m e m i s e n p a r a l l è l e a v e c c e u x des n è g r e s et m u l â t r e s , n o s a n c i e n s e s c l a v e s et a f f r a n c h i s ,

lesquels d e v i e n -

d r a i e n t, p a r u n e c o m b i n a i s o n fatale, les r é g u l a t e u r s et les m a î t r e s d e n o t r e s o r t a c t u e l et d e la d e s t i n é e f u t u r e d e s A n t i l l e s .


108 enflammées, et leurs vertus et leur humanité prétendue ; et nous, nous les mettons j o u r n e l l e m e n t en pratique : ils veulent rendre et maintenir les nègres dans leur état de l i b e r t é , sans c a l c u l e r , sans s'inquiéter quels en seront les résultats, soit p o u r eux, soit p o u r nous ; et nous qui c o n naissons notre terrain et l'édifice q u ' o n peut y asseoir, y élever avec solidité, nous voulons les maintenir dans u n e dépendance r é e l l e , mais d o u c e et r é g u l i è r e , afin qu'ils ne puissent être nuisibles ni à eux n i a u x autres : ils affirment q u e les nègres ont acquis sans retour leur i n d é p e n dance et la souveraineté de S a i n t - D o m i n g u e , que les p r o priétés leur sont exclusivement dévolues,

et que n o u s

n'y avons plus aucun droit légitime; et n o u s , n o u s r é clamons ces propriétés au n o m de la j u s t i c e , c o m m e g a rantie de tous les d r o i t s , c o m m e l'unique fondement des organisations humaines et du maintien du pacte social; et nous revendiquons cette souveraineté usurpée au n o m sacré de la p a t r i e , de l'honneur et de la dignité nationale, à l'appui de laquelle tous les genres de biens renaîtront p o u r l'intérêt c o m m u n et le b o n h e u r général : enfin eux tous nous d é n o n c e n t , nous c a l o m n i e n t , nous poursuivent, et s'opposent de toutes leurs forces à notre restauration , à

la

seule

possible

et

efficace

;

et

nous,

nous

déplorons

leurs e r r e u r s , n o u s gémissons d e leurs é g a r e m e n s , nous les conjurons d'y r e n o n c e r , de nous recevoir et de n o u s traiter en Français et en compatriotes, en hommes, enfin , dignes de la confiance, de l'estime et de l'amour de tous leurs concitoyens. Il n'est pas difficile, ce m e s e m b l e , de s'apercevoir de quel côté se trouvent ici la véritable justice!, la véritable h u m a n i t é , les vertus morales et sociales que nous c o m m a n d e n t nos devoirs respectifs. Si j e ne craignais de soulever contre moi cette portion d'Européens infatués de leur système, j e dirais, et j e pourrais prouver au besoin par des argumens fondés sur la c o u -


109 naissance d u c œ u r humain,

q u e nous sommes en général

plus h u m a i n s , plus disposés à f a i r e , et faisant réellement plus de sacrifices en tout genre en faveur de nos nègres esclaves et de nos affranchis, que nos compatriotes en E u r o p e n e sont portés à en faire envers tous c e u x que leur position o u le hasard des circonstances malheureuses ont mis sous leur dépendance immédiate, o u qui sont forcés de réclamer leur assistance particulière. Nous nous b o r nerons cependant et seulement à faire remarquer q u e les crimes étaient excessivement rares à Saint-Domingue ; j e n'ai eu connaissance q u e d'une seule exécution,

dans la

colonie e n t i è r e , d'un h o m m e n o i r , p o u r assassinat d'un b l a n c , pendant les huit années de ma résidence antérieure à la révolution française. Nous vivions tous dans u n état de tranquillité, de sécurité parfaite et a d m i r a b l e , n ' e n tendant jamais parler de ces vols faits avec effraction, par escalade, à main a r m é e , et souvent avec effusion de s a n g , ni de tous ces m e u r t r e s et assassinats é p o u v a n t a b l e s , ces g u e t - à - p e n s et ces parricides

(1),

le tout accompagné

parfois des circonstances les plus h o r r i b l e s , si c o m m u n s en E u r o p e,

et q u i sont la honte et l ' o p p r o b r e de notre

espèce. N o u s voyagions nuit et j o u r , sans a r m e s , dans les chemins et les sentiers des m o r n e s les moins fréquentés ; nous d o r m i o n s portes et fenêtres ouvertes, laissant nos maisons accessibles à tout venant durant les n u i t s , ne p r e nant a u c u n e de ces précautions usitées contre l'avidité cupide et la méchanceté des h o m m e s , d o n t n o u s n o u s o c c u p i o n s à p e i n e ; aucun de n o u s , grands o u petits, blancs o u nègres, ne devenant jamais victime de cette

( r ) J'ai h a b i t e p e n d a n t s i x a n s u n d é p a r t e m e n t d o n t la p o p u l a tion est m o i t i é d e c e l l e d e S a i n t - D o m i n g u e , o ù , à c h a q u e a s s i s e , 1 y a q u e l q u ' u n d e ces g r a n d s c r i m e s d é n o n c é s et à p u n i r .


110

confiance sans bornes et de cette sécurité e n t i è r e , u n des plus grands charmes de la v i e , et q u i en constitue le b o n heur le plus réel. Philosophes politiques et moralistes,

historiens

des

temps passés et p r é s e n s , p r o n o n c e z , et dites-nous quel est le peuple qui peut nous être c o m p a r é , et quels h o m mes ont m i e u x mérité q u e nous de l'humanité, p o u r avoir su établir et maintenir u n o r d r e si p a r f a i t , si m o r a l , et auquel nos mœurs douces et habituelles ont puissamment c o n t r i b u é ? V o u s l'avoueriez sans doute et sans peine si n o u s vous en présentions ici le tableau fidèle : b i e n v e i l lance et humanité envers tous les êtres qui nous étaient subordonnés ; franchise et générosité sans bornes ; h o s p i talité envers les E u r o p é e n s de tout pays et de toute c o n dition, les secourant et les assistant dans leur plus grande indigence,

c o m m e dans leurs revers ; un c o m m e r c e des

plus faciles et des plus aimables dans toutes nos relations sociales, favorisé par u n e égalité réelle entre toutes les classes blanches,

sans autre distinction

q u e celle q u e

c o m p o r t e n t les autorités, jamais troublé par des vues d'intérêt p e r s o n n e l , par des jalousies d'état n e n c e,

et de

préémi-

ni par ces désirs ambitieux de p l a c e s , d'honneur

et de dignité d o n t nous ressentions à peine les atteintes, et e n c o r e moins par ces intrigues de c o t e r i e s , par ces m o u vemeus d é vanité p u é r i l e , qui divisent et désolent tant de f a m i l l e s ; jamais enfin aucune bassesse ni vileté n'ont e n taché le caractère créole

(1).

Ce tableau ne serait point

inférieur à celui offert de toute autre p o p u l a t i o n e u r o -

(1) Quoique l'abbé Raynal n'ait jamais parcouru les colonies ni habité parmi nous, et quoiqu'on soit bien fondé et en droit de rejeter également et les censures et les éloges qu'il fait des créoles et des colons en général, je veux cependant me prévaloir d'un passage de son histoire, tout en notre faveur, et je le veux d'au-


111

p é e n n e , q u e l q u e h o n o r a b l e qu'il fût d'ailleurs. cet état de paix,

E t c'est

de b o n h e u r et d ' o r d r e m o r a l q u ' o n s'est

plu à renverser,

à détruire par u n e liberté qui n'a

pu

qu'être a n a r c h i q u e , en déchaînant toutes les p a s s i o n s , par des mesures atroces et r é v o l u t i o n n a i r e s , p a r l'excès d ' u n e démagogie et d'une perversité q u i n ' o n t plus eu de b o r n e s ; et c'est c o n t r e s o n retour q u ' o n élève de toutes parts

tant

des

p l u s, q u e c'est la s e u l e e t u n i q u e fois q u ' o n a i t é t é disposé à

nous rendre justice. « L ' h i s t o i r e n e l e u r r e p r o c h e a u c u n e d e ces l â c h e t é s , d e c e s trah i s o n s et d e c e s b a s s e s s e s q u i s o u i l l e n t l e s a n n a l e s d e t o u s l e s p e u ples. A peine citerait-on un c r i m e h o n t e u x qu'ait commis u n c r é o l e . T o u s les é t r a n g e r s s a n s e x c e p t i o n t r o u v e n t d a n s les î l e s u n e h o s p i t a l i t é p r é v e n a n t e et g é n é r e u s e . C e t t e u t i l e v e r t u se p r a t i q u e a v e c une ostentation q u i p r o u v e a u moins l'honneur qu'on y attache. C e p e n c h a n t n a t u r e l à la b i e n f a i s a n c e e x c l u t l ' a v a r i c e ; l e s c r é o l e s s o n t faciles e n affaires. « La dissimulation,

les r u s e s , les soupçons n'entrent

jamais

dans leurs âmes. G l o r i e u x d e leur f r a n c h i s e , l'opinion qu'ils o n t d ' e u x - m ê m e s et l e u r e x t r ê m e v i v a c i t é é c a r t e n t d e l e u r c o m m e r c e ces

mystères

éteignent

et

l'esprit

ces

réserves

social

et

qui

étoulfent

rétrécissent

la

la

bouté

sensibilité.

du —

caractère

Une

péné

, -

tration s i n g u l i è r e, u n e p r o m p t e facilité à saisir t o u t e s l e s idées et à l e s r e n d r e a v e c f e u ; la f o r c e d e c o m b i n e r j o i n t e a u t a l e n t d ' o b s e r v e r ; u n m é l a n g e h e u r e u x d e t o u t e s l e s q u a l i t é s d e l ' e s p r i t et du

caractère,

choses

,

leur

qui rendent l'homme fera

tout

oser

quand

capable des plus

l'oppression

les

y

aura

grandes forcés.

»

( Tome III, pag. 298 , édition de Genève. ) V o i l à c e p e n d a n t l e s h o m m e s q u e les n é g r o p h i l c s et l e u r s é c h o s se p l a i s e n t t o u j o u r s à i n j u r i e r ,

d é n i g r e r et c a l o m n i e r , q u i l e u r

étaient i n c o m p a r a b l e m e n t supérieurs p a r toutes leurs qualités m o r a l e s , p a r la n a t u r e e t l ' e m p l o i d e l e u r s o c c u p a t i o n s , b i e n a u t r e m e n t importantes q u e l'emploi et l'habitude de leur v i e e n t i è r e , de ces travaux négrophilcs entrepris avec u n e fureur et u n e perversité sans é g a l e s , et d e s q u e l s i l n ' e s t r é s u l t é p o u r n o u s tous q u e m i s è r e s et r u i n e s , a v e c l a h o n t e e t l ' o p p r o b r e a t t a c h é s à la p e r s o n n e d e s provocateurs !


112

sophismcs,

u n feint a m o u r d ' h u m a n i t é ,

une exagéra-

tion d'idées et de sentimens qui ne sont que les v œ u x d'insensés fanatiques o u de furieux démagogues. On

s'est plu en tout temps à représenter les colons

sous le j o u r le plus d é f a v o r a b l e , sous les couleurs les plus fausses et les plus odieuses. Cependant nous ne sommes , ni nous ni nos devanciers, les conquérans, les dévastateurs de l'Amérique et de l'Asie, envahissant et ravageant leur territoire, p i l l a n t , massacrant o u asservissant des i n digènes libres et indépendant ; mais une population toute f r a n ç a i s e , paisible et cultivatrice, surtout à S a i n t - D o m i n g u e,

nous établissant dans la partie occidentale et

presque déserte de l ' î l e , plutôt p a r c o u r u e q u ' o c c u p é e et habitée par les Espagnols, o ù , par les travaux de nos p r e miers fondateurs,

par c e u x qui leur ont succédé, et par

l'emploi de leurs c a p i t a u x , n o u s avons d é f r i c h é , fertilisé et vivifié u n sol agreste et sauvage, créé des richesses p r é cieuses, nouvelles et abondantes, inconnues jusqu'alors à ces climats ( l a canne à sucre et le cafier, plantes e x o t i q u e s ) , p r o c u r é à la m é t r o p o l e des productions a l i m e n taires des plus utiles à la classe i n d i g e n t e , le maïs et la p o m m e de terre ; fourni des matières premières des plus avantageuses aux fabriques nationales : v o i l à , dans l'ordre des travaux et des entreprises h u m a i n e s , la plus n o b l e des industries, la plus légitime et la plus indispensable des propriétés entre toutes celles qui existent sur le g l o b e . E n suite du c o n c o u r s , et par l'autorisation expresse et f o r melle de la puissance s o u v e r a i n e , nous nous sommes a d joint

des nègres transportés d ' A f r i q u e , acquisition qui

n o u s a été c o û t e u s e , que nous avons rachetés du plus d u r esclavage, et d o n t nous avons sensiblement amélioré le s o r t , perfectionné en partie, et jusqu'à u n certain p o i n t , leur nature sauvage, en les soumettant,

en les faisant

c o n c o u r i r et participer aux avantages d'une société b i e n


113 o r d o n n é e . — Mais,

planteurs c r u e l s , ne les asservissez

d o n c pas de nouveau, et rendez enfin à l ' h o m m e cette l i berté naturelle q u ' o n ne saurait sans injustice lui ravir. — Cette liberté leur fut de tout temps et de la plus haute antiquité i n c o n n u e, dans leur pays natal c o m m e ailleurs, leur est toujours funeste; et l'usage qu'ils en ont fait à S a i n t - D o m i n g u e , c o m m e dans toutes leurs associations libres et particulières, p r o u v e sans réplique qu'ils n e s a vent ni la c o n s e r v e r , ni en apprécier et en goûter les avantages; qu'elle est entre leurs mains u n e arme terrible servant tour à tour d'instrument à u n e tyrannie

féroce

et sanguinaire, ou à une anarchie sauvage et b a r b a r e ; qu'ils ont besoin d'un maître éclairé, d'un surveillant o c c u p é sans relâche à les conduire et à les diriger p o u r leur plus grande utilité c o m m u n e ; qu'en échangeant leur m a l heureuse servitude,

servitude qui n'est pas en elle-même

improuvée par les livres saints (1) ,

en u n e dépendance

d o u c e et r é g u l i è r e , nous sommes devenus par l à , et tout à la f o i s , leurs libérateurs, leurs véritables amis et b i e n faiteurs. —

N ' i m p o r t e , ne vous rendez pas complices

d'un acte qui outrage et viole les lois de l'humanité ; aband o n n e z à la n a t u r e , à cette ordonnatrice suprême et b i e n veillante, le soin de leur développement f u t u r ; n e les r e tenez plus sous votre d é p e n d a n c e ,

et affranchissez-les,

vous dis-je de n o u v e a u ; la justice vous l ' o r d o n n e , et la nature e l l e - m ê m e vous en fait u n devoir sacré et des plus i m p é r i e u x . — Q u e l q u e soit celui de vous qui croyez d e voir n o u s faire cette i n j o n c t i o n , Français o u é t r a n g e r , n e vous êtes-vous d o n c pas f a i t , en tout t e m p s , un j e u d'asservir les p e u p l e s , de leur ravir leurs d r o i t s , et de les

(1)

N o u s e n r e n v o y o n s les p r e u v e s d a n s n o t r e a p p e n d i c e , o ù

e l l e s se t r o u v e r o n t p l u s c o n v e n a b l e m e n t p l a c é e s .

8


114 enchaîner sous votre p u i s s a n c e ? N'avez-vous pas v o u s mêmes, F r a n ç a i s , par le succès de vos armes,

forcé une

grande partie de l ' E u r o p e de fléchir sous votre j o u g , d é truit les l o i s , la liberté et l'indépendance des peuples que vous avez subjugués avec l'approbation de vos écrivains et de vos autorités ? Et cette circonstance n'est-clle pas u n e époque

d'exaltation

nationale,

constamment rappelée

avec enthousiasme? et qui est-ce qui oserait parmi n o u s l'improuver ou en faire la c e n s u r e ? Qu'est néanmoins la gloire des a r m e s , si elle n'est en général et presque t o u j o u r s fondée sur la conquête et l'asservissement des p e u p l e s , célébrée de toutes parts par les cent v o i x de la r e n o m m é e avec tous les éclats de l'allégresse p u b l i q u e et d'une p o m p e triomphale ? N'avez-vous pas aussi, nations de l ' E u r o p e, porté votre d o m i n a t i o n plus o u moins a r b i traire et tyrannique sur presque toutes les portions et j u s q u ' a u x extrémités d u globe ? et ne vous êtes-vous p a s , dans vos traités particuliers, convenances comme seul ou

s'ils

moyen

respectives, étaient admis

accompagné

votre et

partagé et adjugé, tant de milliers propriété,

justifiable

par

sans

que

la

force,

suivant vos d'individus la

guerre

,

ait

précédé

ces transports d'allégeance, ces

trafics

venais et scandaleux ? N e retenez-vous pas e n c o r e, v o u s , puissance anglaise, sous votre sceptre de f e r ,

ces q u a -

r a n t e - c i n q millions d ' I n d i e n s , qui gémissent sans cesse dans l'oppression et l ' o p p r o b r e ? N e dites p a s , vous tous, car vous ne seriez pas c r u s , q u e votre a u t o r i t é , plus o u moins abusive et usurpatrice envers les puissances étrangères, soit moins funeste q u e la privation de la liberté n a t u r e l l e , parce que des peuples civilisés et éclairés sont plus sensibles et éprouvent r é e l lement plus de m a u x physiques et m o r a u x , plus de calamités en tout genre de leur subjection sous u n e d o m i n a tion é t r a n g è r e , de la perte de leur indépendance et de


115 leur liberté p o l i t i q u e , q u e des nègres incapables de

se

gouverner par e u x - m ê m e s, et d o n t l'intelligence est éternellement b o r n é e, n'en ressentent de l e u r état de servitude qui leur est c o m m e n a t u r e l , n'entraînant avec soi aucune dégradation nationale, politique n i m o r a l e . E n f i n , j e vous le demande à vous t o u s , si u n h o m m e ne p e u t ,

dans aucun cas p a r t i c u l i e r , m ê m e p o u r son

avantage r é e l , et en l'affranchissant en m ê m e temps d'une servitude affreuse, être la propriété de son s e m b l a b l e , de quel droit u n peuple e n t i e r , et par quel a b u s , b i e n a u t r e m e n t monstrueux et que rien n e saurait justifier, a p p a r tiendrait-il à u n autre p e u p l e , o u au chef qui le r é g i t , o u à u n e compagnie de c o m m e r ç a n s , c o m m e la politique l'a établi et maintenu depuis si l o n g - t e m p s ? Si le p r e m i e r de ces actes est u n e violation sacrilége des droits naturels et sociaux, freint,

et si nous sommes coupables p o u r l'avoir e n -

le second l'est-il m o i n s , et n'êtes-vous pas tous

également coupables p o u r l'avoir à jamais transgressé ? E t qui est-ce qui ne se croit pas autorisé à l'exercer o u à le solliciter, quand son intérêt et des considérations p o l i t i q u e s , la gloire m ê m e , jointe à la f o r c e , le lui c o m m a n d e n t , sans q u ' a u c u n scrupule o u remords vienne se mêler o u i n t e r r o m p r e ces transactions spoliatrices et s c a n d a leuses? Vous m e direz sans doute que ces usurpations et ces excès sont généralement

désapprouvés

aujourd'hui

qu'ils sont reconnus p o u r b a r b a r e s , oppressifs et j u s t e ment condamnables. Q u e nous importent, à nous victimes, ces aveux et ces déclarations, si l'injustice n'est pas r é parée, si des peuples restent constamment asservis, et n e sont p o i n t rendus à leur liberté naturelle et à leur i n d é pendance nationale ? C o n v e n o n s - e n d o n c franchement et sans hésitation, il faut être juste envers tous, sans aucune e x c e p t i o n , si nous voulons être de b o n n e foi et conséquens à nos p r i n c i p e s ,


116 et ne pas r e f u s e r , ne pas faire peser avec u n e verge de fer sur les uns ce qu'on accorde si généreusement et si libéralement aux n è g r e s , sous le vain prétexte d'une h u manité fausse et mensongère. Car p o u r lors il est évident q u e c'est par une vue particulière et intéressée, o u , si o n l'aime m i e u x , par des spéculations fausses et e x a g é r é e s , et n o n par une combinaison savante, par u n intérêt g é néral et u n principe d'équité naturelle, que nos actes, nos résolutions prétendues généreuses

sont déterminées

et

réglées. Il est bien à craindre que nos o p i n i o n s , de q u e l q u e nature qu'elles s o i e n t , n'aient toutes nos intérêts,

nos

passions

pur

et nos préjugés p o u r

base plutôt q u ' u n

a m o u r d'humanité o u de la patrie. Et tels sont sans doute l'esprit et les dogmes des négrophilcs ; car c e u x qui r e s sentent et témoignent u n zèle outré et u n frénétique

concentrée p o u r des Français, m e n t,

enthousiasme

p o u r des nègres et une haine invétérée et

sous aucun rapport,

ne sauraient être assuré-

des amis de l'humanité ni de

la patrie. Je passe encore aux Anglais, en ce q u i nous c o n c e r n e,

d'être

mus par de semblables motifs,

puisque

nous ne sommes ni de la m ê m e nation ni de la m ê m e f a mille,

et souvent divisés par des intérêts opposés ; mais

quant à des F r a n ç a i s , j e n e crains pas de le d i r e , ils sont hautement coupables de se laisser influencer par de p a reils sentimens envers les c o l o n s , leurs compatriotes et leurs frères-, car c'est r o m p r e avec e u x , d'une main s a n glante et parricide,

toutes les

obligations sociales,

le

pacte de notre u n i o n et de notre félicité c o m m u n e . E n dernier résultat, quels sont parmi vous ceux q u i , par p u r a m o u r d'humanité et sans aucune autre d é t e r m i nation, consacrent leur temps et leurs capitaux à l'affranchissement d'êtres q u i leur sont primitivement i n c o n n u s , et qui consentiraient surtout à f a i r e , en leur faveur, le sacrifice d'une fortune entière,

d'une fortune acquise


117 tout à la fois par une industrie particulière et par celle de plusieurs générations successives,

toutes leurs a n c ê -

tres, p o u r languir ensuite dans u n état d'ndigence et de misères extrêmes ? R i e n , sans d o u t e , n'est plus facile, plus c o m m o d e que d'être généreux aux dépens d'autrui ; c'est là u n e vertu qui peut être l'attribut de l'homme le plus p e r s o n n e l , le plus égoïste, et d o n t les hypocrites, les tartufes d u siècle et les faux amis de l'humanité

s'empa-

rent c o m m u n é m e n t et v o l o n t i e r s , en faisant éclater le plus grand rigorisme ; c'est là enfin u n e vertu qui n'exige aucun effort, aucun c o m b a t , et avec laquelle o n p e u t se j o u e r i m p u n é m e n t de tous les droits et de tous les p r i n c i p e s . Si vous voulez cependant q u e nous croyions à votre élan n é g r o p h i l e , c o m m e n c e z d o n c v o u s - m ê m e s par être justes et équitables envers n o u s . R e n d e z - n o u s o u insistez fortement p o u r q u ' o n n o u s rende le p r i x de cette a c q u i sition et

à

dont

laquelle vous

vous

avez

avez

retiré

tous par

primitivement

avance,

comme

participé prime,

, un

bénéfice de cent et de deux cents p o u r cent ; n e n o u s forcez p a s , en b o n n e c o n s c i e n c e , au paiement d'une créance r é putée i m m o r a l e et invalidée par le f a i t , lorsque vous r e tenez e n c o r e entre vos m a i n s , v o u s , les v ô t r e s , o u tous les trafiquant d'Afrique, la valeur de l'objet vendu par vous, q u e vous prétendez n e pas devoir a b a n d o n n e r , et d o n t vous réclamez m ê m e les soldes qui vous sont encore dues. N'est-ce pas là u n véritable stellionat, q u e toutes les lois proscrivent et p u n i s s e n t ? Si le sort d u n è g r e , si l'humanité vous tiennent tant à c œ u r , vous serez sans doute disposés à effectuer o u à r e c o m m a n d e r cette restitution prescrite également par l'honneur et la j u s t i c e ; et n o u s , colons de S a i n t - D o m i n g u e , nous vous ferons l'entier abandon de nos propriétés f o n cières, s'élevant autrefois à trois milliards, argent des c o l o n i e s , c o m m e nous vous le prouverons par la suite : e t ,


118 en vous transportant sur notre s o l , vous et les alliés, les frères et a m i s , vous l ' o r d o n n e r e z,

c o n f o r m é m e n t et avec

toute l'étendue de vos principes négromanes et m u l â t r o m a n e s , p o u r la plus grande gloire de votre système r é g é n é r a t e u r , q u i deviendra bientôt le type d u gouvernement des Antilles,

auquel

l ' E u r o p e entière applaudira

avec

transport. Voilà u n a c c o r d , u n traité q u e n o u s vous p r o p o s o n s , auquel vous devez souscrire sans hésitation, qui doit vous plaire au plus haut degré, q u e vous ne p o u v e z , en b o n n e f o i , refuser, et auquel les colons de toutes les Antilles françaises, si j e n e m e t r o m p e , souscriront volontiers et de grand c o e u r , si vous voulez également vous mettre en leur lieu et place ; mais n e nous abusons pas trop c e p e n dant. V o u s voulez que nous soyons rigoureusement justes, exacts observateurs des lois naturelles,

que nous soyons

étrangers à tout sentiment d'intérêt personnel ; et vous n e voulez remplir à notre égard aucun des devoirs de la s o ciété, vous ne voulez pas m ê m e nous accorder ces sentimens de pitié et de commisération dus à des malheureux , à des inconnus, et plus encore à des compatriotes chassés de leurs demeures natives et de leurs antiques héritages, poursuivis par le fer et par le f e u , et d o n t le plus grand n o m b r e ont péri par tous les genres de m o r t la plus h o r r i b l e, la plus é p o u v a n t a b l e , et dont les mânes r é c l a m e n t , sinon vengeance,

au moins p o u r l'honneur et la dignité

n a t i o n a l e , une juste réparation en faveur de tous c e u x qui leur ont s u r v é c u , traînant encore leur existence dans la misère la plus p r o f o n d e , e t , ce qui est plus p é n i b l e p o u r des cœurs ulcérés et sensibles, continuent à être v i c times d'une prévention injuste et d'une malveillance a u trefois presque générale. Français de tout état et de toute p r o f e s s i o n , habitans des champs et des c i t é s , des vallées et des c o l l i n e s , j u s -


119 ques à quand cet esprit d'infatuation et de vertige, q u i vous fait méconnaître vos p r o p r e s enfans p o u r ceux d'une race étrangère, subsistera-t-il ? Jusques à quand souffrirez-vous que les droits et les intérêts de peuplades exotiques et hétérogènes, encore faussement entendus et sophistiquem e n t e x a g é r é s , prévalent sur c e u x de la nation e n t i è r e , sur son h o n n e u r et sa dignité déjà c o m p r o m i s et peut-être, n o u s le disons avec regret et a m e r t u m e , entachés? Jusques à quand permettrez-vous q u ' u n sol primitivement acquis par vos aïeux, a r r o s é , d e p u i s , de la sueur et d u sang de vos infortunés

c o m p a t r i o t e s , couvert

actuellement

de

leurs m e m b r e s épars et de leurs ossemens desséchés, soit à jamais le partage et f o r m e perpétuellement le d o m a i n e suprême et indisputable de nos esclaves, de nos affranchis, et

qu'ils y régnent

avec tous les attributs,

avec

tout

l'exercice d'une puissance souveraine et indépendante ? Jusques à quand permettrez-vous q u e des assassins et des incendiaires soient ouvertement représentés, au mépris de toute p u d e u r et de toute morale p u b l i q u e ,

c o m m e des

objets dignes de l'admiration, de l'estime et de l'amour de tous vos concitoyens ? et que les seuls c o l o n s , les seules v i c t i m e s , soient signalés en ennemis p u b l i c s , et immolés à des systèmes h o m i c i d e s , à des haines i m p i e s , par u n e secte impitoyable née en pays étranger et transplantée vers le sol de la patrie par une nation étrangère et r i v a l e , avec le c o n c o u r s de tous les négrophilcs français et autres,

pour

c o n s o m m e r la perte de votre c o m m e r c e , de vos c o l o n i e s , de votre marine militaire, et de cette égalité de puissance attachée à l'empire du t r i d e n t , qui f u t , en des temps prospères, votre partage g l o r i e u x , et peut-être votre plus bel apanage? Les colons s o n t - i l s d o n c condamnés sans retour à un exil p e r p é t u e l , à p é r i r dans les douleurs agonisantes de la misère et du désespoir, o u à ne p o u v o i r r e paraître sur u n e terre qui les vit naître, q u e p o u r vivre à


120

la m e r c i , sous la dépendance insolente, farouche et sanguinaire de tous leurs persécuteurs et b o u r r e a u x ? S o n t - c e là les bienfaits que vous réservez à vos frères et à vos c o m patriotes? S o n t - c e là les justes récompenses dues à des familles n o m b r e u s e s , toutes issues de votre sein, dont les travaux p r o d u c t i f s , actuellement frappés de stérilité, ont été aussi précieux à l'état qu'avantageux à toutes les classes de la société, et ont c o n t r i b u é si puissamment à la gloire c o m m e à la prospérité et à la puissance nationales ? S o n t ce là les résultats de vos lois réparatrices, de ce retour aux principes m o n a r c h i q u e s et de la restauration l é g i time? Si les sentimens de la patrie et c e u x que vous devez à votre sang n e sont pas encore effacés de tous les c œ u r s , c o m m e nous n o u s plaisons à le croire et n'en p o u v o n s douter, vous réunirez vos v o i x et vos efforts aux nôtres p o u r demander à grands cris que ces horribles et dégradantes i n justices aient u n terme dans nos contrées c o m m e dans les v ô t r e s , et p o u r q u e des colons français ne puissent plus s'appliquer cette partie d u discours qu'un des Gracques adressait au peuple romain :« retraites,

Les hôtes sauvages ont leurs

ont leurs lanières -, et des citoyens romains

n'ont ni un misérable toit p o u r se garantir des injures de l'air,

ni m ê m e assez de terrain p o u r s'y faire creuser une

fosse! » Nous venons d'avancer que la gloire des armes était en général fondée sur la conquête et l'asservissement

des

peuples. Cette idée est trop générale, n'est pas assez e x p l i cite et réclame de notre part quelques développemens. O n s'est persuadé de nos j o u r s que le succès éclatant des armes était la seule g l o i r e , l'unique o r n e m e n t de la s o ciété,

le seul fondement de sa puissance et de sa g r a n -

deur ; et celte idée s'est propagée avec un tel excès d ' e x a gération et d'enthousiasme, qu'elle est devenue la passion exclusive et dominante chez un peuple entier. D e celle


121

idée fausse, il en est résulté des abus et des excès en tout genre : d'abord un gouvernement p u r e m e n t militaire, le pire et le plus tyrannique de tous ; en second lieu, et par suite des

du

même

conscriptions

lation e n t i è r e ,

système

,

illimitées

des et

réquisitions sans

terme,

en

masse

sur

une

dont l'effet a l'inconvénient

,

µ

popu-

funeste

et

meurtrier d'éterniser les guerres et de porter les nations a se c h o q u e r avec la masse entière de leur population v i r i l e , au lieu de cette faible p o r t i o n consacrée jusqu'ici à ces travaux tout à la fois périlleux et glorieux : toutes les professions u t i l e s , sans lesquelles les sociétés ne peuvent exister dans tout leur d é v e l o p p e m e n t , ont été abandonnées o u p e u cultivées ; tous les arts de la paix et surtout le c o m m e r c e négligés, délaissés et p o u r ainsi dire méprisés ; toutes les ressources et les richesses nationales sacrifiées à la guerre et à l'abus de la conquête ; tous les efforts et toute la puissance d u g o u v e r n e m e n t dirigés vers cet objet Unique et constant. T o u s ces effets n'ont-ils pas d û s ' e n suivre? Il est r e c o n n u en effet par tous les arithméticiens politiques, q u ' o n ne peut distraire, p o u r la g u e r r e , q u ' u n centième sur la population g é n é r a l e ; q u e toute a u g m e n tation-au delà enlève n o n - s e u l e m e n t des bras à la c u l t u r e , aux fabriques, aux divers emplois de la s o c i é t é , et d i m i n u e,

paralyse les t r a v a u x ,

mais

porte encore

une

atteinte funeste à la richesse générale par l'augmentation des impôts, parla nécessité des emprunts toujours o n é r e u x , et quelquefois par l'exportation d u n u m é r a i r e , ce p r e m i e r agent de toute r e p r o d u c t i o n . Cet o r d r e

de choses est en opposition directe avec la

civilisation m o d e r n e,

dénaturant les institutions

d'une

société hautement policée et é c l a i r é e , en la convertissant p o u r ainsi dire en une peuplade n o u v e l l e , campée et c o n s tamment sous les armes ; transformant les écoles publiques et les lycées en u n e sorte d'arène o ù on inspire aux élèves


1 2 2

et à une génération e n t i è r e , au son d u tambour et par des exercices militaires, la funeste passion de la guerre q u i les anime déjà et leur fait d é s i r e r , par u n e ardeur impatiente et f o u g u e u s e , le m o m e n t o ù ils p o u r r o n t se transporter sur ce c h a m p de meurtre et de carnage. Q u e l l e funeste et h o r r i b l e direction donnée à tous nos penchans sociaux ! La puissance et la grandeur d'une nation c o m m e son véritable b o n h e u r , surtout p o u r les peuples m o d e r n e s , se fondent principalement sur les arts de la p a i x , sur les r i chesses qu'amène nécessairement u n c o m m e r c e é t e n d u , tant intérieur q u ' e x t é r i e u r , qui lui permet de faire f r u c t i fier à la fois toutes les b r a n c h e s de son industrie p a r t i c u lière, a g r i c o l e , manufacturière et c o m m e r c i a l e , de p o r t e r la v i e ,

le m o u v e m e n t et la prospérité dans

toutes les

parties du corps social. L'accroissement des richesses, et leur répartition régulière, en m ê m e temps qu'ils servent d'alimens et de véhicule à l ' i n d u s t r i e , contribuent égalem e n t à la sécurité et à la force du g o u v e r n e m e n t , à l'aisance et à la tranquillité de toutes les classes de la société, au maintien de l'ordre et de l'harmonie générale : car p o u r p e u que ces richesses s'arrêtent dans leur circulation, quelle q u ' e n soit la c a u s e , soit par la diminution o u par des o b s tacles mis à son p r o d u i t , soit par des entraves, d'un genre o u a u t r e , qui s'opposeraient à une consommation libre o u é t e n d u e , soit enfin par le défaut d'un signe représentatif suffisant ; dans tous ces c a s , l'état est nécessairement en souffrance, en p é r i l , et la guerre n e peut m a n q u e r de p r o d u i r e les funestes effets, si surtout elle se prolongeait sans terme c o n n u . Ainsi d o n c nulle puissauce et nulle grandeur sans r i chesse, nulle richesse sans i n d u s t r i e , et nulle industrie sans u n c o m m e r c e étendu. T e l s sont les fondemens de la prospérité des peuples m o d e r n e s , de leur sécurité i n t é rieure et de leur p r é p o n d é r a n c e au d e h o r s , de leur état


123 progressif en amélioration et en perfectionnement de tout genre. L a gloire des armes n'est réelle,

n'est recommandable

et n e mérite nos éloges q u e lorsqu'elle a p o u r objet de r e pousser une invasion étrangère, d e maintenir l ' h o n n e u r , l'indépendance nationale et les grands intérêts q u i s'y r a t tachent, en réclamant des indemnités p o u r toute injuste agression et des garanties contre toute attaque u l t é r i e u r e , en s'interdisant à jamais le droit d'imposer des conditions honteuses et dégradantes. Ces c o n t r a i n t e s , q u e repoussent également la politique et la justieg, n e sont fondées que sur l'enivrement d u s u c c è s ,

sur l'orgueil insensé d u parti

v a i n q u e u r , ne lui p r o c u r e n t qu'une satisfaction m o m e n tanée, laquelle lui devient souvent f u n e s t e , en ce qu'elle entretient dans le parti vaincu des sentimens de haine et de vengeance légitime qui n e peuvent m a n q u e r tôt o u l a r d , par 1 instabilité attachée aux actions humaines et à tout ce qui tient à u n e politique incertaine et v a r i a b l e , d'éclater avec f u r e u r , et des succès d i v e r s , souvent opposés a u x premiers. Celte gloire des armes n'est d o n c qu'un délire insensé, ne jette plus q u ' u n faux éclat, nous expose s o u v e n t , p a r une réaction i n é v i t a b l e , aux plus grandes calamités et souvent à notre p r o p r e o p p r e s s i o n , lorsqu'elle empiète sur les droits imprescriptibles des nations, veut les c o n q u é r i r , les asservir o u les rendre simplement tributaires o u dépendantes d'une volonté étrangère à toutes leurs r e lations sociales, en changeant leurs l o i s , et tout ce q u i en fait u n peuple distinct et séparé. Il est r e c o n n u a u j o u r d'hui, ce m e s e m b l e , q u e les grandes armées entretenues par

toutes les puissances de l ' E u r o p e ,

plutôt

peut-être

dans u n b u t de conquête q u e d'une défense l é g i t i m e , sont les causes premières et immédiates de dépenses onéreuses de l'état, des emprunts successifs, des surcharges a c c a -


124 blantes qui en résultent p o u r les p e u p l e s , et des embarras extrêmes des gouvernemens. Ces g o u v e r n e m e n s , n'ayant pas s u , par u n revenu public sagement administré (1), se garantir de ses e x c è s , se précipitent eux et leurs peuples dans des d é s o r d r e s , des révolutions, le plus terrible des fléaux qui puisse atteindre et affliger u n peuple entier, la source la plus féconde en malheurs et en ruines de tout g e n r e , la boîte enfin de P a n d o r e , d'où sortiront tous les m a u x de la nature h u m a i n e , sans l'espérance au fond. L a b r a v o u r e m ê m e perd son éclat et ses qualités distinctives si elle n'est accompagnée de tous ces

mouvemens

nobles et généreux qui en constituent l'essence, lesquels p r e n n e n t leur source dans u n coeur sensible et c o m p a t i s sant, embrasé de toutes les idées de grandeur et d'élévat i o n , et en n o u s rendant en m ê m e temps étranger à toutes les passions haineuses et irascibles,

à tous ces vils mobiles

d'égoïsme et d'intérêt sordide. Sans ces qualités précieuses, la b r a v o u r e n'est plus q u ' u n courage f é r o c e , u n e passion aveugle et a n i m a l e , se ressentant trop de celle de la b r u t e , u n e dégénération de notre nature supérieure, intellectuelle et m o r a l e , plus p r o p r e à exciter le dégoût q u ' u n e juste admiration. Chez les nations sauvages, le courage n'est en général que f é r o c i t é , b a r b a r i e ; c'est seulement chez les nations hautement civilisées et éclairées q u e le courage

(1) M . G a n i l h s'est efforcé de p r o u v e r , revenu

public,

d a n s s o n Essai

sur

q u e l e s d é s o r d r e s et l e s r é v o l u t i o n s o n t é t é ,

le

dans

tous les t e m p s et d e t o u t e s p a r t s , p r i n c i p a l e m e n t o c c a s i o n é s p a r la p é n u r i e

et l ' é p u i s e m e n t d u t r é s o r p u b l i c , p a r la difficulté d e

s u b v e n i r a u x d é p e n s e s sociales, o p é r é e o u n é c e s s i t é e p a r la p a s s i o u d e s c o n q u ê t e s . S i c e t t e p r o p o s i t i o n est d é m o n s t r a b l e , elle p r o u v e r a i t q u e la s c i e n c e d u r e v e n u p u b l i c est la p l u s i m p o r t a n t e d e t o u t e s c e l l e s q u i o n t d r o i t d e n o u s i n t é r e s s e r , e n ce q u ' e l l e n o u s d é l i v r e d e s r é v o l u t i o n s , et a s s u r e à j a m a i s la t r a n q u i l l i t é et le b o n h e u r des p e u p l e s .


125 acquiert tous les attributs d'une qualité m o r a l e , aussi f é conde en sentimens nobles qu'en valeur réelle. L a célébrité d'une nation ne consiste pas uniquement dans une valeur b r i l l a n t e , dans des exploits h é r o ï q u e s , encore moins dans des conquêtes fastueuses. Elle est p r i n cipalement f o n d é e , et c'est par là qu'une nation éternise son n o m j u s q u e dans la postérité la plus r e c u l é e , sur les p r o d u c t i o n s supérieures de ces génies i m m o r t e l s , dont les écrits sillonnent, éclairent la vaste étendue d u temps,

de

l'espace, et servent tout à la fois à notre instruction et aux délices de tous les âges. Il serait encore plus vrai et plus r a i s o n n a b l e , plus c o n f o r m e à notre n a t u r e , d'asseoir cette célébrité sur la perfection d u g o u v e r n e m e n t , sur celle de nos institutions civiles, politiques et religieuses, q u i assureraient à la plus grande généralité des citoyens la portion la plus étendue de sécurité, de liberté et de b o n h e u r i n d i v i d u e l , que c o m porte l'organisation

sociale,

en garantissant en

même

temps leur paix intérieure des ambitions particulières o u au moins de tous ces m o u v e m e n s convulsifs qui

mena-

cent s'ils n'entraînent la subversion des états. Mais les peuples paisibles et h e u r e u x , q u i n'ont point fondé leur célébrité par le ravage et l'asservissement de leurs semblables, s'ils ont réellement e x i s t é , sont ignorés de l'histoire o u mis dans l'oubli. O n ne trouve a u c u n charme à nous retracer la d o u c e u r de leurs m œ u r s et de leurs lois,

leur

vie s'écoulant eu silence, sans bruit et sans c r i m e s ; à nous faire connaître le système qui

les maintenait dans cet

heureux a c c o r d et h a r m o n i e , tous les h o m m e s en général et particulièrement les historiens n e se plaisant au c o n traire qu'à signaler les révolutions p o l i t i q u e s , ces é p o u vantables catastrophes des calamités publiques q u i n o u s m o n t r e n t toujours la nature h u m a i n e sous les formes les plus hideuses, les moins p r o p r e s à nous éclairer et à nous


126 rendre meilleurs. Car la f o r c e , accompagnée c o n s t a m ment d'abus et d'excès en tous genres, venant à obtenir des succès qu'elle parvient à m a i n t e n i r , légitime par là ses actes et toutes ses violences, é g a r e , par cet éclat t r o m p e u r , la raison du vulgaire et celle du sage m ê m e , anéantit o u altère au moins les principes de la morale et de la justice en convertissant l'usurpation en d r o i t , l'asservissement en devoir. Enfin quelle serait aujourd'hui la célébrité des Grecs et des R o m a i n s sans leurs grands p o ë t e s , leurs grands h i s toriens et o r a t e u r s , leurs sublimes législateurs et p h i l o sophes? Leurs conquêtes et leur empire ont disparu depuis u n grand n o m b r e de siècles sous les flots des barbares ; leurs seuls m o n u m e n s littéraires sont restés impérissables et c o m m e de nouveaux phares au milieu de ces b o u l e v c r semens et de ces ruines opérés au c o m m e n c e m e n t de notre ère dans la civilisation e u r o p é e n n e . Sans ces m o n u m e n s vivans, ils seraient à jamais confondus avec ces myriades de peuplades nomades et barbares qui ont f a t i g u é , t o u r menté la terre de leur e x i s t e n c e , et sont passées sans r e n o m et sans gloire. Il est cependant p e u de ces nations apparaissant subitement et par intervalles sur la grande scène du m o n d e , qui ne puissent se glorifier d u succès de leurs armes pendant u n e assez longue p é r i o d e de leur existence ; mais la postérité n'en signale que quatre q u i ont brillé é m i n e m m e n t et par les a r t s , et par les sciences et par toutes les inventions utiles à l ' h u m a n i t é , q u i aient fait é p o q u e dans celte l o n g u e série des siècles, et d o n t la gloire subsistera autant que la durée de ce g l o b e . Il est sans doute beau et h o n o r a b l e p o u r la F r a n c e d'être u n e de ces nations privilégiées, figurant en p r e m i è r e ligne à la tête d u genre h u m a i n . Cependant la célébrité dont elle est déjà en possession, et qui la fera vivre éternellement dans la m é m o i r e des h o m m e s , n'est p o i n t due


127 uniquement à ses trophées militaires, tout éclatant et g l o rieux qu'ils s o i e n t , parfois égalés, j'hésite à dire surpassés, et servant également de triomphes à des peuples sans v e r t u , sans l u m i è r e s , sans r e n o m ; mais b i e n aux fruits de son génie dont rien ne saurait affaiblir, ternir la s p l e n d e u r , ni les bienfaits immenses qui en résultent p o u r

l'huma-

nité en g é n é r a l , nécessaires m ê m e c o m m e c o m m é r a t i o n de sa gloire militaire; fruits a c c r u s , embellis et p e r f e c tionnés durant u n siècle entier par u n e foule d'écrivains supérieurs dans tous les genres d'illustration,

répandus

ensuite avec éclat dans les deux hémisphères ; et par cette n o b l e et sublime conquête exercée sur les grands objets de la nature morte et a n i m é e , c o m m e sur les vastes d o maines de l'entendement humain, laquelle se conservera dans son lustre jusqu'à la consommation

des derniers

instans. Il n e l'est pas m o i n s p o u r elle par sa haute civilisation, par l'urbanité des m œ u r s de ses habitans, par sa langue servant d'intermédiaire à toutes les transactions d i p l o m a tiques et d'instrument à la c o m m u n i c a t i o n de tout ce q u i est du ressort de l'esprit h u m a i n ; d'être devenue le p r e m i e r et le principal p r o m o t e u r , le conservateur suprême de ce m o u v e m e n t u n i v e r s e l , de cette direction générale q u i d o n n e à l ' E u r o p e u n e supériorité m a r q u é e sur toute la race humaine présente et p a s s é e , si l'on en excepte ces temps n é b u l e u x , ces orages et ces convulsions politiques excités par la révolution française, é p o q u e u n i q u e dans 1 histoire des n a t i o n s , surtout quant à la c o l o n i e de S a i n t Domingue.


128

§

IV.

Quelques c o l o n s , fatigués de leur misère, tourmentés du désir d'en s o r t i r , empressés de mettre u n terme à des p r i vations, à des souffrances de plus de vingt-cinq années de d u r é e , sont disposés à faire tous les sacrifices, à entrer en composition et en c o m p r o m i s p o u r se ressaisir, à la f a veur de ces mêmes sacrifices, d'une p o r t i o n de leurs h é ritages. C e u x d'entre e u x surtout parvenus à u n certain â g e , à cette période de la vie o ù l'on a besoin d'un m o m e n t de repos p o u r j o u i r de cette faible p o r t i o n prête à n o u s é c h a p p e r , p o u r se recueillir en silence dans cette grande attente de l'avenir et avec les devoirs qu'elle nous impose d'une v o i x plus pressante et plus impérative e n c o r e , p o u r se réconcilier enfin avec s o i - m ê m e et avec les autres ; tous c e u x - l à seront encore plus disposés à se soumettre aux conditions les plus onéreuses. Ces sentimens sont excusab l e s , ils sont légitimes, respectables m ê m e , parce q u ' u n e infortune p r o l o n g é e , mêlée de tant de traverses et abreuvée de tant de l a r m e s , sollicite notre commisération et a droit à nos égards, à notre bienveillance. Mais si nous ne n o u s sommes pas trompés sur les p r i n cipes et les conséquences que nous avons développés, tous ces colons se font nécessairement une grande illusion. C a r , indépendamment de tout ce q u e nous avons déjà constaté, p o u r que ces habitans puissent j o u i r de quelques débris de leur f o r t u n e , il faut de toute nécessité en renvoyer la jouissance au m o m e n t o ù ces propriétés seront mises en v a l e u r , au m o m e n t surtout o ù l'ordre sera rétabli sur u n e base q u e l c o n q u e . S'imagineraient-ils p o u v o i r échapper à cet inconvénient en vendant à tout p r i x des habitations


129 détériorées (1) ; mais à q u i ? A des chefs nègres et m u l â tres : j e le v e u x . Mais ces h o m m e s , étant depuis long-temps en possession d'habitations qu'ils considèrent et administrent c o m m e leurs p r o p r i é t é s , ne seront que plus disposés à les envisager c o m m e telles par cette vente f o r c é e , se départiront difficilement de cette i d é e , vous feront la loi dans tous les cas, se b o r n e r o n t tout au plus à vous d o n n e r u n à compte faible, exigu et nullement en p r o p o r t i o n avec vos besoins pressans ; et p o u r le paiement des sommes stipulées, vous serez obligés de vous confier en leur promesse sur laquelle il serait aussi f o u qu'insensé de c o m p t e r , o u forcés d'en poursuivre le paiement en les traduisant devant des tribunaux o ù ils siégeront, peut-être d o m i n e r o n t , et o ù vous finirez par c o n s u m e r vos faibles moyens et le petit n o m b r e d'années qui vous sont réservées. Ces colons se flatteraient-ils e n f i n , à la faveur de q u e l ques promesses et d e quelques circonstances relatives à leurs personnes o u à leurs p r o p r i é t é s , p o u v o i r e n v o y e r avec sûreté leur p r o c u r a t i o n à ces mêmes h o m m e s o u leur affermer ces mêmes propriétés ? Ces d e r n i e r s , habitués à j o u i r de la totalité d'un faible

r e v e n u , seront-ils b i e n

exacts o u p o u r r o n t - i l s en distraire u n e p o r t i o n p o u r les véritables propriétaires ? Ne seront-ils pas au contraire

(1) Ces observations, ces réflexions et celles qui suivront ont rapport aux projets et aux arrangemens proposés par plusieurs personnes,

par

des

colons même,

comme

atermoiement

ou

comme ressource dernière dans le cas où notre rentrée à SaintDomingue,

dont on s'occupait alors, éprouverait des difficultés

ou un obstacle insurmontable. Nous avons cru devoir répondre aux objections, de quelque nature qu'elles lussent, et de quelque côté qu'elles vinssent; c'est pourquoi nous laisserons subsister nos remarques actuelles, quoique, dans le paragraphe suivant, on trouvera une solution plus complète contre ces arrangemens ou tous autres projets supposés.

9


130 disposés, par suite de leur usurpation et de l'autorité dont o n croit devoir investir une partie de ces chefs nègres et m u l â t r e s , d ' a b u s e r , sans qu'il soit possible p e u t - ê t r e de s'y o p p o s e r , de leur qualité de p r o c u r e u r s fondés o u de f e r m i e r s , et des devoirs qui y sont attachés ; lorsque s u r tout, en conformité de ce m ê m e système, ils se trouveront presente exclusivement chargés de la direction des h a b i tations ? Ne seront-ils pas disposés à se regarder et à se constituer en définitif propriétaires suprêmes,

sous cette

apparence forcée o u nécessité prétendue à les établir en qualité de régisseurs, de f e r m i e r s ; et par l'impossibilité o u le danger supposé à leur ôter l'administration de nos habitations, o u par l'utilité plus imaginaire encore de la leur conférer ? Ce serait se refuser aux calculs d'une sage p r é v o y a n c e et à toutes les vraisemblances d'en j u g e r d i f féremment ; ce serait m ô m e méconnaître la nature

de

l ' h o m m e et son penchant à envahir lorsque tout l'y i n v i t e , l'y encourage ; et lorsque cet envahissement est une c o n séquence et une p e r p é t u i t é , u n e autorisation simulée o u forcée des usurpations antérieures. Dans la supposition enfin o ù ces p r o c u r e u r s gérans et fermiers s'acquitteraient ponctuellement de leurs o b l i g a tions,

dans la supposition m ê m e o ù des. ventes s'effec-

tueraient avec facilité,

avec avantage et à la satisfaction

générale des parties contractantes, est-il d o n c convenable q u e ces propriétés passent ainsi entre les mains des nègres et m u l â t r e s , o u soient administrées exclusivement

par

e u x ? L'intérêt de la m é t r o p o l e, la nécessité de conserver les colonies avec leur caractère p r o p r e et o r i g i n e l , et la sûreté d u petit n o m b r e d'habitans forcés de résider sur les lieux m ê m e s , n'y forment-ils d o n c pas autant d'obstacles ? Si aucun

h o m m e de couleur en général n'a su a c -

quérir u n e p r o p r i é t é par son industrie p a r t i c u l i è r e , n i la conserver dans l'état de prospérité o ù elle lui a été


131 remise ( car toutes celles dont ils étaient

autrefois

en

possession leur avaient été transmises o u conférées contre la teneur expresse et en violation de nos lois ) , cette i n c a pacité est encore sans comparaison plus grande relativement aux nègres ; ces propriétés se détérioreraient de plus en plus sous une administration négligente et insouciante; tout péricliterait, dégénérerait et changerait subitement de face ; les mœurs et les usages africains prévaudraient de toutes parts ; la police e u r o p é e n n e,

ses lois,

ses arts

et jusqu'à sa langue m ê m e se corrompraient par degrés et s'effaceraient complètement ( 1 ) . P o u r dernier résultat, vous aurezn o n une c o l o n i e , mais seulement une peuplade de nègres l i b r e s , livrée à son i m p r é v o y a n c e et à toute son incurie ; car la race des m u lâtres, des griffes et des quarterons,

toutes ces races m é -

langées finiront par s'éteindre et se p e r d r e dans celle des n o i r s . Elles se sont déjà sensiblement d i m i n u é e s , r e m brunies en remontant vers u n e de ses souches primitives par le seul fait de l'absence des blancs,

et cet effet était

aussi infaillible qu'inévitable. Ces mulâtres se m é p r e n n e n t d o n c grossièrement en cette occasion et agissent d i r e c t e ment contre l'intérêt de leur caste. Elle sera bientôt effacée complétement et remplacée avant v i n g t - c i n q ans par celle des griffes, et c e l l e - c i , dans u n espace e n c o r e p l u s c o u r t , par celle des m a r a b o u s , laquelle n e diffère de celle des nègres q u e par des nuances presque imperceptibles. Ces différens effets ne sont-ils pas u n e conséquence infaillible, et de la transmission des propriétés entre les mains des h o m m e s de couleur et nègres libres, et de la disparution successive et radicale de la classe des colons ? Si l'individu blanc y

(1)La

vérité de toutes ces propositions se trouve

développée

avec beaucoup d'étendue dans l'ouvrage déjà cité, du même auteur que le présent écrit.


l32 est insensible, l ' h o m m e d'état p e u t - i l , saurait-il y apporter la m ê m e indifférence? Il est des colons q u i , n'ayant jamais été à S a i n t - D o m i n gue et ne se proposant pas d'y aller, o u y étant n é s , en sont sortis dès leur plus tendre enfance sans avoir jamais revu le toit paternel ; il en est d'autres q u i , par l e u r place et leur dignité,

par u n e fortune acquise en F r a n c e o u par

quelques autres circonstances relatives à leur situation p a r ticulière, sont devenus en quelque sorte étrangers à la c o lonie depuis sa malheureuse catastrophe : tous c e u x - l à s'intéressent b e a u c o u p moins sans doute à son sort é v e n tuel que c e u x qui y o n t résidé la plus grande partie

de

leur v i e , et y ont tous déposé le germe de leurs espérances, de leur prospérité présente et future. Sous le seul espoir de recueillir quelques débris et parcelles de leurs anciens revenus c o l o n i a u x , d o n t ils p o u r r o n t peut-être en outre se passer o u auxquels ils p o u r r o n t facilement s u p p l é e r , ces personnes en partie étrangères se prêteront avec plus d'empressement e n c o r e à tous les sacrifices,

de quelque

nature qu'ils soient ; elles s'y prêteront d'autant plus l i b r e m e n t qu'elles n e sauraient ressentir aucun des désagrémens résultans de leur adoption, sans que cependant elles se soient jamais rendu c o m p t e à elles-mêmes de ce m o t i f illégitime. C a r , dans nos déterminations d i v e r s e s , une cause ignorée et c a c h é e ,

c o m m u n é m e n t obscurcie par

l'aveuglement des passions, par la discordance des opinions et le conflit des partis, agit souvent à notre insu et sans notre participation 5 mais quand nous venons à l ' a p e r c e v o i r , l ' h o m m e honnête et de b o n n e foi

reconnaît son

illusion et confesse son e r r e u r . Ces colons de l'une et de l'autre descriptions, asservis à leur seul intérêt du m o m e n t , en font la règle u n i q u e de leur conduite et l'objet constant de leurs espérances, de leurs désirs. Mais il est évident qu'en cette occasion, ils se


133 font u n e plus grande illusion encore ; car cet intérêt m o m e n t , p o u r l'accomplissement

du

de leurs v o e u x , doit

avoir au moins quelques, instans de d u r é e . Cette durée ne sera cependant

qu'instantanée si elle ne s'appuie sur

un ordre régulier, sur u n système vraiment régénérateur ; et si elle est en opposition constante avec la nature des êtres, celle des propriétés et avec toutes les convenances sociales : tous points que nous présumons avoir démontrés avec quelque étendue et d'une manière assez lucide. Cet intérêt d u m o m e n t , en lui donnant m ê m e u n e c e r taine é t e n d u e , celle d'une vie humaine tout e n t i è r e , cet intérêt, b o n tout au plus p o u r l'individu concentré dans la sphère étroite de ses relations p r i v é e s , ne saurait servir d'unique base à des législateurs, et n e peut ni ne doit c i r conscrire leurs vues. Ils doivent au c o n t r a i r e , dans leurs conceptions législatives, embrasser et l'ordre des temps et la succession des ê t r e s , lier le m o m e n t présent avec l'av e n i r , le b o n h e u r de la génération actuelle avec celle qui lui s u c c é d e r a ; et asseoir enfin le grand œuvre de la l é gislation,

n o n sur des mesures partielles et de c i r c o n s -

tances, sur des intérêts p u r e m e n t m o m e n t a n é s , mais b i e n sur des intérêts p e r m a n e n s , sur des f o n d e m e n s assez stables p o u r les garantir, c o m p o r t e,

autant q u e la sagesse humaine le

contre les atteintes des n o v a t e u r s , contre les

orages politiques et leurs sanglantes révolutions.

§ OBJECTION « «

Quelque

vrais,

raisonnemens

,

quelque une

v. PREMIÈRE. concluans

circonstance

que majeure,

« s'oppose néanmoins à leur adoption , l'impossibilité ou

soient

vos

dira-t-on,


134 « la difficulté au moins de la réduction des nègres. N'est-il «

pas

certain,

ajoutera-t-on,

qu'on

n'a

pu

jusqu'à

présent

« les assujettir, qu'ils ont résisté avec succès aux efforts «

dirigés

«

viendrait

contre

«

composition

eux,

que

infructueuse, ,

un

toute

tentative

dangereuse,

arrangement

et

ultérieure

de-

dès-lors

une

fondé

sur

que

quelconque,

« quelques principes libéraux, préconisés de nos jours par « des personnes qui en font abus, est cependant le seul parti « que dicte la prudence et la sagesse. »

RÉPONSE. L'exposition

simple

et vraie des faits,

accompagnée

des causes q u i les ont produits et des effets qui en sont r é sultés, suffiront p o u r résoudre cette difficulté apparente. L o r s q u e la révolte éclata p o u r la première fois dans le quartier d u Limbe, 23 août de l'année

p r o v i n c e du n o r d , la nuit d u 22 au 1 7 9 1,

les habitans en général furent

frappés d'un sentiment d'épouvante et de stupeur. Ils n e s'étaient

pas attendus à u n pareil m o u v e m e n t , qui leur

paraissait de toute impossibilité par la seule considération de leur supériorité morale et intellectuelle,

fortifiée e n -

c o r e par les habitudes, par les préjugés les plus fortement enracinés dans l'esprit des nègres. Ces puissans et salutaires effets ne paraissaient pas avoir éprouvé la m o i n d r e altération, et se seraient maintenus intacts dans toute leur f o r c e , avec tout leur prestige, si des agens perfides n'étaient parvenus, par les machinations les plus infernales, à s é d u i r e , c a p ter et entraîner les nègres dans toutes les horreurs de la rebellion. E n conséquence, ni les colons ni leur g o u v e r n e m e n t n e prirent jamais a u c u n e p r é c a u t i o n , aucune sûreté, à l'effet de se garan tir d'un semblable é v é n e m e n t , pas m ê m e après la prise d'armes du mulâtre Ogé. Ils le supposaient d'autant plus impossible q u e les troubles et les désordres survenus entre les colons et les autorités supérieures, q u i


135 agitèrent la c o l o n i e entière durant u n e partie de cette a n née 1 7 9 1 et tout le cours de la p r é c é d e n t e , n'avaient causé le plus léger ébranlement,

la m o i n d r e fermentation dans

les innombrables ateliers, et n'avaient apporté aucun r e lâche n i interruption dans les travaux c o m m u n s ( 1 ) . Cette révolte primitive arrivée i n o p i n é m e n t et s'étant propagée en u n instant dans plusieurs quartiers d u n o r d, bitans livrés à celte complète sécurité,

les h a -

q u i fait leur é l o g e ,

et laquelle c o n t r i b u e si puissamment à la d o u c e u r de la vie p r i v é e , à cette paix intérieure q u ' a m b i t i o n n e le sage, furent

surpris,

la

plupart égorgés sans pitié,

et les

autres s'enfuirent précipitamment dans les villes, y p o r tant partout la désolation et l'effroi. D'après cette confiance entière et inaltérable, o n

ne

prévit pas et il ne fut plus possible d'empêcher cet élan i n surrectionnel d'éclater; et le défaut de s o i n s , de mesures préparatoires, n e p e r m i r e n t pas d'en arrêter les p r o g r è s . Ils furent tels q u e , dans deux fois vingt-quatre h e u r e s , les nègres,

d é n o m m é s alors à b o n droit brigands de la plaine

d u C a p , des quartiers circonvoisins et c e u x de quelques mornes

a d j a c e n s , massacrèrent impitoyablement et sans

distinction, h o m m e s , femmes et enfans,

économes et o u -

v r i e r s ; pillèrent, dévastèrent et incendièrent les h a b i t a tions. Ensuite l'ignorance de la cause p r e m i è r e , desmoteurs et des agens secrets qui les avaient mis en m o u v e m e n t , q u ' o n n'a jamais c o m b a t t u s , m ê m e après q u e cette cause a été révélée et que ces moteurs ont été c o n n u s , ont d u nécessairement entretenir et c o r r o b o r e r la révolte. E n f i n ,

(1 ) I l faut e n e x c e p t e r la p r i s e d ' a r m e s d ' O g é , a r r i v a n t d e F r a n e e a v e c ses i n s t r u c t i o n s , et q u e l q u e s a u t r e s é v é n e m e n s d e c e t t e n a t u r e . Les m o u v e m e n s opérés p a r cette insurrection n'ont c e p e n d a n t pus influé s e n s i b l e m e n t s u r l e s a t e l i e r s et o n t été apaisés p r e s q u e aussitôt.


136 la faiblesse de nos moyens de r é p r e s s i o n , au m o m e n t p r é c i s , u n seul régiment au Cap de mille h o m m e s qui n'était pas m ê m e au c o m p l e t , et quelques troupes patriotiques, formées à la hâte, ne permirent pas de s u i v r e , d'atteindre et d'anéantir la révolte dans sa marche toujours accélérat r i c e , dévorante et meurtrière. De p l u s , ces forces étaient contrariées, paralysées p a r la diversité et la divergence des opinions p o l i t i q u e s , par l'esprit révolutionnaire qui germait déjà de toutes p a r t s , par la faiblesse et l'anéantissement presque total de la puissance exécutrice. Cette autorité en butte alors à la haine et aux m o u v e mens p o p u l a i r e s , en lutte et en discordance avec les assemblées

délibérantes,

dont les moindres

démarches,

m ê m e les p l u s pures et les plus inoffensives, paraissaient suspectes et souvent c r i m i n e l l e s , par suite de cette m é fiance presque générale élevée contre e l l e , et dont les chefs taxés sans cesse de contre-révolutionnaires, harcelés et dégoûtés de leurs nobles fonctions par des dénonciations absurdes et les manoeuvres des factieux ; cette autorité n e put dans presque aucune occasion faire usage de ses moyens répressifs, ni agir avec cette liberté,

cette énergie i n d i s -

pensablement nécessaire p o u r diriger et c o m m a n d e r ses opérations. La r é u n i o n de toutes ces causes était certes plus q u e suffisante p o u r empêcher tout retour à l'ordre par la réduction des esclaves, sans avoir besoin de r e c o u r i r , p o u r cette e x p l i c a t i o n , à des suppositions forcées et g r a tuites, à ces moyens de puissance et de résistance p r é t e n dus

des

nègres ;

tous

éventuels et relatifs,

qui

n'ont

acquis de force et de durée q u e par nos divisions, par le défaut d'une autorité u n i q u e et réprimante. Cela est tellem e n t v r a i , que si une révolte semblable à celle que n o u s avons é p r o u v é e , s'était manifestée lorsque le gouvernement jouissait de la plénitude des pouvoirs qui lui sont inhérens c o m m e puissance e x é c u t r i c e , sans partage et sans discus-


137 s i o n ; e t , lorsque les habitans étaient docilement et r e s p e c tueusement soumis à l'autorité, essentiellement préservatrice et protectrice contre de pareils bouleversemens ; cette révolte aurait été apaisée d u m o m e n t m ê m e , o u p e u de temps après son apparition, si toutefois elle eût éclaté avec toutes les circonstances horribles q u i l'ont a c c o m p a gnée. C'est cette autorité et celte soumission qu'il est i m portant de rétablir dans toute leur vigueur p r i m i t i v e , si on veut obtenir u n succès c o m p l e t , maintenir l'ordre et la subordination d'une manière invariable parmi les i n d i - , vidus et toutes les classes de la société; e t , il n'y a pas de doute que les c o l o n s , quant à ce q u i les c o n c e r n e , n e soient disposés à fléchir sous cette d o u b l e garantie salutaire, et à c o n c o u r i r à s o u m a i n t i e n , par tous les moyens possibles. Cet état de division parmi les différentes classes, d e lutte entre les autorités supérieures et d'anarchie dans toutes les parties d u corps s o c i a l ,

s'est maintenu cons-

tamment le m ê m e jusques à l'arrivée

des premiers

et

seconds commissaires nationaux civils. Ces premiers o n t entretenu cet état de d i v i s i o n , de f e r mentation et de haine par leurs principes révolutionnaires, par cet esprit de philanthropie ou plutôt de négromanie , dont

le

commissaire

fatué et e n i v r é ,

Roume

était

particulièrement

in-

p a r u n e conduite partiale et i n c o m p a -

tible avec leur qualité de pacificateurs et de modérateurs, par des démarches finisses, impolitiques et contradictoires auprès des assemblées secondaires, des corporations m i l i taires et des chefs noirs, consignées dans leurs c o r r e s p o n dances et mémoires ; par une ignorance p r o f o n d e sur tous nos rapports c o m m u n s el particuliers qu'ils

cherchèrent

encore à c o m p l i q u e r et à o b s c u r c i r par des insinuations é q u i v o q u e s , p a r des décisions arbitraires et lyranniques. O n seut parfaitement qu'avec de pareilles idées,

avec de


138 semblables d é m a r c h e s , surtout avec cet esprit de p r é v e n tion et de n é g r o m a n i e , il devenait impossible

d'amener

les nègres à reconnaître aucune a u t o r i t é , et tous les efforts dirigés contre eux ont dû nécessairement é c h o u e r . Les s e c o n d s , q u o i q u e investis d'une grande puissance et accompagnés d'une force militaire c o m p o s é e de six mille h o m m e s , d'un n o u v e a u g o u v e r n e u r et de trois officiers généraux désignés p o u r

commander

dans chacune des

trois provinces de la c o l o n i e , le tout soumis à leur c o n s tante

réquisition ; ces

commissaires,

loin

d'apporter

a u c u n remède à nos m a u x , les a u g m e n t è r e n t , les aggravèrent, et firent de nos contrées une vallée de larmes et de deuil universel. A u lieu d'employer ces forces n o u velles contre les r é v o l t é s , ils les tinrent l o n g - t e m p s sur la d é f e n s i v e , sous le prétexte de s'assurer par e u x - m ê m e s , avant t o u t , des opérations militaires dont les premiers élémens leur étaient entièrement i n c o n n u s ; m a i s , b i e n réellement p o u r rassurer ces derniers sur leurs intentions amicales, fraternelles, et. en les favorisant par conséquent dans leur rebellion. E n c o n s é q u e n c e , ils suspendirent, rallentirent, amortirent les attaques projetées et dirigées c o n t r e eux ; et ils finirent par créer des légions dites de l'égalité, composées presque entièrement d'esclaves, par d o n n e r la liberté à u n e foule d'entre e u x , surtout à c e u x d é n o m m é s par eux g u e r r i e r s , et par l'acte de la m a n u mission générale. P o u r assurer cet objet principal et final de leurs t r a vaux philanthropiques o u plutôt n é g r o m a n e s , ils d é t o u r nèrent l'emploi des forces n a t i o n a l e s , et les dirigèrent c o n t r e les

seuls

colons-, envahirent à main armée des

quartiers entiers et tranquilles,

accompagnés de leurs s a -

tellites, et en se faisant précéder par des proclamations f u r i b o n d e s et sanguinaires qu'ils s'empressaient de mettre à exécution ; b o m b a r d è r e n t et incendièrent les villes p r i n -


139 c i p a l e s , emprisonnèrent et déportèrent u n grand n o m b r e de c i t o y e n s , après les avoir r a n ç o n n é s en masse et i n d i viduellement- désarmèrent la presque totalité de la classe blanche à l'aide de leurs nègres guerriers ; désorganisèrent et licencièrent u n e grande partie des troupes de l i g n e ; supprimèrent les autorités existantes, en substituèrent d'autres plus c o n f o r m e s à leurs v u e s ,

composées

de leurs seules créatures et de quelques agens r é v o l u t i o n naires arrivés de F r a n c e et i m b u s de leurs

principes;

usurpèrent tous les p o u v o i r s , et s'érigèrent, en définitif, chefs suprêmes et incontrôlables de la c o l o n i e , en e x e r cèrent la puissance avec u n e tyrannie et u n e cruauté de cannibales. O r , o n n e peut pas supposer ici q u e les efforts dirigés contre les rebelles o n t été réels et dès-lors efficaces, mais simplement

simulés et dès-lors sans effet, puisque les

commissaires avaient l'intention formelle de les affranchir (1) ; cela est de toute évidence. Ils ont d û , en c o n s é q u e n c e,

calculer

et s u b o r d o n n e r toutes leurs mesures

vers ce résultat si ardemment désiré par e u x , qu'ils ont eu l'impudence et l'audace insigne de p r o c l a m e r c o m m e l'acte de la plus haute sagesse et d'une vertu sublime ; acte qui n'emportait de leur part a u c u n sacrifice q u e l c o n q u e , qui a f a c i l i t é , en m ê m e t e m p s , leur s p o l i a t i o n , et dont leur e s p r i t , d é p o u r v u de toute l u m i è r e l o c a l e , était incapable

de

diriger les

différentes

dispositions

avec

cette rectitude q u e réclame la raison et u n e expérience c o n s o m m é e . Ils ont d û , par suite de cette c o m b i n a i s o n

(1) I l s e n o n t f a i t l ' a v e u d a n s l e u r s p r o c l a m a t i o n s et d a n s

leur

d é f e n s e a u p r è s d e s c o m i t é s d e l ' a s s e m b l é e n a t i o n a l e ; et ils ont aff i r m é q u ' i l s n ' e n o n t été e m p ê c h é s p r i m i t i v e m e n t q u ' à c a u s e d e s c i r constances forcées q u i auraient p u apporter quelques obstacles à leurs projets.


140 m a c h i a v é l i q u e , favoriser les révoltés dans toutes les r e n - . contres ; e t , p o u r l o r s , il n'est pas étonnant que ceux-ci n'aient été ni r é p r i m é s , ni s u b j u g u é s , nonobstant ces m o y e n s de force et de puissance d o n t o n les suppose si gratuitement doués. Et les efforts dirigés contre eux, s'ils avaient p u continuer à exister, sont d e v e n u s , par suite de la manumission g é n é r a l e , sans objet c o m m e sans u t i l i t é ; ils ont m ê m e , depuis cette é p o q u e , été employés en leur f a v e u r , en tout sens et dans la plus grande latitude, j u s q u ' a u m o m e n t de l'expédition d u général L c c l e r c . Ce g é n é r a l , malgré le soulèvement des nègres armés et la résistance de leurs c h e f s , malgré leurs efforts à p r o v o q u e r la révolte dans les ateliers, et l'enlèvement forcé d'une foule d ' i n d i v i d u s , blancs et nègres ; malgré leurs préparatifs et leurs machinations calculées d'avance à l ' e x pédition projetée et dont ils avaient été instruits par leurs affidés ; ce général n'en a pas m o i n s , dès son d é b u t , r e m porté sur e u x des avantages considérables. Il les a s u c cessivement débusqués de leurs postes,

battus dans toutes

les rencontres ; car ils ne se présentent jamais en ligne ni en front de bataille, ne c o n n a i s s a n t , c o m m e les sauvages, q u e la guerre d'embuscade. Il a dissipé et détruit leurs attroupemens , soumis leurs chefs, et envoyé le prétendu et le ci-devant gouverneur Toussaint en F r a n c e ; il a r é gularisé le travail sur les habitations en y rappelant les cultivateurs, en les forçant de se l i v r e r à leurs o c c u p a tions ordinaires ; et dans la partie d u sud tout présentait dejà le

spectacle de l ' o r d r e , de la subordination et de

l'organisation ancienne sans m u r m u r e et sans m é c o n t e n tement de la part de tous nos s u b o r d o n n é s ; j e dis m ê m e avec j o i e et reconnaissance de la part de tous ceux qui vivaient dans l'oppression et la m i s è r e , manifestant assez par là et leur situation passée et leurs véritables sentimens actuels.


141 Ces succès sont les mêmes q u e ceux obtenus en tout temps lorsqu'on a combattu les nègres résolument et ouvertement, et dont|les quartiers de la G r a n d e - A n s e , de Jacmcl ainsi que sous les Anglais, nous ont fourni u n exemple éclatant. Ils n'ont jamais p u résister u n seul instant ni dans auc u n e occasion au c o u r a g e , à la tactique et à l'ascendant e u r o p é e n , et il serait vraiment étonnant que cela pût être autrement. II le serait en effet que des b a r b a r e s , des d e m i sauvages, sans d i s c i p l i n e , sans aucune connaissance dans l'art de la g u e r r e , sans aucun m o y e n personnel de défense ni d'attaque, leurs armes et leurs munitions de guerre p r o venant des nations étrangères, c o m m u n i c a t i o n qu'on p e u t et doit interrompre d'après les usages observés en E u r o p e , et qui en constituent le droit p u b l i c ; il serait vraiment étonnant, et ce serait le seul exemple q u e n o u s offrirait l'histoire, que de pareils h o m m e s pussent prévaloir contre u n peuple p o l i c é , et encore contre quel peuple ! le plus magnan i m e et le plus b e l l i q u e u x , celui d o n t les fastes de la gloire brillent d'un éclat resplendissant parmi les nations a n c i e n nes et modernes du plus grand r e n o m , qui a tenu l ' E u r o p e sous sa domination pendant u n assez long espace de temps, et a porté ses armes victorieuses des b o r d s hyperboréens jusqu'aux déserts arides de l ' A f r i q u e , jusqu'aux s a b l e s b r û lans de la Syrie : de ce m ê m e peuple auquel il a fallu o p poser simultanément et tout à la fois et les f r i m a s , les conflits,

le ravage des é l é m e n s , et l'indifférence, l ' i m m o -

bilité des alliés au m o m e n t et au milieu m ê m e de la mêlée; et la confédération, l'armement général de toutes les puissances de l ' E u r o p e , présidée et dirigée en p e r s o n n e par leurs souverains respectifs; et l ' i m p r é v o y a n c e , l'ambition effrénée, les aberrations étranges d u c h e f suprême t o m b é dans u n état de délire, de d é m e n c e et par suite d'atonie c o m p l è t e ; et enfin la sorte d'engourdissement, de lassitude, de malaise g é n é r a l , ressenti par la plus grande masse de


l42 c i t o y e n s , q u i , fatigués, tourmentés de leur état présent, s o u p i r a i e n t , conspiraient p e u t - ê t r e p o u r u n nouvel o r dre de c h o s e s , joints aux voeux secrets et internes p o u r le retour de l'ancienne dynastie, précieux sentiment, lequel j semblable au feu sacré,

n'a cessé de brûler sur l'autel de

la liberté (1) et dans le temple à jamais révéré de la fidélité: il a f a l l u , d i s - j e , toutes ces circonstances réunies

pour

faire perdre m o m e n t a n é m e n t à cette belle F r a n c e , la p r e m i è r e dans l'ordre de la civilisation et des l u m i è r e s , cette supériorité dans les armes et cette p r é é m i n e n c e à laquelle elle est naturellement appelée par tout ce q u i peut justifier u n rang si élevé et u n e si n o b l e destination. Et c'est u n e pareille n a t i o n , douée d'une énergie et d'un courage sans é g a l , à laquelle des insensés et des imbéciles font l ' i n d i g n e , la dérisoire i n j u r e de croire qu'il lui sera impossible de trouver en elle u n e force disponible p o u r d o m p t e r u n e poignée de rebelles ; et p o u r ranger de n o u veau sous sa puissance u n e c o l o n i e o ù reposent les cendres de nos a i e u x , et où-gisent encore épars sur la terre

éplo-

r é e , abandonnés et foulés aux pieds par des i m p i e s , les ossemens de nos infortunés c o m p a t r i o t e s , auxquels n o u s devons u n e sépulture h o n o r a b l e , u n service annuel et religieux, en expiation des fautes et des erreurs attachées à la fragile h u m a n i t é , c o m m é m o r a t i f s de nos douleurs et de notre a m o u r , de notre respect et de notre piété envers l'arbitre suprême de l ' u n i v e r s , le consolateur et le r é m u nérateur de tous les m a l h e u r e u x,

de tous c e u x persécutés

et succombant ici-bas par les complots parricides et sous les coups meurtriers de leurs semblables.

(1) I l y a e u plus de véritable liberté e t d e b o n h e u r sous l'ancien r é g i m e q u e s o u s t o u t e s les f o r m e s d e g o u v e r n e m e n t é t a b l i e s p a r la r é v o l u t i o n , p a r les s é n a t u s - c o n s u l t e s et les d é c r e t s d e l ' e m p i r e ; et c e l a , sans a u c u n e e x c e p t i o n , j u s q u ' a u m o m e n t d u r e t o u r d u r o i .


143 Il n'y a que des peuples nomades q u i o n t présenté a u trefois le spectacle d'une lutte avantageuse et suivie q u e l quefois d'un plein succès ; mais les nègres sont b i e n l o i n de leur ressembler, puisqu'ils n'ont jamais sorti de l ' e n ceinte o ù ils sont nés, n'ont jamais fait de conquêtes q u e p a r m i leurs semblables,

et n ' o n t p u empêcher toutes les

nations anciennes et modernes, qui l'ont v o u l u , de f o r m e r des établissemens sur leurs côtes. Il serait vraiment étonnant et h o n t e u x q u e les Français f u s s e n t , de tous les peuples, les premiers et les seuls q u i dussent s u b i r , dans leurs c o l o n i e s , leur d o m i n a t i o n , et servir de trophée à l e u r gloire sauvage. N o n , j e n e puis n i n e dois le croire p o u r l'intérêt et l'honneur de ma p a t r i e , q u ' u n e pareille h u miliation, q u ' u n e semblable dégradation puissent se p r o longer plus long-temps ; et toute prolongation u l t é r i e u r e , n e craignons p o i n t de le d i r e , n o u s couvrirait d'un o p p r o b r e é t e r n e l , n o u s livrerait au mépris et à la risée d e la race n o i r e et c u i v r é e , le plus cruel et le plus sanglant des affronts, n o n - s e u l e m e n t p o u r le c o l o n , mais é g a l e m e n t p o u r tout Français q u i n'est pas d o m i n é , infatué et enivré de cet esprit de m u l à t r o m a n i e et de n é g r o p r o s é l y t i s m e , le dernier degré d'un délire insensé et b a r b a r e . Eh quoi

d o n c ! n e vous glorifiez-vous pas sans c e s s e ,

vous militaires de tout g r a d e , vous tous zélateurs et preneurs des droits de l ' h o m m e , vous tous fonctionnaires et administrateurs d i v e r s , vous tous orateurs et écrivains politiques de votre d o m i n a t i o n s u p e r b e , exercée sur l ' E u r o p e et asservie presque en totalité sous l'empire de celui q u i vous régissait n a g u è r e , devenu le régulateur suprême et u n i q u e de tous les intérêts généraux et de toutes les transactions diplomatiques, le distributeur en chef et sans émule des principautés et des r o y a u m e s ,

des sceptres et

des c o u r o n n e s ; et vous n e rougissez pas vous tous a u j o u r d'hui,

vous n'êtes pas humiliés et c o n f o n d u s de recevoir


144

la l o i , et de vous soumettre, par u n contraste aussi c h e quant q u e h o n t e u x , aux volontés tyranniques d'esclaves révoltés, d'une poignée de rebelles, de quelques peuplades barbares q u i ont e n v a h i , saccagé et stérilisé (1) u n t e r r i toire français et n a t i o n a l , l'héritage de vos enfans et de vos

( I ) I l y a d e s p e r s o n n e s q u i se s o n t figure et v e u l e n t n o u s p e r s u a d e r q u e«

l'île S a i n t - D o m i n g u e est p l u s r i c h e et p l u s

florissante

q u e j a m a i s . E l l e a , a j o u t e - t - o n , d e n o m b r e u x h a b i t a n s , elle l'ait u n c o m m e r c é é t e n d u ; sa r i c h e s s e est r é e l l e ; il y a d o n c d e

grandes

ressources à Saint-Domingue. — Des races d'hommes qu'on regard a i t c o m m e d é v o u é s à j a m a i s à la b a r b a r i e se s o n t é c l a i r é e s t o u t à c o u p ; le g o u v e r n e m e n t s'est o r g a n i s é,

l ' o r d r e s'y est r é t a b l i , et d e

c e t o r d r e est r é s u l t é la m o d é r a t i o n et les p r i n c i p e s d e j u s t i c e , t o u j o u r s d ' a c c o r d a v e c la l i b e r t é . — Q u o i q u e S a i n t - D o m i n g u e se soit d é r o b é e à la d o m i n a t i o n f r a n ç a i s e , c e t t e c o l o n i e a c o n s e r v é c e p e n d a n t les h a b i t u d e s f r a n ç a i s e s ; o n y p a r l e f r a n ç a i s ; o n y t r o u v e les m ê m e s a r t s, les m ê m e s m œ u r s , les m ê m e s u s a g e s ; la F r a n c e est t o u j o u r s sa m é t r o p o l e q u a n t à la c i v i l i s a t i o n . » E s t - i l p o s s i b l e d e c r o i r e , et à q u i f e r a - t - o n b o n n e m e n t

croire

q u e d e s p e u p l a d e s b a r b a r e s , a p r è s t r e n t e a n n é e s d e t r o u b l e s,

de

g u e r r e, d e d é v a s t a t i o n, d ' e m b r a s e m e n t et d e d e s t r u c t i o n c o m p l è t e d e s p r o p r i é t é s, d e c r i m e s et d ' a n a r c h i e e x t r ê m e s, o ù t o u s les s e n t i m e n s d e la n a t u r e et t o u s les p r i n c i p e s d e la s o c i a b i l i t é o n t

été

c o n s t a m m e n t m é c o n n u s et o u t r a g é s, se s o i e n t t o u t à c o u p é c l a i r é e s p a r u n e s o r t e d ' e n c h a n t e m e n t et de m a g i e (car il n ' a f a l l u r i e n m o i n s q u e cela p o u r p r o d u i r e u n effet aussi m i r a c u l e u x ), et se s o i e n t é l e vées à u n degré d'ordre ,

d e p r o s p é r i t é et d e r i c h e s s e,

supérieur

m ê m e à ce qu'offrait a u t r e f o i s u n p e u p l c h a u t e m c u t c i v i i i s é c t é c l a i r é , q u i n ' y é t a i t e n c o r e p a r v e n u q u ' a p r è s u n s i è c l e et d e m i d ' o r d r e et d e t r a v a u x s u i v i s a v e c u n e c o n s t a n c e a d m i r a b l e et sans r e l â c h e ? A qui fera-t-on accroire que des nègres soient devenus Français en c o n s e r v a n t les m œ u r s , les u s a g e s, l e s a r t s et les h a b i t u d e s d e c e s d e r n i e r s ? ce q u i s u p p o s e q u ' i l s les a u r a i e n t a c q u i s p r é c é d e m m e n t ; a b s u r d i t é p a l p a b l e ! des n è g r e s d e v e n u s F r a n ç a i s , é g a u x e n l u m i è r e s et s u p é r i e u r s e n r i c h e s s e s ! q u e l l e m é t a m o r p h o s e ; g r a n d D i e u ! C o m m e n t p e u t - o n a i n s i d é m e n t i r s c i e m m e n t et ê t r e e n o p p o s i t i o n m a n i f e s t e a v e c c e q u e l ' h i s t o i r e n o u s p r é s e n t e d e toutes p a r t s , o ù n o u s v o y o n s les n è g r e s , d a n s t o u t e s l e u r s a s s o c i a t i o n s q u e l c o n q u e s ,


145 frères impitoyablement massacrés,

anéanti u n e

source

première et des plus fécondes de vos richesses et de votre puissance ! Et quand d o n c la guerre peut-elle être plus légitimement e n t r e p r i s e , poursuivie avec plus de justice et de nécessité, avec u n e nécessité plus impérieuse et u n e justice plus obligatoire ( et c'est là sans doute ce que r é -

d a n s t o u s les l i e u x et d a n s toutes les s i t u a t i o n s d i v e r s e s , l i b r e s o u e s c l a v e s , r e s t e r i n v i n c i b l e m e n t d a n s l e u r état d e b a r b a r i e et d ' i g n o r a n c e p r i m i t i v e , d e p u i s les t e m p s les p l u s r e c u l é s j u s q u ' a u m o m e n t a c t u e l , sans a v o i r p u n i c h e r c h é à e n s o r t i r . P a r q u e l l e

métamor-

p h o s e et c h a n g e m e n t d e n a t u r e , c e u x d e S a i n t - D o m i n g u e s e r a i e n t i l s d o n c d e v e n u s différens q u e t o u s c e u x d e l e u r e s p è c e,

encore

s u b i t e m e n t et d a n s u n si c o u r t e s p a c e d e t e m p s ; l o r s q u ' i l faut d e s siècles e n t i e r s et u n e s u i t e d e c i r c o n s t a n c e s f a v o r a b l e s ,

dues

au

t e m p s , a u h a s a r d et s u r t o u t à u n é t a t de t r a n q u i l l i t é p a r f a i t e, p o u r faire p a s s e r u n p e u p l e p r o g r e s s i v e m e n t , et n o n e n c o r e t o u t à c o u p , c o m m e o n n o u s l ' a s s u r e,

e n u n état d e c i v i l i s a t i o n , d e r i c h e s s e e t

de lumière ? Il n'y a v é r i t a b l e m e n t que l'esprit de parti ou de nég r o m a n i e p o r t é a u p l u s h a u t d e g r é d ' e x a l t a t i o n e t d e frénésie

qui

p u i s s e n o u s e n t r a î n e r à a d o p t e r d e p a r e i l l e s e r r e u r s et d e s e m b l a bles

a b s u r d i t é s ; et d a n s la s e u l e i n t e n t i o n , n o n m o i n s

perfide

q u ' a n t i n a t i o n a l e , d e n o u s faire a b a n d o n n e r S a i n t - D o m i n g u e e n y substituant p o u r toujours des n è g r e s à des colons ; des é t r a n g e r s , à des F r a n ç a i s ; d e s b a r b a r e s,

à d e s h o m m e s p o l i c é s et é c l a i r é s ; e t

p a r s u i t e a u x A n t i l l e s u n e h o r d e d e s a u v a g e s et d e p i r a t e s, à t o u t e la c i v i l i s a t i o n

européenne ,

à s o n i n d u s t r i e f é c o n d a n t e et à s o n

génie supérieur. E t c'est u n d é p u t é m a r q u a n t q u i n'a p a s c r a i n t d ' a v a n c e r les différentes assertions rapportées a u c o m m e n c e m e n t de cette note! L ' é l o q u e n c e si s é d u i s a n t e p a r e l l e - m ê m e , qu'égarer ,

qu'engendrer

des

n e p e u t p a r là

erreurs funestes

même

lorsqu'elle

n'est

pas a c c o m p a g n é e d e c o n n a i s s a n c e s r é e l l e s et p o s i t i v e s s u r d e s m a tières m i s e s e n d i s c u s s i o n o u i n c o n s i d é r é m e n t r a p p e l é e s , e l l o r s q u ' e n f a i s a n t ainsi u n a b u s d e la p a r o l e, o n se l i v r e à sa s e u l e i m a g i n a t i o n , o u , c e q u i est e n c o r e p i r e , a u x n o t i o n s fausses e l i n s e n s é e s conçues égaiement intérêt et

en

faveur contraire

des à

nègres toute

,

par

expérience

suite ,

d'un à

système

toute

nouveau

vérité,

toute dignité nationale. 10

à

,

tout


146 clame des

l'exercice de

conquêtes

la puissance suprême,

fastueuses

p o u r venger l'honneur

et

plutôt que

brillantes ) ,

si ce

n'est

et la dignité nationale é m i n e m -

ment c o m p r o m i s,

et par la p e r s é c u t i o n , la

de ses membres,

et par l'usurpation de

souveraine dans u n e portion intégrante

mutilation

son de

autorité

l'empire ;

si ce n'est p o u r le recouvrement d'un domaine q u e vos seuls aïeux et leurs successeurs ont c r é é , établi et c o n solidé,

embelli et perfectionné par leur i n d u s t r i e , par

leur constante activité, et p e r d u depuis par les raisonnem e n s abstraits et le fanatisme révolutionnaire de tous vos orateurs et écrivains politiques, de tous vos scribes et i l l u minés ; si ce n'est enfin p o u r la protection des biens et des personnes de tous vos concitoyens,

et contre tout ce q u i

peut porter atteinte à ces droits p r é c i e u x et sacrés? Droits fondés sur les premiers principes de l'organisation sociale, sans lesquels celle-ci n e saurait exister avec l'ordre et la sûreté r e q u i s , et droits q u i n e peuvent jamais être réglés par des maximes p u r e m e n t t h é o r i q u e s , par des systèmes de philosophie et des abstractions métaphysiques, encore m o i n s par une politique nouvelle et philanthropique, q u i n'a p o u r soi ni l'expérience des siècles,

n i celle d'aucun

p e u p l e et d'aucun gouvernement connus ! E n suivant ces fausses lumières d u philosophisme m o d e r n e , ne craignez-vous pas d'avoir c o m p r o m i s l'honneur, la dignité nationale et la gloire de vos armes si justement célébrée et a d m i r é e ? e t , en voulant

r e c o n n a î t r e , par

suite de ce système et par u n acte a u t h e n t i q u e ,

l'indé-

p e n d a n c e et la souveraineté de cette nouvelle autorité africaine (1) i n c o n n u e jusqu'à nos j o u r s dans nos contrées ,

(1) N o u s d i s c u t e r o n s d a n s l ' o b j e c t i o n s u i v a n t e c e t t e o p i n i o n e x t r a v a g a n t e , et n o u s e n f e r o n s v o i r l ' i n j u s t i c e et les c o n s é q u e n t s funestes.


147 sur un sol qui ne lui a jamais a p p a r t e n u , et au milieu de ces nations européennes situées dans le grand archipel o c cidental,

comme

vous

en

sollicitent

une

foule

d'insensés

,

ou plutôt de véritables ennemis de la gloire et des intérêts nationaux,

n e consacrez-vous pas par là la plus grande

des injustices et des iniquités humaines envers tous les vôtres? Ne l é g i t i m e z - v o u s et n e sanctionnez-vous

pas

par là, et à jamais, par un pacte sacrilége , la r é v o l t e , le b r i g a n d a g e , les massacres, la spoliation des p r o p r i é t é s , l'excès des fureurs et des crimes auxquels la barbarie et la férocité peuvent se p o r t e r , et dont nos annales n'avaient point encore été jusqu'ici souillées? N e p r é s e n t e z - v o u s pas par là également u n exemple dangereux et éternellem e n t subsistant en faveur apparente p o u r les nègres et contre les colons dans vos autres possessions occidentales et orientales soumises encore à toute l'étendue du régime c o l o n i a l , et par contre-coup dans tout cet espace c o m p r i s sous le n o m de grandes et de petites A n t i l l e s , o c c u p é par des gouvernemens européens et leurs sujets ? Il est i m p o s sible, sans u n aveuglement volontaire et e x t r ê m e , de m é connaître, de n'être pas effrayé et terrorifié des c o n s é quences

funestes

et

inévitables

qui

résulteraient

de

l'action et d u c o n c o u r s de ces deux dernières causes agissant simultanément, des calamités et des m a u x sans n o m b r e qu'elles engendreraient avec cette foule d'agens devenus des instrumens actifs, souples et c o m m o d e s , p o u r o p é r e r ce bouleversement et cette conflagration générale. Les nègres n'auraient m ê m e jamais songé ni tenté de se soustraire à notre d é p e n d a n c e , s'ils n'y avaient été sans cesse provoqués et encouragés par u n e classe d'hommes et par ses machinations infernales. Malgré tous ces moyens de perfidie et de scélératesse exécutés par nos ennemis c o m m u n s p o u r les soulever et les entretenir dans leur r e bellion, un très-grand n o m b r e et des quartiers entiers ,


148 la G r a n d e - A n s e entre autres, ont s u , pendant assez longtemps, résister aux trames qui les enveloppaient de toutes p a r t s , ont rejeté la liberté offerte par les commissaires, en disant :« voulez-ly.

»

Liberté, Ils

ont

commissaire, combattu

et

là pas bon, repoussé

leurs

nous pas agens

,

marché allégrement sous les ordres de leurs maîtres pour soumettre ceux des leurs q u i méconnaissaient notre a u t o r i t é , au grand étonnement de tous leurs instigateurs. Cette v é r i t é , appuyée de preuves irrécusables,

sera

mise u n jour dans toute son é v i d e n c e ; nous en prenons aujourd'hui formellement l'engagement. Mais que nous importerait de faire connaître l'histoire de la révolution de S a i n t - D o m i n g u e , des événemens qui l'ont p r é c é d é e , accompagnée et suivie,

s'il ne nous est plus permis de

relever et de vivre sous le toit p a t e r n e l , de cultiver en paix nos héritages avec l'exercice des pouvoirs qui en sont dépendans,

et de les faire fructifier de nouveau p o u r la

plus grande utilité de la métropole et de toutes les classes de la société? Si, malgréles premiers avantages obtenus p a r l e capitaine g é n é r a l , il a fini par échouer dans son entreprise, c'est qu'il n'a su profiter ni de ses avantages ni des c i r c o n s tances; c'est qu'il s'est abandonné à des démarches fausses, injustes et i m p o l i t i q u e s , dont il lui aurait été facile néanm o i n s de se garantir, s'il avait v o u l u consulter les colons et se diriger d'après leur expérience ; mais o n a toujours dédaigné leurs utiles et salutaires assistances. Si cependant n o u s devons constamment servir a l'apprentissage de tous c e u x qui seront appelés a nous gouverner à S a i n t - D o m i n gue,

il faut désespérer du sort futur de la colonie et ne

plus c o m p t e r sur la possibilité de sa restauration. Le capitaine général a échoué parce que 1° après la p r o clamation r e n d u e , au m o m e n t de son d é b a r q u e m e n t , par laquelle il annonçait aux nègres q u e s'ils n e mettaient


149 bas les armes sur-le-champ, ils seraientpoursuivis ctdétruits c o m m e la flamme dévore les cannes ( ce sont ses p r o p r e s expressions ), il a n o n - s e u l e m e n t , au mépris de sa proclam a t i o n , laissé impunis leurs nouveaux forfaits, mais c o n servé encore quelques chefs nègres et mulâtres dans leur grade supérieur, auxquels il a eu de plus l'impudeur et l'indignité de d o n n e r des c o m m a n d e m e n s en chef dans les lieux mêmes o ù ils venaient de commettre les plus grands e x c è s , l'embrasement des villes et le massacre d'une foule de blancs qu'ils emmenaient forcément avec, eux ; actes , concessions

et

faveurs

injurieux

pour

les

colons,

avilissans

p o u r l'autorité qu'ils apprenaient par là à m é p r i s e r , et i n conciliables avec tout système d'administration

régulière

et morale : 2 parce q u e ces chefs conservés et autres, q u i 0

avaient été les plus grands incendiaires et les plus grands assassins, se servirent de leur nouveau p o u v o i r p o u r p r é parer et concerter de nouvelles insurrections,

lesquelles

éclatèrent en effet au m o m e n t de leur défection générale, projetée sans doute dès leur nomination et installation aux emplois publics : 3° parce q u e leur conservation dans le c o m m a n d e m e n t , en supposant m ê m e ces individus exempts de toute passion criminelle et de tout plan subversif, étant une mesure impolitique et dangereuse quant aux vrais i n térêts de la c o l o n i e , nuira constamment au retour de l ' o r d r e et de la subordination,

quel que soit d'ailleurs le régime

modifié q u ' o n voudra y établir, et quel q u e soit le n o m b r e de troupes destinées au maintien de la tranquillité publique : 4° parce q u ' o n a traité les nègres c o m m e s'ils devaient rester l i b r e s , idée q u i s'allie dans leur esprit avec la cessation des travaux et de tout assujettissement q u e l c o n q u e , les portera sans cesse aux m o u v e m e n s les plus déréglés et à méconnaître toute autorité l é g i t i m e , celle des p r o p r i é taires c o m m e du gouvernement : 5° parce que le plus grand n o m b r e et la presque totalité des habitations restèrent entre


150 les mains des régisseurs, séquestres o n fermiers, tous nègres et m u l â t r e s , tous accapareurs, détenteurs injustes et s p o liateurs publics des propriétés ; qu'avec u n pareil mépris p o r t é à cette première loi des sociétés sans raison ni m o t i f justifiables, il deviendra impossible a u x colons de jouir n i de reprendre aucune influence et considération dans les ateliers ; et c e n e sera cependant que par leur c o n c o u r s et avec leur assistance q u ' o n y rétablira l'ordre et la subordination, attendu leurs lumières acquises et leur a s c e n dant plus grand et plus efficace que tout autre, lequel peut se renouveler et se c o n s o l i d e r , s i , loin d'y apporter aucun ' o b s t a c l e , o n s'empresse de le favoriser de nouveau ; vérité première,

f o n d a m e n t a l e , et de laquelle il sera toujours

dangereux d e s'écarter : 6 ° parce qu'une grande majorité des officiers

attachés à l'expédition ( i l est pénible d e

l ' a v o u e r , mais le fait n'eu est pas moins c e r t a i n ) s'occupaient autant d e leurs intérêts propres, d u désir de s'enr i c h i r , q u e d e la réduction des nègres ; étaient en outre infectés d u plus mauvais e s p r i t , d'une prévention injuste et cruelle contre les c o l o n s , d'une prédilection

extrême

et insensée en faveur des nègres et mulâtres, c o m m e il est facile de s'en convaincre p a r les écrits q u e quelques-uns d'eux o n t publiés et continuent encore de publier

avec

l'approbation des journalistes et des écrivains p o l i t i q u e s ; sentimens p e r n i c i e u x et destructifs de tout p r i n c i p e d e réorganisation future ; 7° parce q u ' o n a éloigné et écarté les colons de toute influence et participation à l'administration p u b l i q u e, m ê m e de simple consultation ; au m ê m e m o m e n t qu'on prodiguait aux nègres et a u x mulâtres des c o m m a n d e m e n s s u p r ê m e s , q u ' o n les admettait, en quelque s o r t e , aux conseils et aux délibérations publiques ( T o u s saint a été consulté par le général ) ; q u ' o n a t é m o i g n é , en toute occasion,

à ces p r e m i e r s , u n e méfiance extrème et

i n j u r i e u s e ; q u e plusieurs o n t été incarcérés et exposés au


151 pilori p o u r de simples p r o p o s réputés indiscrets, et q u ' o n a livré ainsi la classe blanche à l ' i n f a m i e , à l ' o p p r o b r e ; lorsque, au contraire, la justice et la politique exigeaient q u ' o n la rétablit dans ses droits et dignités p r e m i è r e s , seul m o y e n par lequel o n rappellera et fixera de nouveau les anciennes maximes régulatrices et conservatrices

de

l'ordre et de l'existence coloniale ; 8° parce qu'enfin le renouvellement des hostilités avec l'Angleterre n e p e r m i rent pas de poursuivre et de consolider la conquête de S a i n t - D o m i n g u e , en rectifiant les premières e r r e u r s , e n revenant et en adoptant les anciens p r i n c i p e s , les seuls et vrais fondemens de sa restauration et de sa prospérité ; vérités reconnues enfin par le général L e c l e r c l u i - m ê m e , d o n t l'oubli et le mépris ont causé à cette époque tous nos m a l h e u r s , son chagrin particulier et sa m o r t prématurée. B o n a p a r t e , depuis sa chute, n'a pas hésité à convenir q u e l'expédition avait été mal conduite, et il aurait p u ajouter avec n o n m o i n s de vérité qu'il s'y était l u i - m ê m e mal p r i s , tant sous le r a p p o r t p e u t - ê t r e m i l i t a i r e , q u e sous celui plus important encore des combinaisons politiques. C o m ment, en effet, lui q u i se faisait u n j e u cruel et constant d'humilier les r o i s , d'asservir les peuples et de mépriser les h o m m e s , a-t-il c r u devoir ménager et entrer en c o m position avec des n è g r e s , esclaves révoltés, u n ramas de brigands jaunes et n o i r s , ces ravisseurs cruels des p r o priétés françaises, ces usurpateurs d u d o m a i n e et de la souveraineté nationale ? Les conceptions de cet homme , plutôt singulier que grand, étaient souvent aussi fantasques qu'incohérentes et excentriques. Les faits contenus dans ce paragraphe sont à la c o n n a i s sance des c o l o n s , des personnes

résidant à Saint - D o -

m i n g u e durant ces é p o q u e s . Si elles sont de b o n n e f o i , elles n'infirmeront aucun de nos faits,

si surtout elles ont

suivi les événemens avec cette justesse d'esprit, avec cette


152 maturité et impartialité reeprises p o u r asseoir u n j u g e m e n t sain et équitable. Ils répondent victorieusement, ce m e s e m b l e , à l'objection p r é s e n t e ; et ils seront de nouveau amplement constatés dans l'histoire de la révolution d e S a i n t - D o m i n g u e , ouvrage assez v o l u m i n e u x ,

entrepris

et exécuté depuis l o n g - t e m p s , et n o n encore p u b l i é . L'auteur de cet é c r i t , le m ê m e que du présent, n e s'est pas b o r n é au récit simple des faits, à leur nomenclature sèche et parfois a r i d e ; mais il s'est attaché à faire c o n naître les causes politiques, m o r a l e s , et les divers a g e n s , p r i n c i p a u x et secondaires, q u i ont contribué au bouleversement et à l'anéantissement de Saint-Domingue ; le tout appuyé de documens authentiques et de pièces irrécusables, qui sont depuis long-temps en sa possession. Bien différens, à cet égard, de ces compositions t r o n quées q u i ont p a r u jusqu'à ce j o u r , o ù chaque écrivain s'est m o i n s attaché à l'ensemble des événemens et à l e u r récit fidèle, q u e de faire ressortir son o p i n i o n et ses s e n timens particuliers en raison d u parti o u d u plan qu'il avait adopté, et qui a constamment négligé de lier et d ' a p p u y e r les faits, si souvent contestés et si souvent contestables, sur des d o c u m e n s historiques,

avérés et certifiés,

confrontés et analysés, seuls titres, n é a n m o i n s , p o u r m é riter

u n e créance générale et la maintenir inaltérable

contre les attaques multipliées des critiques. Bien d i f f é rens encore de ces m ê m e s compositions entreprises et e x é cutées par des personnes toutes étrangères et indifférentes au sort actuel et futur des colonies,

n'y ayant, c o m m e

particuliers, aucun intérêt direct ni p r é s e n t , si ce n'est celui d'un intérêt g é n é r a l , qui ne peut les atteindre, d o n t ils se s o u c i e n t , au reste, fort p e u ; qui n'y ont jamais s é j o u r n é o u seulement depuis la c o n s o m m a t i o n de nos t r o u bles,

et e n c o r e passagèrement.

Ces

personnes

seraient

peut-être incapables d'approfondir les causes de la r é v o -


153 lution française, dont elles ont été les témoins et p e u t être les acteurs ; et elles veulent o u osent discourir sur les causes premières de nos désastres et sur leur étonnante complication et ramification, en les entremêlant de p r i n cipes et de raisonnemens inapplicables à nos sociétés, dont elles n'ont jamais étudié les ressorts ni les m o u v e m e n s d i vers, n e connaissant, sous aucun des rapports essentiels, ni les h o m m e s ni les choses ( connaissance cependant i n dispensable p o u r asseoir u n j u g e m e n t sain, et arriver à une conclusion satisfaisante et raisonnable, sans quoi o n ne peut qu'errer en aveugle et en sophiste dans ce t o u r billon créé par l'imagination souvent en d é l i r e ) . A u s s i , dans leurs explorations, elles ne paraissent avoir en vue que d e u x seuls o b j e t s , n'être animées q u e de deux seuls sentimens ; le p r e m i e r , celui de leur amour prétendu et exclusif p o u r des nègres dont elles n e savent q u e l o u e r , exalter le courage et les vertus supposées ; le s e c o n d , celui d'une haine invétérée contre les colons, dont elles se font u n mérite constant de les c o u v r i r de b l â m e , de m é p r i s , en les déclarant bien i n f é r i e u r s , sous tous les r a p p o r t s , à leurs esclaves et à leurs affranchis. C'est une chose vraiment étonnante et déplorable, qu'au sein de la F r a n c e m ê m e de pareils écrits obtiennent des lecteurs et des p a r t i s a n s , soient annoncés et préconisés par quelques-unes de nos feuilles p u b l i q u e s , et par c e r tains pamphlétaires et orateurs publics qui s'extasient en m ê m e temps et niaisement sur l'ordre a c t u e l , sur la p e r fection de l'organisation sociale établie par les chefs n è gres avec les arts et les sciences dont elles nous font des descriptions pompeuses,

aussi fausses q u e fastidieuses ;

que ces é c r i t s , ces rapsodies et ces descriptions m e n s o n gères puissent prévaloir c o n t r e les droits de la n a t i o n , contre l'expérience des colons,

cette sagesse de tous les

siècles, la connaissance qu'ils ont des h o m m e s et des


154 choses; eux qui ont u n intérêt si évident au retour et à la conservation do l'ordre sur des hases fixes et assurées, et p o u r le b o n h e u r de tous. Cette prévention du p u b l i e et cet aveuglement de la part de certains écrivains, j o u r n a listes et orateurs, au m o m e n t m ê m e que les écrits publiés p o u r la défense des colons et des intérêts nationaux sont dédaignés,

à peine lus et a n n o n c é s , o u annoncés avec-

dénigrement et mépris,

p r o v i e n n e n t sans doute de ce

qu'aucun véritable c o l o n , celui q u i , implanté dans le s o l , et semblable à la plante i n d i g è n e , se flétrit c o m m e elle lorsqu'il en est a r r a c h é , et se trouve transporté par les vagues et les tempêtes dans des contrées lointaines, m e u r t par d e g r é s , à l'instar de sa c o m p a g n e,

et

s'il n'est

rattaché au sein q u i l'a vu n a î t r e , p o u r y puiser de n o u veau le sentiment de la vie et de l'existence,

paré de ses

attributs, de toutes ses formes et beautés p r e m i è r e s ; u n tel c o l o n n'a p o i n t encore paru dans l'arène p o u r c o m battre nos ennemis corps à c o r p s . N o u s n o u s faisons u n d e v o i r de renverser la barrière el d'entrer en l i c e , espérant q u e nous serons suivis par u n certain n o m b r e de n o s compatriotes p o u r la dispersion de ces faux et déloyaux chevaliers, armés, de pied en cap, des droits de l ' h o m m e , de la n a t u r e , des principes de la liberté et de l'égalité absolue,

de la souveraineté d u p e u p l e

et de la n é g r o -

m u l à t r o m a n i e , se servant d'armes e m p o i s o n n é e s , et sur l'écusson desquelles figurent les seuls trophées d'assassins et d'incendiaires, et portant p o u r devise : H a i n e éternelle aux c o l o n s , à l'empire et à la civilisation

européenne

aux A n t i l l e s , a m o u r extatique aux n è g r e s , à leur règne b a r b a r e et anarchique. Les p h i l a n t h r o p e s , en s'intitulant les amis des n o i r s , a u raient p u , par u n e juste conséquence et c o m m e

terme

corrélatif, y j o i n d r e l'odieuse épithète d'ennemis desblancsCar leur prétendu amour des uns n'a été en effet que p o u r


155 opérer la ruine et l'extermination de ces derniers. L e m o t philanthrope ,

d'après deux expressions grecques ,

signifie

absolument ami de l'homme sans aucune e x c e p t i o n , sans aucune désignation de r a c e , de classe n i de p e r s o n n e . C e u x de nos j o u r s q u i se sont arrogé ce titre,

en se disant et

en se particularisant les amis des n o i r s , devenus les objets de leurs affections et de leur sollicitude exclusive, ont, par là m ê m e , évidemment écarté et rejeté les b l a n c s , dénaturé et faussé leur véritable d é n o m i n a t i o n . Ils ne sont que de faux et perfides amis de l ' h u m a n i t é , o u des loups ravissans revêtus et parés de la peau de l'agneau dont nous parle l'Ecriture sainte, s'introduisant dans la bergerie p o u r y dévorer tout le troupeau. V o u s a v e z , par la p r e m i è r e qualification, usurpé u n titre qui n e vous appartient p a s ,

et vous avez

écarté

sciemment le seul auquel vous aviez u n droit b i e n é v i dent. C'est n o u s , c o l o n s , q u i sommes les seuls, les v é r i tables amis des n o i r s , en conformité de nos d e v o i r s , par notre humanité et par l'étendue de nos sacrifices en tout g e n r e , qui l'avons été mille f o i s , et le serons toujours plus que vous tous, ruines,

qui n'avez porté p a r m i

dévastation et a n a r c h i e , l'excès

de

eux que toutes les

folies et de tous les crimes i n c o n n u s jusqu'alors

sous

notre h e u r e u x c l i m a t , sous notre autorité p r o t e c t r i c e , tutélaire et bienveillante. P o r t e z , portez ailleurs, et chez nos e n n e m i s , si vous le d é s i r e z , vos principes d e s t r u c teurs ; b o r n e z - v o u s désormais à être justes et humains envers tous c e u x avec lesquels vous vivez en c o m m u n a u t é ; et n e venez p o i n t de n o u v e a u t r o u b l e r , bouleverser n o s relations sociales, o u, p o u r m i e u x d i r e , n'apportez plus votre exaltation p h i l a n t h r o p i q u e , dont l'expérience a déjà constaté toute la fausseté et l ' i m m o r a l i t é , au retour de la paix et du b o n h e u r parmi n o u s . L a justice vous l ' o r d o n n e , l'humanité m ê m e dont vous vous targuez, vous en prescrit


156 également le devoir ; et le g o u v e r n e m e n t , il faut l'espérer, saura vous rappeler à l'exacte observation de ces r è g l e s , par tous ses moyens d'influence et d'autorité. Car vous n'avez aucun t i t r e , aucun droit p o u r vous

immiscer,

sans n o t r e aveu, dans tout ce qui est relatif à nos intérêts particuliers et domestiques, dont la régularisation et l ' a p plication appartiennent essentiellement aux colons,

avec

le concours et la sanction de sa m a j e s t é , chef suprême de nos c o m m u n e s destinées. N o u s remarquerons de plus que la qualité d e p h i l a n thrope,

o u plutôt de philanthropomanc ,

est u n e n o u -

veauté née de nos temps modernes, une sorte de folie , d'égarement

et

de

fanatisme

pour

les

une,

d'hypocrisie

p o u r les autres, d'une c o m b i n a i s o n p r o f o n d e , intéressée et machiavélique de la part de l'Angleterre. Il n o u s serait facile de p r o u v e r que chaque siècle, à partir des croisades jusqu'au m o m e n t a c t u e l , a enfanté et adopté u n e idée d o m i n a n t e , d'où est résultée u n e passion e x c l u s i v e , t r è s souvent erronée,

parfois juste,

mais exagérée et exaltée

e n c o r e au-delà de toute b o r n e , q u i a é g a r é , tourmenté et maîtrisé la multitude, parfois les esprits les plus éclairés ; et telle est malheureusement et en général la nature de nos conceptions. Car de saisir ce juste milieu entre les e x t r ê m e s , se fixer à ce point d'arrêt et de retenue o ù l'on rencontre la v é r i t é , surtout en p o l i t i q u e , est le partage d'un b i e n petit n o m b r e d'individus. L e sage seul sait s'y arrêter, mais sa v o i x est bientôt étouffée au milieu de ce tourbillon de passions effervescentes et des imaginations e m b r a s é e s , occasionées par une o p i n i o n n o u v e l l e ,

reçue

sans e x a m e n , sur parole et avec enthousiasme, dont chac u n s'empresse de s'affubler , si surtout les vertus dont o n fait parade ne sont q u e de m o n t r e ,

d'apparat,

n'empor-

tant aucun sacrifice réel ni possible ; telle est la nature de la philanthropie . c'est l'hypocrisie du siècle, c o m m e l'a


157 remarqué u n auteur m o d e r n e . Elle a pris naissance en A n g l e t e r r e , c o m m e une foule d'autres opinions p h i l o s o pliistes et religieuses, au sein d'une société particulière érigée en secte, q u i en a fait son d o g m e fondamental, et l'a embrassée avec cette fureur de parti et de secte qui la d i s tingue é m i n e m m e n t , et en constitue l'esprit et l'essence ; et dès-lors elle est p e u p r o p r e à nous diriger,

à nous

éclairer. E n effet, cette philanthropie universelle est u n e c o n c e p t i o n fausse et chimérique,

inapplicable à nos s o -

ciétés circonscrites, dont les intérêts et les sentimens n e sont pas d'une nature d i v e r g e n t e , n i susceptibles de cette extension et de cette expansibilité indéfinie, embrassant dans sa sphère l'universalité de l'espèce humaine. Si c e u x ci devenaient nos mobiles o u influaient sur nos d é t e r m i n a tions,

ils nous écarteraient de nos d e v o i r s , de cet amour

de la p a t r i e , l e q u e l , p o u r conserver son énergie et son efficacité, doit être, en quelque sorte,

exclusif, ne c o n -

naissant d'autre objet d'intérêt et de sollicitude que celui relatif à ses associés, y concentrant toutes ses f o r c e s , tous ses moyens et toute sa sociabilité

(1).

Je le demande à la b o n n e foi de tous nos lecteurs, si o n p e u t , si o n doit m ê m e aimer u n T a r t a r c , u n I r o q u o i s , u n nègre o u u n habitant des antipodes avec cette extase et cette frénésie apparente q u e font éclater les négrophiles,

(1) C'est ainsi q u e l e s a n c i e n s , d o n t n o u s a d m i r o n s le p a t r i o t i s m e , se s o n t é l e v é s à d e s a c t e s d e d é v o u e m e n t ,

d ' h é r o ï s m e et d e v e r t u ,

d o n t ils a u r a i e n t été n é a n m o i n s i n c a p a b l e s s'ils n ' a v a i e n t r e s s e n t i p o u r t o u s les m e m b r e s d e la s o c i é t é d o n t ils faisaient p a r t i e, a m o u r e x c l u s i f , et si s u r t o u t i l a v a i t existé p a r m i e u x u n e s e m b l a b l e à c e l l e des p h i l a n t h r o p o m a n c s ,

qui aurait

cet secte

cherché à

d é n a t u r e r , à p e r v e r t i r l e u r s s e n t i m e n s , en l e u r faisant p r e n d r e u n e fausse d i r e c t i o n . L e s G r e c s et les R o m a i n s n ' é t a i e n t c e r t e s p a s d e s p h i l a n t h r o p e s , et a u c u n p e u p l e , a u c u n g o u v e r n e m e n t n e s a u r a i t le d e v e n i r , sans n u i r e à sa l é g i s l a t i o n , t o u t e p a r t i c u l i è r e et e x c l u s i v e .


158 lesquelles ne seraient pas m ê m e admises envers nos p r o pres concitoyens ? si on p e u t , si o n doit m ê m e ,

dans

l'ordre politique o u sous u n rapport g é n é r a l , porter à ces premiers u n intérêt supérieur o u égal m ê m e à celui q u ' o n doit à ces derniers? si les devoirs et les obligations a u x quels nous sommes astreints envers c e u x - c i , ne sont pas d'une nature plus impérieuse et plus sacrée? si les sentimens qui n o u s lient à eux ne suffisent pas p o u r remplir et satisfaire en entier le c œ u r de tout h o m m e humain et sensible, quel que soit le degré d'expansion à laquelle son âme peut se l i v r e r , sans avoir besoin de r e c o u r i r à ces exagérations d'idées et de sentimens qui sont plutôt h y p o thétiques et simulés que réels? Et s i , au lieu de ces devoirs et de ces sentimens q u e n o u s imposent également et la nature et la s o c i é t é , o n vient à les enfreindre p o u r f a v o riser u n e race entière et é t r a n g è r e , n e d e v i e n t - o n pas par là doublement coupable (1) ?

(1) R o u s s e a u , s u r les o p i n i o n s d u q u e l t o u s nos faiseurs se s o n t a p puyés pendant notre révolution, aurait formellement désapprouvé et c e n s u r é,

a v e c s o n é n e r g i e o r d i n a i r e , le s y s t è m e e n t i e r des p h i -

l a n t h r o p e s , et s u r t o u t l e s m e s u r e s e m p l o y é e s p a r les n é g r o p h i l c s . P o u r s ' e n c o n v a i n c r e , j e v a i s e x t r a i r e d e ses é c r i t s les d e u x p a s sages s u i v a n s . « Il s e m b l e q u e l e s e n t i m e n t de l ' h u m a n i t é s ' é v a p o r e et s'affaib l i s s e e n s ' é t e n d a n t s u r t o u t e la t e r r e , et q u e n o u s n e s a u r i o n s ê t r e t o u c h é s d e s c a l a m i t é s d e la T a r t a r i e o u d u J a p o n , c o m m e d e c e l l e s d u p e u p l e e u r o p é e n . I l f a u t , e n q u e l q u e m a n i è r e , b o r n e r et c o m p r i m e r l ' i n t é r ê t et la c o m m i s é r a t i o n p o u r lui d o n n e r de l ' a c t i vité. O r ,

c o m m e ce p e n c h a n t e n n o u s n e p e u t ê t r e u t i l e q u ' a v e c

c e u x a v e c q u i n o u s a v o n s à v i v r e , il est b o n q u e l ' h u m a n i t é , c o n c e n t r é e e n t r e les c i t o y e n s , p r e n n e e n e u x u n e n o u v e l l e f o r c e p a r l ' h a b i t u d e d e se v o i r et par l ' i n t é r ê t c o m m u n q u i les u n i t . Il est c e r t a i n q u e les p l u s g r a n d s p r o d i g e s do v e r t u o n t été p r o d u i t s p a r l ' a m o u r d e la p a t r i e : ce s e n t i m e n t d o u x et v i f , q u i j o i n t la de l ' a m o u r - p r o p r e à t o u t e la b e a u t é d e la v e r t u,

lui

donne

force une


159 P a r le d r o i t n a t u r e l , n o u s sommes astreints à n e faire a u c u n tort à n o t r e p r o c h a i n , et à n e lui porter a u c u n e sorte de p r é j u d i c e ; c'est là u n e vertu négative qui n ' e m p o r t e avec elle

aucune

obligation directe ni active. Mais

la loi de la nature n e n o u s dit pas qu'il faille nous sacrifier e n tout p o i n t p o u r n o t r e semblable,

habitant les contrées

lointaines, lui faire l'abandon de tous les intérêts et droits

é n e r g i e , q u i , sans l a d é f i g u r e r , e n fait l a p l u s h é r o ï q u e d e toutes les p a s s i o n s .»

( Discours

sur l'économie

politique.

)

« Je p a r l e d e c e l t e s u b v e r s i o n d u p l u s d o u x d e s s e n t i m e n s d e l a n a t u r e , i m m o l é à u n s e n t i m e n t artificiel q u i n e p e u t s u b s i s t e r q u e p a r e u x ; c o m m e s'il n e fallait p a s u n e p r i s e n a t u r e l l e former

des liens

de convention ; comme

si l ' a m o u r

pour

qu'on

a

p o u r ses p r o c h e s n'était p a s le p r i n c i p e d e c e l u i q u ' o n d o i t à l'état; c o m m e si c e n'était p a s p a r la p e t i t e p a t r i e , q u i est la f a m i l l e , q u e l e coeur s ' a t t a c h e à la g r a n d e ; c o m m e si c e n'était p a s l e b o n f i l s , l e b o n m a r i , l e b o n p è r e , q u i fait l e b o n c i t o y e n . — L ' e s s e n t i e l e s t d ' ê t r e b o n a u x g e n s a v e c q u i l'on v i t .» ( Emile.

)

C e s o n t l à d e s v é r i t é s e x p r i m é e s a v e c c l a r t é et justes.se, a u x q u e l l e s a u c u n h o m m e sensé et j u d i c i e u x n e s a u r a i t r e f u s e r s o n a c q u i e s c e ment,

e t q u i r e n f e r m e n t l a c o n d a m n a t i o n d e s p h i l a n t h r o p e s et

négrophiles. « Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu'ils dédaignent de remplir autour d'eux: tel p h i l o s o p h e a i m e l e s Tactares p o u r ê t r e d i s p e n s é d ' a i m e r s o n Voisin.» (Emile.

) V o i l à , traits p o u r traits,

les n é g r o p h i l e s .

De p l u s , B u r k e a d i t ( j e t r a d u i s l i t t é r a l e m e n t ) : « E t r e a t t a c h é à sa p e t i t e d i v i s i o n, a i m e r l a p e t i t e s e c t i o n à l a q u e l l e n o u s a p p a r t e n o n s d a n s l ' o r d r e s o c i a l , est l e p r e m i e r p r i n c i p e , l e g e r m e p a r e s s e n c e des affections p u b l i q u e s . C'est l e p r e m i e r c h a î n o n d e la série p a r l a q u e l l e n o u s p r o c é d o n s d a n s n o t r e a m o u r p o u r la p a t r i e et l e g e n r e h u m a i n . L e s i n t é r ê t s d e c e t t e p o r t i o n d e la société s o n t u n d é p ô t d a n s les m a i n s d e c e u x a u x q u e l s il a été confié ; et c o m m e i l n ' y a q u e des h o m m e s p e r v e r s q u i p e u v e n t e u a b u s e r , il n'y a é g a l e m e n t q u e d e s traîtres q u i p e u v e n t e n faire u n trafic p o u r l e u r s a v a n t a g e s p e r s o n n e l s .» tendus philanthropes. )

( E t c'est c e q u ' e n o n t fait c e r t a i n s p r é -


160 de la société dont nous sommes m e m b r e s , aimer lui et la race dont il fait partie de préférence à l'égal m ê m e d'une classe de nos propres c o n c i t o y e n s , les colons, c o m m e les négrophiles l'exigent,

en poursuivant

l'anéantissement

des droits de ces d e r n i e r s , quels que soient les malheurs et les m a u x qui en sont inséparables, et quand m ê m e il en résulterait la dissolution et le déchirement de leur s o ciété particulière. O r, les nègres ne sont point esclaves par notre p r o p r e fait ; nous les trouvons tels dans leur pays natal dès le temps le plus i m m é m o r i a l . E n les achetant et en les r é d i mant d'une servitude atroce, o ù leur vie n'est pas assurée u n seul instant, et o ù plusieurs milliers de leurs s e m b l a bles sont immolés annuellement en h o n n e u r de leurs d i e u x fantastiques et aux mânes de leurs ancêtres, n o u s améliorons sensiblement leur sort en les affranchissant à jamais de ces boucheries prétendues sacrées ; nous les conduisons et les faisons passer à une condition i n c o m p a rablement meilleure,

autrement douce et h u m a i n e , o ù

ils j o u i s s e n t , sous la protection de nos l o i s , sous l ' a u t o rité éclairée, tutélaire et bienveillante de leurs n o u v e a u x maîtres, d'une foule d'avantages et de biens précieux qui l e u r étaient p r é c é d e m m e n t i n c o n n u s , et qu'ils ont échangés contre leur ancienne s e r v i t u d e , à la grande satisfaction et au grand contentement d'eux tous. N o u s ne c o m m e t tons d o n c à l e u r égard aucune i n j u s t i c e , aucun m é f a i t ; nous remplissons, au c o n t r a i r e , u n acte de faveur et de bienfaisance,

q u o i q u e notre intérêt nous l'ait dicté ; car

sans notre i n t e r v e n t i o n , ils seraient p o u r toujours s o u mis au plus d u r , au plus féroce esclavage. E n supprimant cette intervention par la prohibition de la traite, vous ne changez en rien leur situation malheureuse ; vous c o n damnez, sans retour et sans espoir, c e u x d'entre eux que nous aurions soustraits au j o u g barbare de leurs semblables


161 à vivre perpétuellement dans l ' o p p r e s s i o n , la m i s è r e , et sous le fer tranchant de leurs sacrificateurs impitoyables. Il serait sans doute plus n o b l e et plus généreux de les affranchir complètement; mais quels sont d o n c les i n d i vidus et les gouvernemens qui consacrent ainsi gratuitement leurs sueurs et leurs trésors, p o u r aller au l o i n rédimer de la servitude des êtres qui leur sont i n c o n n u s , en se déclarant les libérateurs de tous les opprimés sur le g l o b e , et le vengeur de l'humanité souffrante? Il

n'en

existe point d'exemple chez aucun peuple. Les nègres se trouvent tellement h e u r e u x dans leur nouvelle s i t u a t i o n , c o m p a r é e à celle qu'ils éprouvaient dans leur pays n a t a l , qu'il n'en est a u c u n , j e dis pas u n s e u l , qui voulût y retourner. Ils vous disent et vous diront t o u s , sans aucune exception et sans hésitation, dans l e langage créole,

«

Pays-ci b o n ; n o u s b i e n contens,

travail assez qui mauvais»

(1).

c'est

L a servitude n'est p o u r

eux u n e peine q u e parce qu'elle les astreint à u n travail suivi ; sans cette c o n d i t i o n , elle leur serait indifférente. Elle n'est p o i n t p o u r eux u n e peine morale qui tourmente

(1) «

O n a e u l e p r o j e t d ' e n v o y e r des s o l d a t s n o i r s , r e t i r é s d u

service,

e n A f r i q u e , d a n s les différentes n a t i o n s o ù ils o n t p r i s

n a i s s a n c e , p o u r y r e c r u t e r des soldats. L e g o u v e r n e m e n t

anglais

a a c c u e i l l i ce p r o j e t a v e c e m p r e s s e m e n t : il a d o n n é o r d r e a u x g o u v e r n e u r s d e s différentes c o l o n i e s a n g l a i s e s o u c o n q u i s e s s u r les F r a n ç a i s , d ' e n g a g e r les n è g r e s à p a r t i r p o u r l ' A f r i q u e . Ils o n t u n a n i m e m e n t r e f u s é de r e t o u r n e r d a n s l e u r p a t r i e . O n l e u r a fait des offres les p l u s s é d u i s a n t e s , ils o n t p e r s i s t é d a n s l e u r r e f u s . O n a m e n a c é d e les y c o n d u i r e d e f o r c e : ils o n t d i t q u ' i l s se j e t t e r a i e n t à la m e r . Voilà disent

la les

réponse prétendus

aux

lamentations

philanthropes

,

sur les

la

traite

malheureux

qui

arrache

nègres

à

,

une

p a t r i e q u ' i l s a i m e n t et q u ' i l s r e g r e t t e n t t o u j o u r s ! Q u e l l e c o n f i a n c e , d o n n e r a - t - o n à ces d é p l o r a b l e s d é c l a m a t e u r s q u i o n t t r o m p é l ' E u r o p e et p e r d u les c o l o n i e s ?« ( Essai nies occidentales

sur l'administration

des

, p a r M . B. ) 11

colo-


162 leur esprit, bouleverse leurs idées et leurs sensations, qui leur rappelle une situation antérieure, différente et s u p é rieure à celle qu'ils éprouvent aux c o l o n i e s , c o m m e elle le serait évidemment p o u r des individus éclairés, j o u i s sant de la plénitude de leurs d r o i t s , et tombant t o u t - à c o u p dans les chaînes de l'esclavage. Elle est simplement p o u r eux une peine p h y s i q u e , en les contraignant f o r c é m e n t à u n travail c o n t i n u ,

sans rétribution p o s i t i v e ,

d o n t il nous est impossible de les affranchir, et lequel n ' e s t , après tout et à b i e n p r e n d r e , q u ' u n e juste i n d e m nité p o u r leur délivrance et le rachat de leur p e r s o n n e ; et travail auquel la nature a soumis forcément el i n d i s tinctement tous les h o m m e s , soit c o m m e exerçant l'action de leur intelligence,

soit c o m m e agent m a t é r i e l ,

sans

lequel l ' h o m m e n e saurait vivre et exister, n i c o m m e i n d i v i d u , ni c o m m e m e m b r e du corps social. O r les c o l o n s , en e m p l o y a n t leur intelligence et leur expérience p r a t i que p o u r la direction des travaux c h a m p ê t r e s , p o u r la conduite d'hommes dont ils o n t étudié le c a r a c t è r e , les m œ u r s et les habitudes pendant le cours d'une longue v i e , à l'effet de les maintenir dans u n o r d r e régulier et a n a logue à leur nature particulière ; ces colons exercent le plus noble des emplois et u n travail i n c o m p a r a b l e m e n t supérieur

à

celui

de

tous

nos

négrophiles.

Car

ceux-ci

,

par leurs travaux et leurs efforts, ne tendent évidemment qu'à é g a r e r , qu'à pervertir et enflammer l'esprit des n è g r e s , en leur suggérant des idées et des sentimens i n c o m patibles avec leur organisation m o r a l e , avec leur état et leur devoir habituels ; à les irriter et les exciter, au m o y e n de ces insinuations perfides et révolutionnaires, à se s o u lever contre l'autorité de leurs anciens m a î t r e s , en les conduisant a i n s i , et i m m a n q u a b l e m e n t , au renversement total de l'édifice c o l o n i a l , par le saccagement des p r o priétés et le massacre des habitans.


163 Nous savons d'avance q u e ces idées et ces raisonnemens, q u o i q u e j u s t e s , fondés en p r i n c i p e , en d r o i t , et sur l'humanité m ê m e, ne seront pas accueillis p a r l e s négrophiles, mais signalés au contraire par e u x c o m m e de nouvelles i m p i é t é s , de n o u v e a u x attentats contre les droits i m p r e s criptibles

de l ' h o m m e ,

ne

dénotant,

de

notre p a r t ,

q u ' u n e âme b a r b a r e , u n e n n e m i invétéré d u b o n h e u r de ses semblables et u n

véritable

négrophage,

ou,

pour

m i e u x dire e n c o r e , u n a b o m i n a b l e n é g r i v o r c , c o m m e plusieurs d'entre e u x , et u n ministre révolutionnaire q u e je ne veux pas n o m m e r , se sont p l u à n o u s n o i r c i r et à n o u s flétrir, ce q u i manifestait de leur part une injustice, u n e haine et u n e frénésie qu'aucun langage humain n e saurait rendre n i e x p r i m e r . Habitués depuis long - temps

à entendre

leurs

cla-

meurs et leurs c a l o m n i e s , leurs inculpations fausses, v i rulentes et m e n s o n g è r e s , nous avons appris à les d é d a i gner et à les m é p r i s e r . N o u s nous en rapportons confiance au j u g e m e n t de personnes éclairées,

avec

q u i ont

observé et étudié les nègres sur les lieux mêmes,

sans

prévention n i esprit de p a r t i , sans haine p o u r les uns et sans a m o u r p o u r les autres, d o n t l'expérience en p o l i t i q u e leur a appris q u ' a u c u n g o u v e r n e m e n t n'est i d e n t i quement le m ê m e ; que chacun a sa constitution, ses lois et ses usages qui lui sont p r o p r e s et ne sont applicables qu'à lui seul. N o u s déférons au jugement de ces seules p e r s o n n e s , p o u r déterminer jusqu'à quel p o i n t les faits et les raisonncmens sur lesquels nous nous sommes appuyés sont justes et concluans ; r é c u s a n t , c o m m e de raison, tous ces négrophiles, leurs partisans et leurs adhérens,qui n'ont été que leurs échos, q u i se sont tous montrés les amis des noirs et les ennemis des b l a n c s , q u i n e sont jamais sortis de l'enceinte de leurs c o n c i l i a b u l e s , o ù l'on ne respirait que l'air infect de dénonciations et des crimes supposés


164 des c o l o n s . Ces n é g r o p h i l e s , ne connaissant et ne pouvant connaître en effet ni les uns n i les autres, sous aucun de leurs rapports vrais et essentiels, puisqu'ils né se sont jamais transportés sur les lieux p o u r les o b s e r v e r , se Contentant d'y substituer des données fausses, des notions vagues, le délire de leur imagination et de leur système frénétique,

pour

des vérités incontestables, p o u r des

principes ordonnateurs et régénérateurs de nos sociétés particulières. Q u e l l e présomption orgueilleuse! quel d é lire insensé ! Q u e l écart m o n s t r u e u x dans l'accomplissement

de nos d e v o i r s , et dans

l'épanchement ,

dans

l'effusion de nos vrais sentimens ! Si ces h o m m e s , français

et anglais,

n'abandonnent

pas leurs erreurs insensées et leurs criminels attentats contre les colons,

il sera p o u r lors facile,

et on ne sera

pas embarrassé d'assigner la classe à laquelle ils appartiennent dans la généralité des êtres. Car il existe,

dans

l'ordre moral des sociétés , u n e classification parmi les h o m m e s indépendante de la hiérarchie des pouvoirs, des prestiges de l'autorité, des litres et des décorations d o n t n o u s n o u s pavanons dans notre orgueilleuse v a n i t é , et malgré le fracas de nos sciences fastueuses, souvent erronées et perverties,

particulièrement en p o l i t i q u e ,

par

cette fureur systématique de secte o u de p a r t i , qui nous p o r t e à méconnaître les vérités les plus essentielles, tout p r i n c i p e de justice, tout sentiment d'humanité : et celui q u i n'aura o c c u p é que le dernier degré sur celte échelle m o r a l e de la vie h u m a i n e , fût-il d'ailleurs potentat o u p o n t i f e , sera j u g é s é v è r e m e n t , frappé et flétri de la r é p r o bation

universelle par la postérité ;

et apparaîtra,

le

c œ u r contrit et le front prosterné dans la p o u s s i è r e , d e vant celui qui a r é g l é , de toute éternité, l'accomplissement des temps à venir. F o r t i f i o n s , par des considérations n o u v e l l e s , ces d i -


165 verses p r o p o s i t i o n s ; e t , p o u r cet effet, prévalons - n o u s d'un passage d'un écrit p e u c o n n u d u p u b l i c , dont a u c u n j o u r n a l ne fit m e n t i o n , par cela seul qu'il avait été rédigé en faveur des colons et de leur système. « Les droits des n è g r e s , leur demanderai-je à e u x tous, sont-ils d o n c tellement sacrés qu'ils o n t d û nécessairement effacer, anéantir par là radicalement et sans r e t o u r c e u x des blancs ? Les droits de c e u x - c i sont-ils n u l s , de toute nullité ? et c e u x des autres sont-ils tout ? Les droits d u sang n e sont-ils d o n c r i e n ? N e f o r m e n t - i l s p a s , a u c o n t r a i r e , dans l'ordre politique, le p r e m i e r de nos liens et de nos e n g a g e m e n s , c o m m e , dans l'ordre m o r a l , la plus sainte de nos obligations ? O n est parent avant q u e d'être c i t o y e n , citoyen avant q u e d'être c o s m o p o l i t e , p h i l a n t h r o p e, o u n é g r o p h i l e . Est-il d o n c permis de s'occuper d'êtres éloignés avec lesquels n o u s n'avons que des rapports généraux,

de leur accorder exclusivement nos soins et

notre sollicitude, lorsque tout notre temps et tous nos m o y e n s ne peuvent suffire au soulagement de tous c e u x avec lesquels n o u s vivons en c o m m u n a u t é ; et lorsqu'il existe tant d'injustices à réparer , tant de maux à apaiser , tant de biens à effectuer dans le cercle étroit dans lequel nous sommes forcément circonscrits ? Ce sont là nos p r e mières et nos plus constantes obligations,

et toute dévia-

tion de ces devoirs est une direction fausse et r é p r é h e u s i b l e , souvent u n e injustice et u n véritable délit envers le p u b l i c et chacun de nos coassociés. «En

effet, le p r e m i e r sentiment q u ' i m p r i m e la nature

chez tous les h o m m e s , est l'amour de soi ; le second est relatif aux affections de la parenté,

et c e l l e - c i , chez les

personnes sensibles, d'un h e u r e u x n a t u r e l , o u q u i o n t reçu

une

éducation

s o i g n é e , se c o n f o n d et

s'identifie

avec le p r e m i e r . A la suite d e ces premiers penchans de la nature succède celui q u e n o u s ressentons et d e v o n s


166 p r e n d r e aux êtres avec lesquels nous vivons en s o c i é t é , sentimens q u e les gouvernemens sagement constitués s'efforcent à encourager et à p r o p a g e r . « L a justice et l'équité sont également, dans l'ordre social, subordonnées aux lois positives et existantes, et se règlent sur des convenances particulières dérivantes de notre acte d'association, maintien,

q u i ont p o u r b u t u n i q u e et constant le

la durée de ces associations particulières sur

des bases fixes et arrêtées. P o u r les h o m m e s réunis en s o c i é t é , la justice universelle est u n sentiment aussi e x a géré q u e celui de leur a m o u r expansif p o u r tous les i n d i vidus de l'espèce h u m a i n e . Il n'appartient qu'à l'auteur de la nature d'avoir celle b o n t é et cette justice universelle, p a r c e q u e ses attributs sont illimités sous tous les rapports possibles et hors de notre c o n c e p t i o n ; tandis que les f a cultés morales et intellectuelles de l ' h o m m e n e peuvent s'exercer q u e dans u n cercle b o r n é et c i r c o n s c r i t , relatif à ses faiblesses et à ses imperfections en tout g e n r e . O n n'aurait m ê m e pas de peine à p r o u v e r q u e l'amour de la patrie et toutes les vertus qu'elle c o m m a n d e sont e x c l u sifs de l'humanité et de tous les sentimens q u i en dépend e n t ( 1 ) , et que le patriotisme l u i - m ê m e s'affaiblit dans la m ê m e p r o p o r t i o n q u e l'état s'agrandit ; tant il est vrai q u e nos devoirs et nos sentimens d i v e r s , de quelque n a ture qu'ils s o i e n t , n e sont pas susceptibles d'une extension

(1) «

L e p a t r i o t i s m e et l ' h u m a n i t é s o n t,

v e r t u s i n c o m p a t i b l e s d a n s l e n r é n e r g i e,

par exemple, deux

surtout chez u n

peuple

e n t i e r . L e l é g i s l a t e u r q u i les v o u d r a t o u t e s d e u x , n ' o b t i e n d r a n i l ' u n e ni l ' a u t r e .

C e t a c c o r d n e s'est j a m a i s t r o u v é, il n e se v e r r a

j a m a i s , p a r c e q u ' i l est c o n t r a i r e à la n a t u r e , et q u ' o n n e p e u t d o n n e r d e u x o b j e t s à la m ê m e p a s s i o n .» tagne ,

C'est au m o m e n t blées,

( Lettres

écrites

de la

Mon-

J . - J . ROUSSEAU. ) nos h o m m e s

que

nos législateurs

d'état

et

d e s différentes

nos écrivains

politiques

assempréten-


167 indéfinie, et qu'ils ont besoin d'être contenus dans une certaine e n c e i n t e , dans de certaines limites, si nous v o u lons qu'ils conservent la vie et les m o u v e m e n s qui leur sont p r o p r e s . « A i n s i , le sentimentde l'humanité dont se targuent nos philosophistes et nos philanthropes n ' é t a n t , en quelque s o r t e , qu'un épanouissement, u n e surabondance factice., il n e saurait avoir le m ê m e degré d'énergie et d'activité que les sentimens qui naissent de nos affections privées , puisque

celles-ci

sont

d'une

nature

convergente;

et

ce

premier f o r m e e n c o r e , dans le r a p p o r t de nos relations sociales, le dernier degré de nos devoirs et de nos p e n chans. Nos premières sollicitudes, c o m m e nos premiers d e v o i r s , doivent d o n c se p o r t e r successivement sur nos p a ï e n s , nos amis et nos concitoyens ; n o u s devons les sec o u r i r et les protéger,

nous o c c u p e r privativement de

leur b o n h e u r , car il n'existe pas plus de b o n h e u r u n i versel que tout autre sentiment dans ce degré de magnitude extensive. « Si l ' h o m m e prétendu h u m a i n , le philanthrope o u le législateur veulent intervertir l'ordre dans lequel nos d e voirs et nos sentimens sont réglés et c o m m a n d é s, et placer au premier rang ce q u i doit être au dernier ; s i , en o u t r e , en réclamant les droits d e l'humanité en faveur d'êtres qui leur sont entièrement étrangers et i n c o n n u s , ils m e t -

d a i e n t a u p a t r i o t i s m e le p l u s p u r o u le p l u s e x a l t é , e n u n m o t , à toutes les v e r t u s r é p u b l i c a i n e s ,

qu'ils

ont témoigné le

plus

d ' e n g o u e m e n t , d ' e x a l t a t i o n et d ' a m o u r p r é t e n d u e n f a v e u r des n è g r e s ; p l u s d ' é l o i g n e m e n t , d e h a i n e et d ' h o r r e u r c o n t r e les c o l o n s , l e u r s p a r e n s et l e n r s c o m p a t r i o t e s . O n p e u t j u g e r , p a r ce s e u l r a p p r o c h e m e n t q u e n o u s f o u r n i t u n a u t e u r c é l è b r e,

et d e la

vérité

<le l e u r s p r o p r e s p r i n c i p e s , et d e la s i n c é r i t é , d e la p u r e t é d e l e u r s sentimens.


168 tent en o u b l i les devoirs et les sentimens q u e la nature et la société leur imposent également, et r e c o m m a n d e n t l'extermination , o u désirent simplement le renversement des droits et du système entier de ceux avec lesquels ils sont liés par les rapports de la politique et de la c o n s a n guinité, n'hésitez pas à p r o n o n c e r que ce sont des i n c e n diaires,

des ennemis de leur patrie et de leur f a m i l l e ,

des h o m m e s aussi indifférens au b o n h e u r de la race h u maine qu'à celui de leurs propres concitoyens, des fourbes et des hypocrites qui s'affranchissent de toutes leurs o b l i gations sociales p o u r s ' i m p o s e r , sous le n o m p o m p e u x et apparent de l ' h u m a n i t é , des vertus stériles et de s p é c u l a tion qui n'exigent aucun effort ni sacrifice de leur part. »

OBJECTION «Les

mêmes

«

autres

«

sans

personnes

élevées

cependant

SECONDE.

signalées

ci-dessus,

dignité

temporaire,

à

une

en

donner

aucune

et

preuve,

quelques

soutiennent, mais

comme

« vérité déjà reconnue, qu'il serait juste, utile et urgent de « reconnaître l'indépendance et la souveraineté africaine à « Saint-Domingue, et de faire avec elle un traité de com« merce. Quelques-unes d'elle sont de plus présenté des pé« titions aux chambres, et des suppliques, disenl-elles, au « roi, pour les déterminer à cette reconnaissance et à la «

conclusion

d'un

traité

commercial,

affirmant

que,

puis-

« que Louis XVI et le gouvernement d'Angleterre ont re«

connu

«

Américains,

l'indépendance

«

cette

«

gue,

Louis

même de

cette

« anarchique. »

et

XVIII

reconnaissance horde

érigée

la peut

souveraineté également

en

faveur

de

en

puissance

des

Anglo-

souscrire

à

Saint-Domintemporaire

et


169

RÉPONSE. Il n ' y a q u e l'esprit de p a r t i , p o r t é au plus haut degré d'aveuglement et d'exaltation , qui puisse imaginer et s u g gérer de semblables mesures, oubli

de nos d e v o i r s ,

et nous p o r t e r à un pareil

et c o m m e F r a n ç a i s , et c o m m e

homme public. D ' a b o r d sur quel m o t i f s'appuie-t-on o u s'appuierait-on p o u r vouloir abandonner aux nègres la domination sur notre s o l ? est-ce sur l'impossibilité de l e u r

réduction?

Mais n o u s avons déjà p r o u v é qu'ils n'avaient j a m a i s , dans aucune occasion,

résisté à l'ascendant, au courage et a u

génie français ; que cela ne pouvait pas être s u p p o s é , dans aucune h y p o t h è s e , ayant été constamment battus et mis en pleine déroute toutes les fois q u ' o n l'a voulu réellement; qu'enfin c'était une i n j u r e et u n outrage gratuits faits à la n a t i o n , q u e de l'admettre u n seul instant. E s t - c e sur la justice de leur cause? nous avons p r o u v é qu'ils n'avaient aucun droit sur nos p r o p r i é t é s ; q u e cette p r o p r i é t é f o n cière n'entrait pas dans les domaines des droits naturels , comme la simple raison l'indique ; qu'elle avait été acquise par la v i o l e n c e , par l'expropriation et le massacre dos colons ; q u e cette violation des premiers principes

so-

ciaux n'avait jamais été r e c o n n u e n i sanctionnée par a u c u n e autorité

légitime,

ni

même

révolutionnaire ; et

qu'enfin ils n'avaient jamais donné la plus légère valeur , une

seule

obole

pour

ces

propriétés

entièrement

usurpées

par la force et par tous les excès les plus horribles. D i r a t - o n que c o m m e cultivateurs ils y ont u n droit naturel? Si ce p r i n c i p e était admis, il faudrait dépouiller tous les propriétaires

de

la F r a n c e et d u m o n d e civilisé ; car

aucun d'eux n e cultivent leurs champs de leurs p r o p r e s m a i n s , si ce n e sont quelques possesseurs

de deux

ou


170 trois arpens de terre. L e u r titre serait-il enfin fondé sur la conquête ? il f a u d r a i t , p o u r la rendre légitime et i n d i s p u t a b l e , qu'elle fût approuvée et c o n f i r m é e , quant au fait et au d r o i t , en vertu d'un traité consenti par l'autorité souveraine et nationale, ce qu'elle n'a p o i n t encore fait, et n ' a , suivant n o u s , n i le droit ni le p o u v o i r de faire. Q u a n t au fait, il ne subsiste q u e par leur rébellion s e u l e , et qu'autant q u ' o n n'y aura pas mis u n terme. Il sera toujours facile à la F r a n c e de faire cesser cet état, lorsqu'elle voudra l'entreprendre véritablement et sérieusement. E n o u t r e , p e r s o n n e , j e p e n s e , ne cherchera à faire d o m i n e r ici le fait sur le d r o i t , p r i n c i p e anarchique, et r é p r o u v é m ê m e par la doctrine de la légitimité,

arche

sainte o ù reposent nos c o m m u n e s destinées. Elle ne c o n sentira pas n o n p l u s , en vertu de cette p r e m i è r e s u p p o sition,

à ce q u e les n è g r e s , q u i n e sont p o i n t les a b o r i -

gènes des Antilles, qui y ont été transportés c o m m e c u l tivateurs,

et dont nous avons sensiblement amélioré Je

s o r t , en les faisant passer d'une servitude atroce à u n e d é p e n d a n c e d o u c e et r é g u l i è r e , restent les maîtres s o u v e rains d'une contrée par l'envahissement féroce et sanguinaire qu'ils en ont f a i t ; tandis que les régnicoles français, q u i ont remplacé les indigènes détruits en totalité par les premiers c o n q u é r a n s d u N o u v e a u - M o n d e , en soient à jamais bannis ; eux q u i , dans son état agreste, l'ont plutôt o c c u p é que c o n q u i s, y ont i m p r i m é tous les traits, tous les caractères e u r o p é e n s , et en ont fait p o u r toujours u n d o m a i n e national. Q u a n t au d r o i t , celle colonie reste toujours assujettie à la m é t r o p o l e , jusqu'à ce q u e c e l l e - c i ait fait u n e r e n o n ciation pleine et entière de sa souveraineté, ce qu'elle n'a point encore fait et n'a p o i n t le droit de f a i r e , surtout sous u n gouvernement représentatif, o ù tous les intérêts


171

nationaux, individuels et collectifs,

forment u n faisceau

indissoluble, et doivent être à jamais et religieusement respectés. Il n'est pas plus p e r m i s , et e n c o r e m o i n s d ' a liéner c e d o m a i n e , conquête de la seule industrie opérée p a r nos ancêtres et p a r les générations q u i leur o n t s u c cédé p o u r la plus grande utilité c o m m u n e , que l'île de Corse et toutes ses possessions acquises successivement par la force des armes, et ratifiées par des traités. Ces possessions titres

moins

colonies,

reposent incontestablement

légitimes,

moins

dont les habitans,

sacrés

sur des

q u e celles des

Français d e naissance o u

d ' e x t r a c t i o n , en allant é t a b l i r ,

avec

leurs capitaux et

l e u r i n d u s t r i e , u n e sorte d'empire é l o i g n é , sur u n t e r r i toire en friche et en partie i n o c c u p é,

emportant avec

eux leurs dieux p é n a t e s , n'ont jamais e n t e n d u , n o n plus que l'autorité s o u v e r a i n e , qu'ils dussent u n j o u r , p a r u n acte arbitraire et t y r a n n i q u e , être détachés et cesser d e faire partie intégrante de la n a t i o n , d e cette m è r e c o m m u n e et originelle à laquelle ils appartiennent par tous les l i e n s , p a r tous les devoirs et les sentimens q u i peuvent cimenter u n e u n i o n aussi i n t i m e , aussi sacrée, et d o n t ils sont devenus les m e m b r e s les plus indispensables à sa n o u velle existence industrielle, c o m m e r c i a l e et maritime. Ils ont e n c o r e m o i n s supposé qu'ils dussent u n j o u r , j o u r à jamais e x é c r a b l e , d ' u n souvenir éternel d ' o p p r o b r e et d'une douleur a m è r e , t o m b e r sous le j o u g de barbares Africains,

leurs esclaves et leurs affranchis, exemple u n i -

que et m é m o r a b l e dans les annales sanglantes des n a tions (1). E t ce q u i excite la p e i n e la plus c u i s a n t e , c o n -

(1) J e m e t r o m p e , e t je d é c o u v r e d a n s l ' a n t i q u i t é u n e x e m p l e q u i a q u e l q u e r a p p o r t à notre s i t u a t i o n , a v e c cette e x c e p t i o n c e p e n d a n t et r e m a r q u a b l e q u e l'affranchissement f u t u n a c t e l i b r e et s p o n t a n é


172 fond

et bouleverse

toutes les idées de la m o r a l e et de la

p o l i t i q u e , c'est q u e cette h o r r i b l e catastrophe a été p r o duite p a r l'insouciance plus,

c o u p a b l e,

des autorités p r e m i è r e s ,

p o u r n e rien d i r e de

par

la puissance

et les

efforts de plusieurs mandataires et agens expédiés de la mère-patrie,

appuyés p a r la secte n é g r o p h i l e ,

de tous

leurs partisans et a d h é r a i s ; par le défaut d'une protection

des maîtres,

et non arbitraire et forcé, comme il s'est opéré à

Saint-Domingue. Les Voisiniens, peuple étrusque, donnèrent, dans un seul jour, la liberté à leurs esclaves, en leur permettant de porter les armes et de possédée toutes, les charges de l'étal. Quel fut l'effet de cette loi philanthropique? Les mêmes historiens nous apprennent que ces esclaves, devenus libres, ne tardèrent pas à s'ériger en tyrans ; ils s'emparèrent de toute l'autorité, et égorgèrent une grande partie de leurs anciens maîtres. Ceux qui échappèrent à celle horrible proscription

s'empressèrent

de

réclamer

la

protection

des

Romains , qui forcèrent tous ces nouveaux affranchis de se rendre à discrét i o n , les soumirent de nouveau à l'esclavage, et firent punir de mort ceux qui avaient eu la principale part aux désordres et aux meurtres. Nous voulons égaler et surpasser les anciens dans tout ce qu'ils ont fait de glorieux et de mémorable. Ne ferons-nous donc pas au moins et en partie, pour des compatriotes,

ce que des Romains

n'ont pas hésité d'exécuter en faveur de simples alliés ? Français! si l'honneur vous est cher, si l'intérêt de la patrie vous touche, si le sort de vos infortunés compatriotes a le droit d'émouvoir vos cœurs et de faire tressaillir vos entrailles, si enfin vous respirez tous de la même vie et par les mêmes organes,

volez donc au secours

de vos frères d'outre-mer, effacez les traces ignominieuses de leur opprobre et de leur servitude, qui forment autant de taches à l'honneur national ; rendez-leur ces jours de paix et de prospérité qui firent votre félicité commune,

et à cette superbe colonie la splen-

deur qui lui appartient. E l puissions-nous tous,

dans l'effusion de

nos cœurs, cimenter de nouveau notre union par tous les attraits de l'amour le plus pur et par une alliance à jamais sacrée, à jamais. inaliénable !


173

qui leur était nationalement et humainement d u e , q u ' o ù ne peut se dispenser a u j o u r d ' h u i , sous l'autorité légitime, de leur a c c o r d e r , si l'on ne veut être en opposition avec cette m ê m e légitimité, et si l'on veut être enfin juste et remplir

envers

e u x toute l'étendue de ses obligations

sociales. Enfin la F r a n c e , en reconnaissant l'indépendance et la souveraineté des nègres à Saint-Domingue , peut-elle , par

un

pareil

acte,

admettre

cette

nouvelle

autorité

au

n o m b r e des puissances régulières et légitimes avec laquelle les nations européennes pourraient contracter toutes sortes de traités et d'alliances ? C'est l à , sans doute, u n e question q u i se rattache à la plus haute d i p l o m a t i e , q u e j e n ' e n t r e prends pas de discuter, mais dont o n entrevoit facilement toute l ' i m p o r t a n c e , q u e les seuls novateurs croient p o u voir résoudre affirmativement, sans en être effrayés, par une simple décision de leur science et de leur sagesse p r é tendues. Mais o n p e u t assurer d'avance, et sans crainte de se t r o m p e r , q u ' u n e pareille reconnaissance aurait les résultats les plus fâcheux p o u r les Antilles,

ébranlerait

et détruirait toute l'autorité e u r o p é e n n e dans ces contrées, accompagnée d'envahissement des propriétés, et de massacres. C'est l à , sans doute,

de révolte

u n m o t i f plus que

suffisant p o u r interdire à la F r a n c e , et p o u r engager les autres gouvernemens à ne pas souffrir une telle violation de leurs droits. Faisons remarquer i c i , et en passant, u n contraste des plus choquans ; c'est de voir les mêmes p e r s o n n e s , o u , p o u r m i e u x dire, celles q u i ont été constamment animées et mues par cet esprit de négromanie,

voulant a b s o l u -

ment l'indépendance et la souveraineté en faveur des n è gres, o u au m o i n s leur liberté civile et p o l i t i q u e , refuser en tout t e m p s , et avec u n e opiniâtreté sans égale, aux b l a n c s , propriétaires de cette m ê m e î l e , leurs c o m p a -


174 triotes , et libres c o m m e e l l e s , le simple droit de décréter les lois c o n c e r n a n t leur régime intérieur intéressant elles s e u l e s , et cela depuis l'assemblée constituante jusqu'au m o m e n t actuel. Des nègres esclaves o u i n s u r g é s , traités plus favorablement que des Français aimant et chérissant leur p a t r i e ! quelle bizarrerie,

et quelle m o n s t r u o s i t é !

V e n o n s actuellement à la seconde p r o p o s i t i o n , à cette prétention de v o u l o i r q u e , puisque L o u i s X V I et le g o u vernement d'Angleterre ont r e c o n n u l'indépendance des A n g l o - A m é r i c a i n s , L o u i s X V I I I peut également r e c o n naître celle de S a i n t - D o m i n g u e dans son état de révolte et d'anarchie actuel. Il n'y a aucun r a p p r o c h e m e n t , aucune similitude entre ces deux situations, c o m m e nous allons le constater. Il est m ê m e pénible et d o u l o u r e u x d'avoir à réfuter de semblables a r g u m e n s , q u i ne p r o u v e n t , de la part de c e u x qui se le p e r m e t t e n t , q u ' u n e prévention aveugle o u u n défaut de toute connaissance réelle sur des faits passés et sur leur résultat. L ' i n d é p e n d a n c e américaine a été p r o v o q u é e et effectuée par une population toute e u r o p é e n n e , entièrement s e m blable à celle de la m è r e - p a t r i e , par toute la classe des propriétaires, d o n t les p r i n c i p a u x ont été les chefs de leur g o u v e r n e m e n t , tant fédéral q u e p a r t i c u l i e r , q u i r é c l a maient tous ensemble le maintien de leur charte p r i m i t i v e , le droit de s'imposer e u x - m ê m e s , et le redressement de q u e l q u e s - u n s de leurs griefs. Ces réclamations étaient justes,

c o n f o r m e s aux lois qui formaient

toute

leur administration; et elles furent présentées par des hommes les plus éclairés de leur nation, les Washington , les

Franklin,

les

Adam,

Jefferson

et

autres

que

j'omets,

tant à la barre d u parlement d'Angleterre que dans leurs déclarations et protestations publiques adressées aux d i verses puissances européennes. Ces mêmes h o m m e s ont


175 su conserver la servitude dans leurs innombrables ateliers, malgré le débandement d'un n o m b r e plus o u moins c o n sidérable d ' i n d i v i d u s , pressés et vivement sollicites e u x t o u s , par le gouvernement anglais et ses a g e n s , à se s o u lever et à se réunir sous leurs ordres p o u r devenir libres. Ils ont su maintenir l'ordre et la subordination dans toutes les classes et p a r m i tous les i n d i v i d u s , sans qu'il se soit élevé une seule insurrection dans leur sein, les faire c o n courir avec allégresse à la défense c o m m u n e . Il n e s'est c o m m i s p a r m i eux aucun crime, aucun m e u r t r e , ni a u c u n e violation et spoliation des p r o p r i é t é s , autre que celle de l'enlèvement des esclaves faits par les Anglais, vol m a nifeste ; ils sont sortis enfin victorieux et resplendissans de gloire de cette lutte m é m o r a b l e avec l'approbation et l'estime générale de l ' E u r o p e , sans q u ' o n ait p u leur r e p r o cher aucune de ces v i o l e n c e s , aucun de ces excès é p o u v a n tables auxquels les états sont exposés au m o m e n t de leur scission et déchirement. L a population e u r o p é e n n e

à Saint-Domingue,

celle

des propriétaires, et celle qui n e l'était pas e n c o r e d e v e n u e , ont é t é , en totalité, o u massacrées b a r b a r e m e n t , o u forcées de fuir u n e terre o ù tout n e présentait q u e m e u r t r e s , carnage et une c o m b u s t i o n générale. Cette p o pulation, n o n plus que son gouvernement p a r t i c u l i e r , n e s'insurgèrent point contre leur m é t r o p o l e , lui restèrent soumis et attachés, réclamèrent seulement son assistance, devoir c o m m a n d é autant par la nature q u e par la société, p o u r la protection de l'autorité c o m m u n e , p o u r celle des biens et des personnes de tout état et de toute c o n d i t i o n . L o r s q u e ensuite ils furent abandonnés o u îndignement traités par cette autorité nationale, ils réclamèrent avec soumission contre cet abandon,

contre ces principes d e s -

tructifs de leur s o c i é t é ; ils d é n o n c è r e n t , ils poursuivirent les commissaires devant la puissance devenue souveraine ,


176 c o m m e auteurs p r i n c i p a u x de nos calamités p u b l i q u e s , demandèrent leur punition o u au moins leur éloignement, et que les désordres auxquels le restant de la population qui n'avait p u fuir était en p r o i e , eussent u n t e r m e , et q u e leur existence fut mise sous la protectiou des lois et de l'égide national. Vains efforts! tentative inutile! S a n thonax,

chassé par les Anglais,

après la prise du P o r t -

a u - P r i n c e , fut renvoyé à S a i n t - D o m i n g u e avec de n o u veaux p o u v o i r s , sou collègue étant m o r t , p o u r c o n s o m m e r la ruine de la colonie et le massacre des blancs. Les nègres cultivateurs, tenus dans u n e sorte de dépendance indispensable, se sont r é v o l t é s ; et deux c o m m i s saires n a t i o n a u x , infracteurs des lois de leur p a y s , et e x e r çant des p o u v o i r s les plus a b s o l u s , qui n'existaient pas m ê m e dans leurs m a n d a t s , leur ont accordé u n e liberté entière et anarchique, en août 1 8 9 3 , la faveur de laquelle, et par leurs autres mesures subséquentes, ces nègres ont d'ab o r d , et en p a r t i e , envahi les propriétés f o n c i è r e s , c o n c é dées ensuite par ces mêmes commissaires, au mépris et en violation de tous les droits; puisque la propriété est fondée n o n sur u n p r i n c i p e de droit naturel, mais sur l'acte de l'association m ê m e , laquelle peut seule la d é t e r m i n e r , la régler et la rendre légitime envers et contre tous les autres associés. Ces nègres o n t , à la faveur de toutes ces c i r c o n stances accumulées,

usurpé

tous les p o u v o i r s ,

chassé

toutes les autorités nationales, et se s o n t , en définitif, constitués sur u n e terre étrangère, et sous une forme v i o lente en n o u v e a u x M a m e l o u c k s . A c t u e l l e m e n t , lecteurs, c o m p a r e z et jugez. Dites-nous franchement si aucun r a p p r o c h e m e n t , aucune similitude peut exister entre ces deux états, soit dans leur o r i g i n e , soit dans leur résultat ? Si ce n'est pas le c o m b l e de l ' e x travagance et d'une ineptie insigne que de vouloir les assimiler ? de c o m p a r e r les A n g l o - A m é r i c a i n s , propriétaires


177 éclairés et i n c o m m u t a b l e s , à des barbares et à des esclaves en r é v o l t e , usurpant toutes les p r o p r i é t é s , et en supposant à ceux-ci les mêmes droits qu'aux p r e m i e r s , à l'effet d'être traités avec u n e égale faveur et une égale justice, avec les mêmes égards et la m ê m e considération politique ; de c o m parer les défenseurs de l ' o r d r e , des principes sociaux et des p r o p r i é t é s , à des spoliateurs et voleurs publics, et des transgresseurs de toute règle et de toute moralité ; u n e nation civilisée et toute e u r o p é e n n e,

se maintenant sur

son territoire à elle appartenant, dans les b o r n e s de la j u s t i c e , de la sagesse et de la m o d é r a t i o n , à u n e r é u n i o n d'incendiaires et de massacreurs, envahissant le sol de la patrie et toutes les propriétés ; de v o u l o i r que la r e c o n naissance des droits de cette p r e m i è r e ,

qui ne projetait

pas p r i m i t i v e m e n t , n i ne désirait sa séparation d'avec la mère-patrie,

mais laquelle y fut amenée forcément par

le refus d u redressement de ses g r i e f s , soit assimilée en tous points avec u n e h o r d e de d e m i - s a u v a g e s ,

q u i n'a

jamais v o u l u reconnaître l'autorité de la m é t r o p o l e , s'est j o u é e de tous

ses d r o i t s , a i m m o l é tous ses e n f a n s , et

laquelle ne peut présenter à l ' E u r o p e , c o m m e corps c o n s titué,

aucune garantie, aucune sûreté p o u r leurs trans-

actions m u t u e l l e s , étant en discord avec elle sur tous les rapports de la s o c i é t é , d u droit des gens et de la politique générale? V o u s tous, partisans de la souveraineté et de l'indépendance africaine à S a i n t - D o m i n g u e, vous tous q u i voulez que les propriétés des colons soient irrévocablement et sans retour dévolues à ces peuplades exotiques et barbares, dites-nous si des Anglais o u toute autre nation,

ou mieux

e n c o r e si une horde de Tartares avait envahi une de vos provinces l i m i t r o p h e s , chassant toutes les autorités

na-

tionales, massacrant les p r o p r i é t a i r e s , se substituant à la place des uns et des autres,

c o m m e o n l'a exécuté à Saint» 12


178 D o m i n g u e , auriez-vous eu l'impudeur et l'indignité

de

solliciter p u b l i q u e m e n t et avec scandale le maintien d'un pareil attenial contre tous les vôtres ? Ne s e r i e z - v o u s pas t o u s , au c o n t r a i r e , accourus en armes p o u r

repousser

ces injustes agresseurs et usurpateurs de la souveraineté nationale, ces ravisseurs des b i e n s , ces assassins et meurtriers de vos concitoyens et de vos familles entières ? Direz-vous q u e cette comparaison n'est pas exacte, en ce q u e les n è gres étaient déjà habitans et résidans sur le s o l , formant u n e classe nécessaire à l'exploitation des terres,

el l a -

quelle ne saurait être réputée tout-à-fail étrangère? Nous en c o n v e n o n s . Supposons, p o u r l o r s , q u e des cultivateurs n o n propriétaires, des h o m m e s de p e i n e , des j o u r n a l i e r s , tous les prolétaires,

en un m o t , d'un o u deux de vos

départemens, se réunissant et s'armant en masse, n ' é c o u tant plus que leurs passions brutales, leur fureur aveugle et leur insatiable c u p i d i t é , eussent massacré o u expulsé tous les propriétaires,

s'emparant de leurs b i e n s , m e u -

bles et immeubles, se constituant en autorité souveraine, indépendante et en arbitre suprême de tous les droits ( c ' e s t l à , sans d o u t e , u n e supposition f o r c é e , hors de toute vraisemblance et possibilité, mais à laquelle n o u s sommes naturellement amenés par u n e suite de c o m p a raisons et de raisonnemens ),

auriez-vous insisté, auprès

d u chef et de l'autorité s u p r ê m e , p o u r qu'ils consacrass e n t , par u n vote sacrilége, le délaissement entier des p e r sonnes et des intérêts de ces propriétaires f r a n ç a i s ; q u e c e u x - c i fussent sacrifiés en totalité Ou en partie à des meurtriers et des u s u r p a t e u r s , ces violateurs de la paix p u b l i q u e et du pacte social? N o n assurément. P o u r q u o i d o n c croiriez-vous possible et juste envers des colons p r o priétaires, qui ne sont pas moins vos frères et vos c o m p a triotes que ceux des départemens , ce que vous refuseriez d'admettre avec raison contre ces derniers ? Ne s o m m e s -


179 nous d o n c pas tous c o l o n s , Français aussi bien que vous tous ? Q u i est-ce q u i pourrait ou oserait nous le contester, sans se rendre coupable envers nous et la patrie tout e n tière? Ne devez-vous pas, en celte qualité, nous porter la m ê m e sollicitude, être animés des mômes intérêts, des mêmes sentimens p o u r notre sûreté et notre b o n h e u r c o m m u n s ? Nos possessions n e forment-elles pas une partie de votre territoire et de votre e m p i r e , dont vous jouissiez c o n c u r r e m ment avec n o u s , dans une p r o p o r t i o n supérieure et plus importante peut-être p o u r le royaume q u ' u n o u deux de vos départemeus pris séparément ? N e nous devez-vous pas la m ê m e protection,

la m ê m e garantie p o u r le maintien

et l'exercice de tous nos droits? Ne nous d e v e z - v o u s pas m ê m e u n c o m p l é m e n t de sécurité par rapport à notre faiblesse, u n e sollicitude toute particulière, en raison de notre expatriation v o l o n t a i r e , de notre

transplantation

sous un ciel dévorant et destructeur p o u r tous les êtres de votre espèce ? T o u s ces sacrifices de notre part ont eu p o u r b u t et p o u r résultat final l'accroissement de votre p u i s s a n c e , de vos richesses et de votre p r é p o n d é r a n c e m a r i l i m e . Nous ne pousserons pas plus loin ces interpellations d o n t il est impossible de ne pas r e c o n n a î t r e , à leur seule énonciation , toute la f o r c e , toute la justice et toute l'évid e n c e : n o u s n'y ajouterons qu'une seule observation. S o u t i e n d r e z - v o u s que les nègres, étant esclaves, j o u i s sent en tout temps du droit naturel de se r é v o l t e r , q u e vous avez eu celui de les y p r o v o q u e r , o u d u moins de louer leurs efforts, de désirer et de proclamer leurs succès avec emphase et exagération ; que les crimes dont ils se sont souillés ne s o n t , après t o u t , c o m m e vous le p r é t e n dez e f f r o n t é m e n t , q u ' u n e juste représaille exercée contre tous leurs tyrans? P r e n e z - y bien g a r d e , vous c o m m e t t e z , par tous ces actes, le plus h o r r i b l e des attentats, sans fruit et sans utilité ; vous consacrez le p r i n c i p e de l'insurrection


180 c o m m e le plus saint des d e v o i r s , p r i n c i p e n é au sein de l'anarchie, et contre lequel aucun g o u v e r n e m e n t , aucune société, quelque régulière et parfaite que soit son o r g a n i s a t i o n , ne saurait se maintenir ni p r o s p é r e r ; puisque la distinction des rangs et la classification entre les h o m m e s , leur s u b o r d i n a t i o n , leur respect et leur soumission aux lois jusqu'au m o m e n t de leur a b r o g a t i o n , quelque injustes et défectueuses qu'elles s o i e n t , sont u n des premiers é l é m e n s , une des premières conditions de leur formation en corps politique et organique. Dans quel pays et sous quel gouvernement n'existe-t-il pas des classes indigentes, des prolétaires plus o u moins n o m b r e u x et m a l h e u r e u x , q u ' o n peut exciter et p r o v o q u e r facilement à la révolte en leur présentant leurs droits naturels c o m m e u s u r p é s , leur inspirant des vues hostiles et des sentimens haineux contre les supériorités morales et politiques ? D'ailleurs quelle est la société où il n'y a pas des mécontens , des ambitieux , des

fauteurs

des

désordres,

une

foule

ignorante

ou

impré-

voyante prête à se livrer aux suggestions, aux appâts grossiers, aux blandissantes amorces offertes par leurs g u i d e s , sous la promesse fallacieuse d'un changement de situation favorable,

en opérant le bouleversement et la dissolution

de l'état? P a r Ces m o y e n s , vous sapez les bases f o n d a m e n tales d'une société tout e n t i è r e , celle des colonies aux Antilles,

c o m m e toute a u t r e , qui ont leurs lois et leurs

usages particuliers, qui leur sont p r o p r e s et n e sont a p plicables qu'à elles seules; vous compromettez également par là la fortune p u b l i q u e et particulière, et tous les grands objets qui s'y rapportent. Et si vous eussiez été des citoyens de la G r è c e , d'Athènes, de Sparte et de R o m e m ê m e, dont vous nous exaltez sans cesse les constitutions reposant essentiellement sur la servitude, sans laquelle ils n'auraient pu exister sous la f o r m e qu'ils s'étaient d o n n é e ; et si vous eussiez p r o v o q u é le soulèvement de leurs esclaves,


181 vous auriez été déclarés infracteurs de ces mêmes constilutions fondamentales, conservatrices de l'ordre g é n é r a l , ennemis et traîtres à la p a t r i e , et c o m m e tels poursuivis par la vindicte p u b l i q u e . Je veux, en finissant cet article,

faire connaître plus

particulièrement u n e de ces pétitions présentées par u n h o m m e qui mérite à peine d'être r e m a r q u é , laquelle se rapporte à l'objection présente. Cet h o m m e est u n n o m m é Civique de G a s l i n e , q u i , n'ayant p u faire goûter ses idées aux autorités, s'est transporté à S a i n t - D o m i n g u e p o u r e n doctriner sans doute et de n o u v e a u les n è g r e s ; mais il y est m o r t aussitôt son a r r i v é e , et avant d'avoir p u c o m m e n c e r sa fanatique prédication. Dans cette p é t i t i o n , présentée à la chambre des députés dans la session de 1 8 2 2 ,

il a osé soutenir qu'il y a ac-

tuellement à S a i n t - D o m i n g u e plus de deux millions d'homm e s ; que la force armée y est de cent mille hommes, indép e n d a m m e n t d'une

garde nationale de quarante mille.

Cependant il est b i e n c o n n u q u e dans son état de splendeur o n n'y comptait q u e c i n q cent vingt-sept mille nègres esclaves, hommes de couleur libres, et trente-deux mille blancs ; et que, dans son état d'insurrection , T o u s s a i n t , bien plus et bien autrementpuissantque tous les chefs q u i lui ont s u c cédé, n'a jamais p u réunir sous les armes plus de quinze o u vingt mille h o m m e s , au m o m e n t m ê m e o ù il avait un trèsgrand intérêt à recruter le plus de forces possibles,

puis-

qu'il était en opposition armée contre les troupes f r a n çaises, sous le c o m m a n d e m e n t du général L e c l e r c . O n voit d o n c c o m b i e n ces assertions de ce Civique sont étranges et fausses ; elles ne sauraient être appuyées sur aucun d o c u ment, et sont contraires à toute possibilité et à toute vraisemblance,

c o m m e nous le constaterons plus amplement

par la suite. Il assure é g a l e m e n t , lui q u i n'a jamais été sur les lieux p o u r s'en assurer ( s o n apparition étant i n -


182 signifiante et postérieure à ses assertions),«

que les nègres

jouissent de tous les bienfaits d'une sage constitution, e x é cutée par des gouvernemens et des magistrats dont la j u s t i c e , la franchise et la loyauté ne craignent en E u r o p e aucun objet de comparaison.»

Q u e l l e absurdité ! quel

fatras indigeste et de n o n - s e n s ! Il oublie déjà sans doute q u e C h r i s t o p h e , l o u é , exalté par les philanthropes anglais et par u n e foule de p e r sonnes de la m ê m e t r e m p e , et à cette m ô m e époque, s u i vant les preuves que nous en d o n n e r o n s dans notre r é p o n s e à l'objection s i x i è m e ; r e g a r d é , c o m m e

l'ornement

d u n o m africain, l'honneur de l'espèce humaine, le grand h o m m e d u nouvel h é m i s p h è r e , et l'un des plus grands souverains de l ' u n i v e r s , élevé sur le trône par l'amour et la reconnaissance de c e u x dont il fait le b o n h e u r , a été r e c o n n u depuis par ses p r o p r e s partisans p o u r u n tyran odieux et un monstre e x é c r a b l e , dont o n s'est empressé de se défaire par u n m o y e n violent. Nous p o u r r i o n s facilem e n t citer et ranger b e a u c o u p d'autres dans la m ô m e c a t é g o r i e , sans c o m p t e r tous c e u x que les événemens feront connaître par la suite, et en y c o m p r e n a n t m ô m e dès à présent le chef actuel. Dans cette m ô m e pétition, ce Civique de Gastine v e u t , par les relations commerciales de la F r a n c e avec SaintD o m i n g u e , devenu libre et indépendant,

trouver

dans

cette île u n e ressource immense en matelots p o u r la c r é a tion et l'entretien

de notre m a r i n e m a r c h a n d e ,

et des

marins instruits et e x p é r i m e n t é s , d i t - i l , plus qu'il ne serait nécessaire p o u r le service de nos escadres et de nos flottes. Voilà,

certes, u n beau, u n superbe c h o i x et ras-

semblement p o u r notre marine marchande et m i l i t a i r e , d o n t nos é q u i p a g e s , nos officiers et matelots sauront u n gré infini à notre n é g r o m a n e ! Il faut v é r i t a b l e m e n t , et o n en conviendra sans p e i n e , avoir le c œ u r et l'esprit d'une


183 trempe toute particulière p o u r vouloir ainsi nous a m a l gamer et nous identifier avec des nègres dans une masse c o m m u n e et générale, plus à l'honneur,

et cela dans

ce qui importe

le

à la dignité n a t i o n a l e , et à la gloire des

armes françaises. Ce m ê m e h o m m e aurait d û vouloir égal e m e n t , par suite de ce m ê m e système d'amalgame, d'égalité et de fraternité,

que des mariages approuvés par

la loi eussent eu lieu entre les individus des deux races. Je crois qu'ils ont été autorisés o u tolérés pendant nos temps de combustions désastreuses,

puisque

Bonaparte

a c r u devoir formellement les interdire (1) ; et les plus exaltés révolutionnaires européens à S a i n t - D o m i n g u e se le sont p e r m i s , entraînés en outre par le désir de se ranger i m p u n é m e n t , à la laveur de cet alliage, parmi les s p o liateurs des p r o p r i é t é s , les accapareurs des places et les persécuteurs des c o l o n s , jnsqu'au m o m e n t o ù ils ont été eux-mêmes poursuivis et atteints c o m m e renégats. Voilà cependant u n des h o m m e s d o n t l'ignorance est flagrante, qui v e u t , dans son o b s c u r i t é , dans son é l o i g n e m e n t d e toute administration q u e l c o n q u e , et celle de SaintD o m i n g u e en particulier,

par l'effet d'une témérité et

d'une présomption sans é g a l e ,

diriger le gouvernement

suprême dans ses rapports avec les c o l o n i e s , lui indiquer de nouvelles ressources,

de nouveaux m o y e n s de force et

de puissance, et instruire les colons e u x - m ê m e s, e u x a u x quels o n ne saurait refuser, au m o i n s , toutes les c o n n a i s sances l o c a l e s , si importantes p o u r éclairer le g o u v e r n e (t) Code civil, au DROIT DE M A R I A G E . Note ajoutée à l'art, 144 Une circulaire du grand juge au ministre de la justice, adressée , le 18 nivôse an II , aux préfets, les invite à faire connaître aux maires et adjoints faisant les fonctions de l'état civil,

que l'inten-

tion du gouvernement est qu'il ne soit reçu aucun acte de mariage entre des blancs et des négresses, ni entre des nègres et des blanches,


184 m e n t et assurer en partie sa m a r c h e dans tout c e q u i tient à l ' o r d r e , à la sûreté et à l'intérêt p u b l i c . Un homme

d'un caractère d i f f é r e n t ,

mais

également

aveugle dans son système d'infatuation en faveur des n è gres, avec une égale ignorance des hommes et des choses , un

député

enfin

,

s'exprime

de

la

manière

sein de la c h a m b r e , le 1 6 f é v r i e r , session

suivante, 1 8 2 1 :«

au On

laissait i g n o r e r à notre c o m m e r c e q u e cette r é p u b l i q u e ( d é n o m m é e Haïti par e u x t o u s , q u o i q u e cette soit fausse,

ne lui appartienne pas,

dénomination

et n'ait pas e n c o r e été

c o n s a c r é e par a u c u n décret n i o r d o n n a n c e ( 1 ) ) entretenait

( 1 ) Nous remarquerons, à cet égard, que, quand on nous entretient des colonies, il faut en parler, ce me semble, le langage, ne pas en changer les expressions connues et usitées, dont la conservation est toujours importante ; et ces nouvelles expressions ne sont employées que pour en faire un usage inconvenant et perfide. C'est ainsi, et par les mêmes motifs, qu'on a appelé les nègres Haïtiens,

comme s'ils étaient les indigènes de ces contrées, et ne

continuaient pas à être la race n è g r e , et Saint-Domingue Haïti ; comme si cette colonie avait cessé d'être connue et avait perdu sa dénomination européenne ; et tout cela pour nous porter et v o u loir nous persuader que les nègres avaient un droit originel à cette contrée en qualité d'indigènes, etque nous, colons, n'avions plus aucun titre légitime en notre faveur. Je délie cependant qu'on cite aucun décret, même de nos assemblées révolutionnaires,

ni

aucune ordonnance de sa majesté, par lesquels les nègres et SaintDomingue soient autrement désignés que sous leurs qualifications propres; et les autorités qui nous régissent aujourd'hui, en p a r lant d'eux et de notre souveraineté, se garderont bien de se servir des mots Haïti, Haïtiens, d'expressions aussi impropres,

fausses

et inconstitutionnelles dans tous les sens. Les écrivains et les orateurs,

en se servant de ces dénominations nouvelles,

employées

et mises en pratique, pour la première fois, par les chefs nègres et mulâtres,

reconnaissent par là et en quelque sorte, au mépris

de la souveraineté nationale, l'indépendance et la souveraineté réclamée par ceux-ci ; ce que ces écrivains n'ont pas le droit de supposer ni d'émettre.


185 cent mille h o m m e s de troupes réglées ( o n sait d'avance combien cette assertion est fausse), des corps d'artillerie , de génie et des écoles polytechniques ( ce qu'on ne saurait admettre) ; qu'enfin ce p e u p l e , régi par u n gouvernement sage, éclairé et p a t e r n e l , tendait les bras à notre c o m m e r c e , qu'il offrait m ê m e à la F r a n c e , par pure des secours

aux- anciens

colons

dépossédés.

humanité,

»

Des esclaves et des affranchis, des assassins et des s p o liateurs publics offrant à des colons français, aux premiers occupans et maîtres d u s o l , aux fondateurs de leur société, à leurs victimes enfin,

des secours q u ' o n n o u s assure e n -

c o r e ne devoir être considérés q u e c o m m e des actes d'une p u r e humanité! quelle abomination! quel renversement total de tout o r d r e et de toute m o r a l i t é , de toute dignité et de toute considération de s o i - m ê m e ! Il n'est aucun c o l o n , j e le p r o n o n c e hautement et h a r d i m e n t , car ils o n t tous le sentiment d u respect d ' e u x - m ê m e s et d'une n o b l e fierté - il n'en est aucun q u i n e rejetterait, avec indignation et h o r reur,

des secours stipulés de cette manière ; ils seraient

aussi i n j u r i e u x p o u r e u x que flélrissans et dégradans p o u r la nation entière. Il n e faut être ni Français ni h o m m e p u b l i c p o u r manifester, en pleine t r i b u n e , de pareils s e n timens. E n réparation de tant d'outrages et d'injures,

de tant

d'erreurs grossières, d'exclamations insensées et f u r i b o n des, nous r a p p o r t e r o n s , autant p o u r notre consolation que p o u r l'instruction de tous,

les expressions d'un

auteur

dont les vues en politique sont aussi sages qu'éclairées et p r o f o n d e s , et lequel a justifié, par ses divers écrits, et par ses fonctions législatives, ses lumières étendues et sa haute capacité dans toutes les matières de l'administration p u b l i que,

financière,

c o m m e r c i a l e et d ' é c o n o m i e

politique.

Cet auteur, en parlant de S a i n t - D o m i n g u e , la plus b e l l e , d i t - i l , des colonies aux A n t i l l e s , d u massacre des blancs


186 par les nègres, et de l'envahissement de l'île par ces derniers, continue en ces termes : «. Une population étrangère à l'Europe , sans propriété, « sans patrie, s'est placée au rang des puissances politiques « du Nouveau-Monde , et a établi sa domination sur une « colonie européenne. Son existence civile et politique est « un attentat à tous les droits sociaux, à tous les principes « tutélaires de la société civile, à toutes les garanties de « l'ordre social. Elle doit son origine à la violence, et n'a <c d'appui que dans la force ; la victoire même ne la justifie « pas, car elle a vaincu sans combattre. Elle est donc un « outrage à tous les gouvernemens réguliers, et ils ne peu« vent, je ne dis pas la reconnaître , mais tolérer des rap« ports avec elle , sans ébranler les fondemens de la société « civile , sans briser tous les liens qui unissent les gouver«

nemens

réguliers,

sans

manquer

à

la

foi

qui

garantit

« leur conservation mutuelle. « Et cependant les Étals-Unis de l'Amérique donnent au «

monde

le

spectacle

d'entretenir

des

relations

publiques

« avec ces violateurs des droits de l'humanité et des lois des « nations , et les autres puissances tolèrent ou dissimulent « les rapports de commerce que leurs sujets ont avec ce « pays, et par là compromettent les droits de la propriété « et de la souveraineté, «

Quels

fruits

recueillera-t-on

de

cette

politique

impré-

« voyante ? qu'il est à craindre qu'ils ne soient bien « amers ! «

L'on

doit

s'attendre

que

l'exemple

de

Saint-Domingue

« trouvera des imitateurs dans tout l'archipel des Antilles, « que la population noire, qui y est à la population blanche « dans le rapport de dix à un, lui fera éprouver le sort des « blancs de Saint-Domingue, et hésitera d'autant moins à « ravir ces colonies à l'Europe, qu'elle a devant les yeux la « preuve que l'audace justifie tout. » ( Cest ce que no*


187 n'avons c e s s é , n o u s , c o l o n s , de dire et de répéter en vain). « «

De

cette

flibustiers,

conflagration qui

sortira

poursuivront

sur

un

nouvel

toutes

essaim

de

mers

les

les

« restes du commerce de l'Europe , et disputeront ses dé« pouilles aux forbans de Tunis et d'Alger: « Dans ces tempêtes politiques, l'Europe perdra un re« venu direct de près d'un milliard, et plusieurs milliards «

de

propriétés

mobilières

et

immobilières

;

son

travail

« diminuera ; ses classes laborieuses dépériront ; ses clas«

ses

industrieuses

seront

condamnées

à

la

misère,

tous

« les rangs appauvris, les gouvernemens ébranlés et l'état « social moderne en péril. » Il faudrait transcrire, à p e u d'exception p r è s , M . G a nilh tout e n t i e r , dans tout ce qu'il a avancé et p r o u v é , avec u n e grande clarté et justesse d'esprit,

relativement

a l'importance des colonies et aux droits des métropoles. Certes,

n o u s , c o l o n s , n o u s devons lui savoir u n gré i n -

fini q u e je m e plais à reconnaître et à consacrer ici par tous les sentimens de notre gratitude et de notre v é n é ration.

Quoiqu'il

n e soit q u e vrai et e x a c t , n o u s n e

devons pas m o i n s l'admirer p o u r avoir su m a r c h e r , e n h o m m e p r o b e , éclairé et sensible, au milieu de ce d é b o r d e m e n t d'erreurs et d'injustices, de persécutions et de crimes, d o n t nous, blancs de S a i n t - D o m i n g u e , n o u s avons été assaillis, b i e n p r o p r e s à exciter aujourd'hui u n intérêt général et la commisération p u b l i q u e , si on veut enfin se rendre à l'évidence

des f a i t s , se confier à la

sagesse des s i è c l e s , être F r a n ç a i s , E u r o p é e n,

homme

d'état et administrateur p u b l i c , citoyen et u n véritable p a t r i o t e , plutôt que c o s m o p o l i t e , philanthrope o u n é g r o manc.


188

OBJECTION

TROISIÈME.

« Le déploiement des forces , envisagé par nous comme « nécessaire , et en le supposant suivi d'un plein succès, ne « laissera après soi, nous assure-t-on , que ruines, que cen« dres , et mettra obstacle au retour des ressources indus« trielles que la nation doit se promettre pour toutes les « classes de la société du prompt rétablissement de l'ordre «

à

Saint-Domingue,

lequel

serait

plus

assuré

par

des

« moyens moins violens et plus conciliatoircs. »

.

RÉPONSE.

Ces r u i n e s , ces cendres n'existent-elles pas déjà en grande partie ? et, quand o n supposerait qu'elles a u g m e n teraient par l'effet d'une résistance q u e l c o n q u e, n e vaut-il pas mieux chercher à relever ces r u i n e s , à faire fructifier ces cendres dans une paix p r o f o n d e et une pleine sécurité, q u e d'exister péniblement et dans u n e alarme continuelle sur u n volcan en travail, q u i fumera sans cesse et

finira

p a r nous engloutir tous sous ses f e u x dévastateurs? La c r a i n t e , la certitude m ê m e de quelques nouveaux désastres, suite presque inévitable d u passage d u désordre à u n e situation paisible et r é g u l i è r e , est - elle d o n c un

motif

suffisant p o u r devoir contrarier et s'opposer au r e n o u v e l lement et à l'affermissement de ces premiers principes ordonnateurs et conservateurs des sociétés ? S'il en était ainsi, toute mesure grande et importante q u i délivre les peuples de l'anarchie et d u j o u g des t y r a n s , usurpateurs de l'autorité légitime et d u droit de tous, ne devrait et n'aurait jamais dù être tentée,

puisqu'elle peut et qu'elle est


l89 presque toujours accompagnée de nouveaux malheurs et de nouveaux désastres ; et la colonie de S a i n t - D o m i n g u e , il faut b i e n s ' e n p é n é t r e r et en rester c o n v a i n c u , n'est autre chose q u e cet état perpétuel d'anarchie, d'usurpation et de tyrannie, o ù tous les droits particuliers et généraux sont également m é c o n n u s et outragés. R e m a r q u o n s , en o u t r e , que cet intervalle entre l'anarchie et le retour à l'ordre est d'autant plus terrible et f u neste qu'il se prolonge ;

il est de la p r u d e n c e et de la

sagesse du gouvernement d'en abréger le cours par tous les moyens q u i sont en sa puissance. Bien différens à cet é g a r d , des améliorations projetées dans l'état, qui doivent être lentes,

progressives et s'étendre dans la durée des

temps afin de s'assurer de leur efficacité, tandis que le r e tour à l'ordre ne saurait être trop p r o m p t d u m o m e n t q u ' o n entreprend d e l'effectuer, tout ralentissement ne pouvant qu'être dangereux ; et la seule manière de l'opérer avec succès est d'en imposer à tous les partis par l'appareil de la force

armée. T o u t e

tergiversation,

tout demi - m o y e n

n e feraient d o n c qu'apporter de nouveaux obstacles vers ce b u t salutaire et final, n o n - s e u l e m e n t p o u r le m o m e n t présent, mais également p o u r l'avenir. Ces vérités politiques acquièrent u n nouveau degré d'évidence par les événemens successifs, arrivés à S a i n t - D o m i n g u e pendant sa p é r i o d e révolutionnaire et n o n encore terminée. D e plus, quel est le colon raisonnable, possédant q u e l ques faibles capitaux, o u pouvant c o m m a n d e r un c r é d i t , qui voudra se transporter sur u n sol à peine affermi et e x posé à de nouveaux é b r a n l e m e n s , s'il n'est protégé dans sa personne et ses biens par la présence des troupes n a tionales ? 11 n'y a que des personnes mourantes de faim et dépourvues de toute ressource qui puissent, privées d'un pareil a p p u i , confier leurs travaux et leur existence future à des h o m m e s q u ' o n n'a p u jusqu'ici lier par aucun e n g a -


190 g e m e n t , par aucun s e r m e n t , et qui les ont constamment violés clans toutes les occasions. Q u e l est le nouveau g a rant q u ' o n pourrait e m p l o y e r , et dont on pourrait m ê m e se promettre u n succès apparent? Q u e l est le capitaliste, quel est le négociant en F r a n c e qui v o u d r o n t

exposer

leurs fonds et leurs marchandises, accorder des avances et des crédits obligés dans cette incertitude d'événemens f u t u r s , dans cet état d'insécurité perpétuelle? Cependant il faut présenter à c e u x - c i des garanties certaines, une sécurité parfaite, u n e tranquillité p e r m a n e n t e , qui ne leur laissent aucun d o u t e , aucune crainte sur l ' a v e n i r , si l'on veut qu'ils se livrent aux spéculations commerciales et aux transactions qui en naissent. Q u e l l e garantie, quelle s é curité plus assurée que celle d'un o r d r e de choses auquel ils étaient habitués,

et qui avaient contribué si puissam-

m e n t à l'accroissement successif de leurs capitaux, à l'exploitation et à l'extension de nouvelles branches du c o m m e r c e , à l'agrandissement et à l'embellissement de leurs v i l l e s , de leurs ports et de leurs rades ! D ' u n autre c ô t é , est-il de la j u s t i c e , de l'humanité d'un gouvernement qui se m o n t r e si c l é m e n t , d'abandonner les colons à une cruelle destinée, à laquelle leur seule misère et un dénûment total les entraînent et les précipitent? Ce serait u n blasphème de le s u p p o s e r , c'en serait u n déjà q u e de vouloir m ê m e le mettre en doute o u en question. 11 leur doit au contraire et leur accordera,

nous ne sau-

rions en douter, a i d e , protection et sûreté p o u r assurer la p e r m a n e n c e de leurs travaux et la sécurité de leurs p e r sonnes. P a r quel m o y e n peut - on y parvenir,

si ce n'est

par l'emploi d'une force e u r o p é e n n e ? N'est-il pas en outre dérisoire et contraire à l'expérience de tous les t e m p s , de s'imaginer q u ' o n p o u r r a , sans le d é ploiement et le maintien d'une force réelle, et quelle q u e soit la résistance qui en résultera, rétablir l ' o r d r e , faire


191 respecter les personnes et les propriétés dans une c o l o n i e livrée depuis plus de vingt-cinq années passées à une anarchie c o n t i n u e l l e , à u n e horde de barbares ne connaissant aucune l o i , aucun frein que celui d'une f o r c e a v e u g l e , sans règle et sans m e s u r e , et o ù les droits des vrais p r o p r i é taires, des seuls c o l o n s , q u i ont remplacé les i n d i g è n e s , sont et restent e n c o r e m é c o n n u s ? E n quel p a y s , quel temps et sous quel g o u v e r n e m e n t

s'est o p é r é

dans un

semblable p r o d i g e ? Dans la nécessité de r e c o u r i r à des moyens répressifs, lequel est p r é f é r a b l e , o u u n e force e u r o p é e n n e, o u celle c o m p o s é e des seuls nègres et mulâtres libres o u réputés tels ? Il n'est aucun h o m m e sensé q u i puisse hésiter sur la solution â d o n n e r d'une pareille q u e s tion. Si ces raisonnemens sont v r a i s , si ces principes sont i n contestables, o n voit que les ressources industrielles de la n a t i o n , loin d'éprouver u n ralentissement, une d i m i n u tion en employant u n e force sagement dirigée et mise en m o u v e m e n t par des agens fidèles, en seront au contraire plus assurées, soit p o u r le m o m e n t présent, et encore m i e u x p o u r l'avenir. E n effet les produits de l'industrie ne sont jamais aussi certains, aussi abondans q u e lorsqu'ils se c o m b i n e n t avec la

sûreté

des p r o p r i é t é s , le maintien d'un ordre invariable

fondé sur u n système c o n n u , éprouvé pendant une durée de plusieurs siècles, et suivi encore par tous les gouvernemens coloniaux sans aucune exception q u e l c o n q u e . T o u t e sécurité qui n'aurait pas ces anciens appuis consacrés par l ' e x p é r i e n c e , serait fausse et illusoire. Les premières avanc e s , les premiers travaux auxquels cette fausse sécurité aurait d o n n é naissance ; les capitaux des colons et ceux de la métropole qui y auraient c o n c o u r u , seraient également détruits sans retour, c o m m e l'événement ne l'a m a l h e u r e u sement que trop p r o u v é dans tous les projets d'établisse-


192 m e n t et de spéculations auxquels o n s'est livré en différentes fois; le découragement et le désespoir s'empareraient des esprits; et c'est ce sentiment éprouvé par u n e foule d'individus, en raison des événemens passés, qui leur fait envisager toute tentative ultérieure c o m m e impossible o u dangereuse. Ce sont tous ces demi - moyens,

toutes ces craintes

pusillanimes; ce sont ces c o m p r o m i s et ces concessions faits aux nègres et aux mulâtres ainsi qu'à leurs chefs , à

presque

toutes

les

époques

de

notre

révolution,

par

lesquels les droits des propriétaires se trouvaient n é c e s sairement en contradiction et en opposition avec tous ces sacrifices,

ces d e u x effets ne pouvant exister

concur-

rement e n s e m b l e , qui ont p r o l o n g é jusqu'à ce j o u r les m a u x de S a i n t - D o m i n g u e , et ont multiplié les embarras de sa situation et la difficulté d'y faire régner l'ordre et la paix sur u n système vraiment régénérateur. Si ces considérations diverses n e présentent pas u n i n térêt de la plus haute importance,'nous ignorons celles d'un o r d r e supérieur q u ' o n pourrait offrir à la méditation des politiques et des législateurs animés de l'amour de leurs c o n c i t o y e n s , et m u s par ces grands intérêts de la p a t r i e , d o n t les colonies forment une des principales colonnes par leur importance et leur richesse.

OBJECTION

QUATRIÈME.

« Quelques personnes s'élèveront contre la généralité de « ces idées, contre les mesures et les conséquences qui en « dérivent nécessairement. Elles insisteront au contraire, et « de plus en plus , sur la nécessité des concessions , des com«

promis

qui

détruiront

infailliblement

et

sans

retour

les


193 «

bases

du

gouvernement

des

Antilles

jusque

dans

leurs

« fondemens. Elles allégueront que, si l'emploi des forces et « l'adoption des principes consacrés dans cet écrit venaient « à échouer dans leur résultat, celles qui les ont recom«

mandés

«

raisons

trouveront spécieuses

quelques plutôt

motifs

que

réelles,

d'excuse, pour

quelques s'affranchir

« de tout blâme , de tout reproche. »

RÉPONSE. Sans doute, si l'on emploie u n e force insuffisante, le plan p é c h e r a , échouera par sa base ; et les colons se t r o u v e r o n t dans la d é p e n d a n c e , à la m e r c i des nègres et des m u lâtres, et la m é t r o p o l e elle - m ô m e sera forcée de fléchir sous leur j o u g c o m m e dans les temps a n t é r i e u r s , o u de recourir à l'emploi de ses m o y e n s répressifs. Car, que l'on ne s'y m é p r e n n e pas de nouveau ; après u n e révolution sanglante de plus de vingt-cinq années de durée, il faudra jusqu'au retour et à l'organisation parfaite de l'ordre, q u e l q u e soit le régime f u t u r , quelles que soient les concessions à faire aux chefs actuels, le maintien d'une force nationale et stationnaire, assez importante p o u r éloigner tout sentiment d'inquiétude, p o u r d o n n e r cette c o n f i a n c e , cette sécurité si nécessaire à la confection des travaux pénibles et dispendieux. Si avec une force suffisante o n n'écarte et on n'éloigne pas les chefs nègres et mulâtres, tous gens à épaulettes et constitués en autorité; les u n s , des e m p l o i s ; les autres, hors de la c o l o n i e , la tranquillité sera trompeuse et é p h é m è r e ; les c o m p l o t s , les conjurations s o u r d e s , les m a c h i nations secrètes

s'ourdiront de

nouveau,

fomenteront

parmi eux et éclateront avec u n e nouvelle fureur c o m m e par le passé. Si avec ces forces et cet abandon des places, cet éloignement des c h e f s , on n'établit pas les colons dans 15


194 leurs d r o i t s , prééminences et dignités p r e m i è r e s , l'ordre et la subordination reposeront sur des bases incertaines, fragiles, et seront exposés à des attaques réitérées, à des m o u v e m e n s violens e t c o n v u l s i f s . Si avec tous ces moyens décrits,

o n met de l ' i n c e r t i t u d e , d u ralentissement et do

la discordance dans les opérations militaires et dans les actes de l'administration p u b l i q u e ; si o n ne rasseoit pas enfin l'édifice colonial sur la propriété et sur l'autorité, la souveraineté européenne avec tous les attributs et les p r i vilèges qui lui sont i n b é r e n s , il n'y a pas de doute q u ' o n échouera complétement dans tout plan de restauration future. Ce ne sera pas cependant par suite des principes r e c o m m a n d é s, mais au contraire p o u r ne s'y être pas c o n formés en leur entier. Nous

ajouterons à toutes ces précautions la nécessité

de balayer et de purger la côte de ces embarcations et a r méniens maritimes des n è g r e s , celle de déclarer l'ile en état de b l o c u s , afin d'en éloigner les étrangers, et les e m pêcher

d'apporter

armes

et

munitions

de

toute

espèce

,

communication contraire aux droits des gens et à la police générale des peuples civilisés. Q u e l q u e s frégates et b â t i mens d'une m o i n d r e dimension suffiront p o u r atteindre ce b u t . L e général L e c l e r c rendit plusieurs proclamations à l'effet de s'opposer à ce c o m m e r c e criminel ; il s'adressa au chargé d'affaires de F r a n c e auprès des Etats-Unis de l ' A m é r i q u e , M . P i c h o n , p o u r appuyer de toute l'intervention de notre gouvernement contre cette infraction que les c i toyens de ce m ê m e état se permettaient ouvertement. Il en porta m ê m e , j e c r o i s , ses plaintes directement à B o n a p a r t e , alors premier consul ( 1 ) ; mais n'ayant jamais sévi

( 1 ) Ce général, par sa lettre au ministre de la marine, en date du 8 mai, l'instruisait des informations que lui avait fait passer M. Pichon. Celui-ci lui assurait que les Anglo-Américains étaient


195 contre aucun, de ces aventuriers a v i d e s , violateurs de la foi p u b l i q u e , ses proclamations n'eurent pas l'effet qu'elles auraient dû naturellement p r o d u i r e . S'il se trouvait également en F r a n c e , trop m a l h e u r e u sement

sans

doute,

et

je

le

crains,

des

hommes

assez

vils , assez pervers pour chercher à entretenir les nègres dans leur r é b e l l i o n , soit par des liaisons secrètes, soit par des écrits o u de toute autre m a n i è r e , qu'ils soient sur-le-champ traduits devant les tribunaux, et poursuivis c o m m e des pestes publiques,

c o m m e des ennemis de la patrie ,et d u

b o n h e u r général. Certes, il n'est pas plus permis à u n i n d i v i d u d'exciter o u d'entretenir des désordres dans les c o lonies q u e dans les d é p a r t e m e n s , sans e n c o u r i r toute la vengeance des lois. Si ces perturbateurs sont des étrangers, c o m m e il est également à craindre, et s'ils sont arrêtés sur les lieux m ê m e s , qu'ils soient i n c o n t i n e n t jugés par u n e c o u r martiale, et condamnés à subir u n e peine capitale. Si o n nous objecte c o m m e obstacle la fièvre j a u n e , n o u s dirons qu'elle n'est point e n d é m i q u e à nos climats, qu'elle n o u s était autrefois entièrement i n c o n n u e jusqu'au m o ment o ù elle a été transportée par les A n g l o - A m é r i c a i n s chez lesquels elle a pris naissance. Lorsqu'elle régnera p a r m i e u x , n o u s n o u s en garantirons facilement si l'on soumet leurs bâtimens à une quarantaine, o u m i e u x e n c o r e en les écartant de nos ports c o m m e o n en use en E u rope envers c e u x infectés de la peste,

venant de l'Egypte

fort mécontens des mesures prises par le général, à son arrivée dans la colonie ; qu'il y avait plusieurs agens du gouvernement américain auprès de Toussaint, qui ne lui donnaient pas vraisemblablement les meilleurs avis ; que des fusils, des canons et de la poudre avaient été fournis aux nègres avec un nouveau degré d'activité, au moment où les préliminaires de la paix avaient été connus.


196 o u de la Syrie. L a mortalité diminuera encore considérablement p a r m i les t r o u p e s , si o n a soin de les m u n i r de tentes; cela est m ê m e d'une nécessité indispensable.

Au

défaut de ce m o y e n salutaire, les h o m m e s étaient exposés durant le jour à une chaleur embrasée, et la nuit à des r o sées abondantes qui tombent par fois sans discontinuer c o m m e de petites pluies tamisées; e t , en passant ainsi subitement tous les vingt-quatre heures dans deux a t m o s phères opposées,

il était impossible que la santé n'en fût

altérée d'une manière s e n s i b l e , et ne fût accompagnée ensuite de maladies graves sous lesquelles l'individu s u c c o m b a i t . Il faut encore avoir soin de n'arriver à SaintD o m i n g u e qu'à la fin du mois d ' o c t o b r e , après les avalasses de l ' a u t o m n e , suivies immédiatement

après

six

m o i s de sécheresse et d'une température assez d o u c e ; de n'établir enfin les camps que sur les revers et les penchans des m o n t a g n e s , o ù l'on respire u n air aussi frais,

aussi

tempéré qu'en E u r o p e . Depuis quelque temps on avait pris l'habitude de se transporter sur les montagnes au lieu de se rendre en F r a n c e , et toutes les personnes affligées d e dyssenterie o u autres maladies recouvraient p r o m p t e ment la santé. Il est encore sous-entendu qu'il faut des chefs e x p é r i m e n t é s , ayant des connaissances l o c a l e s ; s'ils étaient p r o p r i é t a i r e s , cela serait encore préférable ; b i e n intentionnés s u r t o u t , possédant au plus haut degré la confiance des troupes, revêtus d'une grande autorité, d'une grande dignité avec ses marques et p o m p e s extérieures, s u r tout p o u r celui qui aura le c o m m a n d e m e n t en c h e f , auquel je déléguerais tous les pouvoirs civils, administratifs et m i litaires, jusqu'au m o m e n t d u retour parfait de l'ordre et de la réduction complète des nègres. Car, dans une pareille situation, il s'agira moins d'une législation particulière, de la reconnaissance et de la consolidation des droits individuels, q u i s'établiront avec plus d'efficacité par la suite, que d'en


197 imposer forcément, à tous les partis, condition

qu'ils appartiennent.

à quelque classe et

Pour

cet effet il faut

qu'aucune autorité parallèle ne puisse affaiblir,

rivaliser

ni entraver celle d u chef s u p r ê m e , dont le p o u v o i r doit être absolu afin de p o u v o i r accomplir le plus p r o m p t e ment possible l'objet de sa mission,

par u n e soumission

générale et u n e obéissance passive à sa volonté u n i q u e et incontrôlable. Il faut également partir avec un plan de campagne arrêté el b i e n c o m b i n é dans toutes ses p a r t i e s , d o n t l'objet principal s e r a i t , suivant n o u s, de refouler les nègres dans les plaines o ù ils pourraient être facilement enveloppés,

et de les empêcher de s'attrouper et de s'éta-

blir dans les m o r n e s , dont o n détruirait tous les établissement et tous les vivres. M o y e n n a n t ces mesures combinées, prudentes et i n d i s pensables, commandées autant par u n e saine politique q u e p o u r l'utilité g é n é r a l e , m o y e n n a n t toutes ces précautions subsidiaires et salutaires fondées sur l'humanité m ô m e , o n rétablira d'un côté l'ordre sur u n e base fixe et c o n n u e , sans se jeter de nouveau dans des essais infructueux

que

l'expérience n'a jamais justifiés; de l'autre, on se garantira tout à la f o i s , et de la mortalité p r o v e n a n t d u c l i m a t , et de la fièvre j a u n e ,

et de celle occasionée par le feu de

l ' e n n e m i , si l'on sait surtout éventer les embuscades, m o y e n par lequel il peut nous n u i r e , n e

seul

combattant

jamais en rase c a m p a g n e , et évitant soigneusement tout engagement p u b l i c et particulier. Ainsi d o n c , il faut la r é u n i o n et le c o n c o u r s de tous ces m o y e n s agissant simultanément et tout à la f o i s , u n seul omis dans sa circonstance principale pouvant

faire

naître des obstacles o u au moins des retards et des difficultés dépendans de cette omission, lesquels s ' é l e n d r o n t , se c o m p l i q u e r o n t et finiront par p r o d u i r e u n nouveau b o u leversement. A aucune é p o q u e et dans aucune

circon-


198 s t a n c e , o n n'a e m p l o y é la totalité de ces moyens ; o n s'en est au contraire constamment écarté. S u r q u o i d o n c s'appuyer a i t - o n p o u r en croire l'exécution impossible o u p r o b l é matique ? Ce serait v o u l o i r s'aveugler étrangement et v o lontairement que de persister dans des mesures employées j u s q u ' i c i sans succès,

et de se refuser à l'adoption des

seules d o n t on n'a point encore fait l'essai, et dont tout d é m o n t r e et la nécessité, et l'utilité, et la réussite c o m plète (1). P o u r en m o n t r e r de plus en plus l'importance et la n é cessité, rappellerais-je ici les tentatives faites et réitérées infructueusement depuis la proclamation de la liberté g é n é r a l e , et inclusivement jusqu'à l'époque de l'expédition d u général L e c l e r c et de l'évacuation des troupes f r a n çaises, suivies immédiatement après d'un massacre général des c o l o n s , poursuivis dans leurs retraites les plus o b s cures et jusqu'au milieu des ondes,

implorant en vain la

miséricorde de leurs b o u r r e a u x , et malgré les assurances perfides données par c e u x - c i et leurs chefs ,

au son d u

t a m b o u r , q u e les propriétés el la vie des blancs seraient religieusement respectées par e u x t o u s ? confiance,hélas ! t r o p crédule à laquelle u n e partie de nous se sont f o l l e m e n t abandonnés! Retracerais-je ici la peinture fidèle de nos incomparables

et douloureuses i n f o r t u n e s ,

de ces

scènes de sang et de carnage auxquelles nous avons été tous l i v r é s , b l a n c s , nègres et mulâtres, à la seule e x c e p tion de quelques chefs et de leurs satellites, suite funeste

(1) V o y e z l'ouvrage déjà cité, où nous avons indiqué des moyens subsidiaires à employer pour établir la paix et la concorde entre les maîtres et les esclaves, la subordination facile de ceux-ci et l'autorité modérée de ces premiers, puisés dans les principes de la morale et de la religion. Ils sont le complément de l'ordre public, et forment enfin la voûte de l'édifice social.


199 d'un

affranchissement i n c o n s i d é r é , de concessions et de

c o m p r o m i s faits en faveur des uns et des autres ? M e p r é vaudrais-je de la dernière révolution opérée au sein de la p a t r i e , par le retour de B o n a p a r t e , la plus funeste et la plus déplorable de toutes celles auxquelles nous avons été jusqu'ici

en

proie ?

Vous

représenterais-je

ici

d'un

côté.

H o m m e s imprévoyans ! que seraient d o n c u n t r a i t é , u n accord p u b l i c avec des chefs nègres et m u l â t r e s , a c coutumés à d o m i n e r avec u n e verge de f e r , plus enclins aux écarts et aux excès d'une nature sans frein par le d é faut de toute instruction et de toute m o r a l i t é , s'ils venaient à conserver leurs g r a d e s , leurs c o m m a u d e m e n s , et si la population des cultivateurs restait libres,

exposée

aux

embûches et aux séductions des agitateurs? Quelles seraient la garantie, la sauve garde des intérêts c o m m u n s avec des gens qui ont trahi indistinctement tous les gouvernemens , coloniaux et étrangers , anglais et espagnol, qui n'ont rec o n n u en apparence et à une certaine époque l'autorité de la m é t r o p o l e que p o u r la trahir avec plus de sûreté e n c o r e , en ont chassé successivement tous les agens, tous les m a n dataires, militaires et administrateurs d i v e r s , et j u s q u ' a u x c r é a t e u r s , j u s q u ' a u x défenseurs les plus ardens de leur liberté anarchique,

les Santhouax, les R o m m e , etc.

—-

Je m'arrête : h o m m e s i m p r u d e n s ! Q u e l serait le sort de la colonie et de ses i n n o m b r a b l e s h a b i t a n s , si u n e force suffisamment

c o m p r i m a n t e et organisée c o n f o r m é m e n t a u x

principes c o l o n i a u x ,

n e contenait les u n s ,

n'assurait

l'existence des autres et la tranquillité de tous ? Q u e l l e serait sa destinée, si, éloignée de q u i n z e cents lieues de la métropole,

et privée de tout secours de sa p a r t , elle


200

venait À éprouver u n e c o m m o t i o n nouvelle ? H o m m e s i n crédules ! que deviendrions-nous tous,

si des concessions

nouvelles et exécutées sur les lieux mêmes (1), n o u s r e plongeaient dans cet abîme de m a u x et de crimes dont nous avons fait en tout temps u n e si triste,

u n e si cruelle, et

si malheureuse expérience? E h q u o i d o n c ! ce que la F r a n c e , à la première restau-

(1) Par ces expressions, nous entendons que, s'il est absolument nécessaire, comme nous le croyons et en restons convaincus, de faire certaines concessions pour assurer notre rentrée à Saint-Domingue sans choc, sans confusion, e t , s'il est possible, sans comb a t , elles doivent recevoir leur accomplissement hors de la colonie ; et que ce n'est ni par ces chefs ni par ces concessions exécutées sur les lieux mêmes qu'on doit s'attendre au rétablissement de l'ordre sur un système vraiment colonial. Ces chefs et quelques autpes peuvent faciliter notre rentrée en ne s'opposant point au déploiement de nos forces,

à l'occupation des villes,

en

ne commettant et en n'ordonnant aucune nouvelle dévastation et incendie, en exerçant leur autorité supérieure pour engager tous les leurs à mettre bas les armes et à reconnaître notre domination. Leur concours et leur ministère doivent se borner à ces seuls actes de conservation préparatoire, sans prétendre exercer désormais aucune autorité ni influence, ni pouvoir même rester parmi nous ; mais recevant, pour prix de leurs services actuels et présumés, fortune et tout ce qu'on croira devoir leur accorder, leur octroyer, par surabondance et d'une manière surérogatoire. Tout ce qui est avancé dans cet écrit, particulièrement dans ce paragraphe et le précédent, vient également à l'appui de cette conclusion finale. Si on nous objectait que ces chefs et autres se refuseront absolument à cet accord et à ces conditions, réclamés impérativement

pour

le salut commun,

tous

et sans qu'il

soit possible d'y mettre la moindre restriction (nous pourrions nous autoriser de plus d'un exemple où de pareilles conditions ont été imposées avec force et convenance, et elles sont encore plus nécessaires à Saint-Domingue que partout ailleurs), nous n'hésitons

pas à dire qu'il faut pour lors combattre ces chefs

et autres à outrance,

sans leur accorder répit ni quartier. Car il


2 0 1

ration, n'a p u o b t e n i r n i c o n s e r v e r avec le c o n c o u r s de p l u sieurs circonstances f a v o r a b l e s , tuer

à Saint-Domingue

sous

vous p r é t e n d r i e z l'empire

de

l'effec-

circonstances

b e a u c o u p m o i n s avantageuses ! E h q u o i d o n c ! ce qui n'a p u s'opérer dans l ' u n e , à la s e c o n d e r e s t a u r a t i o n , qu'avec des

V o u s v o u d r i e z l ' a c c o m p l i r dans l'autre sans f o r c e o u avec

faut, par une nécessité impérieuse, que la colonie soit constituée de nouveau européenne, et ne reste point africaine sous le joug de quelques mulâtres ; il faut que cette première y exerce les attributs et les privilèges de sa puissance souveraine, ses chefs, ses agens de tout grade et de tout emploi, administrant et gouvernant la chose publique avec les droits et les prérogatives des colons, en leur qualité de propriétaires et maîtres du sol. Sans l'affermissement de ces bases fondamentales, elle ne présentera qu'un chaos et une monstruosité en politique, une nation brute et sauvage mise à la place et au-dessus des lumières et de la civilisation européennes ; et plus ces bases ont été méconnues et violées, plus il est important de les rétablir dans leur intégrité première. Je désire que ces vérités, en dissipant des erreurs trop généralement répandues, obtiennent enfin un accès facile dans les esprits, plus encore pour les grands intérêts de la métropole que pour ceux de mes infortunés compatriotes. Quoique ce dernier intérêt nous soit évidemment cher, il est néanmoins subordonné, o u , pour mieux dire, lié indissolublement avec celui de la mère-patrie, dont nous sommes les véritables agens par notre intelligence, notre activité et notre industrie, les seuls intermédiaires et les u n i ques appuis de ses droits et de sa puissance par une origine commune ,

par nos liaisons de parenté, par celles qui naissent de nos

rapports sociaux et commerciaux, par notre entier dévouement et notre amour sans bornes à sa cause sacrée. Il serait vraiment étonnant et inique, injurieux pour les colons, et flétrissant pour la nation, si on persistait à vouloir rejeter, rompre celte connexion intime, ces affinités secrètes, ces premiers élémens de toute association régulière, pour favoriser, s'incorporer et s'idenlifier avec les nègres. Quel amalgame étrange et bizarre !


2 0 2

une force insuffisante et nullement appropriée à l ' i m p o r tance de ses hautes fonctions,

o u ce q u i est e n c o r e pire

par des conventions dont rien n e saurait garantir l ' e x é cution et par des sacrifices faits à l'honneur et à la dignité nationale,

h o n n e u r el dignité qu'il est si important de

conserver c o m m e notre dernier refuge et le palladium de tous nos droits. Q u e l l e funeste erreur ! quel étrange aveuglement ! c'est en vain q u ' o n veut se le dissimuler, la j u s tice, l'ordre p u b l i c, priétés,

la sûreté des personnes et des p r o -

les droits de tous et ceux des autorités m ê m e n e

sont et ne peuvent être maintenus clans nos grandes a s sociations politiques, vieilles et c o r r o m p u e s, pagnés de la force et de l'appui

qu'accom-

de l'opinion morale q u e

la force seule fait naître et e n t r e t i e n t , établit et régularise. L a religion sans doute présente une exception à celte loi générale. Elle forme u n système à p a r t , u n o r d r e supérieur en vérités et en s e n t i m e n s , q u i agrandit, embellit notre existence par la sublime destinée à laquelle elle est appelée, q u i n o u s unit en quelque s o r t e , par les liens mystérieux d e notre nature particulière, à cet être incompréhensible q u i régit la vaste étendue de l ' u n i v e r s , c o m m e il en a c o n ç u le plan magnifique par u n simple acte de sa volonté s u p r ê m e , d o n t n o u s i m p l o r o n s sans cesse,

dans notre f a i -

blesse i n f i n i e , la b o n t é , la miséricorde, et dont les grands, les merveilleux ouvrages c o m m e les créations les plus m i nimes ravissent notre a d m i r a t i o n , excitent notre vénéral i o n et notre r e c o n n a i s s a n c e , étonnent et

confondent

notre faible c o m p r é h e n s i o n .

OBJECTION «

Malgré

ces

vérités

CINQUIÈME.

d'expérience

et,

de

raisonnement

« auxquelles il serait difficile, nous le pensons du moins,


203 « d'opposer d'autres faits et d'autres argumens qui fussent «

également

«

que

nous

vrais

et

concluans,

combattons

les

avancent

partisans

que

la

du

pénurie

système et

les

« charges du trésor public, les embarras et les difficultés «

qu'éprouvent

le

gouvernement

ne

lui

permettent

pas

« d'envoyer à Saint-Domingue des forces, et d'y suivre un « plan approprié à l'ensemble des circonstances qui pour« raient seuls en assurer le succès. Ils affirment de plus et «

de

nouveau

que

la

voie

des

négociations,

certaines

« faveurs et concessions, sont les seuls moyens qu'on puisse «

raisonnablement

employer

ou

tenter

avec

quelque

ap-

« parence d'une heureuse réussite. »

RÉPONSE.

Il n e nous appartient p a s , et n o u s n e n o u s hasarderons encore m o i n s , faute d élémens suffisans, de discuter cette p r e m i è r e proposition et de déterminer jusqu'à quel p o i n t elle est exacte. N o u s nous b o r n e r o n s seulement à faire observer,

qu'au mois de j u i n 1814 , n o u s avons e n t e n d u

u n des ministres d u roi qui n'existe plus,

q u i n o u s avait

appelé auprès de lui et nous avait admis dans une sorte de c o n f é r e n c e o u plutôt d'entretien avec plusieurs autres p e r s o n n e s , nous affirmer que le gouvernement était d é p o u r v u de moyens p o u r entreprendre u n e expédition en grand (1),

(1) Ce ministre de la marine, déjà presque octogénaire, avait embrassé une partie des opinions régnantes

relativement

aux

colonies. Dans cet entretien, il nous assurait qu'il fallait que les nègres et les mulâtres libres, dont la très-grande majorité et la presque universalité avait été affranchie de nos j o u r s , fussent les égaux des blancs et participassent à tous leurs droits ; sans q u o i , disait-il, il est impossible de songer à avoir et à conserver des colonies. J'aurais p u lui répondre,

ce que je ne fis cependant pas

par égard pour sa personne et sa place,

qu'il ne fallait plus dès-


204 l a q u e l l e , d i s a i t - i l , eoûterait de 25 à 3 o m i l l i o n s . C e p e n dant l e g o u v e r n e m e n t a été depuis astreint à u n e d é p e n s e d i x et trente fois plus considérable d o n t il s'est l i b é r é e n p a r t i e , ce qui n o u s dispose à c r o i r e qu'il eût été s û r e m e n t facile de c o m m a n d e r u n e s o m m e aussi m o d i q u e , c o n s i d é rant surtout l'utilité et l ' i m p o r t a n c e de son e m p l o i . Il est d'autant plus p e r m i s de le c r o i r e , q u ' à cette é p o q u e les espérances renaissaient de toutes parts,

u n esprit d ' u n i o n

et de c o n c o r d e semblait régner p a r m i tous les c i t o y e n s , et

lors, et par une juste conséquence, de ministre de la marine et des colonies, ce qu'il n'aurait certe pas admis. J'aurais pu lui ajouter, en preuve de cette assertion, que la marine militaire était sans utilité quelconque si elle n'avait pas pour objet la protection d u commerce national et des possessions d'outremer, et que c'était là sa destination unique et principale. Lorsqu'un gouvernement n'a ni commerce maritime ni des colonies à défendre,

supposition

qu'on ne saurait jamais admettre pour la France sans lui faire perdre ses avantages, en la forçant à descendre à un rang secondaire et dépendant, la marine militaire devient une dépense onéreuse et insensée, sans but ni utilité, une montre moqueuse et dérisoire; car elle ne parcourt pas les mers pour le stérile et barbare plaisir de rougir les ondes du sang des hommes,

et pour lutter,

sans

fruit et par une vaine ostentation, contre des vents impétueux et des (lots en courroux. Sa destination est tout autre; elle a pour objet spécial, et qui est tout à la fois noble, généreux et humain, de protéger le commerce national dans toutes ses branches et dans tous les parages, de favoriser ses échanges divers, et surtout ses produits manufacturés contre des matières premières, seul et unique fondement de la richesse,

de la puissance et de la civilisation

chez tous les peuples anciens et modernes. J'aurais pu en outre, en me tenant à sa proposition principale, lui prouver que chez toutes les nations anciennes et modernes sans aucune exception,

même chez les Anglo-Américains,

ment qui a consacré la liberté et l'égalité,

gouverne-

les affranchis n'avaient

jamais été les égaux des ingénus , ni admis aux mêmes priviléges , tant que leurs institutions politiques s'étaient maintenues intactes et dans toute leur force. Ce ne fut qu'au moment où les uns elles


205 se serait fortifié par la suite ; le crédit s'établissait, le c o m merce

p r e n a i t s o n essor,

les c o n t r i b u t i o n s se payaient

avec exactitude-, tout enfin marchait r a p i d e m e n t vers u n état de b o n h e u r et de p r o s p é r i t é , q u i a été m a l h e u r e u s e m e n t i n t e r r o m p u par le d é b a r q u e m e n t de Bonaparte et son apparition

soudaine au m i l i e u de la capitale,

usur-

pant et exerçant de n o u v e a u tous les p o u v o i r s p u b l i c s . N o u s sera-t-il p e r m i s d'ajouter q u e le ministère aurait m o n t r é u n e grande p r é v o y a n c e et u n e grande sagacité ,

autres furent confondus et assimilés aux mêmes droits, que l'état perdit et de sa grandeur et de sa prospérité, fut livré à des désordres et à des convulsions perpétuelles ; tous exemples qui étaient déjà une démonstration assez forte pour un homme d'état qui doit plutôt consulter l'expérience que les folles idées du jour,

la science

du gouvernement étant principalement et uniquement fondée sur l'exemple des siècles passés,

lorsque surtout il est confirmé par

un assentiment général ; j'aurais pu encore lui démontrer que cette égalité qu'il voulait établir aux colonies entre les colons et les affranchis nègres et les mulâtres, tendait à détruire cette hiérarchie des rangs et des conditions, si importante à observer dans tout état bien constitué ; que ces distinctions sont d'une nécessité plus rigoureuse aux colonies que chez les anciens, et partout ailleurs, par une foule de considérations importantes que nous omettons ici, puisque c'est sur elles seules ( la distinction des races, les prérogatives diverses qui y sont attachées el établies par la nature même) que repose tout l'ensemble du système colonial,

de la sécurité

des biens et des personnes. Je lui aurais ajouté que ces distinctions ne peuvent être remplacées par aucune autre, et que de leur affaiblissement seul il en résultera infailliblement de nouveaux malheurs et de nouvelles catastrophes, toutes proportions que nous démontrerons victorieusement dans un écrit séparé, ainsi que le droit exclusif qu'a la colonie de se régir par elle-même, dans tout ce qui concerne son administration intérieure et domestique, celle qui a rapport aux esclaves et aux affranchis, surtout sous un gouvernement qui a appelé les élus du peuple, les propriétaires, à la confection de ses lois. J'aurais enfin terminé par lui dire :« Si vous voulez absolument que des hommes récemmen t affranchis par nous,


206 des connaissances

réelles et des vues supérieures

d'une

g r a n d e utilité, s'il avait e m p l o y é u n e partie des s o i x a n t e dix

millions

fixe

p o u r le m o m e n t , et u n e faible p o r t i o n de l'armée,

reposant

dans le trésor

sans

désignation à

u n e e x p é d i t i o n de S a i n t - D o m i n g u e d o n t n o u s serions a u jourd'hui

vraisemblablement

en

pleine

possession ;

au

l i e u de laisser la totalité de ces o b j e t s à la disposition et à la m e r c i d'un h o m m e qui en a fai t un usage aussi p e r n i c i e u x q u e funeste et dans son seul i n t é r ê t , et q u i , placé sur les

sous certaines clauses et conditions, qui étaient pour eux obligatoires, et auxquelles ils ne pouvaient se soustraire sans violer leurs engagemens et l'acte même de leur affranchissement, soient nos égaux, et parlicipentà tous nos privilèges, de quel droit et dequel argument vous servirez-vous donc pour refuser la liberté à nos esclaves? et liberté que vous êtes sans doute loin d'admettre. Car ceux-ci, retenus sans leur consentement et sans aucun pacte entre nous, ont évidemment plus de droit à leur liberté naturelle que les autres, dans l'ordre social, à leur liberté politique ; cet ordre étant partout soumis à des modifications et à des restrictions, tandis que l'autre n'en doit point admettre, en tant que prétendant et ayant droit à leur liberté naturelle, si ce n'est cette seule portion incompatible avec toute société bien ordonnée. » O n ne peut donc que sourire de pitié, et l'esprit en reste également affligé et alarmé,

de voir u n ministre de la marine et des

colonies adopter l'absurdité, ou au moins l'exagération des opinions régnantes à certaines époques,

lesqueflcs ne peuvent être

confirmées ni par l'histoire ni par le raisonnement. Cependant ce ministre avait été autrefois commissaire de la marine à Saint-Dom i n g u e , intendant à Cayenne,

passait pour un habile adminis-

trateur, et l'était en effet ; e t , à cette époque où il était dans toute la force de l'âge, jouissant de ses facultés intellectuelles dans toute leur maturité,

il était loin d'émettre de semblables opinions; e t ,

pour s'en convaincre, on n'a qu'à lire ses mémoires. Il possédait, dans cette première île,

par son mariage, une propriété consi-

dérable ; mais il était sans doute du nombre des personnes que nous avons déjà signalées, qui,

par leurs places et les émolumens

qui y sont atlachés, par des pensions plus ou moins considérables


207 frontières d u r o y a u m e devait être u n o b j e t de

sollicitude

et de surveillance continuelles p o u r tous les m e m b r e s c o m posant le ministère? C'est ainsi q u e des ministres d'un t a l e n t supérieur se r e n d e n t r e c o m m a n d a b l e s à la postérité et aux c o n t e m p o r a i n s ,

font respecter et c h é r i r l'autorité

s u p r ê m e en p r é v o y a n t les événernens et en les enchaînant dans u n c o u r s de p r o s p é r i t é s , o u p r e n d r e u n e d i r e c t i o n fausse font q u e suivre les é v é n e m e n s ,

sur le trésor on sur la liste civile, veuves et leurs enfans,

en

les e m p ê c h a n t d e

o u n u i s i b l e . Q u a n d ils n e ils n e remplissent q u ' u n e

tant pour elles que pour leurs

peuvent se passer facilement, et sans en

éprouver un inconvénient considérable et pour le m o m e n t , de leurs propriétés dévastées dont elles ont peut-être fait ou pu faire le sacrifice en entier. Elles ne prennent, par conséquent,

qu'un

intérêt faible, éloigné et à peu près nul au sort de Saint-Domingue; e t , par l'affaiblissement de leur esprit, l'aberration de leurs idées, et leur influence ministérielle, elles ne peuvent, en dernier résultat, qu'être défavorables aux colons en général. C e u x - c i , au contraire, sans espoir de pouvoir participer à ces avantages particuliers,

et sans ressources actuelles, soupirent sans cesse et for-

ment les vœux les plus ardens pour leur restauration, vœux qui concordent avec l'intérêt et le bonheur général; e t , parmi ces colons, il est permis de croire que les créoles éprouvent plus vivement et plus fortement que toute autre personne ce désir ardent et impétueux vers leur séjour natal,

où tout leur rappelle le

toit paternel, les jeux de leur enfance, les doux souvenirs de la famille et de la patrie, tout ce qui se rattache enfin à nos sentimens tes plus intimes, les plus chers, qui forment toute notre existence morale et p e u t - ê t r e notre seul et véritable bonheur ici bas. Voilà , néanmoins , le résultat d'une révolution , laquelle , quant

aux

colonies

au

moins,

a

bouleversé

toutes

les

idées,

dénaturé tous les sentimens de leurs compatriotes européens, a faitperdie aux meilleurs esprits leurs connaissances acquises et leur longue expérience. Espérons que ces erreurs, ces aberrations de l'esprit, ces écarts dans nos devoirs et nos sentimens, terme et seront un jour généralement proscrits.

auront un


208 partie de leurs devoirs,

les m o i n s importans et les plus

faciles, et ils restent au-dessous de leurs hautes fonctions de protecteurs et de conservateurs de l'ordre public et général. Sans sortir de notre s u j e t , si par suite o u par l'effet de leur insouciance o u de leur p e u d'empressement à s'emparer de S a i n t - D o m i n g u e,

ils ne savent ni p r é v o i r ni d e -

vancer les événemens affreux

dont toutes les Antilles

sont menacées dans leur existence

comme

dans

leurs

relations politiques et commerciales avec leurs métropoles, par cette horde d'esclaves révoltés à S a i n t - D o m i n g u e , ils m o n t r e n t , j'entends les ministres de tous les g o u v e r n e mens auxquels les Antilles appartiennent, leur négligence, oserais-je dire leur incapacité? à régler les grands intérêts de l'état et les nôtres,

à diriger les destinées d'un peuple

appelé à jouir de toute sa supériorité naturelle, à laquelle sa p r o p o n d é r a n c e maritime est essentiellement liée d'après le système m o d e r n e , système q u ' o n est forcé d'adopter si l'on n e veut déchoir de sa puissance, et descendre à u n rang secondaire et dépendant. A u lieu de cette expédition c o m m a n d é e et sollicitée par tant de considérations d i v e r s e s , on se contenta d'envoyer à S a i n t - D o m i n g u e des commissaires. C e u x - c i , soit par les événemens survenus au sein de la m é t r o p o l e , soit par toute autre c a u s e , soit m ê m e par les inconvéniens i n é v i tables attachés à toute mission de ce g e n r e , n'obtinrent aucun succès ; ils ne purent pas m ê m e , à leur r e t o u r , en présenter un prochain ni p r o b a b l e . Puisque le gouvernement ne pouvait subvenir aux frais d'une e x p é d i t i o n , j'osais p r o p o s e r à ce m ê m e m i n i s t r e , de faire u n appel aux chambres de c o m m e r c e de nos villes maritimes, à l'effet de les engager à fournir tous les fonds nécessaires par forme d'avance o u de p r ê t , dont elles eussent été remboursées dans u n temps d é t e r m i n é , soit par le gouvernement, o u , à son défaut o u refus, par la colonie


209 elle-même et nos autres possessions coloniales, sous la sanction et la garantie de ce p r e m i e r . Je ne sais si cette p r o p o s i t i o n , qui fut rejetée sans e x a m e n , sous le seul p r é texte q u e le c o m m e r c e était ruiné et incapable de faire u n e pareille a v a n c e , était à dédaigner ; et si dans tous les cas il n'était pas convenable de la faire connaître aux c h a m bres assemblées. Les négocians propriétaires à

Saint-

D o m i n g u e , et ceux qui sont simplement créanciers, dont le n o m b r e des uns et des autres est assez considérable dans le r o y a u m e , avaient le plus grand intérêt à accueillir notre proposition et à la mettre à exécution. Si elle s'était réalisée, elle aurait p r o d u i t des avantages i n n o m b r a b l e s , plus e n c o r e p o u r la métropole q u e p o u r les c o l o n s , qui en se rasseyant sur leurs héritages, et en les faisant fructifier de n o u v e a u , auraient j o u r n e l l e m e n t proclamé leur r e connaissance,

et b é n i à jamais les auteurs et les c o o p é r a -

teurs de leur nouvelle destinée. A u r e s t e , nous n'avons pas prétendu dire q u ' o n d û t s'engager dans u n e e n t r e p r i s e , si l'on n e s'y était disposé e t préparé d'avance par la r é u n i o n de tous les instrumens et agens nécessaires. N o u s avons affirmé au contraire qu'elle n e pouvait avoir lieu qu'au m o m e n t du rétablissement p a r fait de l'ordre au sein de la m é t r o p o l e , et lorsque c e l l e ci serait maîtresse de tous ses m o y e n s d'exécution. Il n'est pas n o n plus contraire aux principes avoués et soutenus par nous dans cet é c r i t , de refuser aux chefs nègres et mulâtres, ainsi qu'à leurs subordonnés p r i n c i p a u x et i m médiats, certaines concessions et faveurs. Nous nous sommes plu au contraire à reconnaître qu'elles pouvaient leur être octroyées ; nous y ajouterons m ê m e , de quelque nature qu'elles s o i e n t , p o u r v u qu'elles reçussent leur a c c o m p l i s sement hors de la c o l o n i e , parce que c'est de cette seule manière qu'elles peuvent être exécutées sans aucun d a n ger réel p o u r personne, p o u r le bien-être et l'utilité générale,

14


210 Si o n veut p r o c é d e r au maintien d'un

établissement

q u e l c o n q u e , sans avoir égard à aucune de ces circonstances importantes, et en les dédaignant m ê m e, il sera impossible d'obtenir aucun succès, ou il ne sera qu'apparent ; et sous cette apparence elle recélera les germes des plus funestes événemens. E n admettant m ê m e , c o m m e vérité démontrée,

que le

gouvernement ne puisse au m o m e n t actuel rétablir sa puissance etlesdroits descolons, avec cette plénitude de pouvoirs q u e l'honneur n a t i o n a l , l'utilité publique et la justice r e quièrent également, ne s o n t - c e d o n c pas là des motifs suffisans p o u r suspendre toute entreprise hasardeuse ? N e vaut-il pas m i e u x la différer que de suivre u n plan f a u x , imparfait o u m o r c e l é , qui n e peut être approuvé par le raisonnement, ni confirmé par l'expérience, et n'a p o u r soi q u e les funestes innovations de la révolution, et une partie de ses erreurs ? Cependant il ne serait pas c o n v e n a b l e , il y aurait m ê m e trop d'inconvéniens et un danger réel à renvoyer à u n e époque plus éloignée l'expédition armée de S a i n t - D o m i n g u e ; le temps presse, le mal s'aggrave de plus en plus,

de j o u r en j o u r , s'étendra infailliblement

dans u n e sphère d'activité plus grande,

si o n n e s'em-

presse de soustraire cette malheureuse c o l o n i e à l ' a n a r chie qui la d é v o r e , en la sonmettant de n o u v e a u à la souveraineté nationale, à son régime régulateur, protecteur et bienfaisant. Si les concessions faites o u à faire aux nègres et aux m u l â t r e s , tant libres qu'esclaves, car nous ignorons toute l'étendue q u ' o n veut leur d o n n e r , étaient cependant de nature à dénaturer o u à affaiblir le droit de p r o p r i é t é , à déranger la hiérarchie des rangs el des conditions, à altérer les rapports entre les hommes et les c h o s e s , à introduire enfin un o r d r e inverse o u simplement dissemblable à celui consacré dans les autres c o l o n i e s , celles-ci n'en seraient-


2 1 1

elles donc pas nécessairement ébranlées ? Nous ne r a p p e l lerons pas ici les observations que nous avons présentées sur cet objet important dans tout le cours de cet ouvrage , et

particulièrement

au

paragraphe

premier.

Mais

nous

ajouterons et demanderons si, p o u r l'intérêt m a l - e n t e n d u d'une seule c o l o n i e et d'une seule classe d ' h o m m e s , contre l'intérêt évident de la m é t r o p o l e , et par la seule c o n s i d é ration d'une impossibilité réelle et d u m o m e n t , il faut bouleverser le système entier des colonies de l'archipel occidental ? Ce serait sacrifier le tout à la p a r t i e , ce serait s u b o r d o n n e r les grands intérêts

de la société et d'une

classe n o m b r e u s e , à des accidens et à des circonstances d u m o m e n t , lorsqu'au contraire c e u x - l à doivent p r é v a l o i r et d o m i n e r en tout temps sur les d e r n i e r s , c o m m e les vrais, les seuls et uniques fondemens de tout o r d r e et de toute régénération possibles. Ainsi d o n c tout changement autre q u e celui d'une a m é lioration possible dans le sort des nègres c o m m e c u l t i v a teurs esclaves; toute entreprise et tentative précipitées q u i n e seraient p o i n t suivies de ces

m o y e n s puissans

qui

peuvent seuls en assurer le s u c c è s , o u qui auraient p o u r b u t d'altérer o u d'affaiblir aucune des bases principales de notre organisation sociale sans lesquelles les Antilles ne sauraient exister ni p r o s p é r e r, n e pourraient en dernier résultat qu'être infiniment

dangereux p o u r n o u s t o u s ,

sans espoir d u m o i n d r e d é d o m m a g e m e n t , et sans aucune sorte de compensation réelle ni possible.

OBJECTION «

A

quoi

pensez-vous

SIXIÈME.

donc,

s'écriera-t-on?Le

régime,

« colonial n'est-il pas déjà détruit de fond en comble, ou « arrêté au moins dans ses progrès futurs par la suppres-


2 1 2

« sion de la traite? Quel moyen véritable s'ofFre-t-il pour « remédier ou pour parer à cet inconvénient majeur ? »

RÉPONSE. Avant t o u t , allons à ce q u i est plus instant et plus i m p é r i e u x ; c'est ce q u e dicte la p r u d e n c e la plus c o m m u n e , c'est ce q u e conseille la raison la moins éclairée. Faisons en p r e m i e r lieu tout ce q u e notre intérêt nous c o m m a n d e impérativement, tout c e q u e l'importance et l'utilité de la société nous o r d o n n e n t d'une manière n o n moins puissante; et renvoyons à u n e autre é p o q u e tout ce q u i tient à celte politique d i p l o m a t i q u e , aussi variable dans ses élémens q u e capricieuse dans ses vues. N anticipons pas sur les temps dont nous ne sommes pas maîtres, ni sur cette casuaïité d'événcmens q u i dépendent d'une foule de c i r c o n stances; de manière qu'il n'est guère possible de prévoir à l'avance quels seront

les résultats définitifs

qu'amène-

r o n t le temps et les circonstances, n i de calculer les m o y e n s q u i pourraient les faire converger dans la d i r e c tion qui nous serait la plus favorable. O c c u p o n s - n o u s d ' a b o r d , c o m m e mesure principale et p r e m i è r e, c o m m e la source génératrice de tout bien et de tout o r d r e,

de rentrer avec sûrelé, convenance et dignité

sur nos propriétés ; de rappeler et de consolider l'ordre et la subordination dans les ateliers p a r tous

les m o y e n s

d'influence et de sagesse q u i sont en notre disposition ; do rétablir les cultures; de réédifier les bâtimens de m a n u f a c tures, tous les établissemens utiles, et de peupler les h a bitations d'animaux de toute espèce. Il s'écoulera n é c e s sairement b i e n des années avant q u e ces derniers o b j e t s , c e u x relatifs aux premières avances et à des constructions nouvelles, aient p u être mis en pleine valeur ; e t , durant tout ce temps, il serait inutile, il serait m ê m e dangereux


213 d'introduire de nouveaux nègres dans la colonie avant q u e les anciens n'aient été habitués de nouveau à r e c o n n a î t r e , a fléchir sous notre autorité, et à o b é i r à la v o i x de leurs conducteurs; la raison en est sensible. 11 faut procéder par suite dans nos travaux, ner nos efforts à nos m o y e n s,

subordon-

c o m m e n c e r par de petites

cultures c o m m e au temps de notre p r e m i e r établissement, lesquelles s'étendront en raison de nos facultés p e r s o n nelles o u d u crédit q u e chacun de nous p o u r r a c o m m a n d e r , et attendre que les produits successifs et n o t r e é c o n o m i c puissent n o u s permettre d'entreprendre des établissemens en grand. Il faut enfin préparer à l'avance tous ces moyens matériels avant de songer au remplacement et à l'accroissement de ces instrumens d i s p e n d i e u x ,

d'une

nature différente, plus délicate, et dont l'emploi demande u n e main exercée et très-habile. D'ailleurs il n o u s serait peut-être impossible, ainsi qu'à la m é t r o p o l e , de disposer à la fois et tout-à-coup de tous les capitaux

nécessaires

p o u r faire marcher ensemble ces deux branches de l ' é c o n o m i e r u r a l e , qui les c o m p r e n n e n t toutes dans le système c o l o n i a l , à moins que le c o m m e r c e neutre n e vînt à notre secours. Ainsi d o n c la difficulté que présente la suppression de la traite n'a rien q u i se rapporte à notre objet actuel et p r é s e n t , n'a rien qui puisse arrêter, contrarier, ni nous e m p ê c h e r , durant notre prise de possession et toutes ces premières avances préparatoires, de relever l'édifice c o l o nial sur ses anciennes bases. Q u a n t à ce qui peut arriver par la suite, il f a u t , c o m m e nous l'avons déjà d i t , s'en remettre au temps et à la p r u d e n c e , les meilleurs et les plus sûrs conseillers, p o u r tous ces événemens et futurs contingens auxquels les traités sont définitivement s u b o r donnés,

et qui les rendent aussi variables que les causes

qui les déterminent ; et j e n e sache pas que dans aucun


214 temps il faille sacrifier sans nécessité le temps présent à un temps à v e n i r ; u n bien réel et du m o m e n t , à u n e s u p p o sition éventuelle ; un intérêt puissant et de tous les i n s t a n s , à un intérêt s u b o r d o n n é ; u n e situation présente et p r o p i c e , à u n e situation forcée et dépendante d'une p o l i tique intéressée, étrangère aux intérêts g é n é r a u x , et à laquelle une circonstance toute particulière, p r o v o q u é e et soutenue par la p r é p o n d é r a n c e d'un seul g o u v e r n e m e n t , d o n n e au m o m e n t actuel une certaine vogue et faveur. O n peut d'autant moins se m é p r e n d r e sur cette c i r c o n stance et sur cette politique intéressée, q u e ce m ê m e g o u v e r n e m e n t , qui a sollicité avec tant de véhémence et de persistance la suppression de la traite, qui a p o u r ainsi dire forcé les nations maritimes possessionnées aux c o l o nies

ày

r e n o n c e r,

jusqu'à offrir

aux Espagnols et aux P o r -

tugais, en forme de compensation o u de leurre, u n e s o m m e d'argent assez considérable. Ce m ê m e gouvernement n'a cependant ouvert aucune négociation, n'a fait aucune t e n tative, qui soit parvenue au moins à la connaissance du p u b l i c, auprès de la sublime Porte et des cours asiatiques, p o u r anéantir o u restreindre au moins celte m ê m e traite par la voie de la terre ; dernier c o m m e r c e q u i , n e c o n t r a riant en rien son m o n o p o l e , lui est devenu p o u r lors aussi étranger qu'indifférent, malgré tous les sentimens d'humanité et de philanthropie dont se sont targués leurs m i nistres, lesquels se sont évanouis c o m m e un vain songe. O n sait en effet qu'il se vend annuellement au grand Caire u n n o m b r e

d'esclaves

à p e u près

égal

à celui

qu'importaient les E u r o p é e n s p o u r leurs colonies, et v e nant de l'intérieur de l'Afrique ,

sans compter tous c e u x

qui se vendent dans le grand marché de l ' A b y s s i n i e , dont les d e u x entrepôts principaux sont f i x é s , l'un à D i x a n , et l'autre à Masnah. Et tous ces esclaves qui se rendent en o r i e n t , et dont u n grand n o m b r e p e u p l e n t les harems


215 et les sérails de ces voluptueux m u s u l m a n s , après avoir subi une opération qui les prive de leur qualité d ' h o m m e ; tous ces esclaves avaient u n droit plus évident p o u r r é c l a m e r l'humanité

et l'intervention

de

ces philanthropes

anglais; les W i l l e b e f o r c e , les W i l l i a m s S h a r p , les Stéphen ,

etc. (1) ,

et leur gouvernement plutôt que ceux de

( j ) Je veux décrire une de ces scènes comiques, si elles n'étaient déjà dégoûtantes, auxquelles se livrent les philanthropes anglais, extraites de leurs journaux et consignées dans la

Quotidienne,

sous le numéro 2 0 3 , année 1 8 1 6 , parce qu'il est possible qu'un grand nombre de nos lecteurs n'en soient pas instruits. « La dernière réunion de la société africaine et asiatique a été assez nombreuse ; M. Willebeforce occupant Je fauteuil. — M . Stephen se lève aussitôt pour parler au nom do M . Prince-Launders, homme de couleur, —

revenant d'une mission de Saint - Domingue.

L'orateur après avoir fait pompeusement le panégyriste des

noirs comparés aux blancs, il passe à l'éloge de Christophe,

qu'il

représente comme l'ornement du nom africain et l'honneur de l'espèce h u m a i n e , comme un ami de l'immortel Toussaint. — Avant la clôture de la séance, M . Stoddart propose la santé de M . le président Willebeforce,

disant que c'était le plus grand homme

de notre hémisphère, comme le roi Henri de Haïti (Christophe) l'était de l'autre. Le monde, ajouta-t-il, est plein de leur gloire, et l'incendie universelle qui un jour consumera l'univers peut seul empêcher les échos d'en répéter journellement l'éloge. Pendant ce discours, M . P r i n c e - L a u n d e r s s'incline

fréquemment

pour confirmer la vérité des assertions de M M . Stoddart et Steplen; et ce dernier soutient en propres termes que le roi Henri de Haïti était l'un des plus grands souverains de l'univers, élevé sur le trône pour l'amour et la reconnaissance de ceux dont il fait le bonheur. « La santé du roi de Haïti ayant été alors proposée, le valet chargé de répéter les toasts,

placé derrière le siége du président,

qui ne paraissait pas bien instruit dans l'histoire de cette dynastie noire, annonça à haute voix lo roi Henri ( roi d'Angleterre ) . La société se dérida un moment ; mais l'erreur ne tarda pas à être rectifiée ; el l'on but debout par trois fois trois, et avec les plus vives


2l6 n o s c o l o n i e s . Car enfin c e u x - c i jouissent

pleinement de

toutes leurs facultés p h y s i q u e s , d o n t l ' e x e r c i c e est d'autant plus p u i s s a n t , a d'autant plus d'attraits, qu'ils sont b o r n é s et circonscrits dans leurs facultés intellectuelles et morales. E t cette p r i v a t i o n , qui n o u s e m p ê c h e d e satisfaire au b e soin le plus i m p é r i e u x et i n d i s p e n s a b l e m e n t nécessaire à la perpétuité de l ' e s p è c e , n'est-clle pas u n attentat s a c r i lége c o n t r e les lois d e la nature et de l è s e - h u m a n i t é au

acclamations, la santé de sa majesté noire (celle du roi et de la famille royale d'Angleterre ont été bus assis et sans acclamations, indiquant assezpar-là sans doute, dans leurs idées révolutionnaires, qu'ils mettaient la majesté de leur propre souverain, le respect et l'amour dus à sa personne sacrée, bien au-dessous de la prétendue dignité d'un esclave affranchi par nos erreurs insensées); M. PrinceLaunders, partageant l'enthousiasme universel, répéta l'éloge du roi H e n r i , parla de sa dévotion et de la grande confiance que sa majesté,

sa cour et son peuple mettaient dans l'alliance de M . W i l -

leheforce et de ses amis. » Peut-on rien lire de plus ridicule et de plus dégoûtant que ce fatras d'éloges extravagans et nauséabonds prodigués à des chefs nègres et à M . Willeheforce, que lui, aussi bien que tous les autres assistans, auraient dû repousser, s'ils avaient eu le moindre sentiment de pudeur et des convenances sociales, et s'ils n'étaient pas eux-mêmes d'insensés fanatiques? Comment autrement concevoir que des hommes instruits, des membres d'un corps politique et d'un sénat, puissent se prêter à des farces de tréteaux, à des jongleries de saltimbanques, y participer même, souffrir que leurs noms figurent, soient accollés, et marchent sur la même ligne, comme un titre d'honneur, avec celui de scélérats couverts et saturés de tous les crimes, avec celui de Christophe, ce prétendu roi de Haïti, reconnu depuis sa m o r t , et signalé dès avant par. tous ses partisans, comme un monstre exécrable; entretenir avec e u x , par le moyen d'agens accrédités, des intelligences dégradantes, si elles n'étaient déjà criminelles; tracter avec eux,

comme particuliers,

se permettre et con-

des alliances ; leur donner

l'assurance de leur protection, et en recevoir celle de leur confiance par des envoyés ; tous actes et toutes attributions apparie-


217 premier

chef?

Qu'a-t-on

fait,

je

le

demande

à

eux

tous

,

pour l'empêcher ou pour le réprimer ? P a r m i m ê m e tous les écrivains p h i l a n t h r o p e s et autres, français o u anglais,

ecclésiastique o u séculier ; p a r m i ces

détracteurs d e la traite,

il n e s'en est pas trouvé u n s e u l ,

o n le r e m a r q u e r a sans d o u t e avec é t o n n e m e n t , q u i se soit élevé c o n t r e c e c o m m e r c e de t e r r e , c o n t r e cet usage b a r b a r e et hautement c r i m i n e l q u e n o u s v e n o n s d e signaler.

nant exclusivement à la puissance souveraine ; concourir enfin à toutes ces mesures scandaleuses et criminelles avec une sorte d'enthousiasme et de frénésie

révolutionnaire,

bien propre à flétrir

à jamais leur caractère public et particulier. I l no faut pas pourtant s'étonner de ces excès : c'est moins leur prétendue humanité et leur amour extrême en faveur des nègres, dont ils se soucient au reste fort peu,

que la facilité qu'ils acquièrent par là,

masque imposteur et hypocrite, de pouvoir se livrer,

sous u n

en sûreté de

conscience et sans remords apparent, à la haine invétérée et i m placable qu'ils ont jurée contre tous les colons français dont ils d é sirent de voir consommer la ruine sans retour; et peut-être s'y jointil un intérêt national, encore cruellement méconnu par eux tous. Mais voici un tableau d'un genre bien différent, et qui ne peut manquer d'exciter une indignation générale. U n révérend membre du clergé anglican, Percival Stocdall, dans un moment de prière et de ferveur éjaculatoire, demande l'extermination de tous les blancs, h o m m e s , femmes et enfans.« que nous n'approuverions pas, enthousiasme,

Est-ce

s'écrie-t-il dans son pieux et saint

cette conduite violente? N'obtiendrait-elle pas

nos éloges, dans le cas même où ils viendraient à exterminer leurs tyrans par le fer et par le feu ? S i , dans le sang froid d'une délibération calme, ils leur infligeaient même les tortures les plus inouïes, ne seraient-ils pas excusés dans l'opinion de tous ceux qui considèrent la liberté naturelle et religieuse comme des bienfaits inappréciables?» (Consultez l'ouvrage anglais de M . Bryan Edwards sur Saint-Domingue, où l'on se convaincra des menées infâmes de ces sectaires anglais. ) Malheureux énergumène ! exelamateur inconséquent et insensé! accordes-tu toi-même, ta secte et ton gouvernement, cette liberté


218 L o r s q u e W i l b e f o r c e l u i - m ê m e,

c e p a t r o n et cet i l l u m i n é

p a r e x c e l l e n c e , sollicita le parlement b r i t a n n i q u e , au m o m e n t de la seconde entrée des alliés e n F r a n c e , à r é c l a m e r , par l ' i n t e r v e n t i o n de s o n g o u v e r n e m e n t au p r o c h a i n c o n g r è s , la suppression des c i n q années de liberté de c o m m e r c e accordées par le p r e m i e r traité de P a r i s, sion q u i eut l i e u , même force

pour

pourquoi

n'a-t-il

la libération

suppres-

pas insisté avec la

enfin de l ' A f r i q u e

tout

religieuse à vos innombrables compatriotes, à cette nation irlandaise, composée presqu'en totalité de catholiques romains, du même sang,

nés

et qui se trouvent aujourd'hui comprimés dans

leur conscience pour n'avoir p a s , comme vous tous, abjuré l'antique foi de leurs pères ? Accordez-vous cette liberté naturelle aux quarante-cinq millions d'Indiens, tenus sous un joug de f e r , pressurés de cent mille manières différentes par une foule d'aventuriers, et dont les chefs e u x - m ê m e s , rois, nababs et nadirs, sont devenus vos/propres esclaves, chassés de leurs domaines et relégués dans des prisons d'éLat. Missionnaire barbare! sacrificateur impitoyable ! dans quel code de lois, dans quel livre sacré as-tu lu qu'il te fût permis de désirer, de provoquer l'extermination d'une race entière, sans distinction d'âge ni de sexe, par tous les genres de souffrances et de tortures les plus inouïes ; et de te persuader que ces excès atroces, qui répugnent à l'âme la moins sensible, puissent être approuvés el couverts d'éloges par tous ceux qui n'ont p a s , comme t o i , un cœur de bronze et des entrailles de fer ? Si telle est ta doctrine, si tels sont tes principes religieux,

tu n'es plus qu'un de ces prêtres

parjures et apostats, retournés et voués au culte des idoles, prosternés devant ces fausses divinités, et demandant, par ton organe imposteur,

impie,

el par celui de tes semblables, que leurs autels

soient arrosés de sang humain par l'immolation des victimes avec le fer réputé sacré, pour ensuite en partager, en dévorer entre vous les chairs palpitantes et les membres ensanglantés. Dieu de toute bonté et de toute justice ! délivre-nous de ce blasphémateur i m p i e , et relègue-le parmi les rebelles à ta loi ; car if a abjuré ton culte , méconnu ta voix et tes saintes maximes, pour suivre Balaam et les faux prophètes.


219 entière, par le m o y e n et l'assistance des puissances o r i e n tales ? Il était important de présenter ce rapprochement sous ce double r a p p o r t , lequel ne peut m a n q u e r de frapper tous les esprits, et suffit à lui seul p o u r constater la p r é t e n due humanité de tous ces a p ô t r e s , et ces zélateurs h y p o crites des droits des nègres. Ce n'est là e n c o r e u n e fois q u ' u n s u b t e r f u g e , q u ' u n piége p o u r parvenir plus s û r e m e n t à l'exécution de leurs projets. Il ne sera d o n c pas possible d'atteindre au b u t q u ' o n s'est proposé,

celui

d'anéantir

à

jamais

tout

trafic

d'hommes

,

puisque la vente et le transport d'esclaves n'ayant plus lieu p a r m e r , acquerront plus d'activité par terre en raison d u b o n m a r c h é . Il n e sera pas possible n o n plus de concourir

au soulagement et au perfectionnement

du

nègre en A f r i q u e , p u i s q u e , d'après le rapport de tous les voyageurs, les chefs des nations égorgent leurs prisonniers toutes les fois qu'ils ne peuvent les vendre aux E u r o p é e n s ; et puisqu'ils se sont refusés obstinément j u s q u ' i c i , cux et leurs p e u p l e s , à tous les m o y e n s de civilisation q u ' o n a tentés à différentes fois d'introduire p a r m i e u x . Cette suppression apparente et partielle de la traite n'est d o n c véritablement q u ' u n e mesure p u r e m e n t m e r cantile dont les seuls Anglais profiteront. Elle leur p e r mettra

tout

contrarier

à la

fois

et de mettre

d'exercer

leur

m o n o p o l e,

des entraves à la

de

prospérité

des colonies aux A n t i l l e s , en restreignant et en

com-

p r i m a n t leur i n d u s t r i e , par le défaut de bras p o u r leurs cultures. Ce n'est d o n c là qu'une vue particulière et i n téressée q u i leur est entièrement p e r s o n n e l l e , u n

vé-

ritable l e u r r e , o u p o u r m i e u x dire u n e m o q u e r i e i n s u l tante, offerte aux grandes puissances continentales, q u i n'ont souscrit à y d o n n e r leur consentement q u e par le, seul m o t i f d'humanité impossible à réaliser dans u n sens


2 2 0

étendu, et dans la seule assurance q u e tout trafic d ' h o m mes

serait désormais interdit dans toute l'étendue

de

l ' A f r i q u e , lequel cependant se c o n t i n u e et se continuera vraisemblablement par la voie de terre. Et toutes ces amorces trompeuses n e sauraient avoir de durée,

parce

qu'il n'y a de vrai et de durable en politique et en tout ce q u i constitue nos rapports m u t u e l s , dans cette grande associal i o n e u r o p é e n n e , que ce qui s'adapte aux besoins et à la plus grande généralité des intérêts c o m m u n s . T o u t ce qui n e s'appuie pas sur ces bases n e peut avoir q u ' u n e e x i s tence plus o u moins é p h é m è r e , parce qu'il est contraire à la nature des c h o s e s , contre la politique et nos rapports européens,

qu'une

seule nation reste constamment la

dominatrice des a u t r e s , fasse prévaloir, au notable d é savantage de toutes, son système d'envahissement,

soit

qu'il se rapporte à u n intérêt c o m m e r c i a l o u à un intérêt p u r e m e n t politique ; et plus celte domination a été i n j u s t e , violente et t y r a n n i q u e , plus sa chute devient inévitable et éclatante. L'histoire entière justifie cette v é r i t é , et plus encore les derniers événemens opérés en E u r o p e . Si m ê m e , par la suite, le gouvernement britannique venait à j u g e r convenable et utile à ses intérêts de rétablir la traite, si surtout il perdait sa domination dans l ' I n d e , c o m m e cela parait inévitable dans u n temps plus o u m o i n s r a p p r o c h é , quel est le gouvernement qui croirait devoir ou pouvoir s'y opposer ? Et comme, dans cette hypothèse , il est permis de conjecturer; car la politique est un asservissement continuel à nos intérêts p r o p r e s ,

abstraction

faite de toute autre considération, qu'il ne se refuserait pas à ce rétablissement, lorsque surtout les possessions é t r a n gères situées aux Antilles ne présenteraient que des cultures détériorées, ruinées et en partie abandonnées si l'on p e r siste dans le système a c t u e l , quelle est la puissance q u i s'ingérerait u n droit semblable à celui d o n t elle a lait usage


221 avec u n e persistance et u n e obstination sans égale ? Dans une pareille situation son g o u v e r n e m e n t , toutes les autorités elles-mêmes et une foule de leurs concitoyens,

nous

n'en doutons pas, se seraient levés en niasse et en menaces contre une semblable intervention ; ils auraient cherché tous ensemble à briser ces obstacles et ces entraves mis a l'extension de leur puissance et de leurs richesses. Ainsi d o n c cette seule considération, qui dans u n traité p u b l i c impose une obligation a laquelle u n e des parties a souscrit sans p o u v o i r s'en affranchir sans le consentement de l'autre,

tandis que celle-ci' reste maîtresse de l ' e n -

freindre toutes les fois qu'elle le voudra ; celte obligation devient par là m ê m e injusle et t y r a n n i q u e , en violant ces premiers principes d'égalité et de réciprocité, des devoirs mutuels et de tous les engagemens qui s'y rapportent. Elle n'aurait d o n c dû jamais être i m p o s é e , si les nations é c o u taient la justice et les droits imprescriptibles des unes et des autres dans leurs transactions p o l i t i q u e s , et si elles n'étaient toutes portées à abuser de ia v i c t o i r e , de leur ascendant et des avantages momentanés qu'elle leur p r o c u r e . Si le gouvernement britannique n'avait pas interdit la traite chez lui quelques années avant la conclusion de la paix de Paris ; s'il n'avait pas été en quelque sorte entraîn é et nécessité à en poursuivre l'abolition chez les autres puissances, sans q u o i elle lui devenait onéreuse et i m possible à s u p p o r t e r , il est certain qu'aucun des g o u v e r nemens puisqu'ils

coloniaux s'y

sont

n'aurait tous

songé

à

primitivement

cette

prohibition

opposés,

,

bataillant

ensuite sur le n o m b r e d'années o ù ce c o m m e r c e resterait l i b r e . Ils auraient e n c o r e moins cherché à solliciter cctle p r o h i b i t i o n auprès des gouvernemens étrangers aux c o l o nies, q u i n'auraient jamais d û y intervenir, puisqu'ils étaient sans intérêt direct dans cette c a u s e , laquelle ne pouvait affecter aucun de leurs droits p r é s e n s , futurs ni


2 2 2

éventuels. Mais l ' A n g l e t e r r e , et cela est assez é v i d e n t , n'a réclamé et insisté sur leur c o n c o u r s et leur appui

que

p o u r se prévaloir d'une plus grande masse, et l ' o p p o s e r , avec u n e apparence de s u c c è s , qui ne s'est que trop réalisé, aux réclamations et aux résistances auxquelles il devait s'attendre de la part de tous les gouvernemens qui avaient u n intérêt direct et puissant au maintien de la traite. A i n s i , parce q u e cette première puissance a c r u qu'il était de son intérêt ou de sa politique d'abolir la traite , il faut incontinent que les autres, intéressées à son maint i e n , soient amenées f o r c é m e n t à fléchir à cet égard sous sa volonté impérieuse et suprême! Avons-nous d o n c besoin, n o u s , F r a n ç a i s , d'être c o m m a n d é s et contraints dans tout ce qui est n o b l e, g é n é r e u x , humain o u présumé tel ? Et ces sentimens et ces vertus ne sont-ils pas et ne d o i v e n t ils pas être des actes libres et spontanés du gouvernement c o m m e des i n d i v i d u s , sans q u ' a u c u n e autorité étrangère puisse nous en imposer l'obligation, m ê m e par une simple invitation; et par cela seul n e se sent-on pas disposé à se roidir contre toute entreprise réclamée de cette m a n i è r e ? N e nous sommes-nous pas montrés plus généreux et plus loyaux q u e l'Angleterre dans toutes nos transactions politiques, même

après des succès éclatans ( 1 ) ? Une nation enfin

( I ) A l'époque de la guerre de l'indépendance américaine , quelques

hommes

d'état

conseillèrent

à

Louis

XVI

de

ordre aux commandans des vaisseaux du roi de s'emparer,

donner avant

toute déclaration de guerre de notre p a r t , de tous les bâtimens marchands anglais dont ils feraient la rencontre, s'appuyant sur l'exemple constamment suivi par le gouvernement d'Angleterre en de pareilles circonstances, et comme justes représaillesde notre part; mais Louis X V I s'y refusa absolument. Sa majesté,

dont l'âme

s'était formée et nourrie à l'exercice des plus nobles vertus qui peuvent honorer l'humanité, et dont la déplorable destinée, ainsi que celle de sa famille,

retentira éternellement dans tous les lieux


223 a - t - e l l e l e d r o i t de s'immiscer dans les intérêts particuliers et domestiques d'une

a u t r e , de la c o n t r a i n d r e à changer

tous ses r a p p o r t s c o m m e r c i a u x avec ses possessions,

et d e

lui i m p o s e r à cet égard a u c u n engagement coërcitif ? E l q u ' e s t - c e enfin q u e la suppression de la traite,

si elle n ' e n -

traîne tous les i n c o n v é n i e n s décrits ci-dessus ? E n n o u s élevant c o n t r e cette m e s u r e, d o n s pas n o u s soustraire

nous ne préten-

à l'obligation

imposée par

les

e t d a n s tous l e s c œ u r s ; c a r l a m o r t d u j u s t e e x p i r a n t s u r u n é c h a f a u d p a r la v i o l e n c e s a c r i l è g e d ' u n e t r o u p e d e f a c t i e u x r é g i c i d c s d e m a n d a n t , à l ' i m i t a t i o n d e son d i v i n m a î t r e , l e u r p a r d o n e t l ' o u b l i d e l e u r offense, e n t r a î n a n t p a r sa c h u t e le d o u l o u r e u x et l ' o d i e u x s u p j d i c e d e p r e s q u e t o u s les s i e n s , l ' e x h è r e d a t i o n et la p r o s c r i p t i o n d e tous c e u x d e sa n o b l e r a c e , est la p l u s grande d e s c a l a m i t é s publiques e t l e p l u s h o r r i b l e s p e c t a c l e q u e l ' h o m m e e û t e n c o r e offert s u r c e t t e t e r r e désolée ; sa majesté n e c r u t p a s q u ' i l l u i fût p e r m i s d ' e n f r e i n d r e l e s lois d e la m o r a l e et d u d r o i t d e s g e n s p o u r u n i n t é r ê t p u r e m e n t p o l i t i q u e . O n n e p e u t q u ' a d m i r e r d e s s e n t i m e n s si p u r s et d'une si haute élévation ; mais si on ne se sert pas en général , dans

ces

grands

démêlés

de

nation

à

nation

,

des

mêmes

moyens

offensifs d e ses e n n e m i s , e t d o n t ils se font u n j e u c r u e l e t u n e p r a t i q u e c o n s t a n t e,

celle q u i s'en abstient n'en peut-être qu'éter-

n e l l e m e n t v i c t i m e,

et elle s ' e x p o s e , é g a l e m e n t p a r là,

i n t é r ê t s les p l u s c h e r s,

à v o i r ses

les p l u s s a c r é s , constamment envahis et

m é p r i s é s . I l était c e r t e s p l u s i m p o r t a n t et p l u s u r g e n t p o u r l ' i n t é r ê t général de l'Europe tout e n t i è r e , p o u r p e c t i f s,

leurs gouvernemens res-

p o u r la r e c o n n a i s s a n c e e t la c o n s é c r a t i o n d o l e u r s d r o i t s

i m p r e s c r i p t i b l e s et c e u x d e l e u r s sujets d e t o u t e d o m i n a t i o n ,

de

se r é u n i r e n u n e s o r t e d e c o n f é d é r a t i o n p a r t i c u l i è r e , à l'effet d e forcer celui d'Angleterre à renoncer à u n e coutume barbare ,

qui

v i o l e tous l e s d r o i t s a u sein m ê m e d e la p a i x , l a q u e l l e s'est r é p é t é e j u s q u ' a u m o m e n t a c t u e l , e t se r e n o u v e l l e r a sans d o u t e p a r la suite a u g r a n d p r é j u d i c e d e t o u t e s les n a t i o n s m a r i t i m e s ; il était, d i s o n s - n o u s , c e r t e s p l u s i m p o r t a n t e t p l u s u r g e n t d e se c o n c e r t e r e n s e m b l e,

d a n s c e t t e g r a n d e m e s u r e g é n é r a l e, q u ' i l n'était n é c e s -

s a i r e et i n d i s p e n s a b l e p o u r e u x t o u s d e s o u s c r i r e à la s u p p r e s s i o n de la t r a i t e , d o n t l ' u t i l i t é est p o u r la s e u l e A n g l e t e r r e .


224 traités ; ils sont p o u r nous obligatoires dans tous les articles stipulés. Mais nous c r o y o n s avoir le droit de discuter l i b r e m e n t u n e l o i , surtout par rapport à l ' A n g l e t e r r e , qui s'en est arrogé l'initiative, q u e nous p r é s u m o n s , dans notre humble avec

opinion,

l'inconvénient

être

défectueuse,

majeur

de

ne

partiale pouvoir

et

injuste

atteindre

, au

b u t q u ' o n s'est p r o p o s é , puisque la traite se continue et se continuera par terre,

aucune d é m a r c h e , aucune p r é -

caution n'ayant été et ne devant être prise p o u r l'interdire. N o u s croyons encore qu'un examen approfondi et m o d é r é est plutôt ratifiés,

permis et requis p o u r des

traités,

quoique

p o u r tout ce qui c o n c e r n e cette politique e x t é -

r i e u r e , nécessairement m o b i l e , variable et sujette à des changemens successifs et perpétuels, que p o u r les actes de n o t r e p r o p r e administration, p o u r ces lois fondamentales conservatrices de l'ordre

g é n é r a l , lesquelles cependant

n e sont pas affranchies d'une sorte d'investigation

ré-

gulière. A u reste, cette question de la traite, q u i a excité de nos jours et continue à exciter u n e si grande agitation dans les esprits, suscitée primitivement par les philanthropes anglais et leur gouvernement, a été faussement et s o p h i s tiquement considérée, n'a p o i n t été vue dans son ensemble et ses conséquences ; tous les partis s'étant contentés de l'examiner et de la résoudre d'après les seuls principes d'humanité dont ils n'ont pas e n c o r e aperçu les effets q u i en devaient nécessairement résulter, nuisibles p o u r les uns et dangereux p o u r

tous. O n en trouvera u n e

explication raisonnable et satisfaisante, nous le pensons d u m o i n s , dans l'ouvrage déjà cité : Considérations trois

classes

qui peuplent

les colonies,

etc.

sur les

O n y verra

qu'elle s'adapte singulièrement à la situation des peuplades africaines,

à leurs mœurs et à leurs habitudes ; qu'elle

leur est plutôt utile q u ' o n é r e u s e , en ce qu'elle contribue


225 à rendre les guerres m o i n s fréquentes et moins m e u r t r i è r e s , à sauver la vie à une foule de personnes, surtout c e u x d'un certain â g e , et à tous leurs c r i m i n e l s , q u i sans cet expédient commercial seraient incontinent mis à mort (1); à diminuer le n o m b r e des victimes immolées dans les fêtes annuelles et religieuses, en l'honneur desquelles les chefs de la G u i n é e sacrifient à la fois plusieurs centaines d ' h o n mes aux mânes de leurs ancêtres, suivant le rapport de tous les historiens ; qu'elle leur est enfin réellement avantageuse parleur transport dans nos colonies, leur p r o c u r a n t une foule d'avantages qui leur étaient anciennement i n c o n n u s , les soumettant à des lois d o u c e s , humaines et appropriées à leur nature p a r t i c u l i è r e , les faisant participer aux b i e n faits de la civilisation, tempérant leurs habitudes et leur caractère par l'abolition de quelques-uns de leurs usages et

( 1 ) À l'appui des témoignages sans nombre rapportés par tous les historiens voyageurs qui constatent la cruauté exercée par les chefs sur leurs prisonniers et leurs esclaves, lorsqu'ils ne peuvent s'en défaire par un échange avec les Européens, nous y ajouterons des preuves récentes fournies depuis la suppression de la traite, e x traites des papiers publics de l'orateur de Bruxelles, du 9 août 1 8 1 6 , et consignées dans la Quotidienne , sous le numéro 2 2 7 . « Il se passe i c i , monsieur, de tristes scènes. Le grand roi d'Astanghi s'est fait jour à travers le pays des Fantins. Ce peuple v o u lait disputer aux Assantins le passage vers la mer pour venir négocier avec nous. Les Fantins ont perdu des milliers d'hommes et des prisonniers ; de sorte qu'on pourrait actuellement acheter des nègres à bon marché. Mais comme cela n'est pas permis, les Assantins ont massacré, samedi dernier, tous les Fantins. (Extraits d'une lettre datée de Delmina, le 18 avril 1 8 1 6 . ) « Les Assantins ont la guerre avec les Fantins au sujet de la liberté du commerce avec les blancs. Les Assantins o n t , au m o ment, actuel des milliers de prisonniers qu'ils voulaient vendre ; mais comme cela n'est pas permis aux blancs, ils les mettent tous à mort. Ils prennent les enfans par les jambes et les écrasent contre les arbres ( les nègres ont commis les mêmes actes de

15


226 coutumes barbares.

I l est évident q u e l'abolition

de la

traite, e n les privant d e tous les avantages décrits c i - d e s sus, les maintiendra c h e z e u x dans l e u r état d'inci vilisalion et de c o u t u m e s b a r b a r e s , et o p p o s e r a des obstacles insurm o n t a b l e s à ceux des l e u r s d o n t le sort aurait été amélioré p a r l e u r transplantation dans les c o l o n i e s .

OBJECTION

SEPTIEME.

Q u e l q u e s spéculateurs, r é u n i s en association p a r t i c u l i è res sous la d é n o m i n a t i o n de société c o l o n i a l e et p h i l a n t h r o pique,

nous

arrêteront

ici

et

nous

diront

:

«

A

quoi

bon

« vous occuper aussi péniblement qu'infructueusement de

cruauté et de barbarie à Saint-Domingue, à l'égard des enfans b l a n c s ) ; ils lapident les femmes, et, après avoir cassé bras et jambes aux hommes à coups de massue, ils leur coupent la gorge, C'est un spectacle qu'on peut voir tous les jours si l'on vent. Ils disent qu'ils persévéreront jusqu'à ce qu'ils aient exterminé tous les Fantins. O n voit par là à quoi a abouli la philosophie, pour avoir voulu bannir du monde le commerce d'esclaves ; ces malheureux se jettent à nos pieds, et supplient de les acheter. ( Autre extrait en date du 4 mars même année. ) « L'auteur de ces observations, ajoute le rapporteur,

a fait de

fréquens voyages et de longs séjours aux colonies. I l s'est donné la peine de prendre des informations multipliées sur cet objet; il en résulte que les nègres, transplantés de l'Afrique, se trouvaient en général dans une situation beaucoup plus cruelle dans leur patrie que dans les plantations de leurs anciens maîtres. Comment, en effet, pouvait-il en être autrement, en considérant les usages et les mœurs barbares des Africains, comparés avec la civilisation , les lumières et les qualités morales des colons? Nous réunirons dans notre appendice,

et sous un point de vue

générai, toutes nos autorités et les divers passages qu'elles fournissent.


227 « la situation présente et future de Saint-Domingue ? Dans «

votre

état

de

dénûment

et

d'abandon

général,

nous

« vous présentons avec confiance un projet d'établissement « à la Sénégambie, aux environs du Cap-Vert, qui à lui « seul sera d'une utilité plus réelle et plus efficace que « toutes nos anciennes possessions , tant pour les colons « que pour la métropole ; et nous venons d'expédier des « délégués pour en explorer les lieux. Je ne sais pourquoi « ils n'ajouteraient pas l'Asie , la Notasie ou la Nouvelle « Hollande, où les Anglais ont déjà un établissement tout «

formé

,

en

nous

«

vierges,

fertiles,

«

innombrables,

donnant

l'assurance

inoccupés,

que

renfermant

dédommageront

des

des

amplement

la

terrains

ressources nation

el

« les colons de la perte de Saint-Domingue, de cette reine « des Antilles , figurant sans émule au premier rang, et « d'un éclat resplendissant dans le système colonial. Lisez, «

poursuivront-ils

,

nos

prospectus

,

nos

affiches

et

nos

« placards ; contemplez et réjouissez-vous tous , colons , «

capitalistes

et

marins,

des

avantages

inappréciables

que

« nous vous présentons, »

RÉPONSE. Est-ce b i e n sérieusement q u ' o n nous tient ce langage ? Ces spéculateurs sont-ils de b o n n e foi avec e u x - m ê m e s , o u , p o u r m i e u x d i r e , ne se font-ils pas en cette occasion u n e illusion complète ? N e serait-ce pas u n de ces mille projets enfantés par l'esprit révolutionnaire,

à la faveur

desquels o n espère attirer u n e foule de partisans, u n e sorte d'empirisme p o u r les u n s , de duperie p o u r les autres, et de déception p o u r tous? N'est-ce pas en outre une v é ritable dérision, u n e m o q u e r i e insultante offerte aux trop malheureux habitans de S a i n t - D o m i n g u e ? N'est-ce d o n c pas u n e injure gratuite q u ' o n se plaît à leur prodiguer.


228 Eh

q u o i d o n c ! vous avez des colonies françaises aux

îles du vent qui appellent des spéculateurs -, des c o m m e r cans et des navigateurs avec leurs riches cargaisons ; et vous

iriez

l'Asie

et

en les

quoi d o n c !

misérables mers

qui

aventuriers baignent

ces

explorer vastes

l'Afrique contrées!

, Eh

vous avez une colonie qui soupire après son

rétablissement, qui demande des capitaux, quelques efforts sagement dirigés et mus par des agens fidèles ,

p o u r lui

rendre par degré son ancienne prospérité ; et vons f o r m e r des fantômes,

iriez

des squelettes d'établissement, sur

des côtes désertes o u plutôt inhospitalières ! V o u s voulez sans doute c o m p r o m e t t r e et enfouir sans retour des c a p i taux déjà t r o p peu a b o n d a n s , et dont la conservation d e vient plus précieuse ; vous voulez prodiguer des travaux dispendieux p o u r aller tenter au loin u n e entreprise i n certaine et hasardeuse,

au lieu d'employer ces travaux et

ces capitaux d'une manière plus sûre et plus u t i l e ,

tant

p o u r nous que p o u r la m é t r o p o l e , dans nos possessions occidentales, qui en sont avides et les réclament n o n moins instamment que puissamment. De quel vertige est-on e n c o r e p o s s é d é p o u r vouloir contrarier et entraver,

ou pour

n e pas suivre un o r d r e de choses naturelles subsistant, et q u i a p o u r soi une expérience de deux siècles ? P o u r q u o i n o u s forcer à le sacrifier à des combinaisons nouvelles-, qui ont déjà échoué chez les Anglais,

et lesquelles n e sau-

raient dès-lors nous présenter aucune garantie certaine ni m ê m e vraisemblable ? A u m o m e n t o ù j e transcris

ces

lignes, o n vient d ' a c q u é r i r , à ce que j e c r o i s , la certitude q u e cet établissement philanthropique de la Sénégambie sur la côte d ' A f r i q u e , a été abandonné o u tombé au moins dans u n e sorte de discrédit. I g n o r e z - v o u s d o n c tous les hasards, tous les dangers attachés à un établissement n o u v e a u et é l o i g n é , sur des plages à p e u près iuconnues, o ù nous serons étrangers aux


229 h o m m e s et aux choses ? P o u v e z - v o u s oublier toutes les v i cissitudes et tous les malheurs qui en sont inséparables ? L'histoire entière de nos établissemens européens acquis avec tant de dépense, avec tant de persévérance et d'efforts, n'en fournit-elle pas la preuve? I g n o r e z - v o u s que des succès ne

s'obtiennent

qu'avec

une

et

ne

se

administration

consolident exempte

de

qu'avec

le

temps

fautes

et

d'erreurs

,

qu'il est impossible de n e pas commettre dans u n e e x p l o ration et une exploitation nouvelles o ù tant d'objets sont à peine aperçus ? N e v o y e z - v o u s pas également q u e nous devenons par là en quelque sorte, et à votre p r o p r e insu, les agens directs d'une nation jalouse et rivale, qui veut n o u s faire dévier de notre course naturelle,

de la source p r e -

m i è r e et féconde de nos richesses, celle des colonies situées aux A n t i l l e s ; qui veut nous faire c o n s u m e r notre temps et notre activité industrielle dans des tentatives laborieuses qu'elle sait fort b i e n n e devoir p r o d u i r e aucune utilité n i aucun b i e n réel par l'exemple de ses p r o p r e s efforts,

ceux

de la S i e r r a - L e o n a (1) ; et le t o u t , p o u r s'assurer, p e n dant u n plus long espace de temps q u e les événemens n a turels ne le p e r m e t t e n t , et de sa supériorité c o m m e r c i a l e , el de son m o n o p o l e exclusif. T o u t nous i n v i t e , tout nous engage d o n c à rentrer pais i b l e m e n t et à persévérer plus fortement q u e jamais dans

(r) Voyez-en les preuves déjà rapportées auxpages 4 5 e t 4 6 de cet écrit. Tous les établissemens formés sur la cote d'Afrique par des Européens, Portugais, Danois, Anglais et autres, dans l'intention d'amener les nègres au travail, comme êtres libres, de leur inspirer le goût des arts et des jouissances, ont tous complètement échoué ; et on est fondé à croire, d'après l'exemple que nous p r é sentent leurs peuplades diverses, qu'il en sera de même dans les tentatives postérieures, aussi bien que dans toutes leurs associations libres, comme l'événement ne l'a déjà que trop prouvé.


230 la seule voie qui nous est c o n n u e,

q u i a été productive

des plus grands b i e n s , lesquels se renouvelleront

pour

n o u s t o u s , si n o u s voulons y consacrer les fonds et les forces c o n v e n a b l e s , et si nous ne voulons p l u s , s u r t o u t , n o u s égarer dans ces systèmes n o u v e a u x , dans ces s p é c u lations philanthropiques, dans ces routes obscures et t o r tueuses q u e l'expérience n'a jamais éclairées de son f l a m beau, et o ù nous avons tous trouvé et notre ruine et notre h o n t e . N'allons pas nous jeter inconsidérément et t é m é rairement sur de n o u v e a u x é c u e i l s , lorsqu'il nous est si facile de les éviter ; s u i v o n s , au contraire,

la course t r a -

cée par une heureuse e x p é r i e n c e ; tendons tous vers ce seul p o i n t , vers ce p o r t assuré o ù n o u s trouverons notre repos et notre s a l u t , la jouissance de tous les biens dont n o u s étions naguère en possession, et qui ne d e m a n d e n t , p o u r être r e n o u v e l é s , qu'une volonté ferme et persévérante, de

q u ' u n e connaissance exacte de notre situation et

nos vrais intérêts,

derniers objets q u e n o u s

nous

sommes efforcés de présenter avec suite et clarté.

OBJECTION « «

Une

foule

quelques

de

colons,

personnes, avancent

HUITIÈME. et

parmi

elles

hardiment

et

se

trouvent

veulent

per-

« suader aux autres, quoique leurs assertions ne puissent « être prouvées et soient même contraires à une expérience « constante, que le sol des Antilles peut être cultivé par des « blancs. Elles allèguent, à l'appui de leur opinion , le dé« frichement opéré à Saint-Domingue par les Français ap«

pelés,

«

établie

engagés, à

l'exemple

Bombarde,

de

la

l'établissement

population de

la

« entreprise par les Anglais au cap de Bonne-Espérance ;

acadienne colonisation


23l « et elles auraient pu ajouter celle subsistante à Botany« Bey , dans la nouvelle Hollande et dans la terre de Dié« men. Ce sont là les seuls motifs appareils qu'elles nous «

donnent

pour

«

ture

Antilles

aux

introduire ,

qui

un en

nouveau détruirait

mode les

de

bases

culfonda-

« mentales et tout le mécanisme. Mais il suffit d'examiner « ces faits, ces circonstances et leurs diverses applications «

pour

se

convaincre

que

ce

projet

est

aussi

follement

« imaginé que témérairement avancé ; et c'est à quoi nous « allons procéder. »

RÉPONSE. Les e n g a g é s , autrement dit les trente-six mois,

étaient

c o m m u n é m e n t de misérables h è r e s , sans r e s s o u r c e , q u e les capitaines des navires marchands prenaient à leur b o r d,

la loi les obligeant à introduire dans les colonies

un certain n o m b r e de blancs déterminés en raison de la capacité de leurs bâtimens. Ils les vendaient ensuite aux habitans p o u r une valeur estimée en raison du p r i x d e leur passage et de quelques autres menus f r a i s , ce q u i constituait p o u r ces engagés u n véritable esclavage t e m poraire. A i n s i , o n pourrait dire q u ' u n e sorte de traite a existé, à cette é p o q u e , en F r a n c e ( r ) ( c e l a doit paraître

(1) Elle a encore lieu en Angleterre, où plusieurs centaines de sujets britanniques s'embarquent à la fois sur leurs propres bâtimens ou sur ceux américains, et sont vendus aux Anglo-Américains,

et plus communément à des quakers, qui depuis long-

temps ont

donné la liberté à leurs propres esclaves nègres. J'ai

vu arriver plusieurs de ces cargaisons à Philadelphie, N e w - Y o r c k el Baltimore, pendant les quatorze années de mon séjour aux ÉtatsUnis. Le même gouvernement, qui a interdit la traite en Afrique,


232 t r i s t e , o d i e u x , mais c e n'est pas ce d o n t n o u s avons à n o u s justifier en c e m o m e n t ) , et q u e le p r i n c i p e de n o t r e établissement était f o n d é , quant à ces e n g a g é s , sur la s e r v i t u d e,

laquelle,

quoique

temporaire,

n'en

était

pas

m o i n s réelle. Ils étaient rigoureusement soumis, d e l e u r engagement,

pendant

aux habitans devenus

le temps

leurs

maî-

tres et s e i g n e u r s , qui pouvaient les r é c l a m e r et les châtier e n cas d'évasion

o u de mauvaise

c o n d u i t e . Ils n e r e c e -

et a contraint, en quelque sorte, tous les autres à y souscrire, n'a pas voulu ou n'a pas pu l'empêcher dans sou propre p a y s , ni s'opposer à ce que des hommes libres, ses sujets, devinssent momentanément esclaves dans un pays étranger. O n nous objectera peut-être que cet esclavage n'en est point u n , à proprement parler ; qu'il est tout au plus temporaire ; que ceux qui s'y soumettent ne s'y déterminent que par un acte de leur p r o pre volonté et sans y être autrement contraints. Mais les philoso phes les plus célèbres, et qui jouissentde la plus grande réputation, vous diront que cet acte,

tout modifié et circonscrit qu'il soit,

n'en est pas moins absurde et insensé ; personne,

en tant qu'il

conserve l'usage de sa raison, ne pouvant aliéner ainsi momentanément sa liberté, toutes ses facultés physiques et morales aux convenances et aux avantages absolus d'un tiers,

et pouvant en

tout temps, protester contre cet acte de démence, contre cette infraction sacrilège, en revendiquant des droits qui sont à jamais inaliénables et imprescriptibles, et dont elle n'a jamais pu ni dû faire l'abandon. A i n s i , quelle que soit la forme mitigée sous l a quelle se présente la traite,

de quelle manière qu'on envisage cette

question de la servitude, on voit que l'une et l'autre sont également proscrites par la raison,

la justice et l'humanité ; et que

tout gouvernement, d'après les principes hautement professés , ne doit pas plus se permettre l'une que l'autre, s'il veut être conséquent avec ces mêmes principes; car c'est le permettre que de ne pas s'y opposer lorsqu'on en a la puissance. En étendant ces réflexions, on verrait que tout offre inconséquences et contradiction manifeste entre les actions et les discours des h o m m e s , et plus encore peut-être de la part de ce gouvernement.


233 vaient aucun salaire, mais seulement u n e subsistance j o u r nalière 5 ils étaient employés à la cbasse, à la pêche et à de petites cultures, celles des vivres, du tabac et d u r o n c o u , les seules c o n n u e s à cette époque ; travail m o d é r é , souvent suspendu, et qui n'exigeait pas de grands efforts de leur part. Cependant, quelque léger qu'il fût, ils ne purent le supporter ; u n e mortalité effrayante s'introduisit parmi e u x , p a r c o u r u t tous leurs rangs ; et c'est par cette seule raison q u ' o n fut f o r c é d'avoir recours à la t r a i t e , de se faire assister par des h o m m e s nés et habitués à vivre sous une zone embrasée. Q u o i q u e le climat de S a i n t - D o m i n g u e fût moins salubre à celte époque qu'il n'est devenu depuis par les défrichemens et par l'augmentation de la p o p u l a t i o n , ce n'est pas là une raison p o u r croire q u e la m o r t a lité n'exercerait pas ses ravages habituels parmi cette foule de blancs devenus cultivateurs. O n a des exemples n o m b r e u x qui le constatent. M M . M e r g e r et S i b e r , tous deux habitans, mandé en 1 7 6 7

ayant d e -

la permission au gouvernement

d'em-

p l o y e r les soldats d u régiment de V e r m a n d o i s , en g a r n i son alors à Léogane,

chef-lieu de la colonie, à l'effet de

faire quelques travaux sur leurs habitations, il fut p r o u v é que dans l'espace de deux m o i s , sur d e u x cents soldats, il en m o u r u t cent quatre-vingt. Aussi d'après cet e x e m p l e , et sans qu'aucune contagion eût régné parmi eux, o n n e permit plus aux soldats le travail de la terre. T o u s les o u v r i e r s , qui nous arrivaient de F r a n c e , gens habitués à la p e i n e , n'exercèrent jamais leur métier au grand air et à l'ardeur du soleil ; ils étaient forcés de se réfugier sous des hangards ; et s'ils ne se reposaient pas parfois et à v o lonté, s'ils ne se soignaient pas d'une manière toute p a r ticulière, ils succombaient facilemen tdans ce premier d é veloppement de leur industrie. Lorsqu'ils parvenaient à acquérir un o u deux nègres, o u q u ' o n leur en faisait L'a-


234 vance,

ce qui arrivait assez c o m m u n é m e n t , ils ne met-

taient plus la main au travail; ils se contentaient de le tracer, de le diriger, ayant r e c o n n u le danger p o u r eux de tout travail manuel et suivi. Les d o u z e mille hommes envoyés à C a y e n n e , sous le ministère d u d u c d e C h o i s e u l , périrent t o u s , à l'exception d'un petit n o m b r e , p e u de temps après leur arrivée. Si des travaux faibles et i n t e r r o m p u s, entrepris par des hommes soumis à une discipline s é v è r e , et c o n t i n u e l l e ment surveillés dans leur conduite ; si des métiers exercés par des gens robustes et à l'abri du soleil, dédaignant tout relâche, o u n e s'observant pas s c r u p u l e u s e m e n t , n'ont p u garantir c e u x qui s'y adonnaient, d'une m o r t p r o c h a i n e et presque assurée, c o m m e n t se flatterait-on d'en préserver des cultivateurs blancs, exposés j o u r n e l l e m e n t et durant des années entières à toute l'ardeur d'un soleil e m b r a s é ? Livrés à p e u près à e u x - m ê m e s ,

s'abandonnant

excès el aux jouissances que p r o v o q u e lo c l i m a t ,

aux atta-

chés à des habitations, à des c u l t u r e s , surtout à celles des sucreries qui exigent des travaux pénibles, continuels, le j o u r et la nuit pendant les roulaisons, et auxquels jamais aucun de leurs semblables n'ont été e n c o r e astreints. Ce serait v o u l o i r les sacrifier de gaîté de coeur, et avec u n e certitude physique, à une destruction p r o c h a i n e ; et la seule humanité se refuse à l'adoption d'une pareille m e s u r e , m ê m e à ce qu'elle soit jamais tentée, si l'on n e veut être en guerre ouverte avec l'expérience et la nature. Les A c a d i e n s , établis à B o m b a r d e auprès d u m ô l e SaintN i c o l a s , et qui existaient e n c o r e à l'époque de la r é v o l u t i o n , formaient u n e population p e u n o m b r e u s e ; et je ne sais pas m ê m e si elle n'a pas d i m i n u é depuis son p r e m i e r établissement. Q u o i qu'il en s o i t , leur terrain élevé leur permettait de respirer u n air presque aussi tempéré (m'en E u r o p e , et ils cultivaient uniquement des vivres et d u j a r -


235 d i n a g e , travail léger et b o r n é ; e n c o r e avaient-ils presque tous quelques nègres esclaves q u i les aidaient, les soulageaient, de manière q u e quelques-uns de ces Acadiens se dispensaient parfois de tout t r a v a i l , o u n e s'y a d o n naient du moins q u e par intervalle, et qu'autant q u e leurs forces le leur permettaient.

Cet e x e m p l e et toutes les

circonstances q u e n o u s venons

d'avancer,

présentent

une solution b i e n différente de celle q u ' o n a v o u l u en tirer. Q u a n t à la colonisation entreprise par les Anglais au cap de B o n n e - E s p é r a n c e , il est étonnant qu'on s en soit fait u n titre ; la m o i n d r e connaissance en géographie a u rait garanti de toute erreur en ce genre.

L e cap

de

B o n n e - E s p é r a n c e est situé au trente-cinquième degré de latitude australe, et l'on sait que la température y est i n f i niment plus froide o u m o i n s chaude q u e sous le m ê m e parallèle dans l'hémisphère boréal ;

celle différence

est

de trois o u quatre d e g r é s , et peut-être davantage. Il est d o n c naturel de croire que des blancs pourraient cultiver avec succès et sans aucun i n c o n v é n i e n t ni danger p o u r eux des terres au Cap , situées sous u n climat semblable à celui sous lequel ils ont été p r é c é d e m m e n t habitués à v i v r e , sans qu'on en pût rien c o n c l u r e en faveur de S a i n t - D o mingue et des Antilles en général exposées toute l'année aux chaleurs embrasées d u t r o p i q u e . Cet e x e m p l e est e n core mal t r o u v é , et les preuves sur lesquelles o n s'appuie se convertissent en faveur de la proposition inverse.

Il

en est de m ê m e de B o t a n y - B e y et de la terre de D i é m e n , situés, c o m m e le C a p , dans le m ê m e hémisphère et sous u n e latitude plus rapprochée d u p ô l e . Malgré cette impossibilité constatée déjà par les faits physiques, allons plus avant, et supposons, p o u r u n i n s tant, que le projet q u ' o n a en vue soit réellement tenté. V o y o u s son application et les résultats qu'il entraîne n é -


236 cessairement ; c'est la seule manière,

on en conviendra

sans p e i n e , d'en constater la b o n t é , o u la fausseté et le vice. Ces cultivateurs b l a n c s , arrivant à Saint-Domingue o u dans toute autre c o l o n i e , seront sans doute répartis sur les habitations et adjoints aux n è g r e s , o u seront séparés de c e u x - c i et réunis en masse dans des habitations p a r t i c u lières, ce q u i déterminera également ces derniers à se concentrer séparément sur u n seul p o i n t ; car il faut bien se rappeler qu'il n'y a plus de terres vagues, et que toutes o n t été c o n c é d é e s , mises en culture o u en batte et corail. Dans cette dernière supposition, celle o ù les blancs seraient réunis sur des habitations distinctes et séparées des nègres répartis indistinctement

sur toutes les a u t r e s , vous ne

p o u v e z forcer les habitans, par cet arrangement forcé et attentatoire à ses d r o i t s , à recevoir des nègres dont ils n e se soucieront pas, el à se détacher de c e u x qu'ils voudraient conserver-, et vous lésez également avec cette m ê m e mesure, et par les explications que n o u s vous d o n n e r o n s , parla suite, les habitans qui n'auraient q u e des cultivateurs blancs. Dans la p r e m i è r e supposition, les nègres seront libres o u esclaves. S'ils sont esclaves, ils seront soumis à u n régime domestique et c o ë r c i t i f q u e l c o n q u e , et j e fort que des blancs,

doute

de quelque condition qu'ils fussent,

voulussent travailler en c o m m u n avec des nègres esclaves ; et l'on sait déjà par avance q u e le genre de nos c u l t u r e s , surtout nos s u c r e r i e s , exigent absolument cette réunion et ce c o n c o u r s de toutes les volontés mises en c o m m u n et soumises à la m ô m e discipline. S'ils y consentaient n é a n m o i n s, m o y e n n a n t quelques m o d i f i c a t i o n s , car n o u s v o u lons tout forcer dans le sens de nos adversaires, il faudra p o u r lors établir

deux régimes différons,

circonstance

déjà majeure et contradictoire dans u n e administration qui veut absolument unité de p r i n c i p e . J'ignore cependant


237 c o m m e n t on y p r o c é d e r a i t , c o m m e n t on les coordonnerait p o u r en faire u n système régulier et u n i f o r m e ; cela m e paraît assez difficile, et la simple contrariété des élémens le p r o u v e . Silesnègres sont libres, c o m m e vous le désirez, et c o m m e vous le c r o y e z inévitable dans la circonstance présente et d'après les difficultés insolubles présentées ci-dessus, nous vous opposerons p o u r lors toutesnos réponses auxobjections première, quatrième, c i n q u i è m e , sixième et septième d u paragraphe premier, qui constatent amplement et v i c t o rieusement, si nous ne nous abusons pas, que la liberté est incompatible

avec les cultures coloniales ; q u e

les

n è g r e s , par toutes les considérations relatives à leur n a ture, ne p o u r r o n t être amenés à travailler, s'ils n'y sont déterminés par

la crainte et par u n e force c o m p u l s i v e ,

crainte et compulsion qui n e sont pas différentes de la servitude avec les adoucissemens

introduits

déjà par n o s

mœurs et nos habitudes; et qu'enfin cette m ê m e liberté établie à S a i n t - D o m i n g u e , par suite des mêmes d é m o n s trations p é r e m p t o i r e s , entraînera, par ses conséquences inévitables, la ruine entière des Antilles, ce q u e la justice et l'humanité nous interdisent également d'entreprendre. Mais ces inconvéniens et ces injustices, quelque n o m b r e u x qu'ils s o i e n t , n e sont pas le seul résultat de ce projet fantastique. Si ces cultivateurs sont sans aucune ressource q u e l c o n q u e , et ce seront vraisemblablement les seuls a u x quels on s'adressera en leur offrant de trompeuses amorces, il faudra de toute nécessité p o u r v o i r aux frais de leur passage, d ' e u x , do leur famille, et de quelques autres dépenses plus o u moins considérables q u i seront acquittées, soit par le g o u v e r n e m e n t , soit par l'habitant chez lequel ils seront placés c o m m e cultivateurs, et auquel il sera d ù une indemnité quelconque. Si au contraire ces cultivateurs possèdent quelques moyens, plus o u moins faibles, quel


238 avantage peut-il véritablement résulter p o u r e u x de leur transplantation? Croit-on d e b o n n e foi, si on est vrai avec eux, et si o n n e l e u r laisse rien ignorer de leur situation réelle, qu'ils consentiront à se transporter dans une colonie p o u r être de simples journaliers, p o u r se c o n s u m e r sans relâche dans des travaux pénibles auxquels aucuns d'eux n'ont été encore assujettis, et sous un ciel dévorant et destructeur p o u r tous les êtres de leur espèce. Ils n'auront pas m ê m e la faculté de devenir petits propriétaires comme en France et en Europe, où ils peuvent acheter un ou deux arpens de

terre p o u r

u n e s o m m e m o d i q u e ; e t , en

suppo-

sant qu'ils pussent acquérir quelques carreaux de notre sol, aliénation qui n'a jamais eu lieu dans cette p r o p o r t i o n , ils n e pourraient y cultiver q u e des vivres et d u j a r d i n a g e , destination entièrement contraire au but qu'on s'est p r o posé dans ces établissemens l o i n t a i n s , celui d'avoir des objets d'échange importants et p r é c i e u x p o u r l'entretien d u c o m m e r c e et de l'industrie nationale. Il est d o n c évident q u e tous ces obstacles s'opposent aux vues de nos p r o j e t tcurs,

et démontrent c o m b i e n

celles-ci sont fausses et

inexécutables. D ' u n autre côté,

o n ne p o u r r a se dispenser d'accorder

à ces cultivateurs blancs u n e nourriture plus abondante et plus coûteuse q u e celle des nègres, parce q u e nous avons besoin en général d'une plus grande masse de subsistance appropriée à nos tempéramens et à nos habitudes, d u pain au lieu des vivres d u pays, des viandes fraîches au lieu de salaisons, quelques boissons fortifiantes en remplacement de l'eau p u r e . Nous réclamons également u n plus grand n o m b r e d'objets de c o n s o m m a t i o n usuelle et d'ustensiles de m é n a g e , appropriés à nos besoins et nécessaires m ê m e p o u r nous acclimater par degrés; des chaussures, des vêtemens et des meubles un peu plus recherchés,les nègres m a r chant pieds n u s , et n'étant point désireux de p a r u r e s , si


239 ce n'est par fois quelques jeunes négresses ; u n logement plus c o m m o d e et plus vaste ; par conséquent surcroît de frais et de dépenses, augmentation de salaire et de traitement. Ici j e vous engage et j e vous sollicite à p a r c o u r i r de n o u veau toutle second paragraphe de cet écrit, o ù nous croyons avoir p r o u v é d'une manière satisfaisante q u e toute a u g mentation en ce genre, lorsque les autres colonies en seront affranchies, serait nuisible à l'habitant et au c o m m e r c e de la m é t r o p o l e , et en traînerait, par u n e c o n s é q u e n c e faillible,

le dépérissement des cultures. Voilà,

in-

ce m e

semble, assez de motifs p o u r rejeter cette innovation, celle de vouloir faire cultiver les propriétés coloniales par des blancs, o u toute autre c o n ç u e avec la m ê m e irréflexion sans en avoir considéré les conséquences ruineuses et inévitables. Nous c r o y o n s devoir cependant présenter ici quelques réflexions,

qui

puissent apporter certaines

restrictions

o u modifications à tout ce que nous venons d'affirmer. U n de mes compatriotes, qui malheureusement n'existe p l u s , M . Bourjolly de Sermès ,

avait rédigé un plan de

réorganisation future relatif aux c o l o n i e s , p o u r être p r é senté au ministre de la m a r i n e . Par ce plan, d o n t il m'avait fait p a r t , il aurait v o u l u q u e les m o r n e s , sans aucune exception,

eussent été habités par des E u r o p é e n s , q u i

auraient p u s'y livrer à la culture des vivres du pays et d u c a f é , et élever des a n i m a u x . O n sait q u e la culture d u café se plaît dans les m o r n e s , est moins fatigante q u e toute a u t r e , peut se faire avec u n égal avantage par le m o y e n d'un o u plusieurs travailleurs : qu'elle est toujours relative et proportionnelle à ce n o m b r e variable sans aucun espèce d ' i n c o n v é n i e n t , que les frais d'établissement sont peu c o û teux ; ce qui n'existe pas en

général p o u r les

autres

cultures, surtout p o u r les sucreries. D e cette idée première il déduisait des vues politiques d'une considération assez i m p o r t a n t e ; c o m m e , par e x e m -


240 ple, une augmentation considérable d e p o p u l a t i o n blanche, q u i aurait p u s'étendre indéfiniment sur notre sol et sans aucun danger provenant d u c l i m a t , puisque la t e m p é r a ture s'estime autant et plus par l'élévation d u sol que par son éloignement de l'équatcur. Cette population composée d'hommes f o r t s , c o m m e le sont en général tous les m o n tagnards, habitués plus o u moins aux intempéries des saisons, aurait présenté en tout temps une force n i b l e , la plus

p r o p r e à s'opposer

à tout

dispo-

mouvement

insurrectionnel, c o m m e à tout marronnage et attroupement dans les mornes ; la plus utile et la m i e u x appropriée à notre organisation, puisque cette classe aurait eu avec celle des propriétaires et avec la m é t r o p o l e la m ê m e c o n f o r m i t é de v u e s , d'intérêts et de sentimens. L ' o n sait en effet que ce sont de pareils h o m m e s , habitant les mornes d e J é r é m i e , et appelés les b o n s g a r ç o n s , gravissant les sentiers les plus p é r i l l e u x , qui ont combattu avec u n plein succès les s e conds commissaires nationaux c i v i l s , les nègres et p a r t i culièrementles mulâtres, les revoltés et les désorganisateurs de toute c o u l e u r . Par leurs efforts soutenus ils ont

donué

les moyens à leurs autorités particulières de maintenir u n o r d r e parfait et inaltérable dans tout leur arrondissement d é n o m m é la grande A n s e , jusqu'au m o m e n l de l'évacuation de la colonie par les A n g l a i s , lorsque le reste de la c o lonie était en p r o i e aux agitations les plus violentes, à toutes les horreurs de la r é v o l t e , accompagnées du m a s sacre des habitans et de l'incendie des propriétés. Cette circonstance f o r m e m ê m e u n épisode remarquable et trèsintéressant dans l'histoire de Saint-Domingue, fécond en événernens et en réflexions de tout genre dont n o u s r e n drons c o m p t e en temps et l i e u , le tout appuyé sur des pièces irrécusables. Ce c o l o n envisageait de plus,

dans cette mesure g é n é -

rale, la possibilité de diminuer et d'affaiblir par degrés et


241 sans secousse, l'ascendant de cette population p a r a s i t e , qui nous environne et nous presse de toutes parts ; et il en faisait v o i r les conséquences importantes p o u r l ' o r d r e , la morale et l'utilité p u b l i q u e . Si ce plan était examiné avec impartialité par tous ceux qui ont des idées saines et a p p r o f o n d i e s , sur les organisations c o l o n i a l e s ,

confor-

mément à leurs institutions primitives et secondaires, la discussion

lui serait, j e p e n s e , favorable. C'est le seul

m o y e n enfin,

suivant n o u s , par lequel o n peut tenter

d'introduire, avec quelque apparence de succès, des c u l t i vateurs blancs à S a i n t - D o m i n g u e ; et il ne ressemble en rien à tous c e u x qui ont été proposés. Néanmoins des établissemens de cette nature sont toujours hypothétiques et éventuels jusqu'au m o m e n t o ù les succès ne laissent plus rien d'incertain , et en justifient les résultats. Ils ne p e u vent être véritablement entrepris qu'après l'organisation parfaite de l'ordre sur ses anciennes bases, parce qu'ils n e sont tout au plus qu'une amélioration probable, un s u p plément et un nouvel appui à nos institutions anciennes ; et ils demandent à être employés avec une sorte de m é n a gement et de c i r c o n s p e c t i o n , toutes voies rejetées et d é daignées par les seuls novateurs. L e seul m o t i f , d u moins le seul qui nous f r a p p e , celui qui a p u entraîner et séduire quelques c o l o n s , est fondé sur le désir de suppléer à la traite défendue par les d e r niers traités. Nous avons déjà r é p o n d u à cette difficulté apparente-, et nous avons d é m o n t r é , au paragraphe et à l'objection c i n q u i è m e de cet é c r i t , q u e cette question était prématurée

p o u r nous,

colons d e Saint - D o m i n g u e .

Cependant il est apparent q u e cette traite se continue par c e u x - l à m ê m e qui en ont sollicité et p r o v o q u é l ' a b o l i tion ( 1), se continuera peut-être par des voies clandestines

(1) La feuille du Courrier, au numéro 8 6 , année 1 8 1 9 , nous in16


242 et détournées c o m m e tout c o m m e r c e de

contrebande,

contre lequel les lois sont en général impuissantes p o u r en détruire entièrement la pratique ( 1 ) . Quelques spéculateurs se risqueront toujours plus o u moins dans ce c o m -

forme, d'après certains rapports,

«

Que la traite est faite et se fait

encore sous le pavillon anglais pour le compte des sujets de cette nation, et selon quelques avis, dans une proportion plus forte que sous le pavillon et pour le compte des sujets d'aucune des autres puissances qui ont intérêt à ce trafic. » (1) Il paraît assez certain que la traite se poursuit; chacun en convient en disculpant ses compatriotes et en l'imputant uniquement à ses adversaires. Voici la répartition qu'en fait un auteur anglais, sir Georges Colliers, entre les différentes nations, en disculpant toujours comme de raison la sienne. « L'Angleterre est certainement la nation qui a abandonné ce commerce avec le plus de bonne foi ( c'était pour vous et votre gouvernement une mesure rigoureuse et de première nécessité , que vous ne pouviez eu bonne conscience vous dispenser d'exécuter, puisque c'est vous qui par votre initiative irrégulière eu avez imposé l'obligation partout, et cependant vous ne restez pas exempt des reproches à cet égard, peut-être justes et fondés ) . L ' A mérique a de bonnes intentions ; mais elle n'a pas encore pris toutes ses mesures, les sujets et les capitaux américains sont certainement employés à cette traite, mais sous

d'autres pavillons.

L'Espagne a abandonné ce commerce au moyen des décrets qu'elle a faits à la suite de ses engagemens avec la Grande Bretagne, mais ses colonies le font toujours. La Hollande a fait, à la vérité, des arrangemens semblables à ceux de l'Espagne ; mais la traite est e n couragée dans les colonies. Le Portugal, tenu par les traités de ne continuer la traite qu'au sud de la ligue ( pourquoi cette préférence ? ) permet à ses sujets de Saint-Thomas et de l'île de Prince de faire ce commerce. La France l'a encouragé sous le prétexte de pourvoir aux besoins de ses colonies. Le droit de visite étant d é fendu ( grand dommage en vérité ! car si ce droit eût été accordé, vos croiseurs auraient arrêté et vexé tout commerce maritime en général,

et à la faveur d'une pareille mesure vous auriez peut-

être accaparé à vous seuls ce commerce pour le recrutement de vos seules colonies), la France fait presque toute la traite ; elle fournit


243 m e r c e , parce qu'il présente de grands profits, assurés qu'ils sont de les réaliser toutes les fois qu'ils aborderont aux Antilles, par le besoin qu'éprouvent les colons de se p r o c u rer de nouveaux renforts p o u r empêcher le dépérissement

des esclaves aux colonies au nord de la ligne. Environ trente bâtimens portant pavillon français ont presqu'en même temps été occupés à ce commerce. Depuis un a n , plus de soixante mille Africains ont été envoyés à la Martinique,

à la Guadeloupe età Cuba,

et principalement à bord des bâtimens portant pavillon français. ( Extrait du journal anglais le Sun ,

et rapporté dans

le

Consti-

tutionnel sous le numéro 275, le 2 octobre 1 8 2 1 . ) Sans vouloir contester aucun des articles concernant chacune de ces nations en particulier, nous osons affirmer que ce transport de soixante mille Africains, français,

dans une seule année,

sous pavillon

la France encourageant et faisant presqu'à elle seule

toute la traite, est d'une fausseté grossière et palpable, ne d é n o tant, de la part de son auteur, qu'une malveillance extrême jointe à la haine nationale. Comment, en effet, supposer que les Français, soit par eux-mêmes, soit sous leur pavillon, exporteraient d'Afrique,

aujourd'hui, et dans une seule a n n é e , autant de nègres à

eux

seuls que toutes les nations maritimes le faisaient autrefois

dans leur situation prospère,

sans

compter en outre tous ceux

qui viendraient en supplément par les Américains etautres peuples désignés par notre nomenclateur ; p l u s , par conséquent, dans cet état de défense,

de prohibition sévère que dans celui d'une liberté

entière de commerce. En o u t r e , comment supposer qu'un commerce de contrebande, qui ne peut jamais se faire qu'au comptant, qui se trouve plus ou moins entravé, ait la même activité que celui qui conserve la liberté de tous ses mouvemens ? Je sais que les partisans de l'abolition ont soutenu cette dernière opinion, mais elle est contraire à l'évidence des faits et aux simples lumières du bon Sens. A cet égard, nous nous rappelons fort bien que les nègres qui s'introduisaient anciennement et parfois à Saint-Domingue par fa voie interlope, et dont les Anglais étaient les seuls approvisionneurs, ne s'obtenaient qu'en payant sur-le-champ toute la valeur. Sans nous arrêter plus long-temps à toutes ces

suppositions

fausses et autres, constatons ici que le gouvernement français cm-


244 de leurs cultures. Si c e c o m m e r c e s e trouve aujourd'hui i n terdit par des vues entièrement personnelles,

il ne peut

m a n q u e r d'exciter des m é c o n t e n t e m e n s , et tôt o u lard des réclamations qui finiront par être e n t e n d u e s , et seront

ploie des moyens plus efficaces et plus francs que les autres,

pour

interdire et mettre obstacle à ce commerce. U n témoin oculaire, chirurgien-major à bord de la flûte le Tarn ,

expédiée pour la côte du Sénégal, dont j'ai sous les yeux

la lettre, confirme les faits suivans : « La traite est expressément défendue, et tout capitaine qui est surpris ayant à bord de son bâtiment des nègres esclaves, est condamné à la déportation. Cependant,

comme la crainte du châti-

ment ne suffirait pas pour mettre un frein à la cupidité de beaucoup de gens, le gouvernement prend les précautions les plus sévères pour que ses ordres ne soient pas violés. J'ai été à portée de m'en assurer moi-même, dans la campagne que je viens de faire dernièrement au Sénégal. Plusieurs bâtimens du roi croisent

conti-

nuellement d'un point de la côte d'Afrique à l'autre, et sont chargés de faire la visite do tous les bâtimens qu'ils rencontrent (je suppose français.),

ceux qui parlent de la côte, sont aussi visités

très-soigneusement,

et

ensuite escortés à deux cents lieues au

l a r g e , de crainte q u e , d'accord avec les princes du p a y s , le capitaine ne reçoive, à une certaine distance, des nègres qui se trouveraient sur des bateaux. » Quelle surveillance

plus active et plus sévère, quelle mesure

d'une plus grande efficacité,

peut-on donc employer pour la sup-

pression finale de la traite ? et c'est le gouvernement qui en soutire le plus pour ses colonies qui se les impose d'une manière aussi franche que loyale ; et c'est cependant celui-là même qui est accusé faussement par une foule d'Anglais et par des Français mêmes (car la France ne peut être ici autre que le g o u v e r n e m e n t ) , d'encourager et de permettre sous son pavillon ce commerce illicite , de souffrir qu'il reçoive la plus grande extension, inconnue même dans son ancien état. Nous demanderons ici à sir Georges Colliers, traite chez toutes les nations,

lui qui a suivi la

assigné la part et la manière dont

chacune d'elles procède dans ce commerce, ce que deviennent les


245 p e u t - ê t r e , en d é f i n i t i v e , quel est celui q u i

f a v o r a b l e m e n t accueillies ; car

saurait p r é v o i r et p r é c i s e r l e s é v é n e -

mens f u t u r s , surtout c e u x d é p e n d a n s de la p o l i t i q u e e x térieure,

t o u j o u r s variable et incertaine ?

E n effet, le p r e m i e r c o u p de c a n o n tiré entre les p u i s sances signataires des t r a i t é s , n e les r o m p t - i l d o n c pas ? n e s o n t - i l s pas suivis i m m é d i a t e m e n t après par d'autres traités d'une stipulation

différente et s o u v e n t

contraire,

nègres capturés par ses croiseurs? Il ne nous en informe pas; cependant, instruit comme il prétend l'être, il doit avoir quelques renseignemeus à cet égard. Sont-ils ramenés en Afrique, sont capturés près de leurs côtes? Les roitelets,

si surtout ils

chefs et autres

qui les ont vendus s'en saisiraient sans doute de nouveau, ou ils erreraient çà et là, et de toutes parts dans un état d'alarme et d'inquiétude perpétuelles. Ce ne saurait donc être là leur destination. Sont-ils dirigés vers les Antilles? je le soupçonne ; car la prise est trop riche, l'occasion trop tentante pour ne pas chercher à en r e tirer un avantage quelconque. Cependant ils ne sauraient être l i vrés aux colons comme hommes libres, et devant rester tels, parce que cet exemple serait trop dangereux pour leurs ateliers et inconciliables avec le régime des habitations, leurs assemblées même ne le permettraient p a s , et elles seraient fondées en droit à ce qu'ils ne restassent pas dans les colonies,

pour former un corps de nou-

veaux libres. S'ils étaient enfin vendus comme esclaves, n'iniporteoù, ce serait là une nouvelle manière de faire la traite. Ne veuton pas qu'il en soit ainsi; pour lors je renouvelle ma question, el je demande ce que deviennent ces nègres saisis en contrebande; car enfin ils doivent recevoir une destination quelconque. Il serait plus naturel de supposer qu'ils sont déposés à Saint-Domingue, sur cette terre de liberté, sous ce gouvernement qu'on nous représente si équitable, et égal s'il n'est supérieur à ceux de l'Europe, où ils seraient immanquablement accueillis avec empressement et reconnaissance. Mais les. rapports que nous avons de cette île ne nous disent rien à cet égard ; et si c'était là leur destination véritable , il est impossible que nous n'en eussions pas été déjà instruits. Que deviennent-ils donc en définitive ? I l faut espérer qu'on nous l'apprendra.


246 q u e les événemens de la g u e r r e , des ligues nouvelles et des négociations plus o u moins habiles déterminent? N'estce pas là ce que n o u s présentent j o u r n e l l e m e n t l'Europe et le m o n d e entier à toutes les époques de leur histoire ? Les changemens produits par les traités sont plus variables e n c o r e en ce qui a rapport au c o m m e r c e qu'en ce qui i n téresse p r o p r e m e n t la politique. Q u o i q u e la suppression de la traite ait été demandée au n o m de l ' h u m a n i t é , et n o u s avons vu jusqu'à quel p o i n t cette considération est fausse, o n ne saurait s'empêcher de l'envisager également sous le rapport c o m m e r c i a l . Cependant quelle m u l t i p l i cité i n n o m b r a b l e de traités c o m m e r c i a u x et p o l i t i q u e s , de subsides et de familles, de transactions croisées ne p r é sente pas la diplomatie m o d e r n e, clus et r o m p u s,

alternativement c o n -

repris et replâtrés de nouveau par d e

n o u v e a u x accords et de nouvelles concessions devenus également infructueux ? L e traité de W e s t p h a l i e , servant de b a s e , pendant si l o n g - t e m p s , à toutes les transactions d i p l o m a t i q u e s , n'est-il pas aujourd'hui oublié et devenu n u l ? Il n'y a de traité véritablement durable que celui o ù tous les droits sont respectés,

et lorsque aucune des p a r -

ties contractantes n'est sacrifiée à l'orgueil et à la v e n g e a n c e , à l'ambition et à l'agrandissement d'une a u t r e , et lorsque leurs intérêts respectifs sont également ménagés et mis sous la sauvegarde d'une garantie c o m m u n e .

Mais

en existe-t-il q u i repose entièrement sur ses b a s e s , o u q u i n e soit plus o u moins entaché des vices d'une n a ture très apparente? O n peut m ê m e assurer q u e c o m m e la position des nations c h a n g e , et c o m m e leurs intérêts sont d'une nature variable, sous le rapport d u c o m m e r c e et de la politique extérieure, sous celui qu'amènent les alliances des souverains par leurs mariages, des cours et des ministres,

o u les vues versatiles

il n'est aucun traité q u i , par

ses différentes causes réunies o u séparées, puisse être, par


247 l u i - m ê m e permanent et i m m u a b l e ; ce ne sont véritablement, et o n n e saurait se le d i s s i m u l e r , que des trêves plus o u moins longues

(1).

A D i e u n e plaise q u e n o u s voulions ici p r o v o q u e r à des ruptures et à des guerres ! C e ne sont p o i n t les v œ u x q u ' o n pourrait faire p o u r o u c o n t r e , qui en accéléreront o u en retarderont les renouvellemens. Elles sont m a l h e u reusement u n e suite inévitable de l'association des h o m m e s formés en états séparés et i n d é p e n d a n s , qui é p r o u vent,

indépendamment

souvent opposés,

de leurs

intérêts distincts

et

toutes les passions qui agitent les p a r t i -

culiers et souvent d'une nature plus i r r i t a b l e , plus p r o longées et plus envenimées q u e celles de ces derniers. C o n c l u o n s d o n c hardiment à notre tour, et avec bien plus de raison que nos adversaires, malgré la suppression de la traite et leurs autres objections, que le projet de faire c u l tiver les Antilles par des blancs est inexécutable ; et fut-il momentanément p o s s i b l e , il moissonnerait tous les h o m mes qui y seraient c o n d a m n é s . Il serait particulièrement nuisible à celle de ces colonies qui l'adopterait par l'enché-

(1) On a comparé- les lois à des toiles d'araignées qui arrêtent les moucherons et laissent passer les grosses mouches : on en pourrait dire autant des traités de paix ; ce sont les états qui se sentent les plus faillies qui les recherchent ; quand ils deviennent les plus forts, ils percent la toile. Ainsi traitez pour le présent sans trop compter sur l'avenir. « Je me représente les plénipotentiaires assemblés en congrès , comme des maîtres de cérémonies, qui se donnent beaucoup de peine pour fixer à chacun son rang. La solennité passée, chacun éprend ses prétentions, et la confusion recommence. C'est là l'histoire de tous les traités. « Pour peu qu'on ait suivi la marche des opérations diplomatiques, on sourit en lisant à la tête des traités ces mots devenus sacramentaux : Il y

aura paix

tractantes. » ( Mémoires

perpétuelle de l'Institut,

entre

les puissances

con-

article par M . Anquetil. )


248 rissement de leurs productions et l'impossibilité de leur d é b i t ; el enfin, et dans tous les c a s , funeste à tout l'archipel occidental par les changemens soudains qu'il introduirait dans son régime i n t é r i e u r , et par les b o u l e v e r s e mens q u i s'ensuivraient. Mais ici u n e considération importante nous

frappe.

S'il n'est pas possible de faire cultiver les colonies par des blancs,

il n'en est pas de m ê m e par rapport aux marins

q u e nécessite leur c o m m e r c e , à celui des troupes destinées p o u r leur d é f e n s e , aux travaux intellectuels et aux divers emplois de la société ; tels qu'entrepreneurs et agens c o m m e r c i a u x , é c o n o m e s , médecins et chirurgiens, avocats et juges,

administrateurs divers,

comptables et autres.

Les colonies procurent aux uns des travaux multipliés et p r o f i t a b l e s , occupant

plusieurs millions d'hommes

au

sein de la mère p a t r i e , présentent aux autres des emplois lucratifs et des fonctions honorables à remplir, nissent en

et f o u r -

tous temps u n d é b o u c h é ouvert et facile à

l'excédant de la population de la m é t r o p o l e . Indépendamment de la suppression des ordres religieux des deux sexes qui ont d o n n é une augmentation de p o p u l a t i o n , la v a c c i n e , qui dispute aujourd'hui à la :.iort tant de victimes, a dû nécessairement accroître de plus en plus cette m ê m e population dans u n e progression qui d e viendrait alarmante,

si elle ne trouvait son écoulement

dans l'augmentation des c u l t u r e s , dans celle des ateliers de l'industrie et d u c o m m e r c e . Est-il possible d'obtenir ces augmentations avec la privation d'un c o m m e r c e e x t é r i e u r , l e q u e l , par une réaction i n é v i t a b l e , amène l'affaiblissem e n t de celui de l'intérieur ? Il

est p e r m i s

de c r o i r e

q u ' u n excès de population existe d é j à , puisque plusieurs professions libérales se trouvent surchargées d'un n o m b r e considérable de personnes,

et les administrations de tout

genre e n c o m b r é e s d'une foule de surnuméraires

et d e


249 poslulans. Cette s u r a b o n d a n c e , l o i n d'avoir

diminué,

c a m m e o n devait naturellement s'y attendre, après les guerres les plus l o n g u e s , les plus considérables en masse, et les plus meurtrières dont l'histoire fasse m e n t i o n , considérablement augmenté ; de 24 à 25 millions

a

anté-

r i c u r c m e n t à l a révolution, suivant certains auteurs, d'autres n e l'estimant que de 20 à 22 millions, elle est aujourd'hui portée à 3 o millions sur la m ê m e étendue d'espace q u ' a u trefois. L a seule manière politiquement possible ethumaine de se débarrasser d'une partie de celte population s u r a b o n d a n t e , et de d o n n e r à l'autre une o c c u p a t i o n utile et p r o f i t a b l e , consiste évidemment dans la conservation et l'extension des colonies 5 et cette e x u b é r a n c e , de nuisible qu'elle est, devient avantageuse à l'état et à toutes les classes de la société, augmente sa force, sa prépondérance et sa prospérité. Cette observation est sans doute de la plus haute i m portance. Je n'en connais p o i n t d'un intérêt plus m a j e u r et plus g é n é r a l , plus faite p o u r fixer l'attention et exercer l'esprit méditatif de nos h o m m e s d'état, s'ils savent surtout calculer les événemens f u t u r s , et en prévoir les résultats avantageux o u nuisibles. Car ne remédier aux i n c o n v é niens et aux m a u x qu'après leur explosion et leurs r a vages dans toutes les parties d u corps s o c i a l , ce n'est là encore une fois g o u v e r n e r , administrer qu'à moitié et en remplir la t â c h e , q u o i q u e i m p o r t a n t e , la moins salutaire, la moins pénible et la m o i n s h o n o r a b l e . C o m b i e n d o n c n'est-on pas comptable envers la patrie l o r s q u e , p o u r é v i ter o u p o u r sortir d'une situation fâcheuse o u critique q u e les événemens ont déjà en partie a m e n é e , o n persiste p a r négligence o u insouciance, par des vues fausses o u de secte, à n e pas vouloir e m p l o y e r les seuls m o y e n s de salut q u e la justice, la raison d'état, l'intérêt national et l'humanité m ê m e c o m m a n d e n t également!


250 » OBJECTION

NEUVIÈME.

« Malgré l'exactitude des faits et l'évidence des p r i n « cipes consignés dans cet écrit, une foule de personnes « restent persuadées , attendu l'impossibilité réelle ou sup« posée de s'emparer de Saint-Domingue, par la force, au « défaut des moyens de conciliation que nous avons reconnu « pouvoir être convenablement employés , qu'il serait utile «

et

urgent,

comme

dernière

ressource

et

par

un

acte

« authentique, revêtu de toutes les garanties publiques, de « reconnaître de suite et franchement le droit aux nègres « et mulâtres de se gouverner par eux-mêmes , et de leur «

faire

l'abandon

de

toutes

les

propriétés

des

colons,

« moyennant quelques indemnités à allouer à ceux-ci. En « vertu de ces concessions et par suite de ce plan général, « ils seraient à leur tour astreints à ne commercer qu'avec « la seule métropole, à l'exclusion perpétuelle des nations « étrangères , à rendre foi et hommage au prince légitime « en sa qualité de souverain et de chef de l'empire français. « Ces mêmes personnes ajoutent de plus : qu'importe au «

reste

de

quelle

manière

et

par

quels

agens

parvien-

« dront dans nos ports les productions coloniales si elles «

sont

toujours

abondantes,

assurées

et

si

notre

souve-

« raineté est reconnue ! »

RÉPONSE. Cette o b j e c t i o n , sans être précisément semblable à la seconde présentée dans ce paragraphe, en diffère c e p e n dant sur plusieurs points. Elle peut être considérée sous u n nouvel a s p e c t , et elle nous fournira de n o u v e a u x d é veloppemens. D e tous les systèmes imaginés jusqu'à ce j o u r , c'est sans


251 contredit le plus insensé et le moins exécutable. Il a été adopté et partagé en p a r t i e , d i t - o n , par quelques p e r sonnes environnant et participant autrefois à l'autorité. Cette disposition provient sans doute de ce que le véritable système colonial a été oublié et méprisé par le p u b l i c et les assemblées délibérantes, de ce qu'il a été c o m m e p e r d u et enseveli sous les débris de la révolution. P o u r le retirer de ses d é c o m b r e s , p o u r eu démontrer l'utilité et l ' i m p o r tance dans toutes ses b r a n c h e s , il faudrait que le p u b l i c et l'opinion générale de l ' E u r o p e égarée par les sophismes des négrophiles, par tous les dogmatiseurs modernes et par l'ascendant d'une seule puissance, fussent disposés à entendre la v é r i t é , à ne pas rester indifférens et étrangers à u n e cause q u i embrasse l'universalité des droits et des intérêts de l ' E u r o p e, à ne pas surtout s'intéresser e x c l u s i vement en faveur des nègres et des mulâtres avec une sorte d'engouement aussi impolitique qu'injuste et i m m o r a l ; et à croire enfin q u e les c o l o n s , malgré les calomnies et les outrages dont ils ont été abreuvés, ont cependant quelques droits à l'estime p u b l i q u e , à la sollicitude et à l'amour des Français, leurs frères et leurs compatriotes, à la protection des gouvernemens maritimes et possessionnés aux c o l o n i e s , en leurs qualités d'Européens et possédant à ce titre des droits c o m m u n s,

lesquels ne sauraient ê t r e , dans aucun

temps n i dans aucune c i r c o n s t a n c e , sacrifiés à des p e u plades barbares,

étrangères à ces c o n t r é e s , et dès-lors

sans titre valable ni légitime en leur faveur. Nous c r o y o n s

cependant avoir déjà d o n n é

quelques

aperçus généraux sur l'utilité et l'importance des c o l o n i e s , détruit une grande partie des objections élevées

contre

leur rétablissement, constaté les droits des métropoles et des colons sur des possessions aussi précieuses, et n o u s fournirons par la suite de n o u v e a u x développemens q u i fortifieront nos considérations précédentes.


252 D'un autre c ô t é , o n s'est arrêté à ce système faux dans toutes ses parties, parce qu'il n'exige aucune recherche p é nible,

aucun effort

d'imagination

ni de combinaison ;

qu'il est tout à la fois le produit d'une paresse de l'esprit, d'une espèce d'insouciance et d'un défaut total de connaissance sur les hommes et les choses coloniales, et qu'on n'a pas su ni v o u l u considérer en m ô m e temps les suites f â cheuses qui en devaient nécessairement résulter. R i e n en

effet

n'est plus facile ni plus c o m m o d e , plus à la portée

des esprits ordinaires, p o u r se tirer d'une situation fausse o u c r i t i q u e , amenée par les événemens de la révolution opérée à Saint-Domingue, que d'accéder de suite à tout ce q u e la violence d'une horde de sauvages réclame i m p é r a t h e m e n t ; de consacrer et de l é g i t i m e r , par u n simple acte de notre volonté p r o p r e et par une mesure g é n é r a l e , toutes ces usurpations passées et teintes du sang humain ; de sacrifier ainsi, à l'a seule faveur d'un p r i n c i p e abstrait encore faussement exagéré et torturé, la justice, le droit public, la civilisation, les droits et les intérêts de la m é t r o p o l e et c e u x des colons,

sous l'apparence avantageuse et

b i e n illusoire sans doute, car rien ne saurait en garantir les succès ni la d u r é e , de conserver le bénéfice d'un c o m m e r c e exclusif et l'autorité qui en est inséparable. C e n'est pas sur de pareils principes q u e des législat e u r s , des h o m m e s d'état et des gouvernemens éclairés, pénétrés de l'importance de leurs hautes fonctions et de ce qu'ils doivent à leurs administrés, règlent les grands intérêts qui leur sont c o n f i é s , c e u x surtout relatifs à des îles à sucres q u i ne peuvent s'affranchir de la dépendance des métropoles,

sans qu'il en résulte p o u r les individus de

toute couleur qui les habitent des malheurs affreux et sans ternie,

sans qu'il soit à jamais possible de rétablir l'or-

dre et la p a i x , les cultures et l'industrie sur les seules bases, q u e c o m p o r t e et que nécessite l'organisation coloniale.


253 Relativement aux propriétés foncières, en addition aux preuves déjà données au paragraphe p r e m i e r , nous d i rons que ces propriétés ne sont pas différentes de celles des autres peuples policés, qu'elles s'acquièrent et se transmettent par les mêmes lois que celles de la mère-patrie ; qu'elles sont également légitimes et sacrées,

ayant reçu la

m ê m e sanction ; qu'elles reposent encore plus que celles de ces dernières sur u n p r i n c i p e de stabilité qui ne peut être ébranlé sans opérer la dissolution d u corps

social.

Nous dirons de plus que la nature et l'exploitation

des

propriétés c o l o n i a l e s , l'impossibilité b i e n r e c o n n u e de p o u v o i r les faire cultiver par des blancs o u des mains libres c o m m e nous

c r o y o n s l'avoir p r o u v é ,

l'importance

de

leurs produits p o u r la métropole sous tous les rapports publics et particuliers ; la nécessité p o u r des nègres

de

nous payer en soumission et en d é p e n d a n c e , n'ayant ni propriétés ni industrie particulière,

vivant et subsistant

du produit de nos habitations sur lesquelles encore ils sont forcés de résider n'ayant aucune demeure fixe ; toutes ces considérations importantes

entraînent

et justifient

c o m m e au m o y e n âge la servitude de la glèbe et le m a i n tien des propriétés instituées sur ces bases. R e m a r q u o n s en outre que nos propriétés,

entre les

mains des esclaves et des affranchis, sont le produit de la f o r c e , aidée de la puissance des commissaires et de tous les agens expédiés à cette m ê m e é p o q u e de la m è r e - p a t r i e , favorisée par leurs actes insensés et atroces, sans le secours et l'appui desquels nous n'eussions jamais é t é , n o u s c o l o n s , dépouillés par les nègres et les m u l â t r e s , ni forcés d'abandonner nos foyers et le sol de la patrie. Si la force, appuyée de ces commissaires, de ces agens, et favorisée par ces circonstances q u ' e u x seuls ont fait naître, contraindre à f u i r , a p u n o u s

enlever

a p u nous

arbitrairement

nos propriétés sans l'apparence d'aucun d r o i t ,

d'aucun


254 prétexte légitime n i m ê m e p l a u s i b l e , il appartient essentiellement à u n e force supérieure et la seule légale,

celle

de la nation régulièrement assemblée et présidée par son chef légitime, et par une réaction n a t u r e l l e , équitable et c o n f o r m e à toutes les lois de la justice et de l'ordre social q u e nous sommes hautement fondés à r é c l a m e r , de nous réintégrer, nous et nos familles, sur nos héritages, à la seule faveur de laquelle l'industrie et le c o m m e r c e r e n a î tront sous l'empire des lois protectrices,

sous l'autorité

armée et tutélaire d u gouvernement de la m é t r o p o l e . Ces principes de la r a i s o n , de la justice et de l'ordre social, sont de tous les temps et de tous les lieux. S'ils n'ont p u être violés durant les orages révolutionnaires que p a r des mesures atroces, sous l'apparence et le masque d'une fausse philosophie et d'une humanité f e i n t e , q u e par des agens perfides et parjures q u i se sont j o u é s de tous les droits et q u i n'avaient q u ' u n p o u v o i r b o r n é et de délégation ; si cette violation de propriétés n'a m ê m e jamais été convertie ni consacrée en loi par aucune autorité supérieure et souveraine, soit légale o u révolutionnaire, c o m m e n t voudraito n o u oserait-on violer ces mêmes principes de la raison et de la justice sociale par u n acte injuste et solennel q u e rien ne j u s t i f i e , q u e tout au contraire c o n d a m n e , et cela sous l'autorité légitime et à l'appui de tout ce qui a d r o i t d e mériter notre confiance, notre vénération et notre a m o u r ? D'ailleurs, ce serait u n fait u n i q u e dans l'histoire et q u i deviendrait par là u n objet d ' o p p r o b r e éternel p o u r la nation q u i s'en rendrait c o u p a b l e , q u e de la voir p e r mettre o u souffrir plus l o n g - t e m p s q u ' u n e peuplade étrangère et barbare ait p u i m p u n é m e n t envahir et les propriétés et la souveraineté entière d'une c o l o n i e e u r o p é e n n e après en avoir massacré impitoyablement u n e grande partie de ses habitans et forcé le petit n o m b r e restant à s'expatrier; el il serait encore

plus étrange

et plus

horriblement


255 v e x a t o i r e , si cette nation venait publiquement à consacrer cette

usurpation,

pouvant

et

cet

devant

y

envabissement mettre

fin

total

et

conformément

tyrannique aux

,

règles

et aux devoirs q u e prescrivent toute morale publique et toute justice nationale. Q u ' u n peuple n o m a d e , s'élançanten masse deses déserts, envahisse les terres de son voisin et se les

approprie,

c'est ce q u e nous avons vu u n e seule fois en E u r o p e lors de l'irruption des barbares d u n o r d . Mais q u ' u n e nation p o l i c é e , o u l'autorité qui la représente enlève à ses propres c o n c i t o y e n s , aux enfans de la patrie,

o u souscrive par

son suffrage, m ê m e par son simple silence, à ce que leurs domaines soient conférés o u restent dans la possession d'une peuplade étrangère et b a r b a r e , qui n e saurait se constituer par elle-même en u n corps politiquement et moralement régulier, et à ce que la souveraineté sur ces m ê mes domaines soit irrévocablement et diplomatiquement dévolue à cette m ê m e peuplade, par suite et en vertu d'une soumission apparente et en dérogation de tous les principes de justice, d'honneur et de dignité nationale ; ah ! c'est là u n scandale p u b l i c dont les annales des nations ne n o u s avaient pas encore offert la dégradante injustice et l ' i g n o m i n i e u x spectacle ; et la nation o u l'autorité qui s'en rendrait coupable flétrirait à jamais et son n o m , et sa m é m o i r e et sa n o b l e illustration. Faisons remarquer de p l u s , et c o m m e supplément n é cessaire, que par l'acte de l'affranchissement général, o p é ré par les seconds commissaires nationaux c i v i l s , et s u r tout

d'après

les

nouveaux

réglemens

introduits

par

eux

,

ils ont donné les moyens aux nègres et mulâtres , en leur qualité de co-propriétaires et en leur conférant le droit de surveiller et de diriger exclusivement la régie des h a b i tations,

sans aucun c o n c o u r s ni participation de notre

p a r t , de se rendre maître de nos personnes et de nos


256 p r o p r i é t é s , de nous faire fléchir sous leur autorité t y r a n n i q u e et sanguinaire 5 de massacrer c e u x d'entre

nous

qui n'abandonnaient pas assez p r o m p t e m e n t le sol de la patrie, o u qui éprouvaient quelques obstacles à leur fuite précipitée ; enfin de nous réduire

en u n véritable état

d'ilotisme des plus o d i e u x et des plus abjects. Qu'auraient dit la F r a n c e,

l'Europe entière et tout le

m o n d e civilisé en général, si la convention nationale, dans ces m o m e n s d'anarchie extrême et d'excès m o n s t r u e u x en tout genre, avait décrété que la libre disposition et a d m i nistration des biens fonds de toute nature seraient enlevées aux propriétaires français et remises entre les mains des cultivateurs et des journaliers avec u n droit p r e s q u ' e x clusif de c o - p r o p r i é t é , lequel en résultat fournirait à ces derniers les moyens de procéder à u n envahissement et à u n e spoliation générale,

en écartant et en massacrant les

propriétaires du s o l , c o m m e cela s'est pratiqué à SaintD o m i n g u e ? L'indignation générale aurait éclaté de tous les points de l ' h o r i z o n , tant de la part des individus que de leurs gouvernemens respectifs, contre cette infraction s a crilége portée à cette p r e m i è r e loi de l'organisation sociale sans laquelle aucun gouvernement régulier ni moral n e saurait exister. Et cependant

ce q u e la convention n'a

pas f a i t , n'a v o u l u ni p u f a i r e , malgré les excès et les crimes auxquels elle s'est livrée sous l'exécrable, la m o n s trueuse et avilissante tyrannie de R o b e s p i e r r e et de ses i n fâmes sicaires, a été pleinement c o n s o m m é , à la m ê m e é p o q u e , par deux délégués parjures et infidèles à leurs m a n d a t s , sans avoir excité la m o i n d r e réclamation, le plus léger m u r m u r e , ni aucun sentiment d'intérêt et de s o l l i citude de la part des i n d i v i d u s , ni d'aucun des pouvoirs étrangers et c o l o n i a u x . Ils se sont t o u s , au c o n t r a i r e , e m pressés p o u r la p l u p a r t , les premiers à louer, o u se taisant et ne désapprouvant pas ces principes désorganisateurs qui


257 présentent de toutes parts qu'écueils et abîmes sans f o n d ; les autres de se précipiter sur cette p r o i e c o m m e des v a u tours affamés p o u r s'en disputer, s'en arracher les tristes lambeaux, tout déchirés et ensanglantés. Par ces divers m o y e n s , nous sommes devenus les v i c t i mes les plus déplorables de l'injustice des hommes et de leurs gouvernemens respectifs, et c o m m e

marqués

du

sceau de la réprobation universelle par u n c o n c o u r s de volontés u n a n i m e s ; puisque tous les principes de la p o l i tique et d u droit des g e n s , de la civilisation,

de la m o -

rale et de la consanguinité ont été violés à notre égard avec autant d'impudeur que de forfanterie, sans q u ' o n n o u s ait accordé

aucun

sentiment

de

pitié

ni

de

commisération

,

ce qu'on ne refuse pas même à des malheureux, à des criminels succombant sous le poids de leurs propres erreurs et de leurs propres iniquités. Q u e l o u b l i total de nos p r e miers devoirs, et c o m m e h o m m e s et c o m m e m e m b r e s d'une m ê m e famille! et en m ê m e temps quelle h o r r i b l e et d é gradante injustice ! C e r t e s , il est plus q u e temps d'y mettre u n t e r m e ; et ce grand acte ne peut émaner q u e de la justice n a t i o n a l e , de la sagesse, de l'écpaité des législateurs actuels et du chef s u p r ê m e , conservateurs nés et i n a m o vibles des autorités légitimes et des principes sacrés q u i o n t servi de fondement aux différentes organisations h u maines, c o n f o r m é m e n t à leurs élémens constitutifs,

seu-

les bases assurées, seules sécurités d u repos des empires et d u b o n h e u r des individus de tout rang et de toute classification . Mais p o u r q u o i d o n c , encore u n e fois, et sur quel f o n d e m e n t raisonnable o u spécieux le gouvernement r e n o n cerait-il à sa souveraineté sur S a i n t - D o m i n g u e , et n o u s forcerait-il en m ê m e temps à abandonner l'héritage de nos pères,

o ù reposent les cendres de nos aïeux,

nirs les plus chers,

nos s o u v e -

toute notre existence morale et p o l i -

7

l


258 t i q u e ? D e quel d r o i t , en e f f e t , les nègres seraient-ils et resteraient-ils maîtres et possesseurs tranquilles et e x c l u sifs de la c o l o n i e , au préjudice perpétuel des seuls, vrais et légitimes propriétaires d u sol ? Ces premiers en sont-ils d o n c o r i g i n a i r e s , les véritables autochtones

(1)?

Non,

n o u s sommes antérieurs à eux par tous les titres les plus légitimes et les plus indisputables ; nous avons remplacé les premiers indigènes dont la disparition nous est entièrement étrangère. L'ont-ils découverte? N o n , ils n'ont j a mais étendu leur domination au-delà de leur pays n a t a l , d'où ils n e sont sortis q u e c o m m e esclaves, se vendant entre e u x , et aux étrangers, dès le temps le plus i m m é m o r i a l , sans avoir jamais mis dans ce c o m m e r c e aucun relâche n i intervalle dans cette longue p é r i o d e de siècles écoulés. L'ont-ils défrichée ? N o n , les premiers d é f r i c h e mens ont été opérés par des

Français

dénommés

en-

g a g é s , autrement dits les trente-six m o i s . L'ont-ils mise en valeur par leurs avances et leurs capitaux ? N o n ; ce sont les capitaux de la métropole,

l ' é c o n o m i e , l'industrie et

l'intelligence des colons qui ont d o n n é naissance aux p r e mières cultures, et en ont ensuite étendu et perfectionné toutes les branches. E n ont-ils au moins fait par e u x m ê m e s la c o n q u ê t e , ce dernier et terrible droit des nat i o n s , q u i ne reconnaît plus que l'empire de la force , de la violence,

et en consacre toutes les injustices ? N o n e n -

c o r e u n e fois ; c a r , sans les mesures multipliées et atroces

(1) Ces questions et les suivantes paraîtront tout-à-fait déplacées à la masse entière des colons ; mais elles ne le sont pas par rapport à des Européens,

dont la plupart et jusqu'à des membres

de

l'assemblée constituante ont avancé, les uns par mauvaise loi et les autres par ignorance, que les nègres et particulièrement les mulâtres,

race mélangée,

absurdités en ce genre.

étaient indigènes des Antilles et autres


259 des commissaires nationaux c i v i l s , toutes en faveur des nègres et m u l â t r e s , et tendant irrésistiblement à notre annihilation c o m p l è t e , approuvées et exécutées

encore

par leurs i n n o m b r a b l e s partisans et a d h é r e n s , sanctionnées i m p l i c i t e m e n t , en quelque s o r t e , et sans d é s a p p r o bation formelle par les assemblées législatives de France , fomentées

et

encouragées

depuis

par

des

missionnaires

d'une nouvelle c r é a t i o n , expédiés de la m é t r o p o l e

avec

leurs lettres de créance signées en traits de sang par les grands sacrificateurs de la philanthropie m o d e r n e,

les

G . , B. C . , C o n . , P . , e t c . , e t c . , tous successivement m e m bres des assemblées délibérantes ; sans les secours en tout genre à eux accordés et prodigués depuis et a n t é r i e u r e ment peut-être à la révolte par des puissances a l l i é e s , neutres et e n n e m i e s , au mépris et par u n e violation sacrilège d u droit des gens et de la loi des nations ; sans, surtout, l'horrible et parricide proscription p r o n o n c é e contre tous les colons par u n e certaine classe de leurs c o m p a triotes européens,

qui n'ont é t é , en cette o c c a s i o n , q u e

les disciples et les soudoyés peut-être des philanthropes anglais ; sans toutes ces mesures q u i ont servi c o m m e v é hicules et stimulans aux nègres p o u r les exciter à se livrer à tous les genres d'excès et de cruautés,

ces derniers n'au-

raient jamais s o n g é , ni t e n t é , n i p u effectuer et assurer leur indépendance actuelle avec l'envahissement de toutes nos propriétés. Ces attentats et ces succès en tout genre sont d o n c , tout à la f o i s , l e p r o d u i t de vos p r o p r e s efforts et de vos p r o pres e r r e u r s , de votre aveuglement extrême en faveur des nègres et mulâtres et contre les c o l o n s , de tout ce système anarchique et révolutionnaire. Ils ne sauraient d o n c être r e c o n n u s n i approuvés par aucun titre raisonnable et l é gitime q u i soit fondé en droit et en justice; et ils doivent être proscrits par tous les amis de l'humanité et de l'ordre


260 s o c i a l , par tons les Français attachés à la patrie et au b o n h e u r de leurs compatriotes. M a i s , m e d i r a - t - o n ici : de ce q u e les nègres ont été esclaves dans tous les t e m p s , s'ensuit-il d o n c qu'ils d o i vent l'être éternellement ? Je ne sais : mais puisque cet e s clavage existe chez eux de toute éternité, et ne paraît pas devoir cesser malgré la suppression de la traite: q u e ce c o m m e r c e d'esclaves date d'une origine également reculée, s'y est conservé dans toute son activité par leur seule v o lonté p r o p r e lorsqu'ils auraient p u , à chaque instant de sa durée, y mettre un terme si cela était entré dans leurs convenances; qu'il subsistera après notre retraite, ne fûtce qu'entre eux seulement o u par la partie orientale et la voie de t e r r e , o n peut en c o n c l u r e , ce m e semble,

que

cet esclavage et le c o m m e r c e qui y est attaché n'ont rien de contraire à leur n a t u r e , o u q u e d u moins ils n'entraînent pas les mêmes i n c o n v é n i e n s , et ne les affectent pas au m ê m e degré dont les autres peuples ressentent si sensiblement les déplorables effets. Il en est de celle servitude perpétuelle c o m m e de l ' a b sence totale des arts et des sciences auxquels ils ne se sont jamais livrés, lesquels n'ont jamais p u p r e n d r e racine chez e u x , n o n plus que. tous les perfectionnemens de l'industrie q u i leur s e r o n t , t o u j o u r s inconnus malgré tous nos efforts à cet égard. Ces inaptitudes et ces incapacités proviennent de ce qu'ils n'ont pas en e u x les germes de ces premiers é l é m e u s , ce qui les différencient et les classent dans u n o r d r e tout particulier. Cette différence se fait surtout r e marquer si on vient à les comparer avec ces i n n o m b r a b l e s tribus de l'Amérique septentrionale et les Araucans de la partie d u S u d , q u i sont encore c o m m e e u x dans cet état primitif o ù la nature seule leur inspire toutes leurs r é s o lutions. Q u e l l e différence néanmoins de l a n g a g e ,

d'ex-

pressions quelquefois s u b l i m e s , de sentimens énergiques


261 manifestés par les uns clans leur réunion, leurs carnets, si o n la rapproche de la faible et insignifiante manifestation de l'intelligence des autres ? Quelle h o r r e u r ne témoigne pas Ces premiers p o u r la servitude à laquelle o n n'a j a mais p u les assujettir ; et quel a m o u r ne font-ils pas é c l a ter à

pour

leur

laquelle

ces

indépendance derniers

se

individuelle montrent

et

également

nationale

,

indifférens

el insensibles dans la plus grande généralité de l'espèce ? D ' o ù viendrait d o n c cette différence entre des peuplades placées à la m ê m e distance de la civilisation, i n d é p e n damment de celle résultante p o u r dos nègres de leur c o n s truction physique dans plusieurs de ses parties,

inhé-

rentes et particulières à leur espèce ; telles q u e ce museau allongé,

leur nez épaté presque c o n f o n d u avec les lèvres

gonflées, épaisses, et surtout la supérieure, ce réseau m u q u e u x observé par M a l p i g h i , qui l e u r d o n n e cette teinte noire, les jambes déformées et courbées de toute éternité, cette toison q u i couvre l e u r tête et les autres parties d u c o r p s , e t c . , etc. ; si cette différence n e provenait de leur organisation p r e m i è r e , i m p r i m é e par la nature m ê m e ? D ' o ù viendrait surtout cette autre d i f f é r e n c e , bien plus importante e n c o r e , remarquée premièrement par C a m p e r,

et confirmée depuis par des observateurs éclairés et

profonds,

celle relative de l'angle f a c i a l , lequel est de

85 degrés chez les E u r o p é e n s , et m ê m e davantage dans les belles têtes ; de 75 au plus chez les n è g r e s , de 65 chez les. s i n g e s , affectant ainsi toutes les espèces par des degrés successivement décroissans ; de telle sorte q u e , lorsque ces deux lignes formant l'angle f a c i a l , l'une verticale et. l'autre horizontale, s'approchent d u parallélisme,

elles

deviennent le signe caractéristique d e la bestialité la plus, complète?

d'où

viendrait,

disons-nous

,

cette

différence

,

cette marque distinctive et primordiale , cette ligne de dé-, marration et cette échelle graduée de l'intelligence, si la,


262

nature ne l'avait elle-même établie par une loi générale , invariable

et

constante

,

affectant

l'universalité

des

es-

pèces répandues sur la surface entière d u globe ? L e s physiologistes remarquent en

effet que plus cet

angle se rapetisse, se resserre, plus la face doit s'allonger en museau c o m m e dans la brute ignoble el stupide ; en m ê m e temps le cerveau se r é t r é c i t , se c o m p r i m e tage ; la sphère de l'entendement décroît par u n e

davansem-

blable raison. Dans la conformation la plus b e l l e , o ù le front est plus droit et plus avancé, le cerveau s'étend, l ' i n telligence agrandie recule ses limites, et lance u n e vive l u m i è r e au-delà de la portée d u vulgaire ; et l'on sait q u e l'intelligence est en raison directe de la masse cérébrale b i e n constituée. T o u s les nègres ont le ventre porté en avant, les fesses très en a r r i è r e , position déterminée p a r l'assiette de la tète, dont le trou occipital est placé plus postérieurement q u e chez les autres h o m m e s . Cette c o n formation particulière l e u r d o n n e u n air déhanché et éreinté. Il semble qu'ils sont moins faits p o u r m a r c h e r droit q u e n o u s ; c'est u n e gradation insensible vers les singes. — L e s nègres ont les talons plus longs que les E u ropéens ; et par ce trait de c o n f o r m a t i o n , par l'inclinaison de leur angle f a c i a l , la saillie de leurs mâchoires et autres différences anatomiques, sont évidemment placés au degré le plus bas de l'échelle animale. — O n n e trouve pas dans ses parties extérieures (celles de l'ourang-outang) des marques aussi frappantes de structure particulière ; il semble au contraire se rapprocher davantage de n o u s . Q u ' o n mette u n négrillon en comparaison avec lui ; j e n e prétends pas q u ' o n puisse jamais les c o n f o n d r e,

mais j e ne pense

pas q u ' o n trouve à placer u n intermédiaire entre e u x . N o u s p o u r r i o n s surcharger

cet écrit

d'une foule de

citations extraites de différens auteurs à l'appui de la vérité que nous établissons ; mais consultez les écrits de M M . V i r e y


263 et R i c h e r a n d , surtout celui de ce dernier, Elémens

de physiologie,

Nouveaux

o ù les observations et la science

éclatent de toutes parts avec une rare perspicacité. L e u r s observations exactes et suivies jointes à des connaissances variées ont certes plus de droits à c o m m a n d e r notre c o n fiance que toutes les assertions des négrophiles contraires à toute expérience, ne reposant que sur des suppositions idéales, des constructions forcées,

plus propres à engen-

drer des erreurs et des absurdités que des connaissances réelles. Voilà cependant les êtres qu'on assure être aptes à acquérir les plus belles connaissances, les ayant m ê m e possédées autrefois, suivant certains sectaires; à s'organiser sous des formes les plus régulières, égales ou supérieures à celles des E u r o p é e n s , et excitant déjà l'admiration de tous leurs partisans : voilà les êtres qu'on prétend égaler et surpasser m ê m e les colons dans leurs facultés morales et intellectuelles, auxquels on accorde encore une p r é f é rence marquée et un a m o u r exclusif. Q u e l l e ignorance et quel d é l i r e ! quelle déviation c o u p a b l e dans l ' a c c o m p l i s sement de nos devoirs et dans tous nos penchans sociaux ! L a nature, si féconde et si variée dans ses p r o d u c t i o n s , en formant des espèces distinctes, s é p a r é e s , et en leur donnant des propriétés c o m m u n e s appartenant à chaque g e n r e , leur eu a également et en m ê m e temps réparti de particulières, caractéristiques et indélébiles, relatives aux espèces ressortissant de ce m ê m e g e n r e . C'est ainsi q u e Blumenbach et plusieurs autres physiologistes et n a t u r a listes, d'une grande capacité et c é l é b r i t é , ont

reconnu

que le genre humain était c o m p o s é de cinq races ou espèces originairement différentes ; la caucasienne ou eur o p é e n n e , la m o g o l e , l'éthiopienne ou n è g r e , la laise et américaine,

ma-

conservant toujours entre elles leurs

traits primordiaux et caractéristiques, en tant qu'elles ne se confondaient pas par des alliances; et toutes les autres


264 anomalies n e sont que des variétés résultantes d u mélange des r a c e s , de leurs subdivisions subséquentes et i n t e r m é diaires. Cette énonciation de différentes races n'est point m ê m e assez étendue. Les L a p o n s , les Samoïèdes, les E s q u i m a u x,

G r o ë n l a n d a i s , et les Patagons forment des espè-

ces particulières q u i n e peuvent être confondues

avec

celles décrites ci-dessus. Enfin il existe dans le genre h u m a i n des différences radicales, constantes et i n d é l é b i l e s , bien plus profondes que de simples variétés superficielles , qui

seraient

tout

au

plus

individuelles.

• Q u ' i l nous soit permis d'ajouter ici ce que n o u s avons dit ailleurs. La n a t u r e , dans ses trois règnes, par une marche i n variable dont elle n e s'est jamais écartée que fortuitement et par des accouplemens adultérins, descend de ses p r o ductions les plus nobles jusqu'aux dernières par des transitions insensibles et progressives ; de manière que, par cette loi de c o n t i n u i t é , elles forment u n tout o ù les espèces q u i se précèdent et se s u i v e n t , q u o i q u e séparées et distinctes, se tiennent par quelques rapports c o m m u n s et identiques. Ces trois règnes sont liés par des espèces voisines et intermédiaires, participant de l'une à l'autre, qui se t o u c h e n t , se rapprochent et se c o n f o n d e n t , ont des qualités c o m m u n e s , sans q u e l'on puisse o u doive inférer de là qu'elles soient entièrement semblables. Si cette loi générale se maintient sans interruption p a r m i les êtres inanimés et tous c e u x doués de m o u v e m e n t et de sensibilité, elle doit conserver et c o n s e r v e , en effet, son expression, lorsqu'elle vient à s'appliquer de la nature animale à la nature raisonnable, el sur tous les êtres j o u i s sant de celte dernière faculté. Q u ' y a - t - i l , en effet, de plus différent et de plus dissemblable entre cette faculté intelligente q u i nous permet de contempler et d'admirer les merveilles étonnantes de cet u n i v e r s , dirigé par u n e


265 puissance i n v i s i b l e , d'en découvrir quelques d'approfondir

ressorts,

les principes de nos connaissances, d'en

étendre sans cesse les b o r n e s par de nouvelles c o m b i n a i sons de notre e s p r i t , et celle des nègres enfouie éternellem e n t dans la matière brute et incapable d'aucun essor ? Par celte o r d o n n a n c e générale,

les animaux, dans le

n o m b r e desquels il se trouve u n e variété i n n o m b r a b l e d'espèces différentes,

et ayant leurs qualités

propres,

tiennent tous entre e u x et à l ' h o m m e par la v i e , la s e n sibilité, et par u n e sorte d'intelligence appelée d u m o t d'instinct, faute d'avoir pu la définir et l'analyser ; et p e r sonne n'a c r u devoir é t a b l i r , sur ce rapport des qualités c o m m u n e s , l'identilé des espèces. Ainsi d o n c , les blancs et les nègres possèdent plusieurs

quoique

propriétés

c o m m u n e s et inhérentes à la nature humaine, ce n'est pas là une raison suffisante ni valable p o u r les supposer f o r mées sur le m ê m e t y p e , si s u r t o u t , et d'ailleurs,

ils r e n -

ferment en eux des qualités qui leur soient p a r t i c u l i è r e ment propres et inhérentes à leur e s p è c e , c o m m e o n n e saurait le méconnaître d'après toutes les preuves par nous rapportées. Ce n'est d o n c n i le c l i m a t , ni la servitude, n i aucune autre cause extérieure q u i s'opposent à la civilisation et au développement des facultés intellectuelles et m o rales des n è g r e s ; mais c'est par une imperfection inaltérab l e , attachée à leur e s p è c e , et i m p r i m é e p a r la nature même. Si de cette vue générale à laquelle nous nous sommes élevés, nous venons actuellement à considérer cette q u e s tion sous le rapport des indemnités à allouer aux colons par forme de dédommagement o u de

c o m p e n s a t i o n , il

n o u s sera facile de nous convaincre d e l'impossibililé de l'asseoir, de la régler sur u n e base raisonnable et fixe, o u qui ne fût sujette à des controverses interminables et à des difficultés insolubles.


2

66

Dans cet état forcé o ù les événernens sont supposés noirs avoir placés, il est évident que les chefs nègres et mulâtres régleront e u x - m ê m e s le genre et le montant des i n d e m nités qu'ils v o u d r o n t bien nous a c c o r d e r , sans qu'il n o u s soit possible o u permis de les débattre, d'en démontrer l'insuffisance o u les vices ; et il faudra en définitive recevoir ces indemnités c o m m e un d o n de leur munificence et de leur gracieuse b o n t é . O n s e n t , sans q u e j'aie besoin de m'y appesantir de n o u v e a u , c o m b i e n un pareil acte qui n o u s rappelle nous maintient dans leur sujétion,

nous force à

fléchir sous leur volonté suprême et t y r a n n i q u e , et est h u miliant et dégradant; mais j e veux b i e n cependant p o u r le m o m e n t ne pas y avoir é g a r d , quoique cette indemnité o u plutôt celle restitution ne soit qu'une juste réparation d e l'envahissement féroce des p r o p r i é t é s , et n o n des s e cours accordés par pitié et par pure humanité, c o m m e c e r taines personnes ont l'indignité de l'avancer. S'ils effectuent leur p r o m e s s e , rien de m i e u x ; s'ils y m a n q u e n t , c o m m e cela est presque inévitable, le g o u v e r n e m e n t , sous la sanction duquel elles auront été contractées, sera obligé par devoir d'y intervenir et d'avoir recours à ces m o y e n s de force et d'exécution q u ' o n persiste à rejeter c o m m e inadmissibles, o u de voir son autorité c o m p r o m i s e et d é daignée s'il refuse son intervention o u n e l'appuie pas par les seuls m o y e n s qui peuvent la faire respecter : la f o r c e . D e ces difficultés, en supposant qu'elles ne se p r é s e n tassent pas o u fussent facilement surmontées,

dernière

considération dont n o u s p r o u v e r o n s tout à l'heure l ' i m possibilité, nous passerons à l'examen de celles qui sont particulièrement applicables aux colons et aux créanciers de la m é t r o p o l e . D ' a b o r d , c o m m e n t et de quelle manière procédera-t-on p o u r répartir entre tant de copartageans d i v e r s , la p o r tion afférante à chacun d'eux ? S u r quelle base l'asseoira-


267 t - o n ? et quelle route suivrons-nous p o u r sortir de ce l a byrinthe inextricable ? Je n'en vois aucune qui soit r é e l lement praticable. Si cette indemnité est en p r o p o r t i o n de la fortune ancienne, présumée o u r é d u i t e , nous voilà de suite amenés à constater cette fortune par la p r o d u c t i o n de titres authentiques q u e personne n'a conservé n i n'a p u peut-être conserver ; e t , à ce défaut, à entrer dans des débats contradictoires et interminables devant les t r i b u n a u x, o u le conseil d'état, sur la supputation des biens o u des changemens survenus, o u forcés en définitive à i m a g i n e r, à former des divisions et des classes qui seront plus o u moins arbitraires, et satisferont b i e n p e u de i n o n d e , auxquelles peut-être l ' i n t r i g u e , la faveur et des protections particulières présideront plutôt qu'une répartition juste et légale, difficile à établir et à régulariser avec les intentions m ê m e les plus droites et les plus p u r e s . Si elle est la m ê m e p o u r tous, en rejetant les prétentions individuelles et en n o u s admettant sur u n pied d'égalité p a r f a i t e , cette r é partition sera nécessairement partiale, i n j u s t e , et tout le m o n d e se croira lésé à b o n d r o i t , à l'exception des p e r sonnes dont les fortunes étaient bornées et m é d i o c r e s . C e pendant j e n'aperçois que ces deux

hypothèses,

égale-

ment inadmissibles par les circonstances variées et m u l t i pliées qui s'y r a p p o r t e n t , à moins que le gouvernement ne devienne propriétaire de cette indemnité, et l'employant à tout usage q u e l c o n q u e,

la recevant

moyennant une

pension alimentaire o u u n e s o m m e une fois p a y é e , la m ê m e p o u r tous ; à l'exception cependant de la différence à observer entre les personnes surchargées de familles et les simples célibataires. Ensuite quelle sera la portion affectée aux créanciers de la métropole dans cette répartition générale? et dans quelle proportion la p r é l è v e r o n t - i l s sur chacun de leurs d é b i teurs ? A u t r e difficulté embarrassante et peut-être i n s o -


268 l u b i e . L e s dettes dont les biens sont grevés, et q u e l'autorité annonce devoir être-acquittées p a r l e s c o l o n s , doiventelles exister dans leur e n t i e r ? N e doivent-elles pas être au contraire restreintes en p r o p o r t i o n de la diminution sur" venue dans les b i e n s - f o n d s , et réglées c o n f o r m é m e n t à la p o r t i o n d'indemnités que chacun de n o u s recevra ? Si celle répartition et cette compensation sont admises, on n e sait plus véritablement ce que certains de nous auraient d r o i t d e prétendre ; et ces indemnités ne présenteraient plus q u ' u n l e u r r e , qu'une nouvelle spoliation plus dérisoire q u e la p r e m i è r e , en ce qu'une apparence de justice aura présidé à leur régularisation. R e n d o n s tout ceci sensible par des calculs et des e x e m ples, auxquels il sera difficile, nous le pensons d u moins,, de refuser son assentiment. Les biens-fonds à S a i n t - D o m i n g u e , en y c o m p r e n a n t les machines,

les instrumens et les bâtimens,de toute e s -

p è c e , nègres et animaux nécessaires à leur exploitation maisons en v i l l e , magasins dans les b o u r g s et cmbarcaclaires, guildiveries, ries

fours à chaux, b r i q u e t e r i e s , p o t e -

et tanneries, s'élevaient en totalité à la s o m m e d e

3 milliards. L e tout est supputé ici en argent des c o l o n i e s , et l'on sait qu'il faut en déduire u n tiers p o u r l'égaler àcelui de la F r a n c e . P o u r s'assurer d e l'exactitude d e c e résultat, o n peut calculer chacun de ces objets dans ce qu'ils o n t de c o m mun.

O n trouvera q u e la valeur

esclaves, estimée

qui au

existaient rabais

à

à

2,000

l'époque francs

des c i n q cent mille de

la

chaque,

révolution produira

,

une

somme d'un milliard, Cette estimation est au-dessous m é m o de sa valeur r é e l l e , puisque les nègres venant de la côte se vendaient c o m m u n é m e n t à u n p r i x plus élevé 5 et q u o c e u x de la colonie en â g e , en f o r c e , en talens,

tels q u o

c h a r r o n s , charpentiers, tonneliers, m a ç o n s , maîtres s u -


269 criers et indigotiers, conducteurs de travaux n o m m é s c o m m a n d e u r s , cabrouëtiers, nègres et nègresses, domestiques en assez, grand n o m b r e , postillons, cuisiniers, coiffeurs, c o u t u r i è r e s , blanchisseuses,

confiseuses,

etc.,

valaient

de 4 à 6 , 0 0 0 f r a n c s , et quelquefois a u - d e l à , quand ils étaient reconnus b o n s sujets. Aussi dans les évaluations d'un atelier,

relativement aux ventes et aux partages des

habitations entre plusieurs cohéritiers, ils ressortissaient les uns dans les autres à

2,500

francs chaque.

L a terre avec les m a c h i n e s , les instrumens, les b â t i mens et les animaux n e peuvent pas être évalués à u n e s o m m e m o i n d r e d'un milliard,

et elle est e n c o r e trop

faible par les considérations suivantes. La valeur d'une habitation est constamment et généralem e n t supérieure à celle des nègres qui l'exploitent, s u r tout p o u r les sucreries, et particulièrement p o u r celles établies en b l a n c , dont les produits forment la plus grande masse de nos richesses et de nos exportations.

Cette aug-

mentation provient du n o m b r e des animaux, d e la q u a n tité de b â t i m e n s , des usines et de la valeur

intrinsèque

de la terre. Elle est telle que dans les quartiers p r i n c i p a u x , ,au c u l - d e - s a c par exemple,

le carreau de terre arrosable

est toujours estimé et vendu à raison de 10,000 f r a n c s , et dans les autres il ne peut pas être évalué au-dessous de 1,000 écus à 6 , o o o francs ; nous p r e n d r o n s p o u r terme m o y e n 4 , 5 o o (1).

(1) Evaluation de la terre, des bâtimens et des animaux d'une sucrerie en brut.

. . .

Batiment pour la fabrication du sucre, dénomme sucrerie, chaudières, écu moires et bagues, ci.

. . .

3o,ooofr.

Purgerie, limandes et bagues pour recevoir le sirop

25,000 A reporter.

55,000


270 Les maisons en ville et dans les b o u r g s , les magasins situés dans les embarcadaircs p o u r la réception des denrées, doivent être portés à la m ê m e valeur d'un milliard. J'avoue que cette estimation peut paraître a r b i t r a i r e ,

Report

55,ooo

Moulin à eau ou à bête avec le bâtiment, terme moyen Le logement du propriétaire, estimé, les uns et les autres, au prix modéré de. Les maisons construites pour l'usage des propriétaires ont coûté do 3 o , 40, 5o et jusqu'à 1 0 0 mille francs et au delà. Mais comme celles d'une moindre valeur sont en plus grand nombre queles autres, nous ne portons les unes dans les autres qu'à 5o mille francs. Celle construite par mon père a coûté 1 2 0 mille francs; à l'exception du boisde charpente, tous les autres objets ont été apportés de France, jusqu'à des moellons et des pierres de taille, et l'on sait que la main-d'œuvre est très-chère dans les colonies.

40,ooo 5o,ooo

Cases à nègres estimées à mille francs chaque. Celles que j'ai fait construire m'ont coûté cent portugaises chaque. Les habitations en sucrerie comportaient un atelier de cent nègres au moins dans les plus petites; en les portant à cent cinquante, et en supposant vingt cases pour chaque habitation, nous aurons un produit de : Deux cases à bagasse pour chaque habitation ; c'est le moins possible, puisque plusieurs ont jusqu'à trois ou quatre, à 5 mille francs chaque, ci. . . . Hôpital, dont plusieurs sont quelquefois plus magnifiques que le manoir principal de certains habitans, cases à économe et cuisine, le tout à A reporter

. . . .

20,000

10,000

40,000 25,ooo


371 ne pouvant p r o d u i r e aucune d o n n é e certaine p o u r la justifier. Néanmoins si o n fait attention que les terres, les bâtimens et les animaux ont été portés à 2 9 6 m i l lions au-dessous de leur valeur r é e l l e , et q u e c i n q cents

Report Poulailler, colombiers, magasins à grains, à vivres, à ustensiles; voitures de toute espèce, cabrouets, tombereaux et chaises, par estimation ge'nérale . . Chaque habitant a sa chaise, et communément deux s'il est marié, dont chacune ne coûte jamais moins de 3,000 f r . , et quelquefois plus. Quatre-vingts mulets ou bêtes à cornes ou chevaux, à raison de 5oo fr. chaque. Les mulets coûtent communément dix portugaises, et les chevaux quinze, ci . 11 n'y a pas d'habitant qui n'ait poulie moins deux ou trois attelages dont trois chevaux de front, indépendamment de quelques chevaux de selle et de ceux possédés par les économes et ouvriers , tous résidans sur nos habitations. Cette dernière somme, multipliée par 950 , nombre de sucreries en brut et en blanc, donnera un total de D'après ce qui a été établi au texte, on doit estimer chaque carreau de terre à 4,5oo fr- terme moyen ; et, comme le nombre des habitations en sucrerie est de cent carreaux au moins, on n'en dompterait qu'un très-petit nombre, peut-être pas vingt au-dessous dans toute la colonie ; eu les portant à cent cinquante les uns dans les autres, nous aurons pour les neuf cent cinquante sucreries un autre total de

215,000

3o,ooo

40,000

285,ooo 270,75o,ooo

641,250,000

Si actuellement on fait attention que les sucreries en blanc, au nombre A reporter.

912,000,000


272 mille esclaves doivent

recevoir u n e

5 o o fr. p o u r chaque tête, duit de 25o millions,

augmentation

de

ce q u i donnera u n autre p r o -

l e q u e l , réuni avec 296 et défalqué

d'un milliard porté en cet article p o u r m a i s o n s , bourgs

Report.

.

.

.

.

.

.

de cinq cents, ont un équipage de plus pour cuire le sirop, une plus grande étendue de bâtimens de deux à trois cents pieds de roi au lieu de soixante à quatrevingts pieds nécessaires à une sucrerie en brut, deux étuves pour sécher le sucre, des pots et formes pour recevoir le sucre et le sirop, contant de 25 à 3o mille fr. ; au lieu d'un bac d'une faible valeur; presque toutes un moulin à eau, infiniment plus coûteux que celui à bête, accompagné souvent, d'un aqueduc d'une assez grande étendue ; un plus grand nombre de cases à nègres et à bagasse ; on peut, sans se tromper et en restant audessous de toute évaluation raisonnable , supputer ces différens objets pour une valeur de 100 mille francs,laquelle, multipliée par 5oo, donnera un nouveau produit de Evaluation totale des sucreries,

912,000,000

5o,ooo,ooo

tant

en brut qu'en blanc

962,000,000

Évaluation des autres habitations au nombre de six mille huit cent soixantesept ( trois mille caféières, sept cents cotoneries, trois mille quatre-vingt-dix indigoteries, soixante-dix cacaotières ) en terres, bâtimens et animaux. Toutes ces habitations sont composées de cent cinquante à deux cents, trois cents et quatre cents carreaux. En prenant pour terme moyen deux cents et en A reporter

912,000,000


273 et m a g a s i n s , ne présentera plus p o u r ce dernier

objet

qu'une s o m m e de 454 m i l l i o n s , ce qui ne paraîtra aucunement enflé ni exagéré. La colonie était supposée endettée envers le c o m m e r c e

Report

912,000,000

les évaluant à 100 francs seulement le carreau, nous aurons une somme de 20 mille francs, 6867,

laquelle,

multipliée par

nous donnera pour résultat

somme ci-contre

137,34o,ooo

Cette estimation ne paraîtra pas exagérée. Car les caféières qui forment presque elles seules, la moitié de ce total général, étaient d'un riche produit, s'élevant depuis 15 mille francs jusqu'à 3o, 5o, 100 mille francs , et quelquefois audelà ; ce qui porte leurs terres à une valeur supérieure à celle calculée par nous. On voudra bien se rappeler que la colonne produisait autrefois 80 millions pesant de café, évalué à 5o millions, faisant le quart de nos exportations. Vingt mulets,

chevaux ou bêtes à

cornes à raison de 5oo francs, nombre évidemment insuffisant,

surtout relati-

vement aux caféières par les raisons déduites dans l'article précédent, laquelle somme de 10 mille francs, par 6867 ,

multipliée

donnera un nouveau total de .

68,670,000

25,ooo francs en bâtimens de toute espèce pour chaque habitation, l'un portant l'autre; ceux relatifs aux propriétaires et aux nègres, à des magasins, des glacis pour sécher le café, des moulins pour en séparer la pellicule. Cette somme est au dessous de toute évaluation raisonnable, par les mêmes considérations préA reporter

206,010,000

912,000,000

18


274 de la m é t r o p o l e d'une année de s o n revenu , s'élevant, c o m m e nous l'avons déjà d i t , u n p e u au-delà de :>.oo m i l lions argent de la c o l o n i e . Si les c o m m e r ç a u s sont fondés à réclamer leurs capitaux et l'intérêt de leurs créances d e -

206,010,000

Report

91 2,000,000

senteies ci-dessus ; mais , en l'adoptant n é a n m o i n s , elle nous donnera p o u r troisième t o t a l , calculée s u r le même nom171,776,000

bre d ' h a b i t a t i o n s , c i M o n t a n t des habitations ci-dessus . Cent soixante-dix

.

377,785,000

377,785,000

guildiveries à 15 2,55o,000

mille francs chaque , c i T r o i s cent quatre-vingts fours à c h a u x , b r i q u e r i e s , poteries avec les bâtimena , à 10 mille francs c h a q u e , ci

.

.

.

.

3,800,000 6,35o,ooo

6,35o,ooo

L e p r o d u i t général des habitations et autres accessoires , sans y c o m p r e n d r e les nègres , s'élève à la somme d e .

.

O n voit que ce produit est supérieur

1,596, 135,ooo

de 296 millions à celui

porté au second article de notre estimation générale, ne s'élevant qu'à un milliard. Nous avons négligé, dans cette évaluation générale, d'y comprendre les habitations en haltes et en corail, et d'autres ne produisant que des vivres , du jardinage, situées auprès des grandes villes, Port-au-Prince, Cap et ailleurs , celles au môle Saint-Nicolas c l quartier de Bombarde , n'ayant par devers nous aucune donnée sur leur nombre et leur valeur. Nous ne portons point non plus ici en compte toutes nos richesses mobiliaires, assez considérables , meubles meublans, argenterie, b i j o u x , linge de toute espèce , en grande quantité et des plus fins , tantpour notre usage personnel que pour tout autre service; tous objets enlevés ou d é truits par les nègres et mulâtres, à chacune de leurs insurrections partielles , et particulièrement au moment de la révolte presque


375 puis l'époque de la cessation de nos paiemens, ils seront nécessairement doublés par u n e révolution de vingt-cinq années et au-delà. O r , m a i n t e n a n t , supposons quo les chefs nègres et m u -

générale clans la partie du nord. Si cette dernière valeur était calculée relativement à chaque habitant, car il n'en est aucun qui n'ait été plus ou moins spolié dans ses effets, elle s'élèverait à p l u sieurs millions. Quoique tous les objets mentionnés ici soient portés pour mémoire, ils n'en ont pas moins une valeur réelle ; e t , pour ceux de nos lecteurs qui supposeraient nos calculs exagérés, ils serviraient à balancer et à régulariser les estimations conformément à leurs idées. O n peut s'assurer encore,

par un autre procédé,

que nos cal-

culs sont au-dessous de toute contradiction. Les produits à SaintD o m i n g u e , en toutes sortes de denrées,

s'élevaient annuellement

un peu au 'de-là de 200 millions, et les habitations de toute nature rendaient de 7 à 8 pour 100. Si on multiplie cette somme par treize, pour en avoir le capital,

nous aurons un total de 2 mi I-

liards et 600 millions, lequel, ajouté à celui des maisons, nous donne également les 5 milliards trouvés ci-dessus. Ce capital est encore semblable à celui fixé par M . Ganilh, dans son écrit intitulé

du

niens, etc.,

Système

d'Economie

politique ,

de

leurs

inconvé-

tome 2, page 260 ; il porte le capital des Antilles fran-

çaises à 4 milliards, et à un milliard les bâtimens, les bestiaux et machines et le mobilier Comme Saint-Domingue entre pour trois cinquièmes dans celte évaluation,ce serait encore 3 milliards auxquels il faudrait évaluer toutes nos richesses anciennes ; et plus encore, si les milliards de 31. Ganilh étaient des francs ; ce qui prouve que nous n'avons rien enflé, et sommes restés au-dessous de toute évaluation réelle et effective. Mais, par rapport à l'objet que nous discutons dans notre texte , il faut soustraire de ce capital la portion appartenante aux hommes de couleurs et nègres libres, el celle provenante des maisons en ville données aux mulâtresses et filles de couleurs par leurs

en-

tretencurs. Je ne sache pas que dans nos états statistiques nous ayons jamais établi cette différence ; nous ne saurions donc rien présenter à cet égard, même par approximation. Je sais seulement que t r è s - p e u d'entre

eux possèdent des sucreries;

dans


276 làtres offrent 100 m i l l i o n s , c o m m e j e l'entends m u r m u rer à mes o r e i l l e s , et plus si l'on veut. O n voit d ' a b o r d , que

cette s o m m e ne saurait suffire p o u r nous acquitter

envers les négocians de la m é t r o p o l e ; que c e u x - c i , en la recevant, perdraient 100 p o u r 100 sur leur capital, e t 3 o o p o u r 100 si les intérêts doivent leur être p a y é s , et qu'alors ces propriétaires endettés n'auraient rien à prétendre sur cette r é p a r t i t i o n , laquelle serait entièrement absorbée par les créanciers avec u n e perte p o u r e u x . Si o n veut néanmoins n o u s faire participer à cette i n demnité, p o u r être juste envers n o u s , il faudrait que notre p a r t , notre quotité fût p r o p o r t i o n n é e à nos anciens c a p i taux comparés avec la masse des c r é a n c e s , de manière à ce qu'ils se balançassent dans u n équilibre parfait ; c'està-dire,

si j'ai p e r d u sur m o n capital u n e moitié o u deux

tiers de sa valeur p r i m i t i v e , votre créance doit subir une diminution dans la m ê m e p r o p o r t i o n . Par e x e m p l e , ma p r o priété valait 100 mille francs, elle ne vaut plus que moitié, 5 o m i l l e ; j e vous devais 10 mille francs, j e ne vous en

toute la partie du sud,

je n'ai connu qu'un quarteron

nommé

B o u r y , qui fût en possession d'une sucrerie en b r u t , d'une assez faible importance, et encore presqu'en r u i n e , l'ayant visitée eu personne. Le plus grand nombre de ces mulâtres étaient ouvriers, les femmes,

à l'exception de celles qui étaient entretenues, pacot-

tillcuses et revendeuses; et les propriétés des autres consistaient en indigoteries, cotonneries, battes et corail, plantations en vivres et quelques petites caféières. Quant aux nègres proprement dits , je ne crois pas qu'il en existât un seul, ou du moins le nombre devait être infiniment petit, qui fût en possession d'une habitation ou d'une maison. N e pouvant donc partir d'aucune

donnée pour

ces

différens

objets, et pour ne pas nous embarrasser dans des calculs pourrait

supposer imaginaires,

qu'on

nous ne changerons cenendant

rien à nos estimations précédentes, d'autant plus que par la suite, au lieu de 3 milliards, nous nons restreindrons à un seul.


277 dois plus q u e 5 mille ; car 100,000 : 10,000 : : 5 o , o o o : 5,ooo

fr.

Si cela n'était pas j u g é p o s s i b l e , o u si o n ne voulait pas l'admettre,

q u o i q u e m o r a l e m e n t et

mathématiquement

juste, il est toujours sous-entendu, dans tous les cas, qu'il doit nous revenir une portion q u e l c o n q u e ; nous la s u p poserons de trois quarts o u de la moitié de la s o m m e à p a r tager,

c'est-à-dire,

de 7 5 o u de 5o millions.

Cette

somme, relativement à u n capital de 3 milliards, est d'un quarantième dans la première s u p p o s i t i o n , et d'un s o i x a n tième dans la seconde. Ainsi l'habitant planteur dont la propriété, ple,

valait

un million,

n e recevrait p o u r

par e x e m sa

quote-

part que 25 mille o u 1 6 , 6 6 0 ; et celui dont le capital ne s'élevait qu'à 100 m i l l e , 2 , 5 0 0 ou 1 , 6 6 6 ; c'est-à-dire, dans le p r e m i e r cas p o u r tous d e u x , d e u x et demi p o u r cent de leurs c a p i t a u x , et dans le s e c o n d , u n et demi p o u r cent ; e t , si les païemens devaient se p r o l o n g e r p e n dant dix ans c o n s é c u t i f s , ils recevraient annuellement u n e s o m m e de 2 , 5 o o fr. jusqu'à celle de 1,666 au plus. Ces quotes-parts seraient moitié o u deux tiers moindres si o n les calculait

d'après la d i m i n u t i o n survenue

dans

les

biens-fonds et dans leur état de dépérissement actuel. Dans cette répartition n o u s a b a n d o n n o n s aux c r é a n ciers de la colonie 5o o u 25 millions de fr. ; mais n o u s la croyons trop forte d'après les considérations m e n t i o n nées c i - d e s s u s , soit par r a p p o r t aux revenus, soit par r a p port aux capitaux. Car enfin est-il juste q u e, nous c o l o n s , nous supportions presqu'à nous seuls toutes les pertes et tous les malheurs résultans de la révolution, c o m m e cela serait immanquable si nous restions grevés de la totalité de nos engagemens c o m m e o n le d é s i r e , o u m ê m e d'une portion incompatible avec tout plan de rétablissement f u tur ? Faut-il que nous soyons en tout temps les seules et


278 les principales victimes,

lorsque ce sont les décrets des

assemblées nationales et les actes de ses agens réunis avec une secte nouvelle,

qui ont porté parmi nous la dévasta-

tion et la m o r t , et o n t , depuis ces j o u r s de deuil et de misère universels, fait peser sur nous u n e main de f e r ? Je livre cette réflexion à l'examen impartial et à la justice éclairée de tous c e u x qui nous l i r o n t . Si l'on supposait ici quelques erreurs o u de l'exagération

dans

la

supputation

manufacturières

et

autres,

de nos

nos

richesses

raisonnemens

territoriales n'en

,

seraient

pas moins concluans ; c a r , p o u r lors, au lieu d'une perte de 95 p o u r c e n t , elle serait toujours au rabais de 75 ; ce qui entraîne une spoliation scandaleuse de la part de tous ces usurpateurs et détenteurs de nos propriétés. A c t u e l l e m e n t , j e demande si c'est là e u général

une

mesure équitable q u ' o n puisse proposer à u n e grande n a tion qui a le sentiment de sa force et de sa dignité ? Si en l'effectuant, elle pourrait nous dédommager de la perte de S a i n t - D o m i n g u e , de tous les avantages attachés à sa possession ; et s i , s u r t o u t , elle ferait disparaître les c o n sidérations importantes, politiques et morales,

commer-

ciales et européennes que nous nous sommes efforcés d e présenter dans tout le cours de cet écrit ? M a i s , diront de plus toutes les personnes indifférentes o u désintéressées,

vaut-il encore m i e u x

recevoir

cette

indemnité que rien d u tout. O u i , répondrais-je, n'ayant égard qu'à cette seule c o n s i d é r a t i o n , si elle devait nous être payée s u r - l e - c h a m p . Mais c o m m e les chefs nègres et mulâtres p r e n d r o n t vraisemblablement plusieurs années p o u r s'en acquitter, dix, vingt ans, n'ayant pas u n e p a reille somme ni un revenu équivalent à leur disposition , il

est

bien

évident

que

nous

n'aurions

aucune

garantie

p o u r l'exécution des engagemens c o n t r a c t é s , et q u e d e leur n o n - a c c o m p l i s s e m e n t ce sera le g o u v e r n e m e n t , s'il


279 sanctionne ces engagernens , q u i deviendra notre caution et notre débiteur,

au défaut de ces premiers.

Ces dernières expressions nous ramènent forcément à u n examen présenté dans u n e de nos objections p r é c é dentes, et qui se rattache à la question actuelle. Si le gouvernement abandonnait définitivement et sans éclat sa souveraineté sur S a i n t - D o m i n g u e, o u s'il agissait simplement dans u n esprit semblable, sans l'avouer o u v e r tement, il est évident qu'il ne peut plus y exercer aucun d r o i t , et dès-lors toute autorité et toute loi coërcitive de sa part disparaissent. Si,

sans l'avouer,

il en suspend

momentanément et tacitement l ' e x e r c i c e , il s'ensuit, par la m ê m e r a i s o n , q u e lotis les intérêts et tous les droits q u i s'y rapportent sont également suspendus, n e pouvant être réclamés ni exercés par personne pendant ces m o m e n s de surséance, qui doivent être considérés c o m m e u n répit de la justice ordinaire. Dans ces diverses situations, u n c o l o n qui serait pressé par quelques créanciers serait f o n d é , ce m e semble, à lui dire : Allez réclamer à S a i n t - D o m i n g u e auprès des nègres et mulâtres qui sont en possession de nos propriétés ; car c'est là o ù est tout à la fois votre t i t r e , votre g a g e ; il n'existe q u e là et ne peut exister ailleurs. Vos l o i s , ajouterait-il, sur l'abolition de la t r a i t e , sur celle de l'esclavage , quant à Saint-Domingue au moins , par le fait si ce n'est de droit ; celles qui ont permis l'envahissement des propriétés et leur conservation entre les mains de cruels ravisseurs sans q u ' a u c u n e autorité se soit efforcée jusqu'ici de les leur a r r a c h e r , n o u s ont mis hors de cause et de toute j u r i d i c t i o n en anéantissant les actes a n térieurs, tout cet ancien o r d r e de choses q u i servait de base et de garantie à tous les droits. Si vous croyez q u e vos r é clamations seraient rejetées par ces usurpateurs q u i se sont emparés également de tous les pouvoirs avec violence et par des massacres, demandez, p o u r l o r s , l'appui du g o u -


280 v e r n e m e n t de la m é t r o p o l e , q u i vous doit l'intervention de son a u t o r i t é , o u, si elle est dédaignée, celle de la f o r c e p o u r le recouvrement de vos créances ; car quant à m o i , c o l o n,

je n'ai p u m'engager envers vous au-delà de ma

p r o p r i é t é , qui forme le litre primordial de notre contrat et de nos obligations m u t u e l l e s , é t a n t , en o u t r e ,

dé-

p o u r v u de tout m o y e n possible de m e l i b é r e r ; les é v é nernens m'ayant réduit à u n état d'indigence voisin de la misère. Si vous voulez cependant m'y c o n t r a i n d r e , m e t tez-moi d o n c dans une situation à p o u v o i r

m'acquitter

envers vous. Si enfin le g o u v e r n e m e n t , par u n acte authentique, venait à faire l'abandon de sa souveraineté, soit par u n traité o u de toute autre m a n i è r e , en traitant surtout d'égal à égal avec des esclaves et des affranchis, c o m m e le v e u lent u n e foule de révolutionnaires,

au mépris de notre

pacte originel o u tacite, en contravention manifeste de nos

obligations réciproques et sacrées,

cimentées par

toutes nos lois subséquentes et par u n e durée de près de d e u x siècles, nous serions p o u r lors fondés à réclamer de cette m ê m e autorité souveraine la valeur entière de nos propriétés. C a r , en faisant l'abandon de sa souveraineté, elle ne peut souffrir n i p e r m e t t r e , encore moins c o n s a c r e r , par son aveu o u son s i l e n c e , l'envahissement p e r pétuel des propriétés particulières, sans une valeur a d é quate ; propriétés particulières respectées et garanties en faveur d'étrangers m ê m e par tous les traités, et en sont devenus u n des articles premiers et p r i n c i p a u x . Elle peut encore moins nous obliger à aller vivre désormais sans sécurité et sans protection tutélaire sous la domination de nos anciens esclaves et affranchis, sous cette d o m i n a tion africaine et b a r b a r e ; e t , en nous forçant ainsi, par tous les motifs de sûreté et de considération p e r s o n n e l l e , d'honneur et de dignité nationale, à abandonner cette s e -


281 Ponde patrie créée par n o u s et par nos ancêtres, elle nous doit la rétribution de tous nos travaux,

de toutes nos

avances, dont elle n o u s avait explicitement garanti la p o s session et le maintien i m p e r t u r b a b l e , depuis notre origine première jusqu'à l'assemblée constituante inclusivement, et sanctionné de n o u v e a u à cette é p o q u e . Si l'autorité de cette dernière n'a p u être m é c o n n u e , si elle a été louée et exaltée, ainsi q u e plusieurs de ses institutions, par u n e grande majorité de la n a t i o n , conservant e n c o r e des p a r tisans dans une portion m ê m e éclairée ; celle qui date de notre établissement et exclusivement jusqu'à l'époque f a tale de la p r o m u l g a t i o n des lois d u corps législatif et de la convention,

tous m e m b r e s factieux o u régicides à p e u

d'exception p r è s ; celle-là, dis-je, qui date de notre p r e mière origine, hommages,

a plus de droit à notre respect et à nos

doit être rappelée et ratifiée de nouveau par

tous les Français amis de la m o n a r c h i e et de la légitimité, par tous ceux enfin q u i sont animés de l'honneur,

de la

dignité nationale, et de tous les grands intérêts qui se rattachent à cette cause sacrée. A i n s i , nous sommes fondés à c o n c l u r e , si on persiste à croire convenable et j u s t e , n'importe par quel m o t i f , à ce que nous fassions l'abandon de nos propriétés aux n è gres et aux mulâtres, qu'ils nous en paient d o n c toute la v a l e u r ; et l'autorité l a v o i r p r o u v é,

nationale,

comme nous

croyons

n e peut se dispenser de l ' o r d o n n e r , d'en

faire un article impératif dans son traité o u accord,

d'en

forcer l'exécution et de s'en rendre garant. Si ces p r o p r i é tés ont subi u n e détérioration et u n déchet par la révolte et l'affranchissement des esclaves, et par toutes les destructions qui s'en sont ensuivies, auxquelles nous sommes étrangers, il resterait toujours,

malgré tous les r e t r a n -

chemens possibles, u n milliard auquel nous aurions u n droit incontestable et vraisemblablement une s o m m e plus


282

considérabl3e, p e u t - ê t r e d e u x m i l l i a r d s , si nous a d o p tions les calculs de M . G a n i l h . P o u r q u o i d o n c et sur quel p r i n c i p e n o u s , en frustreraito n ? O n n o u s dira sans doute qu'ils sont dans l'impossibilité de s'en l i b é r e r . Mous le c r o y o n s sans p e i n e , c o m m e tout autre équivalent qu'ils n o u s offriraient. M a i s , p o u r lors,

en rappelant tous les faits et les raisonncmens sur

lesquels n o u s n o u s sommes appuyés,

difficiles à d é t r u i r e ,

n o u s d i r o n s , puisque cette impossibilité est d é m o n t r é e , rétablissez-nous d o n c dans la pleine possession de ces p r o priétés, aussi illégalement q u e scandaleusement et atrocement envahies; envahissement contre lequel n o u s n e cesserons de réclamer avec toute la f o r c e dont n o u s sommes c a p a b l e s , aucune p r e s c r i p t i o n , aucune décision h u m a i n e , si elle n'est fondée sur u n p r i n c i p e d e j u s t i c e , n e p o u vant jamais prévaloir n i invalider contre n o u s , puisque n o u s n'avons cessé, en tout temps et en toute o c c a s i o n , de protester contre cet injuste envahissement et la tyrannie exercée envers n o u s tous c o l o n s . Sans nous arrêter d o n c plus l o n g t e m p s sur cette difficulté r é e l l e , p r o u v o n s q u e l'obligation résultante d'une i n d e m n i t é q u e l c o n q u e sera constamment éludée par les chefs nègres et m u l â t r e s , n e sera jamais e x é c u t é e , et qu'elle est par s o i - m ê m e inexécutable. C'est attaquer, ce m e s e m b l e , ce projet dans sa racine et le renverser de f o n d en c o m b l e . Dans nos sociétés p e r f e c t i o n n é e s , les engagemens entre particuliers seraient souvent é l u d é s , si les parties c o n tractantes, o u au moins u n e d'elles, n'avaient pas p o u r caution et p o u r garanties c e r t a i n e s , et l'autorité, l ' i n d é p e n d a n c e des tribunaux,

et leur f o r c e coactive, d o n t e n -

c o r e souvent les débiteurs de mauvaise foi se jouent par les délais et les subterfuges d'une p r o c é d u r e c o m p l i q u é e et chicanière. C o m m e n t espérer q u e des engagemens r e -


283 latifs à des indemnités recevront leur

accomplissement

dans u n e colonie o ù les autorités seraient c o n t r e n o u s , c o m p o s é e s , en o u t r e , d'hommes ignorans asservis à u n intérêt constant et de tous les j o u r s , d o n t les décisions n e seraient combattues par aucun défenseur ni protecteur r e c o n n u sur les lieux m ê m e s , o ù , s'ils étaient a d m i s , leurs v o i x seraient facilement écartées et dédaignées ? D e p l u s , si les h o m m e s de c o u l e u r , dans le développement actif que présentait autrefois S a i n t - D o m i n g u e dans toutes ses branches d'industrie, n'ont jamais p u acquérir

par

e u x - m ê m e s , c o m m e il est de f a i t , aucune propriété ( e t cette m ê m e incapacité e x i s t e , j e c r o i s , dans toutes les A n tilles) ; si celles qui leur ont été transmises par des

fidéi-

c o m m i s , q u e n o s lois r é p r o u v a i e n t , et par des ventes s i mulées au détriment parfois d'héritiers l é g i t i m e s ,

ont

toutes, à peu d'exceptions près, périclité entre leurs m a i n s , comment

se flatter qu'aucun d ' e u x ,

e n c o r e m o i n s des

n è g r e s , p o u r r o n t les faire fructifier avec ce degré d'activ i t é , de persévérance et d'efforts ,

avec cette intelligence,

cette p r é v o y a n c e et cette é c o n o m i e q u e nécessite le p a i e m e n t d'obligations q u i leur enlèveront u n e p o r t i o n p l u s o u moins considérable de leurs r e v e n u s ? C o m m e n t s u p poser qu'ils t r o u v e r o n t u n excédant sur des propriétés dévastées, qu'ils n'ont et n e p o u r r o n t jamais r e l e v e r , et o ù ils ne f o n t , à p r o p r e m e n t parler, q u e g l a n e r ? sur des propriétés qu'ils ne cultivent e n c o r e q u e f o r c é m e n t , avec leur insouciance et leur apathie a c c o u t u m é e s , sans aucune de ces machines dispendieuses et de ces capitaux i n d i s p e n sablement nécessaires p o u r u n e exploitation en grand, les seuls vraiment productifs dans les c o l o n i e s ,

et par le

m o y e n desquels ils pourraient s'acquitter d'engagemens o n é r e u x ? C o m m e n t enfin supposer qu'ils sont et seront d i f férons de toutes leurs associations l i b r e s , situées sur les confins de nos possessions, o ù ils préfèrent de subvenir à


284 leur subsistance et à leurs besoins les plus pressans par la p ê c h e , la chasse et par des m o y e n s irréguliers en tout genre q u e par la culture des terres ; lorsque surtout cette culture ne se borne pas à planter simplement des vivres , travail

léger

et

de

quelques

heures,

qui

ne

demande

ni

s o i n , ni prévoyance, ni capitaux, mais réclame au c o n traire des avances, des combinaisons et des travaux p é nibles et c o û t e u x, q u i se répètent sans interruption dans tout le cours d'une longue année ? Cette dernière explication r é p o n d v i c t o r i e u s e m e n t , ce m e s e m b l e , aux projets manifestés par certaines p e r s o n nes, d'accorder des millions aux chefs nègres et mulâtres actuels p o u r s'acquitter des indemnités à allouer aux c o l o n s , et m ê m e, dit-on, des 2 o u 3 o o millions de fr. par des n é goeians français et anglais, à l'eûet d'opérer le rétablissem e n t c o m p l e t des propriétés et la liquidation de tous les engagemens africains passés, présens et futurs envers qui de d r o i t , M . le comte de B * * * , officier distingué et sur la véracité duquel o n ne saurait élever aucun doute fondé ni r a i s o n n a b l e , m'a assuré q u ' u n individu n o m m é D u r a n d de C r e t e l l e , lui avait été adressé p o u r être r e c o m m a n d é auprès d u gouvernement ; mais malheureusement p o u r lui il est arrivé après le départ de la députation de S a i n t D o m i n g u e et la rupture des négociations. Cependant M . le comte de B***, en s'entretenant avec cet individu,

lui

demanda quelles étaient les personnes, les moyens qu'elles possédaient et les assurances qu'elles pourraient d o n n e r de la certitude de leurs prêts en faveur de toutes les classes. 11 r é p o n d i t sans hésitation, j e n e saurais avoir doute à cet égard, p u i s q u e

c'est m o i - m ê m e,

aucun

monsieur,

qui offre 80 millions de francs, p o u r être répartis entre les colons. Si tous ces prêteurs aventureux sont sincères dans leurs offres, c o m m e j e veux bien le croire, les c o l o n s , dont l ' i n -


285 d u s t r i e , l'activité et l'intelligence sont évidentes et ont été constatées d'une manière irrécusable par la prospérité

et

la splendeur de S a i n t - D o m i n g u e , surpassant de b e a u c o u p celles de toutes les autres possessions étrangères,

sans

aucune exception; ces colons offrent à tous les spéculateurs et capitalistes, de b o n n e f o i , des garanties el des sûretés sous le g o u v e r n e m e n t l é g i t i m e , sous ce gouvernement t u télaire et réparateur de tous les e x c è s , b i e n autrement certaines sans d o u t e que celles des chefs nègres et m u l â tres actuels, avec des attributions de pouvoirs i n c o m p a tibles avec tout ordre p e r m a n e n t , tout crédit p o s s i b l e , toute prospérité présente et future. Ces g e n s , qui ont constamment r o m p u et violé tous les accords et traités c o n c l u s avec e u x , n e seront jamais amenés à remplir des contracts c o m m e r c i a u x o u des traités, encore moins des obligations leur

morales,

sans u n e

f o r c e coactive hors d e

p o u v o i r et de leur j u r i d i c t i o n,

impossible n é a n -

moins à établir avec l e u r indépendance et souveraineté a b s o l u e , o u m ê m e modifiée sous des apparences illusoires. Insister plus long-temps sur cette p r o p o s i t i o n , ce serait d o n n e r u n démenti à l ' e x p é r i e n c e , et présenter u n v é r i table contre-sens et u n e absurdité palpable. Ainsi d o n c , si ces prêteurs aventureux croient p o u voir offrir,

avec u n e assurance pleine et e n t i è r e , des

crédits aussi considérables, aux chefs nègres et mulâtres actuels, dans l'état de désordre et d'insécurité que présentent évidemment ces derniers dans toute leur administration,

aperçue par tout h o m m e éclairé et i m p a r t i a l , ils

s empresseront sans doute de l'effectuer et de les réaliser envers les colons,

ces êtres industrieux et m o r a u x soumis

impérativement aux l o i s , à l'autorité judiciaire et e x é c u tive de la m é t r o p o l e , desquelles ils ne sauraient s'affranchir en aucun temps. Si ces capitalistes prêteurs s'y refusaient, c'est que p o u r lors ils nous t r o m p e u t , o u ils s ' a b u s e n t , o u


286 n e sont pas de b o n n e foi avec e u x - m ê m e s . T o u t les engage, j e ne parle ici que de l e u r seul intérêt et n o n de cet amour de la patrie, de la prospérité et de la gloire n a t i o n a l e , à d o n n e r la préférence aux colons et à la désirer sincèrem e n t ; car les nègres et la horde q u i h a b i t e n t S a i n t - D o m i n g u e , conduits m ê m e par des mulâtres, d o n t le règne m o mentané

aura bientôt u n t e r m e , n e sont et n e seront

jamais que ce que nous présentent toutes leurs associalions l i b r e s , passées et présentes. Ne v o y o n s - n o u s pas déjà en effet qu'ils se montrent à S a i n t - D o m i n g u e tels qu'ils nous ont apparu dans tous les temps ? N e voyons-mous pas qu'ils ne peuvent et n e sauraient se contenter de leurs p r o d u c t i o n s qui leur paraissent insuffisantes o u indifférentes, préférant de se livrer au métier de pirate, enlevant sur leurs côtes et dans les p a rages voisins les bâtimens marchands et massacrant les é q u i p a g e s , pillant également et parfois les cargaisons et les personnes q u i ont la sotte crédulité d'aller

trafiquer

chez e u x ? Et lorsque leurs courses auront été infructueus e s , o u les charges résultantes de leur police ne p o u r r o n t être acquittées, o u lorsque le désir d u pillage se r e n o u v e l lera en e u x , o u q u e la famine se fera ressentir par le d é faut d'une culture soignée o u par quelques calamités q u i leur enlèveront les productions spontanées de la n a t u r e , o n les verra faire main-basse sur tous les E u r o p é e n s , c o m merçans et autres personnes résidant sur le s o l , se saisir ensuite des navires et des cargaisons,

des marchandises et

des denrées entreposées, et de tout ce qui leur paraîtra e n fin avoir u n e valeur q u e l c o n q u e . Plusieurs gouvernemens, et particulièrement celui

des

A n g l o - A m é r i c a i n s , se sont déjà plaints des excès et des violences commises envers leur c o m m e r c e en général et leurs concitoyens en particulier ; et ce dernier, par l ' e n voi de bâtimens armés,

a v o u l u tirer une sorte de v e n -


287 geance o u de satisfaction à laquelle il n'a p u atteindre, par le désir sans doute de vouloir conserver ses relations c o m m e r c i a l e s , et malgré une sorte d'accord arrêté entré e u x , et la présence continuelle de quelques a g e n s , sous le n o m de c o n s u l s , accrédités auprès de ces nouveaux b â chas et souverains prétendus. Quelles seront d o n c l'influence et l'autorité que pourra véritablement exercer-le g o u v e r n e m e n t de la m é t r o p o l e en faveur des colons et de son c o m m e r c e privilégié ? Q u e l l e sera la garantie qu'il p o u r r a offrir à la nation entière et aux divers intéressés p o u r l'exécution des engagemens contractés ? Q u e l s m o y e n s p o u r r a - t - i l e m p l o y e r autre q u e celui de la f o r c e , si toute soumission et reconnaissance de nos droits deviennent impossibles contre une peuplade aussi i r r é g u l i è r e , q u ' o n n'a jamais p u lier par aucune concession n i par aucune faveur,

q u i les ont c o n s t a m -

ment violées avec de n o u v e a u x outrages et de nouvelles violences,

tant envers les colons et les étrangers q u ' e n -

vers leurs gouvernemens respectifs,

c o m m e l'histoire de

S a i n t - D o m i n g u e ne le constate q u e trop malheureusement ? d'une peuplade enfin q u i , livrée à e l l e - m ê m e , n e se soumettra jamais au droit p u b l i c de l ' E u r o p e et à toutes ses lois régulatrices, ne connaissant q u e l'empire de la f o r c e , dont les usages, les m œ u r s et les coutumes n e sont fondées q u e sur cette loi p r e m i è r e de la nature et des peuples barbares ? C'est d o n c vouloir s'aveugler v o l o n t a i rement et au mépris d'une expérience constante et de tous les t e m p s , de croire que,

sous les vaincs formalités d'un

hommage-lige et de prestation de s e r m o n s , elle et ses chefs reconnaîtront et se soumettront franchement à l ' e m pire de la métropole et de son p r i n c e l é g i t i m e , e x é c u t e ront réellement et fidèlement les conditions de leur d é pendance relative et celles q u i auraient p o u r objet d e s intérêts p u r e m e n t individuels.


288 E n supposant enfin q u e cette souveraineté, tout idéale, fût constamment respectée et pût protéger efficacement les individus et les droits d u c o m m e r c e , est-il d o n c c o n v e nable d'établir dans la principale des Antilles, au milieu de ce grand archipel européen et civilisé,

u n e puissance

n o i r e et libre avec des attributions et des droits qui sont en o p p o s i t i o n , en contraste direct avec tout le système c o l o n i a l , admis et suivi encore par les grandes puissances maritimes, maîtresses de ces contrées avec la plénitude du p o u v o i r suprême ? U n e seule de ces puissances a-t-elle le droit de changer et d'altérer ses rapports constitutifs, ses bases fondamentales sans le consentement unanime ; l o r s q u e surtout ces changemens et ces altérations ne peuvent m a n q u e r de p r o d u i r e , c o m m e ils ont déjà p r o d u i t , u n e subversion totale et u n embrasement général ? Peut-elle m ê m e,

dans son intérêt prétendu, nuire à l'intérêt g é n é -

ral, et c o m p r o m e t t r e é g a l e m e n t , sous le m ê m e p r é t e x t e , la sûreté et l'existence de ses autres possessions soumises encore à toute l'étendue d u régime colonial ? La f e r m e n tation qui règne déjà à la Martinique, à la Guadeloupe , ne une

sera-t-elle

pas

commotion

instruits q u e

augmentée, inévitable,

ceux

et

ne

lorsque

produira-t-elle les nègres

de S a i n t - D o m i n g u e

pas

seront

sont enfin r e -

c o n n u s par l'autorité supérieure et légitime,

possesseurs

libres et maîtres souverains d'une colonie e u r o p é e n n e ? N e sont-elles pas f o n d é e s , ces puissances maritimes, à r é c l a m e r , par la voie des négociations o u par u n langage plus énergique e n c o r e , ces seuls principes

le maintien

d'administration

imperturbable et

de

de

gouverne-

m e n t qui n e peuvent être abandonnés u n seul m o m e n t , par u n e seule d'entre e l l e s , sans que les autres ne soient sur-le-champ exposées à u n danger réel et i m m i n e n t ? N e sont-elles pas f o n d é e s , au c o n t r a i r e , à consolider de plus en p l u s , et par u n nouveau p a c t e , ces seuls principes qui


289 o n t fertilisé u n sol agreste et sauvage, d o n n é u n nouvel accroissement d'industrie et de richesse dont u n état ne peut déchoir sans p é r i l , i m p r i m é un nouveau m o u v e m e n t et une nouvelle vie dans toutes nos relations sociales d ' i n dividu à individu, de peuple à p e u p l e ? L e u r intervention n e serait-elle pas aussi régulière et aussi l é g i t i m e , p e u t être aussi indispensablement nécessaire au maintien d u repos el de l'ordre publics, p o u r l'intérêt et le b o n h e u r de l ' E u r o p e et d u m o n d e commercial en général, que celle d o n t on a fait usage contre un seul h o m m e et en faveur d'une portion de l'Europe seulement ? Et ces différences résultant d u n o m b r e , de l'étendue el de l'importance des objets qui embrassent dans leur universalité les intérêts des deux continens et du m o n d e c o m m e r c i a l , ne sont-elles pas les signes caractéristiques de cette j u s t i c e , de cette haute sagesse politique el de ces considérations morales supérieures, d o n t l'application intéresse si essentiellement tous les Européens et leurs gouvernemens ( 1 ) ? Mais il est pénible et d o u l o u r e u x de dire q u e la puissance maritime qui a acquis le plus d'influence et de p r é p o n d é rance dans cette lutte g é n é r a l e , loin d'employer

cette

influencc au retour et au maintien des principes c o l o n i a u x ,

(1)« L ' i n f l u e n c e q u e les c o l o n i e s n ' o n t cessé d ' e x e r c e r s u r la p o l i t i q u e d e s m é t r o p o l e s , fait de l e u r h i s t o i r e u n e p a r t i e n é c e s s a i r e de c e l l e d e l ' E u r o p e m o d e r n e . N o n - s e u l e m e n t t o u t le c o m m e r c e d e l ' E u r o p e , m a i s e n g r a n d e p a r t i e son s y s t è m e d ' é c o n o m i e p o l i t i q u e se s o n t t r o u v é s liés à l e u r e x i s t e n c e ; et l ' i m p o r t a n c e q u ' i l s o n t e u e d a n s la p o litique impose l'obligation d'une continuelle attention à l'histoire d e s c o l o n i e s, s e u l e c a p a b l e de p o r t e r la l u m i è r e s u r c e l l e de la p o l i tique lequel,

européenne. dans

un

» cadre

(Extraitdu

Manuel

très-resserré,

a

Historique donné

de

M.

l'histoire

des

Hecren trois

,

der-

n i e r s siècles, j u s q u ' à la c h u t e d e B o n a p a r t e, a fait c o n n a î t r e t o u s l e s é v é n e m e n s i m p o r t a n s e u r o p é e n s et c o l o n i a u x a v e c u n e e x a c t i t u d e s c r u p u l e u s e j o i n t s à d e s r é f l e x i o n s aussi j u s t e s q u e p r o f o n d e s . )

19


90

2

les a attaqués en quelque s o r t e , en portant obstacle à leur développement futur par la suppression de la traite. Il est e n c o r e plus pénible de dire q u e toute cette politique intéressée estfondée sur l'unique but de contrarier et de retarder l'industrie des colonies étrangères et surtout de celles d e la F r a n c e , d'empêcher celle-ci de r e p r e n d r e son rang p a r m i les nations c o m m e puissance maritime du p r e m i e r o r d r e , puissance plus nécessaire au repos et au maintien de l'équilibre sur les mers que celle sur le continent. Elle a p o u r b u t de détourner cette dernière du chemin qui la ramènerait vers les sources de ses anciennes richesses et prospérités passées,

ces immenses produits

coloniaux,

aujourd'hui presque nuls et s'élevant autrefois à plusieurs centaines de m i l l i o n s , créant de nouvelles valeurs et f o u r nissant de nouveaux

emplois aux

qu'elles mettent en activité,

capitaux

productifs

d o n n a n t des occupations d i -

rectes à plusieurs millions d'hommes au sein de la m é t r o p o l e,

vivifiant

toutes les p r o d u c t i o n s d u s o l ,

donnant

naissance aux manufactures et à de nouvelles branches de c o m m e r c e , encourageant et assurant en tout temps leurs produits et leur c o n s o m m a t i o n par leurs échanges avec les productions coloniales,

augmentant

et agrandissant les

p o r t s , les villes maritimes et tous ces grands entrepôts de c o m m e r c e , multipliant les bâtimens de transport et les convois sur toutes les m e r s , les protégeant par ses flottes et ses escadres (1) , par son pavillon flottant majestueuse-

(1) Je me suis embarqué en l'année 1782 pour Saint-Domingue , sur un bâtiment de commerce faisant partie d'un convoi de cinq cents voiles, escorté par vingt-cinq vaisseaux de ligne, par p l u sieurs frégates,

avisos et mouches. Ces convois se renouvelaient

plusieurs fois l'année, tant pour le départ que pour le retour, indépendamment de tous les bâtimens aventureux. Quelle immense richesse, n'était pas renfermée dans la capacité de ces bâtimens,

et


291

m e n t et avec sécurité dans l'empire des orages, répandant e n û n la vie et la prospérité dans toutes les parties du c o r p s social. Sans la mise en activité de tous ces moyens i n d u s triels,

agricoles, manufacturiers et c o m m e r c i a u x , et plus

encore sous le rapport de ce d e r n i e r , force créatrice et seul intermédiaire des échanges et de nos relations c o m m u n e s , les états n e peuvent plus a u j o u r d ' h u i , d'après le système généralement

adopté,

p r o s p é r e r ni

prétendre

exercer une puissance réelle et durable. La perte de S a i n t D o m i n g u e et l'affaiblissement de nos autres possessions, n'ont pas été moins fatals q u e les événemens désastreux survenus au sein de la F r a n c e m ê m e pendant sa tourmente révolutionnaire. R e m a r q u o n s en outre que toute cette politique intéressée de l ' A n g l e t e r r e , n'existe et n'a pris une consistance fixe et durable que depuis la suppression de la traite,

la-

quelle encore doit être attribuée en grande partie et u n i quement peut-être à la secte soi-disant p h i l a n t h r o p i q u e , à son influence croissante dans la c h a m b r e des c o m m u n e s ,

d o n t le p r o d u i t a été p e u t - ê t r e p l u s q u e d o u b l é p a r l ' é c h a n g e d e s p r o d u c t i o n s c o l o n i a l e s , et p a r l e u r v e n t e c h e z l ' é t r a n g e r ! Q u a n d le commerce maritime français, présentera-t-il u n pareil exemple à l ' é t o n n e m e n t et à l ' a d m i r a t i o n des d e u x m o n d e s ? Rien

s a n s d o u t e n e m o n t r e p l u s la p u i s s a n c e et le g é n i e

de

l ' h o m m e , n e c o n t r i b u e a u t a n t à la g l o i r e , à la p r o s p é r i t é et à l a s p l e n d e u r d ' u n e n a t i o n,

q u e cet e m p i r e e x e r c é s u r les d e u x

élé-

m e u s les p l u s i n c o u s t a n s et les p l u s i m p é t u e u x d e la n a t u r e, q u ' i l est p a r v e n u , p a r s o n i n t e l l i g e n c e , à m a î t r i s e r e n les f o r ç a n t à r e c o n n a î t r e et à fléchir s o u s sa d o m i n a t i o n s u p e r b e ; e n m ê m e

temps

qu'il parvient par leur aide, dirigé par son habileté, à franchir tout l ' i n t e r v a l l e q u i s é p a r e u n p ô l e d e l ' a u t r e, à p a r c o u r i r la c i r c o n f é r e n c e e n t i è r e d u g l o b e d a n s t o u t e s ses l a t i t u d e s , et à e n a t t e i n d r e l e s e x t r é m i t é s les p l u s i n a c c e s s i b l e s p o u r y d é p o s e r t o u s les g e r m e s d e la c i v i l i s a t i o n , d e la r i c h e s s e et de la g r a n d e u r f u t u r e peuples.

des


292 à celle surtout de son grand c o r y p h é e , l'illuminé W i l l h e force. Ce m ê m e parti n'a-t-il pas tenté tout récemment, par la m o t i o n d'un de ses membres ( m o t i o n dont nous e n treprendrons l'analyse à la suite de cet é c r i t , en forme d ' a p p e n d i c e , en cherchant à pénétrer et à d é v o i l e r , s'il nous est possible, les vues secrètes de ces novateurs ) , d ' é tablir en principe la nécessité de l'abolition de l'esclavage dans toutes les colonies sans e x c e p t i o n , en y procédant de suite et d'une manière graduelle ? Avant l'époque linale d e cette première m e s u r e , et pendant qu'elle était encore en discussion dans les deux c h a m b r e s , le ministère anglais n e s'était encore permis aucune déviation, u n seul écart dans le système colonial ; encore moins aurait-il souffert, à cette é p o q u e , qu'une m o t i o n incendiaire fût agitée au sein d u p a r l e m e n t , o u il l'aurait au moins et de suite écartée par u n e i m p r o b a l i o n formelle et énergique, avec les accens d'une juste indignation, au lieu d'y d o n n e r u n e sorte d'acq u i e s c e m e n t , en annonçant la possibilité de son exécution dans un laps de temps plus o u moins rapproché. E n effet, lors de son occupation de S a i n t - D o m i n g u e , n'a-l-il pas cherché avec le concours de ses forces militaires, de ses agens et de son o r , à rétablir l'ordre sur les habitat i o n s , à rappeler et à maintenir la servitude dans les quartiers o ù sa puissance était reconnue ? N'a-t-il pas combattu les révoltés, cherché à les s u b j u g u e r , à étendre sa domination par tous les genres de sacrifices et de moyens possibles? N'a-t-il pas conquis la Martinique et S a i n t e L u c i e,

dissipé les insurrections partielles qui s'y étaient

déjà manifestées, contenu les esclaves sous la domination de leurs maîtres, et les différentes classes de la société dans l'ordre et la s u b o r d i n a t i o n ? N'a-t-il pas remis ces c o n quêtes à Bonaparte dans un état de tranquillité et de p r o s périté assuré ? A - t - i l , par le traité d ' A m i e n s , insisté o u seulement insinué à ce que le système colonial fût ébranlé


293 ou interverti dans aucune de ses bases fondamentales ? N e l ' a v o n s - n o u s p a s v u , au contraire, au m o m e n t de ce m ô m e traité, accueillir aux îles d u V e n t le général la Crosse q u i venait d'être chassé par les mulâtres de la Guadeloupe d o n t ilétait gouverneur ; le secourir et l'assister en témoignant par ses proclamations son indignation contre ce b o u l e v e r sement général, sa volonté ferme et inébranlable à seconder les efforts de tout gouvernement protecteur de l'ordre et d u système colonial (1) ? N e l'avons-nous pas v u , aussitôt la notification de la paix et avant la signature du traité d é f i nitif, permettre à l'escadre française, portant nos troupes destinées p o u r l'expédition

de S a i n t - D o m i n g u e , de s'y

rendre ? complaisance qui a été hautement blâmée par les m e m b r e s de l'opposition des deux chambres du parlement. Ces m e m b r e s exprimèrent

leur mécontentement et le

danger extrême qui en résulterait p o u r leurs propres c o l o nies, dans le cas o ù la paix n e serait pas définitivement ratifiée. Ils avancèrent avec raison q u e dans aucune autre guerre une pareille faveur n'avait été accordée, q u e le temps

(1) P a r la p r o c l a m a t i o n s i g n é e la C r o s s e , L e s c a l l i e r e t C o s t e s , 3 d é c e m b r e 1801,

du

d a t é e d e R o s e a u, î l e d e la D o m i n i q u e , a p p a r -

t e n a n t a u x A n g l a i s , il p a r a î t r a i t q u e l e c a p i t a i n e - g é n é r a l la C r o s s e a v a i t été m i s à b o r d d ' u n v a i s s e a u d a n o i s a v e c o r d r e d e l e d é b a r q u e r à C o p e n h a g u e ; m a i s h e u r e u s e m e n t il f u t r e n c o n t r é p a r l a frégate anglaise,

le Tancir,

c a p i t a i n e W e s t o m . M . d e la C r o s s e

r é c l a m a sa p r o t e c t i o n , q u i l u i f u t a c c o r d é e s u r - l e - c h a m p , et à u n e é p o q u e o ù la s i g n a t u r e d u t r a i t é n ' é t a i t p a s e n c o r e c o u n u e .

Une

f r é g a t e f r a n ç a i s e , e n v o y é e p o u r a n n o n c e r q u e les p r é l i m i n a i r e s d e la p a i x a v a i e n t été s i g n é s , fut o b l i g é e d e se r a l l i e r a u x a u t o r i t é s f r a n ç a i s e s r é u n i e s a u R o s e a u . O n l e u r a c c o r d a de p l u s à elles t o u t e s , t o u j o u r s sous le b o n p l a i s i r d u g o u v e r n e m e n t a n g l a i s , les î l e s d é n o m m é e s les S a i n t e s p o u r l ' e x p é d i t i o n d e s b â t i m e n s m a r c h a n d s , e t p o u r p o u v o i r c o m m u n i q u e r a v e c les p e r s o n n e s a t t a c h é e s a u r e t o u r d e l ' o r d r e et d é s i r a n t d e r e n t r e r d e n o u v e a u s o u s la nationale.

puissance


294 qui s'écoulait entre la signature des préliminaires et u n traité définitif, devait être et avait toujours été considéré c o m m e u n e trêve honorable pendant laquelle aucune des puissances belligérantes n'avait le droit de faire des m o u v e mens militaires. L e lord P e l h a m , alors p r e m i e r ministre de la trésorerie, répondit que celte mesure était le résultat d'un accord fait entre les deux c o u r s , que la flotle avait u n e destination particulière q u i ne pouvait contrarier les intérêts de la G r a n d e - B r e t a g n e , d o n t la réussite lui serait m ê m e avantageuse, et tout devait porter à en désirer le succès

(1).

Si les vues et les principes du gouvernement

anglais

o n t depuis entièrement c h a n g é , s'il a adopté et suivi u n e direction et une marche diamétralement o p p o s é e s , on doit u n i q u e m e n t l'imputer aux efforts perse vérans de la secte négropbile dont les p r i n c i p a u x sectaires siégent au parlem e n t, jouissent peut-être de quelque influence auprès des chefs et administrateurs suprêmes de l'état, et aux mesures q u e ces premiers ont fait adopter à la législature entière et à celles qu'ils poursuivent e n c o r e au mépris de tous les droits. D e plus l'Angleterre en permettant o u souffrant que les sujets de ses colonies entretiennent des relations c o m m e r ciales avec des esclaves en r é v o l t e , les Etats-Unis

de

l ' A m é r i q u e d u n o r d en l'autorisant formellement par des espèces d'accords publics et l'envoi de consuls résidans sur les lieux mêmes, tous les gouvernemens enfin qui tolèrent o u connivent à cette c o m m u n i c a t i o n l i b r e , pouvant et devant l'empêcher ; tous ceux-là,

par leurs liaisons j o u r n a l i è r e s ,

politiques et commerciales, ne contribuent-ils pas é v i d e m -

(1) V o y e z les d é b a t s p a r l e m e n t a i r e s d e la fin d e 1 8 0 1 , e t c e u x d u commencement de l'année suivante.


295 m e n t à la perpétuité d u désordre et à l'indépendance de S a i n t - D o m i n g u e, l'encourageant et la fortifiant, lui d o n nant p a r l a de n o u v e a u x alimensi

1

N'établissent - ils pas

par ces moyens u n c o n d u i t s e c r e t , une chaîne d'électricité qui atteindra par degrés leurs p r o p r e s colonies ? N ' e n f r e i gnent-ils pas également par là et la justice et la loi des nations ? Que qui,

penser

après

même

s'être

du

occupé

gouvernement infructueusement

des des

États-Unis moyens

, de

réunir et de fixer sur q u e l q u e p o i n t inculte de son vaste territoire les nègres et mulâtres libres, de tout âge et de tout sexe,

renfermés dans son s e i n , vient d'ouvrir des n é g o -

c i a t i o n s , suivant les nouvelles des gazettes, avec les chefs nègres et mulâtres de S a i n t - D o m i n g u e , à l'effet de les engager à recevoir leurs déportés chez e u x ( 1 ) ? Q u ' e s t - c e qui peut autoriser ce g o u v e r n e m e n t , et sur quel p r i n c i p e d u droit des gens c r o i t - i l p o u v o i r s ' a p p u y e r , p o u r jeter v i n g t - c i n q , cinquante mille p e r s o n n e s , et peut-être da-. v a n t a g e , qui lui sont vraisemblablement à c h a r g e , SUE u n territoire étranger et sans l ' i n t e r v e n t i o n , sans l'autorisation de la puissance à laquelle ce territoire appartient ? L a F r a n c e a-t-elle d o n c , par aucun acte authentique, m a nifesté aux puissances, suivant les formes d i p l o m a t i q u e s , l'intention d e r e n o n c e r à sa souveraineté sur S a i n t - D o m i n g u e ? N'a-t-elle pas été au contraire r e c o n n u e et m a i n tenue dans cette légitime et indisputable souveraineté, par tous les derniers traités conclus entre les puissances e u r o péennes ? Et tant qu'elle n'a pas fait cette renonciation en f o r m e , qu'est-ce q u i p e u t disposer ainsi de son d o m a i n e , se j o u e r de ses droits et o p p o s e r

des obstacles,

autres

que c e u x de la conquête par suite d'une déclaration de g u e r r e , au ressaisissement de son p o u v o i r légitime ?

(1) Je parle d'une époque qui remonte à l'année 1 8 1 4 .


296 Cette politique par laquelle on a regardé S a i n t - D o m i n g u e c o m m e un pays v a c a n t , abandonné à l'exploitation d'une foule d'aventuriers, servant déjà de rendez-vous général aux corsaires et forbans de toute e s p è c e , qui viennent s'y réquiper et trafiquer de leurs pirateries avec des insurgés de toutes c o u l e u r s , c o m m e une contrée p e r d u e p o u r l'Eu r o p c et appartenant par u n droit légitime à la race n o i r e , érigée en puissance souveraine sous la nouvelle dénomination de Haïti qui ne lui a jamais appartenue; celle politique est de toutes la plus fausse, la plus meurtrière q u ' o n ait e n c o r e enfantée, et elle sera avec le temps également funeste p o u r tous les peuples policés. Car si l'on permet que Saint-Domingue soit g é n é r a l e m e n t r e c o n n u e et s'établisse en corps politique sous l ' a u torité a f r i c a i n e , se régissant par ses propres l o i s , toutes b a r b a r e s , sous la seule condition apparente d'une sorte de vasselage d'une nouvelle création, d'une foi et h o m m a g e en faveur d'une métropole

dont elle se j o u e r a ; o u si

s i m p l e m e n t , par u n silence et u n oubli c o u p a b l e ,

on

continue à l'abandonner à e l l e - m ê m e , en se contentant d'y faire quelques trafics mesquins, honteux et sans autre garantie q u e la police africaine ; s i , dis-je,

on permet

q u e S a i n t - D o m i n g u e continue à offrir ce spectacle scandaleux et dangereux aux Antilles et au m o n d e civilisé,

croit-

o n véritablement q u e les nègres des autres îles à s u c r e , tant françaises, anglaises, espagnoles,

e t c . , y seront t o u -

j o u r s insensibles el indifférens ? N e les e x c i t o n s - n o u s pas nous-mêmes sans cesse à la révolte par

cet exemple et

ce stimulant, soit que Saint-Domingue soit

absolument

livrée à elle-même, soit qu'elle soit reconnue c o m m e corps irrégulier et mal organisé,

et plus encore sous ce dernier

rapport que sous le premier ? Q u a n d ils v e r r o n t leurs semblables affranchis de toute dépendance p e r s o n n e l l e , reconnus c o m m e puissance politique et nationale par u n


2

97

acte émané de la plénitude d u pouvoir souverain,

et q u e

la force seule a justifié leurs excès et tous les crimes a u x quels ils se sont livrés et continuent à s'abandonner ; de quel droit et par quels m o y e n s c r o i t - o n p o u v o i r réprimer l'audace impatiente, le d é s i r , les espérances et les résolutions fondées de ces p r e m i e r s , j'ai presque dit légitimes, à s'affranchir

de toute

dépendance ? D e quel

droit et

par quels moyens espère-t-on éteindre ces désirs et cette sympathie

entre des individus habitant des îles qui se

t o u c h e n t , liés entre eux par les mêmes i n t é r ê t s , par la conformité de leur nature et par u n e origine c o m m u n e, et dont les mouvemens insurrectionnels paraîtront dès-lors excusables et peut-être fondés en r a i s o n , en droit et en justice ? D ' u n autre c ô t é , les nègres de Saint-Domingue n ' a u ront-ils pas u n m o t i f p a r t i c u l i e r , et par suite de cette disposition générale remarquée ci-dessus, à se répandre dans les îles environnantes, dont la l e u r , située au centre, f o r m e c o m m e u n foyer combustible et p e r p é t u e l , et à c o m m u n i q u e r cet esprit de révolte à la faveur duquel ils se sont livrés à leur penchant naturel ? N e les a v o n s - n o u s pas v u s , en effet, mettre déjà en fermentation et en r é bellion plusieurs de nos c o l o n i e s , par des agens secrets et d é v o u é s ? N ' a u r o n t - i l s pas des m o y e n s surabondans p o u r y parvenir, lorsqu'ils seront proclamés ordonnateurs suprêmes de leurs attroupemens africains, et pouvant se transporter, de leurs p e r s o n n e s , partout o ù ils le jugeront c o n v e n a b l e ? Et ces agens secrets et dévoués n e sontils pas déjà tout trouvés dans la classe entière des h o m m e s de couleur et nègres libres répandus dans toutes les îles , agens

intermédiaires

et

instrumens

actifs

de

toute

insur-

rection d'esclaves p a r l a c o n f o r m i t é des mêmes goûts, des

mêmes mœurs

et des mômes h a b i t u d e s , par les r a p p r o -

cheniens des liens d u sang et de l'amitié, par des intérêts


298 q u i , sans être entièrement semblables ne sont pas c e p e n dant différens p o u r le plus grand n o m b r e d'entre e u x ? N e s o n t - c e pas en effet ces nègres et mulâtres libres,

sur-

tout ces d e r n i e r s , et les preuves en sont multipliées et i r réfragables, qui ont été les premiers instrumens et les p r i n cipaux agens du soulèvement primitif des esclaves à SaintD o m i n g u e , en les subordonnant et en les c a p t a n t , qui les o n t conduits, vers,

avec leurs instigateurs et coopérateurs d i -

au m e u r t r e , au carnage et à toutes les horreurs

dont celte c o l o n i e a été souillée, et auxquels elle est e n c o r e malheureusement en p r o i e ? Ne sont-ils pas et n'ont-ils pas toujours été,

aussitôt que la révolte a acquis de la c o n -

sistance, depuis le f é r o c e R i g a u d , mulâtre affranchi, jusqu'au c h e f a c t u e l , les dominateurs suprêmes et

tyran-

niques des départemens de l'Ouest et d u Sud, et d u N o r d , depuis l'assassinat de Christophe ? N'ont-ils pas été les a u teurs p r i n c i p a u x et les exécuteurs les plus ardens des m a s sacres et de l'expulsion des c o l o n s , les usurpateurs les plus n o m b r e u x et les plus acharnés à l'envahissement de tous les genres de p r o p r i é t é s , les nègres marchant c o m m u n é m e n t sous leurs ordres, sous leurs enseignes sanglantes, e n simples instrumens à l'accomplissement de leurs projets. A r r ê t o n s - n o u s e n c o r e ici u n instant sur les événemens passés, lesquels semblables aux éclairs sont les avantc o u r e u r s de cette catastrophe h o r r i b l e dont les Antilles sont m e n a c é e s , et sous laquelle elles ne peuvent m a n q u e r d e s u c c o m b e r , si S a i u t - D o m i n g u e n e rentre pas sous la puissance immédiate de sa m é t r o p o l e , avec tous les droits, toutes les attributions d'une souveraineté indépendante et h é r é d i t a i r e , avec son h o n o r a b l e c o r t è g e , celui des p r o priétaires c o l o n s , sans le secours et l'autorité desquels on ne saurait se promettre aucun g o u v e r n e m e n t s o l i d e , a u c u n e subordination réelle et d u r a b l e , n i aucun genre de prospérité assurée.


2

99

La révolte projetée à la M a r t i n i q u e , la correspondance existante entre les h o m m e s de c o u l e u r de cette colonie et ceux de S a i n t - D o m i n g u e , la fermentation q u i règne déjà dans les ateliers des possessions françaises que les maîtres peuvent à peine apaiser, les révoltes qui ont eu lieu dans plusieurs colonies anglaises et tout r é c e m m e n t e n c o r e,

ne

sont-elles pas des indices certains de cet ouragan politique prêt à f o n d r e sur cette p o r t i o n d u globe ? Les armemens des n è g r e s , leurs courses et leurs p i r a t e r i e s , les saisies faites de plusieurs bâtimens a m é r i c a i n s , anglais et autres, dont ils ont massacré les équipages, malgré les forces stationnées dans ces parages, leurs correspondances et leurs machinations dans tout l'archipel o c c i d e n t a l , la r é u n i o n et la c o n c e n t r a t i o n à S a i n t - D o m i n g u e des forbans

de

toutes couleurs et de tous partis q u i l'ont déjà érigée,

en

quelque ne

sorte

sont-ils

,

pas

comme les

une

de

élémens

leurs

premiers

métropoles et

les

futures

véhicules

, de

cette explosion universelle ? C o m m e n t l'éteindre lorsque toutes ces îles s'ébranleront à la fois,

f o r m e r o n t des p u i s -

sances irrégulières et dévastatrices, plus pillardes et plus Cruelles que toutes celles

ensemble de l'ancien

hémis-

phère ? Et si les efforts des Anglais contre les Barbaresques ont échoué, sont devenus nuls o u insignifians, o u p o u r mieux dire plus funestes qu'utiles, puisque ces B a r b a resques,

en reprenant leurs c o u r s e s , o n t étendu leurs

déprédations j u s q u e dans le n o r d d u continent e u r o p é e n et dans des parages qui leur avaient été j u s q u ' i c i entièrement i n c o n n u s ;

comment

se

flatterait-on,

après

un

exemple si récent et si n o t o i r e , d e c o n t e n i r , de r é p r i m e r dans leur repaire ce n o u v e l essaim de b a r b a r e s , d o n t les dévastations, par leur position é l o i g n é e , privilégiée et c e n t r a l e , s'étendront sur tout le c o m m e r c e d u N o u v e a u M o n d e,

i n t e r r o m p r o n t o u entraveront toute c o m m u n i -

cation libre entre l'Europe et les d e u x continens a m é r i -


300 c a i n s , ainsi qu'avec leurs diverses dépendances ? Il ne s'agira plus alors p o u r nous, peuples de l ' E u r o p e , de notre domination aux Antilles ; notre empire aura disparu sans retour sous les flots de ces b a r b a r e s , leur autorité sera désormais assurée et i n e x p u g n a b l e sur ces contrées d é c o u v e r t e s , fertilisées et civilisées par le génie des arts, par u n e persévérance d'efforts et d'industrie durant plusieurs siècles ; et elles seront de nouveau rendues à la nature brute et sauvage, flétrie et dégradée de plus en p l u s , sous l'empire d'hommes stupides, barbares et dévastateurs: et voilà o ù nous auront conduits et cet oubli et cet a b a n d o n total de S a i n t - D o m i n g u e,

et ces attributions de p o u -

v o i r q u ' o n croit devoir accorder p o u r l'utilité c o m m u n e et sans aucun danger réel. Il n o u s semble q u e ces considérations sont de la plus haute i m p o r t a n c e, s'attachent à la politique la plus é l e v é e , intéressent les puissances maritimes et par u n e réaction sensible celles d u continent. Les n é g l i g e r , c'est se rendre c o u p a b l e , non-seulement envers les c o l o n s , mais e n c o r e envers tous les E u r o p é e n s ; c'est a b a n d o n n e r gratuitement leur c o m m e r c e ,

leur industrie et leurs droits les plus

sacrés

amélioration

pour

une

prétendue

et

chimérique

,

impossible à réaliser, et dont la réalisation même est et ne peut être que désastreuse p o u r c e u x en faveur desquels on la s o l l i c i t e ; c'est sacrifier de gaité de coeur une contrée acquise par la F r a n c e et cimentée par u n e possession d'un siècle et d e m i , qui l'a enlevée à la b a r b a r i e , et l'a c o n s t i tuée une contrée européenne, en y versant ses capitaux , son

industrie

et

tous

les

bienfaits

de

la

civilisation

mo-

derne ; c'est la sacrifier impitoyablement à u n e race étrangère, sans lumières et sans arts, q u i semble, par sa nature particulière

et par l'exemple q u e n o u s fournissent

ses

peuplades diverses, ne p o u v o i r jamais se constituer d'ellem ê m e ni se maintenir par ses p r o p r e s lois sous les formes,


301 et avec les attributs qui appartiennent à u n peuple policé et éclairé ; c'est enfin et en dernière analyse transporter l'Afrique tout e n t i è r e , avec ses lois et ses coutumes b a r b a r e s , au milieu des Antilles, au sein d'une population n o m b r e u s e , jadis si tranquille et si heureuse,

p o u r en

c o n s o m m e r la ruine et l'anéantissement. C o n c l u o n s d o n c hardiment que la souveraineté de la métropole sur S a i n t - D o m i n g u e , c o m m e les droits des c o lons en leur qualité de propriétaires et administrateurs de leurs biens,

ne sauraient être m é c o n n u s et délaissés sans

porter une atteinte directe à l'honneur et à la dignité n a tionale, sans blesser tous les principes d ' o r d r e , de justice et de protection dus à des c o n c i t o y e n s , à des c o m p a triotes. Et l'abandon et l'indifférence des puissances m a r i times p o u r cette possession précieuse, autrefois la reine des Antilles, o u leur consentement exprès o u tacite à ce qu'elle soit régie en toute propriété et souveraineté par les nègres et les m u l â t r e s , c o m m e puissance libre, indépendante et prenant son rang parmi les n a t i o n s , o u sous les vaines formalités d'une soumission apparente et d'un titre i l l u soire en faveur d'une métropole ; tous ces actes seraient autant d'attentats et de violences sacrilèges contre les lois de la société générale, contre le m o n d e commercial et la civilisation européenne, d o n t les résultats engendreraient plus de m a u x , de destructions et de crimes, qu'aucune de ces révolutions partielles dont l'histoire nous offre de toutes parts l'affligeant et le déplorable spectacle. Dans la supposition enfin que les droits de la métropole et ceux des c o l o n s , que l'exposition de toutes les vérités ressortissant de notre sujet, et dont nous avons présenté les développemens et les conséquences, ne fussent pas jugés un m o t i f suffisant ni déterminant p o u r s'emparer i m m é diatement de Saint - D o m i n g u e et la délivrer de l'anarc h i e , il est cependant une considération politique de la


302 plus haute i m p o r t a n c e , ce m e semble, q u i doit nous e n gager, n o u s forcer m ê m e à] n e pas hésiter u n seul instant sur la nécessité de cette r é o c c u p a t i o n . O n n e peut se le dissimuler, et les événemens d o n t nous s o m m e s j o u r n e l l e m e n t les tristes témoins le

constatent

a m p l e m e n t , q u e la révolution et les guerres continuelles q u i ont eu lieu depuis près de trente années,

ont laissé

u n e grande agitation dans les esprits, u n e activité sans b o r n e s et tourmentante.

Si cette agitation n'est

portée

au d e h o r s , elle sera refoulée vers l'intérieur et s'exercera avec d'autant plus de f o r c e et de violence q u e les m o u v e mens se c o n c e n t r e r o n t dans u n espace b o r n é , entretiend r o n t et augmenteront ces sentimens et ces vues hostiles, nés de la dissidence des o p i n i o n s,

de la différence des

intérêts, des espérances trompées et des ambitions avortées. L a n a t i o n , o n ne peut le m é c o n n a î t r e , a été pendant l o n g temps, et l'est peut-être e n c o r e en partie, semblable à u n volcan à moitié é t e i n t , q u i fume et étincelle e n c o r e par intervalle(1), et auquel il faut ménager de nouvelles issues, celles des premières i r r u p t i o n s , les guerres étrangères, étant fermées d'ici à quelque temps,

à la grande satis-

faction de tous les amis de l'humanité. O r , quel m o y e n plus généralement u t i l e , plus p r o fondément politique

q u e celui de

S a i n t - D o m i n g u e qui, frira cole,

des

la

alimens à tous les genres

manufacturière

réoccupation

de

r e n d u au p o u v o i r l é g i t i m e , o f et

d'industrie

commerciale,

agri-

donnera

une

nouvelle direction aux e s p r i t s , fera naître de nouvelles combinaisons et de nouvelles espérances. E n

fixant

de

n o u v e a u notre activité sur les sources de nos richesses p a s -

(1) A l ' é p o q u e o ù n o u s m a n i f e s t i o n s ces s e n t i m e n s , ces c r a i n t e s , la s e c o n d e r e s t a u r a t i o n se r é t a b l i s s a i t p a r le m o y e n de l ' a r m e m e n t général de toute l ' E u r o p e .


3o3 sées, le c o m m e r c e des A n t i l l e s , en facilitant les s p é c u l a tions commerciales des uns, en p r o c u r a n t du travail à u n e foule d'ouvriers, en employant et multipliant le

nombre

de nos marins, en augmentant l'aisance de t o u s , en i n s p i r a n t , à plusieurs milliers de F r a n ç a i s , le désir d'aller fixer leur nouveau domicile dans une contrée qui présente des espérances de fortune dans toutes ses branches

d'in-

dustrie et dans les divers emplois honorables de la société , en

donnant

cet

essor

à

notre

activité,

elle

détournera

notre attention et amortira par degrés cette fureur

de

parti et ces discussions polémiques ; elle nous fera perdre de vue tout ce que la révolution a de plus funeste,

ce qui

ne peut être utile à p e r s o n n e , ce q u i , p o u r l'intérêt de t o u s , devrait être depuis l o n g - t e m p s o u b l i é , ce ferment de divisions, ces sentimens et ces opinions diverses q u i nous tiennent encore en d i s c o r d , dans u n e sorte de. m a l veillance et de haine r é c i p r o q u e . C a r , malheureusement aucuns des partis qui nous divisent ne sont disposés à c o n venir des e r r e u r s , des fautes et des excès q u i leur sont personnels,

quelque évidens qu'ils s o i e n t , ni des vérités

et des démarches éclairées du parti qui leur est opposé , quelque

palpables

qu'elles

soient,

tous

se

renvoyant

réci-

p r o q u e m e n t des uns aux autres et les i n c u l p a t i o n s , et les reproches, et les invectives, avec cet oubli de convenances et de devoir dont l'exacte observation tempérerait au moins l'aigreur et l'amertume de ces agressions et attaques r é c i dives. C'est trop présumer sans doute d'aucun h o m m e en particulier, d o m i n é plus o u m o i n s , et souvent à son insu même ,

par l'esprit de parti ; et nous sommes e n c o r e trop

près des événemens qui ont établi notre scission p o u r croire à un rapprochement sincère o u intime. R i e n , cependant, ne serait plus u t i l e , plus p o l i t i q u e , et en m ê m e temps plus moral que de mettre fin à u n e situation aussi fâcheuse et aussi calamiteuse, laquelle sera au moins tempérée

et


3o4 perdra une partie de sa v i o l e n c e , si elle n'est détruite, par une forte impulsion dirigée vers u n objet utile et salutaire p o u r tous. C'est ainsi qu'on termine et épure toutes les r é v o l u t i o n s , et l'histoire le confirme amplement. Q u ' e s t - c e qui peut l ' o p é r e r , dans le m o m e n t et dans la circonstance actuelle, d'une manière plus p r o m p t e et avec plus d'efficacité , q u e la mesure q u e nous

recommandons

p o u r l'intérêt et le b o n h e u r de t o u s , sans en excepter m ê m e les nègres d o n t la masse presque entière est soumise à l'empire despotique et cruel de leurs chefs,

et du petit

n o m b r e d'hommes armés qui abusent de leurs pouvoirs par tous les m o y e n s atroces que leur suggère leur police africaine ? Car il est physiquement et moralement i m possible que les nègres de S a i n t - D o m i n g u e et leurs c h e f s , malgré toutes les rapsodies q u ' o n nous d é b i l e , qui sont u n e suite de cet e n g o u e m e n t , de ces notions fausses et délirantes produites p a r l a r é v o l u t i o n , soient différens de ce qu'ils ont été et sont encore dans leur pays n a t a l , d e puis l'origine d u m o n d e , depuis l'espace de six mille ans a c c o m p l i s ; de ce qu'ils nous présentent journellement dans leurs associations l i b r e s , réunies o u séparées, dans leurs dispersions sur les deux hémisphères,

o ù ils se montrent

partout avec les mêmes mœurs et les mêmes habitudes , la même incivilisation et le même despotisme brutal, avec cette m ê m e infériorité d'esprit et d'organes qui semble les avoir relégués p o u r toujours sur les derniers confins de la nature éclairée et intelligente. U n e partie des vérités déduites dans cet é c r i t , et qui ont été depuis long-temps énoncées dans plusieurs autres, reçoivent aujourd'hui leur complète confirmation par la c o r respondance existante entre les derniers commissaires e n voyés à S a i n t - D o m i n g u e et le mulâtre P e t i o n , laquelle a p a r u i m p r i m é e à la suite de quelques ouvrages relatifs à cette c o l o n i e .


305 paraîtrait, nous ne faisons ici que c o p i e r , q u e c e s c o m missaires auraient souscrit à ce que l'esclavage fût aboli à Saint-Domingue sans p o u v o i r jamais être rétabli, que les droits civils

et politiques fussent accordés aux nègres et

aux mulâtres,

aux mêmes conditions q u ' e n F r a n c e ; q u e

l'armée i n d i g è n e , leurs officiers supérieurs et autres seraient confirmés dans leurs grades et jouiraient des mêmes traitemens, honneurs et dignités que les armées françaises; ( des nègres et des mulâtres appelés à exercer les m ê m e s droits civils et politiques q u e des F r a n ç a i s , à j o u i r des mêmes g r a d e s , honneurs et dignités, que les armées françaises ! quelle marche rétrograde dans toutes nos idées p o litiques ! quel amalgame et quelle confusion

dans nos

distinctions et notre hiérarchie coloniale ! ) qu'ils ne r e c e vraient jamais des troupes européennes,

la défense de la

colonie étant abandonnée à l'armée indigène ( d é n o m i nation fausse et absurde); que le présidentde la r é p u b l i q u e , les sénateurs et leurs autorités administratives existassent p r o v i s o i r e m e n t , et tels qu'ils étaient constitués; q u e les anciens colons ne pussent arriver et résider dans la c o l o n i e , qu'en se soumettant aux lois et réglemens établis, n o t o i r e ment à ceux qui c o n c e r n e n t l'état des personnes et les droits civils : (des c o l o n s , des propriétaires, les fondateurs de la c o lonie forcés de subir etde vivre sous la loi insolente de leurs esclaves et de leurs affranchis,

d'une nation ignorante et

barbare! quelle honteuse el humiliante dégradation p o u r des esprits éclairés et des âmes généreuses! ) qu'il serait fait par les autorités actuelles,

de concert avec les commissaires

du roi, un réglement sur les propriétés, afin de faire cesser les incertitudes et empêcher q u e de n o u v e a u x troubles ne viennent encore.rotarder rétablissement de la colonie ; ( de b o n n e foi,

quelle aurait été et pouvait être la nature de

ces r é g l e m e n s , entre des commissaires sans autre appui que le langage de la raison, de la persuasion, etdes h o m m e s .20


306 a r m é s , n'écoutant et n'exécutant que les lois d'une force aveugle ; entre des spoliateurs, des détenteurs injustes, et des malheureux colons dépouillés depuis près de trente ans, au mépris de celte première loi, ordonnatrice et c o n servatrice des associations humaines ? ) que le président actuel, le c o m m a n d a n t général de l'armée seraient n o m més, le p r e m i e r g o u v e r n e u r g é n é r a l , le s e c o n d lieutenant général au g o u v e r n e m e n t , en conservant les pouvoirs qui se trouvent aujourd'hui dans leurs attributions,

sauf les

modifications q u e l'état des choses pourrait c o m m a n d e r , lesquelles néanmoins n e pourraient se faire que par leur a v i s , et que désormais ils seraient n o m m é s,

le g o u v e r -

n e u r et le lieutenant général au g o u v e r n e m e n t , par le r o i , sur la présentation de trois candidats choisis par le s é nat ; que les ports continueraient à être ouverts à toutes les p u i s s a n c e s , aux conditions qui sont établies a u j o u r d'hui p o u r les étrangers, lesquelles pourraient être m o d i fiées par le s é n a t , sur la demande du gouverneur représentant du roi ; que l'acte constitutionnel serait revisé dans l'année par le sénat de concert avec les commissaires du r o i , afin de c o o r d o n n e r toutes les dispositions avec l'ordre q u ' o n voudrait é t a b l i r , et que le roi serait enfin supplié de vouloir bien l'accepter après celte révision et le g a rantir p o u r lui et ses successeurs. Ces concessions e x t r ê m e s , q u ' o n p e u t supposer avoir été faites dans la seule intention,

et c o m m e devant a m e -

ner par Une sorte d'acheminement à un ordre quelconque , au

milieu

de

ce

bouleversement

général,

ces

furent absolument rejetées par Pétion et son

concessions prétendu

sénat, voulant traiter d'égal à égal c o m m e puissance neutre et i n d é p e n d a n t e , ne reconnaissant aucun p o u v o i r , aucun droit à la F r a n c e ni à son. c h e f auguste, p o u r leur imposer la condition la plus légère-, n e voulant p o i n t se soumettre à u n e souveraineté qui aurait été plutôt implicite

que


307 p o s i t i v e , fictive q u e réelle. L e nègre C h r i s t o p h e , auquel les commissaires é c r i v i r e n t , lui a n n o n ç a n t , par des p r o clamations, leur mission, et lui donnant l'assurance q u ' a u c u n changement n'aurait lieu contre sa p e r s o n n e ni contre les siens du n o r d , ce chef nègre ne daigna pas m ê m e répondre aux commissaires, sans doute par méfiance ou plutôt dans la crainte de p e r d r e , par la s u i t e ,

l'autorité

lyrannique et sanguinaire dont il faisait sa principale et son u n i q u e jouissance. D'après ces dispositions formelles et Ce mépris p o r t é à l'autorité par Pétion et C h r i s t o p h e , il est plus qu'évident que toute voie de c o n c i l i a t i o n , toute concession et tout c o m p r o m i s seront, c o m m e i l s l ' o n t toujours été de toute i n u tilité,pour parvenir au plus léger exercice de nos droits avec u n e sorte de s û r e t é , de c o n v e n a n c e et d'honneur , et q u e toute tentative à cet égard serait désormais aussi niaise q u e superflue et dérisoire; vérité d o n t n o u s n'avons cessé d'être c o n v a i n c u avec les bons esprits qui ont suivi les événemens avec perspicacité, et ont étudié sur les lieux mêmes les h o m m e s et les choses sans partialité et sans haine. Il n e reste d o n c plus d'autre alternative, o u d'abandonner S a i n t D o m i n g u e sans retour,

sans débats ni réclamation u l t é -

r i e u r e , c o m m e le désirent tous les révolutionnaires o u des personnes ignorantes et étrangères

â l ' h o n n e u r et à la

dignité n a t i o n a l e , en faisant de plus le sacrifice complet de tous nos droits et c o m m e individus et c o m m e corps p o litique, à la horde qui l'habile, avec la certitude des m a u x qui doivent s'étendre sur les Antilles et par suite sUr l ' E u r o p e , accompagnés de toutes les horreurs d'un b o u l e v e r sement et d'une conflagration générale ; ou b i e n de la soumettre irrévocablement et sans hésitation par la f o r c e des armes. Dans cette alternative, il n'y a plus à balancer ; le choix des m o y e n s nous est désormais i n t e r d i t , et l'emploi de la force est aussi rigoureusement réclamé q u e d é -


3o8 monstrativement constaté. Cette mesure est d o n c grande sous tous les rapports, juste et utile par toutes les c o n s i dérations

humaines

et

morales,

politiques

et

européennes

,

par tous les moyens de sagesse et de puissance remis entré nos mains. Si l'on n o u s dit de nouveau que la force a légitimé les droils des nègres et des mulâtres, nous dirons avec

bien

plus de raison que cette force devient également et plus équitablement légitime p o u r la répression des désordres et des crimes dont nous avons été tous v i c t i m e s , à l ' e x ception des chefs n o i r s , cuivrés et leurs satellites;

pour

le rétablissement d'un o r d r e parfait en le mettant en a c c o r d et en h a r m o n i e avec la nature impérissable des choses et des êtres qui lui sont subordonnés, seul fondement d'une sécurité parfaite et durable. Nous dirons qu'elle est e n c o r e plus rigoureusement requise p o u r la revendication des propriétés

usurpées

et

de

celte

souveraineté

européenne

,

première et inaliénable, sous la. protection de laquelle tous ces

établissemens

élevés

et

coloniaux

conservés,

et

ont

laquelle

pu doit

et

se

sont

servir

formés

également

, et

en tout temps de garantie à tous les droits individuels , et

au

maintien

du

pacte

social

conformément

à

ses

bases

originelles et constitutives. Q u a n t à ce que ces nouvelles c o n c e s s i o n s , offertes d e r nièrement sans s u c c è s , renferment d ' e r r o n é , et hautement r é p r é h e n s i b i e , elles sont amplement combattues et d é truites par tout ce que nous avons avancé dans cet écrit et particulièrement

dans notre réponse présente. N o u s n e

p o u r r i o n s sur ce sujet que répéter les mêmes argumens dont nous nous sommes déjà servis. Nous nous b o r n e r o n s seulement à demander,

en addition à nos preuves p r é c é -

dentes, q u ' e s t - c e qui peut véritablement résulter de b o n et d'utile p o u r la métropole et les colons de toutes ces faveurs i n s i g n e s , sous le rapport de nos relations sociales, politi-


309 ques et commerciales ? Il serait impossible d'en préciser a u c u n e . Q u e l l e serait m ê m e la garantie de cette p o r t i o n insignifiante d'autorité que n o u s serions censés nous être réservée par ce dernier contrat, avec les pouvoirs immenses conférés aux chefs n è g r e s , mulâtres et à leur sénat, g o u vernant et administrant la c o l o n i e par eux et leurs agens ? Q u e l l e serait l'efficacité de cette puissance tutélaixe et p r o tectrice, si nécessaire au maintien de l'ordre et p o u r le b o n h e u r de tous,

devenue u n simulacre de p o u v o i r , sans

action et sans influence directe,

sans force sous notre d i -

rection, sans chef actuel de notre c h o i x et à la n o m i n a t i o n duquel le sénat participerait par la suite et en définitive ! A b a n d o n n e r ainsi l'exercice de la souveraineté,

celui des

différens pouvoirs de la société dans tout ce qui en c o n s t i tue essentiellement l'existence et le m a i n t i e n , mettre les colons sous la dépendance d'insolens et féroces usurpateurs, leurs anciens esclaves et affranchis, s o n t , il faut l ' a v o u e r , des conceptions b i e n é t r a n g e s , b i e n téméraires,

si elles

n e sont pires. N o u s demanderons de p l u s , p o u r q u o i les seuls nègres d e S a i n t - D o m i n g u e resteraient-ils libres et maîtres s u prêmes de notre î l e , lorsque les autres puissances, et n o u s mêmes p o u r nos autres possessions, n o u s n o u s m o n t r o n s si p e u disposés, si contraires à leur affranchissement et surtout à leur abandonner notre domination sur ces s u perbes contrées ? P o u r q u o i faut-il q u e la seule colonie de Saint-Domingue non-seulement

fasse par

une

rapport

exception aux

à

Antilles

cette ,

loi

mais

générale encore

,

par

rapport aux deux continens de l ' A m é r i q u e , o ù l'esclavage continue à exister p a r m i les Anglais, Portugais, Espagnols, Hollandais, les Français de Cayenne et les A n g l o - A m é r i cains e u x - m ê m e s, les premiers q u i ont p r o c l a m é les droits de l'homme ? Il serait difficile

d'indiquer aucune

autre

raison que celle fondée sur la force ; mais qu'une f o r c e ,


310 c o m m e nous l'avons déjà d i t , plus r é g u l i è r e , plus légale, et j'oserais dire plus morale, doit à son tour faire prévaloir sur la première en la s u r m o n t a n t , en l'annihilant. Q u e signifie, en o u t r e , ce c o m m e r c e étranger admis en c o n c u r r e n c e avec celui de la m é t r o p o l e ? S'il est p e r m i s , dans de certaines circonstances f o r c é e s , de s'écarter du régime p r o h i b i t i f , c o m m e nous en sommes convenus,

ce

n'est qu'en limitant le terme de cette d u r é e , et en s o u m e t tant les étrangers au paiement de droits plus forts. Cette augmentation, cette surcharge de droits est fondée sur la nécessité de conserver à la m é t r o p o l e et à son c o m m e r c e quelques avantages et une préférence qui lui sont i n c o n testablement d u s , en raison de la protection qu'elle n o u s a c c o r d e , et des charges q u i y sont attachées, véritable base d u contrat tacite établi entre elle et n o u s , et de nos engagemens mutuels. E n o u t r e , si nos c o m m e r ç a n s et navigateurs venaient à é p r o u v e r des avanies, c o m m e cela est i m m a n q u a b l e , plus ruineuses et plus vexatoires e n c o r e que celles exercées par les souverains barbaresques et leurs p r i n c i p a u x a g e n s , o n jugerait vraisemblablement i n u t i l e , o u du moins n u l l e m e n t p r o p o r t i o n n é à son o b j e t ,

c'est - à - dire p o u r u n

c o m m e r c e partagé et mesquin, p o u r u n e souveraineté q u i n e se rattache à la m é t r o p o l e q u e par les faibles liens d'une volonté désordonnée, versatile et capricieuse ; o n j u g e r a i t , d'après toutes ces c i r c o n s t a n c e s , n e devoir faire aucune réclamation imposante et vigoureuse p o u r la répression de ces mêmes a v a n i e s , à l'effet d'obtenir u n e satisfaction q u e l c o n q u e ; et dès-lors tous nos droits seraient m é c o n n u s , envahis et c o n s p u é s . Par les tentatives faites, à différentes fois, par les sollicitations réitérées de plusieurs p e r s o n n e s , dont quelques-unes sont m e m b r e s de nos chambres, p o u r se ressaisir d u c o m m e r c e de S a i n t - D o m i n g u e , m ê m e dans son état de d é l a -


311 b r e m e n t , d'insécurité et d'asservissement e x t r ê m e ; p a r les expéditions q u i o n t encore lien de nos différens p o r t s , surtout d u H a v r e , de la part dp quelques négocians o u spéculateurs aventureux, sous pavillon national o u étranger,

je ne sais lequel ( 1 ) ; il est b i e n évident q u ' o n p r o -

clame p a r l à , chaque lois et h a u t e m e n t , et son i m p o r tance et son utilité p o u r la m é t r o p o l e . P o u r q u o i

donc

dénier parfois en théorie ce q u e la pratique nous force; d'adopter en tout temps, et dans les occasions m ê m e les plus défavorables et les plus hasardeuses? P o u r q u o i se b o r n e r à u n c o m m e r c e t r o n q u é , dangereux et avilissant ? P o u r quoi souffrir q u e nous allions nous humilier devant des esclaves et des affranchis,

au lieu d'asseoir ce c o m m e r c e

sur ses anciennes bases et ses prérogatives essentielles, seules q u e c o m p o r t e n t f i n t é r ê t , nationale?

P o u r q u o i enfin avoir

les

l ' h o n n e u r et la dignité constamment

à des d e m i - m o y e n s , à des sacrifices h o n t e u x,

recours

à un v é r i -

(1) Il doit paraître étrange qu'on permette ou qu'on souffre que des Français commercent avec des révoltés, même par des voies d é tournées , qui ont secoué toute dépendance envers la métropole , méconnu dernièrement la voix paternelle du souverain, qui ne peuvent être considérés dès-lors par tous les Français,

et ne sont en

effet que des rebelles follement audacieux et criminels. E s t - i l croyable que des négocians continuent un commerce illégal,

sans

garantie aucune, ne pouvant réclamer secours ni protection d'aucune autorité pour les non-paiemens et les vexations auxquels ils sont nécessairement exposés ; et tout cela sous la vaine espérance d'un profit considérable, étayée encore sur une chance plus que hasardeuse ? C'est là un exemple unique dans les transactions c o m pierciales d'une nation,

sur lequel je m'interdis toute réflexion

ultérieure. En outre, il est bon de savoir qu'à l'arrivée d'un bâtiment, on met à bord un nègre patenté sans l'intermédiaire duquel aucune transaction ne peut s'effectuer , qui fixe à lui seul le prix tant des marchandises et des denrées françaises, que celles de la colonie, il n'y


3l2 table p l â t r a g e , p l u t ô t q u e sure

grande et

génération

de faire r e v i v r e , par u n e

générale,

future

et de

ces

principes

toute p r o s p é r i t é

de

toute

meré-

nationale ?

Il

n o u s s e m b l e e n c o r e q u e dans ces d e u x hypothèses o p p o sées, le c h o i x n'est pas d o u t e u x , q u ' i l n'y a plus à balancer j q u ' i l est aussi i m p o r t a n t q u ' u r g e n t de n o u s ressaisir tout à la fois et d u gouvernail d e l'état et de celui du c o m m e r c e ; et c'est p a r celte c o n c l u s i o n q u e n o u s m e t t r o n s lin à cet article,

et passerons

à la discussion

d'une

dernière

ob-

jection.

OBJECTION « «

Pour

dernier

publique

argument,

réclame

DERNIÈRE. on

certains

ose

soutenir

sacrifices

que

l'opinion

accommodés

aux

« temps présens ; qu'il faut nécessairement abandonner

a p a s d e m i l i e u , il f a u t a b a n d o n n e r , i n t e r d i r e c e c o m m e r c e d a n g e r e u x et h o n t e u x , o u le r e p r e n d r e a v e c la l i b e r t é,

les p r i v i l è g e s

q u i l u i a p p a r t i e n n e n t , et q u i n e p e u v e n t ê t r e a s s u r é s q u e p a r n o t r e domination

sur ces contrées.

Ces communications

l i b r e s et n o n

i n t e r r o m p u e s , tous ces moyens mis en p r a t i q u e , n e tendent-ils donc pas à reconnaître en quelque s o r t e , a u m o i n s tacitement et t e m p o r a i r e m e n t , l ' i n d é p e n d a n c e e t la s o u v e r a i n e t é r é c l a m é e s p a r l e s c h e f s n è g r e s et m u l â t r e s , e t à p o r t e r q u e l q u e s a t t e i n t e s à la l é g i t i m i t é, c e t t e p r é c i e u s e g a r a n t i e d e t o u s l e s d r o i t s ? c a r si. je c o m p r e n d s b i e n l a f o r c e, la d u r é e e l l ' é t e n d u e d e c e t t e e x p r e s s i o n, s'applique

non-seulement

t r a t i o n i n t é r i e u r e,

elle

en tous temps a u x actes de l'adminis-

m a i s e m b r a s s e é g a l e m e n t t o u t e la p o l i t i q u e e x -

t é r i e u r e, la d i g n i t é d e l a c o u r o n n e , l ' i n d é p e n d a n c e n a t i o n a l e e t sa s u p r é m a t i e s u r toutes les p a r t i e s s o u m i s e s à s o n e m p i r e . O r , c e n ' e s t r e s p e c t e r a u c u n d e ses a t t r i b u t s , c'est l e s v i o l e r m ê m e t o u s q u e de continuer u n commerce avec des esclaves en r é v o l t e , n o n a u t o r i s é ni m ê m e t o l é r é , m a i s s i m p l e m e n t souffert p a r c e q u ' o n v e u t bien l'ignorer.


313 «ces

antiques

et

sots

préjuges

,

tombant

déjà

de

toutes

« parts en discrédit, et ordonner nos sociétés sur une base «nouvelle, «

abus

;

conforme

aux

qu'il

enfin

est

idées

libérales

indispensable

dont de

on

fait

marcher

avec

« l'esprit et les lumières de son siècle. » Consacrons ici quelques pages à l'examen de ces principes convertis en une sorte d'aphorismes politiques.

RÉPONSE. •Te ne veux pas contester l'évidence d'une partie de ces p r i n c i p e s , mais j e désire,

c o m m e de raison,

d'en r e s -

treindre la signification, et plus encore l'application. Car en politique, moins e n c o r e qu'en toute autre science,

il

n'existe p o i n t de ces vérités absolues également a p p l i c a bles à l'universalité des l i e u x , des temps et des c i r c o n stances-, elles doivent ê t r e , au c o n t r a i r e ,

restreintes et

modifiées, afin de les rendre pratiquement utiles, de d a n gereuses qu'elles seraient dans u n sens positif et illimité, Tout ce qui est pratiquement utile est vrai,

eu p o l i t i q u e ,

n o n de cette vérité a b s o l u e , mais relative ; tout ce qui n e l'est pas est faux et inadmissible. Ces vérités b i e n r e c o n nues s'éclairciront encore m i e u x par la s u i t e , et q u i e n trons en matière. Qu'est-ce que l'opinion p u b l i q u e ? quels sont les é l é mens qui la constituent ? o ù réside-t-elle ? Est-ce dans la pluralité, dans la généralité c o m p o s a n t le p u b l i c , la m u l titude? ce p u b l i c , cette multitude q u ' o n s é d u i t , t r o m p e e

t égare avec une facilité e x t r ê m e , sans prévoyance et sans

lumières fixes, instrument et victime des passions q u ' o n y a l l u m e , d o n t les opinions changent et varient tous les jours relativement aux h o m m e s et aux choses,

suivant la

volonté et au gré de ses perfides agitateurs. N'est-ce pas cette m ê m e o p i n i o n , o u m i e u x encore le voeu national


314 sur lequel tous les partis se sont successivement appuyés p o u r faire approuver et décréter des constitutions sans n o m b r e et des actes additionnels ; p o u r faire exécuter des actes tyranniques et sanguinaires qui ont p r o l o n g é et m u l tiplié jusqu a ces derniers m o m e n s ,

ceux de la restaura-

tion l é g i t i m e , lés malheurs de notre c o m m u n e

patrie?

Chaque d é p a r t e m e n t , chaque v i l l e , chaque profession et toute aggrégation d'hommes n'éprouvent_ils pas un sentiment c o m m u n qui f o r m e leur o p i n i o n p u b l i q u e à laquelle ils voudraient tout ramener,

tout s u b o r d o n n e r,

sans

c o m p t e r toutes celles qui subsistent aujourd'hui parmi les individus, en raison de la différence des partis,

chacun

d'eux ayant la prétention de posséder la seule et la véritable o p i n i o n p u b l i q u e . Dans chaque état, il y a autant d'opinions publiques o u politiques, si l'on v e u t , qu'il y a de partis. Ecoutez-les ; ils vous affirmerent tous h a r d i m e n t , sans hésitation et chacun en particulier, quo leurs principes et leurs sentimens, leur approbation c o m m e leur blâme des mesures et des projets entrepris o u en contemplation par la législature o u le g o u v e r n e m e n t , soit intérieur o u e x t é r i e u r , sont c o n f o r m e s au v œ u

général et ont l'assenti-

m e n t du p u b l i c e n t i e r ; q u o i q u e le recensement des votes n'ait jamais été f a i t , soit m ê m e i m p o s s i b l e , mais n é c e s saire cependant p o u r constater jusqu'à quel point leur assertion est vraie o u fausse, et sans n o u s faire connaître si tous les i n d i v i d u s , sans exception,

doivent être admis

à émettre leurs v œ u x, o u quelle restriction doit être mise à ce suffrage universel. Car enfin toute o p i n i o n p u b l i q u e , p o u r devenir véritablement telle, suppose toujours u n e r é u n i o n , u n e majorité de voix o u d'intérêts qu'il faut n é cessairement consulter si on veut la connaître. C o m m e n t cependant la connaître au milieu de cette diversité d'inté-. r è l s , d'idées, de sentimens et de passions qui ont toutes un langage particulier, distinct et souvent c o n f u s ?


315 Supposons néanmoins qu'on veuille s'en assurer par le recueillement des v o i x , seule manière par laquelle o n peut y p r o c é d e r . T o u s les individus, sans aucune distinction de rang ni de f o r t u n e , seront-ils appelés à émettre leurs opinions dans des assemblées primaires ? O n ne saurait admettre celte supposition sans établir de suite u n e démocratie des plus orageuses, incompatible avec les p r i n cipes et les formes de notre gouvernement actuel. Se b o r nera-t-on à réclamer les votes des seuls é l e c t e u r s , au m o m e n t de leur réunion p o u r la nomination des députés? C'est encore là u n des vices et une forte tendance vers la démocratie. L u i soumettrez-vous les grandes questions de l'état, celles entre autres de la paix o u de la guerre

(1),

p o u r savoir si c e l l e - c i doit être e n t r e p r i s e , si le p u b l i c e n tier l'approuve o u la blâme ? P o u r lors les chambres l é gislatives deviennent inutiles et superflues , elles n'ont p l u s , -

ainsi q u e le p o u v o i r de la c o u r o n n e , u n e volonté qui leur soit p r o p r e , et ils n e sont plus q u e les exécuteurs passifs des volontés de la multitude o u de la nation. J'ai e n c o r e

(1) Nous avons vu,

au moment de la guerre d'Espagne,

des

corporations sans nombre intervenir clans cette grande question par des pétitions aux chambres, des particuliers et des journalistes, oser prendre sur eux de la résoudre, comme si sa décision n'apparteuait pas uniquement et exclusivement à la puissance executive. Aucune autorité,

encore moins des corporations,

des as-

semblées électorales et des écrivains, quelle que soit leur capacilé, c pouvant connaître les causes de sa nécessité, de son urgence ,

n

jusqu'à quel point nos relations extérieures , les combinaisons de la politique,

les intérêts compliqués de la nation dans une cir-

constance donnée,

la dignité de la couronne et

l'indépendance

nationale, en imposent forcément l'obligation ; tous objets compliqués hors de la connaissance du p u b l i c , qui sont du ressort seul du gouvernement et ne peuvent être connus que de lui seul, au moment du danger et d'une résolution finale.


316 tort de dire de la nation, c a r , en supposant qu'on pourrait recueillir les voix d'une manière c e r t a i n e , u n e faible majorité , quelques milliers de voix de plus ou de moins , suffiront-elles

donc

pour

constater

une

opinion

publique?

T o u t e s les assemblées en minorité ne feraient-elles pas de suite entendre leurs clameurs et leurs oppositions ? C o m ment au milieu de ces voix confuses,. distinguer la v é r i table o p i n i o n p u b l i q u e ,

celle d'une volonté à p e u près

générale? T o u t nous p r o u v e d o n c c o m b i e n il est difficile de la connaître, chaque parti o u section donnant son o p i n i o n particulière p o u r celle de la volonté générale. D'ailleurs combien d'opinions politiques, car c'est celleslà dont il s'agit p a r t i c u l i è r e m e n t , qui o n t cours dans le m o n d e , sont généralement adoptées pendant

u n assez

long espace de temps c o m m e l'expression d u v œ u et de la volonté g é n é r a l e , et sont ensuite signalées et discréditées c o m m e erreurs o u impostures ? Il en sera de m ê m e sans doute de plusieurs opinions mises en vogue et reçues p a r la plus grande généralité d u p u b l i c pendant les v i n g t - c i n q années de notre désastreuse révolution. Espérons q u e le m ê m e résultat aura lieu p o u r tout c e q u ' o n a publié de faux, d'exagéré o u d'absurde sur les c o l o n i e s ; et q u e des esprits prévenus o u égarés par les idées révolutionnaires, par les sophismes de tous les novateurs et dogmatiseurs modernes, ont admis c o m m e vérités incontestables sans e x a m e n , sans vouloir consulter les faits et les personnes qui avaient une si longue expérience en leur faveur, seule manière cependant p o u r j u g e r avec maturité et c o n n a i s sance de cause. L ' o p i n i o n p u b l i q u e est une de ces expressions v a g u e s , indéfinies, dont chaque parti o u chaque faction si l'on veut se prévaut tour à tour ; et lorsqu'elle acquiert m ê m e u n e certaine consistance, elle n'en est pas moins sujette à d e s variations continuelles

qu'amène nécessairement la d i -


317 vergence des intérêts el des esprits. Elle n'est d o n c ni fixe ni permanente-, elle n'a rien qui assure sa direction et sa r e c t i t u d e , et elle Hotte, incertaine et vacillante, au gré d u hasard, des caprices et des agitations humaines. Cette dénomination est une invention de nos temps m o d e r n e s , i n c o n n u e jusqu'alors, qui a u n caractère et u n e tendance fortement démocratiques; elle n'est enfin que la force p h y sique mise en action. Si la démocratie est u n des é l é mens de leur constitution m i x t e , c'est celui contre lequel il faut constamment se garantir, élever des barrières et des digues puissantes, parce que ses irruptions et ses d é b o r demens sont plus funestes à l'ordre et à la morale p u b l i q u e, entraînent plus de m a u x , de destructions et de b o u leversemensque les écarts d u p o u v o i r, que les excès m ê m e du despotisme. Enfin cette o p i n i o n p u b l i q u e existerait-elle parmi ces écrivains journalistes dont les feuilles et les p r o d u c t i o n s semi-périodiques s o n t ,

à quelques exceptions p r è s , des

spéculations mercantiles, des manufactures de fraude

et

d ' i n j u r e s , et quelquefois des diatribes contre leurs o p p o sans et détracteurs divers. D'ailleurs ils sont en opposition et en lutte entre eux ; ils se contredisent sans cesse,

n'ex-

primant c o m m u n é m e n t que le sentiment du p a r t i , je n'ose dire de la faction dont ils ont embrassé les principes o u les erremens ; et ils n e constatent pas plus l'opinion p u b l i q u e , c o m m e quelques a u t e u r s , l'ont avancé qu'ils ne la font. E n outre, ce ne serait p o i n t trente o u quarante é c r i vains au plus dans tout le r o y a u m e , sans autorité et sans caractère publics (1), dont les sentimens varient

com-

(1) U n a v o c a t - g é n é r a l d i s t i n g u é a d i t , d a n s u n p l a i d o y e r r e m a r q u a b l e : « L e s j o u r n a u x s o n t u n e s o r t e de t r i b u n e , d u h a u t d e l a q u e l l e des h o m m e s p r i v é s se c o n s t i t u e n t e n q u e l q u e m a n i è r e orateurs

publics

et des p r é d i c a t e u r s,

sans a u t r e m i s s i o n

des que


318 m u n é m e n t au gré de certains intérêts particuliers et s u i vant certaines circonstances d u m o m e n t ( 1 ) , qui peuvent devenir les directeurs et les organes libres de l'opinion p u b l i q u e . Il serait plus naturel de la chercher parmi les vrais politiques, les moralistes et les publicistes,

ces é c r i -

vains d'un talent et d'un génie supérieur, travaillant p o u r la gloire et sans aucun m o t i f de l u c r e apparent ; mais ils l'influencent plutôt qu'ils n e la dirigent. Cette influence m ê m e n e s'acquiert qu'après Un temps assez l o n g , n ' o b tient d'abord des succès que sur un petit n o m b r e d ' i n d i vidus,

et n e s'étendant pas sur toutes les classes de la s o -

c i é t é , elle n e jouit pas de ce degré de consentement plus o u m o i n s général q u i serait u n des signes les plus c a r a c téristiques de l ' o p i n i o n p u b l i q u e , si o n pouvait véritablem e n t la constater. L ' o p i n i o n p u b l i q u e , suivant nous et p o u r en d o n n e r u n e solution approximative de la v é r i t é , se c o m p o s e de d e u x intérêts, l'intérêt territorial et l'intérêt industriel o u c o m m e r c i a l ; tous les autres intérêts sociaux, individuels et collectifs,

s'y rapportent par assimilation, simultané-

ment o u accessoirement. C o m m e n t se manifeste-t-elle et

celle qu'ils reçoivent d'eux-mêmes, et où l'intérêt particulier ou l'intérêt de l'action parlent tous les jours à la multitude, avide de les entendre. Personne,

dès-lors, ne peut nier l'intérêt et par con-

séquent le droit qu'a la société d'empêcher que l'influence de ces journaux ne devienne meurtrière. » (1) Pour se convaincre de cette vérité, on n'a qu'à parcourir les feuilles publiques, écrites la veille et le lendemain des

deux

restaurations et du retour de Bonaparte, ainsi qu'aux différentes époques remarquables de la révolution,

et faisant à elles seules

une époque révolutionnaire. Toutes, à peu d'exceptions près, chantaient la palinodie d'une manière risible si clic n'était dégoûtante , bafouant

et

dénigrant,

louant

et

ternativement les différons partis,

exaltant

successivement

et

al-

leurs principes comme leur

conduite, suivant qu'ils étaient ou vainqueurs ou vaincus.


319 acquiert-elle de la p r é p o n d é r a n c e dans la généralité des esprits? E n accordant a u x seuls p r o p r i é t a i r e s , aux seuls manufacturiers et commerçans le droit

d'élire

comme

d'être élus aux assemblées législatives, de débattre et de régler les grands intérêts de l'état; en appelant au m i nistère et aux premiers emplois du g o u v e r n e m e n t

des

hommes habiles et i n t è g r e s , présentant la m ê m e garantie p o l i t i q u e , lesquels p r é p a r e n t , dans les conseils d u p r i n c e , les premières résolutions,

et remplissent c h a c u n ,

dans

leurs attributions respectives, les hautes fonctions a p p a r tenant au p o u v o i r de la c o u r o n n e . Elle est de plus le r é sultat nécessaire de la coopération des trois pouvoirs qui constituent notre g o u v e r n e m e n t a c t u e l , représentant tous les intérêts de la société, c e u x fixes c o m m e c e u x qui sont de leur nature variables; lesquels pouvoirs par leur i n f l u e n c e , par leur ascendant politique et m o r a l , par leur supériorité conventionnelle et par l'esprit national dont o u doit les supposer a n i m é s , peuvent diriger l ' o p i n i o n publique vers un b u t s a l u t a i r e , un intérêt g é n é r a l , et l'empêcher en m ê m e temps de p r e n d r e u n e fausse d i rection. Ces trois p o u v o i r s , divisés en trois ordres distinctifs et séparés, f o r m e n t p o u r lors cette supériorité graduelle et pyramidale,

le p r i n c e en o c c u p a n t la s o m m i t é . Ils s o n t l a

source de tout o r d r e et de toute justice ; les gardiens,

les

protecteurs et les défenseurs de tous les droits publies et particuliers ; ils font la f o r c e , la gloire et l'ornement de l'état, et à eux seuls appartient le droit de manifester et de transférer dans le corps s o c i a l , c o m m e centre u n i q u e et originel, la véritable opinion p u b l i q u e . 11 n'y aurait d o n c , à p r o p r e m e n t parler, de véritable o p i n i o n p u b l i q u e q u e chez une nation l i b r e , si l'esprit de f a c t i o n , de t r o u b l e ou d'agitation, inhérent à ces sortes de gouvernement, n'en altérait souvent et presque toujours la pureté et l'essence ,


520 et qu'autant que les trois pouvoirs Je la société ne seraient jamais asservis à aucun d'eux en p a r t i c u l i e r , et que les m e m b r e s qui les composent fussent constamment el u n i q u e m e n t animés de la considération de leurs devoirs et de l'amour d u bien p u b l i c . Enfin si l'opinion publique o u celle réputée

telle s'était

fixée à déclarer que la hiérarchie des rangs et des conditions est u n e usurpation ; la transmission des propriétés i n d i v i duelles, a b u s ; la r e l i g i o n , superstition o u fanatisme: si elle avait déclaré q u e la subordination et le respect des enfans envers leurs p a r e n s , l'hérédité du trône et de la p a i r i e , sont des attentats contre les droits de l'homme et de la souveraineté du peuple ; les obligations morales, des devoirs superflus o u une duperie ; l'existence de D i e u et l'immortalité de l ' â m e , une vaine et ridicule créance : si enfin elle déclarait que les institutions d'une société partic u l i è r e , la nôtre aux Antilles, qui n'a q u ' u n e seule e x i s tence d o n n é e et possible,

doivent être proscrites p a r c e

qu'elles sont en contraste et en opposition avec un o r d r e établi ailleurs, avec des idées prétendues et faussement l i b é r a l e s , toutes notions qui ont été plus o u m o i n s mises en crédit avec u n assentiment en apparence assez général à une certaine é p o q u e,

et subsistant encore en partie et

b i e n véritablement en ce q u i c o n c e r n e les colonies quant à son régime intérieur ; faudra-t-il d o n c respecter cette o p i n i o n et souscrire à ses décisions ? L o i n de là, il faudrait la combattre et la rectifier, rappeler et maintenir ce b e a u système m o r a l et religieux dont se c o m p o s e n t nos devoirs envers l'arbitre suprême de l'univers et c e u x avec lesquels nous vivons en société ; ces maximes et ces principes p o litiques q u i ont servi de pierres d'assises,

de premiers

fondemens à la construction des différens édifices sociaux d o n t le m o n d e politique nous offre l'étonnante v a r i é t é , nécessaire peut-être à l'ordre et à l'accord d u m o u v e m e n t


321 g é n é r a l , de m ê m e que les variétés dans le m o n d e physique en maintiennent l'admirable h a r m o n i e . Q u ' a v o n s - n o u s d o n c fait j u s q u ' i c i , sinon d'insister sur celte vérité première et politique, en notre qualité de p r o priétaire et c o m m e ayant droit de faire entendre notre faible voix en faveur de tous les n ô t r e s , laquelle ne sera pas moins p e r d u e p e u t - ê t r e dans ce tourbillon qu'a élevé la tempête révolutionnaire ? Ce serait là sans contredit u n grand malheur, le plus fâcheux par ses c o n s é q u e n c e s , q u e des propriétaires n e fussent pas entendus dans leur p r o p r e c a u s e , c o n n u e à p e u près d'eux seuls,

q u e les vérités les

plus importantes et les plus nécessaires au repos et à la prospérité de chacun des états en particulier n e pussent percer cette atmosphère d'erreurs répandues de toutes parts sur leur h o r i z o n politique. C'en serait u n plus grand et plus

désastreux

encore

que

des

hommes

,

des

écrivains

,

s'érigeant au sein de la métropole en publicistes et en législateurs p o u r les c o l o n i e s , sans qualité et sans garantie aucune p o u r le fait de leur i n t e r v e n t i o n , n e les connaissant que sous des rapports mensongers et publiés par nos e n n e mis c o m m u n s , les p h i l a n t h r o - j a c o b i n s , n e ressentant p o u r elles aucun intérêt de famille n i i n d i v i d u e l , n e p o u v a n t être victimes des systèmes meurtriers qu'ils p r o c l a m e n t ; n o u s disons q u e ce serait le plus grand malheur p o u r n o u s q u e la v o i x ,

les principes philanthropiques de pareils

écrivains et publicistes pussent continuer à prévaloir contre les droits et les intérêts d'une classe n o m b r e u s e de la s o ciété, laquelle n'a consenti à s'expatrier,

à se transporter

sur u n territoire lointain et étranger avec sa f a m i l l e , ses capitaux et son i n d u s t r i e , qu'après avoir r e ç u l'assurance et la garantie de n o u v e a u x d r o i t s , confirmés et sanctionnés depuis et pendant u n siècle et demi par les lois et les a u torités nationales. Il doit paraître c h o q u a n t , contradictoire et ineonstitu21


322 tionnel m ê m e d'écarter sans cesse les propriétaires colons de tout ce qui a rapport à leurs intérêts les plus évidens , de ce qu'on projeté pour ou contre, de ne pas s'en rapporter entièrement o u primordialement à eux p o u r ce qui est relatif à leur régi me i n t é r i e u r ; lorsqueles propriétaires en F r a n c e sont les seuls appelés à n o m m e r les représentans dela n a tion, et c e u x - c i à exercer c o n c u r r e m m e n t avec le prince et la c h a m b r e haute les droits d e l a souveraineté. Ne sommesnous pas toujours propriétaires de d r o i t , et ne devons-nous pas en cette qualité émettre privativement à toute autre personne ce qui convient à notre seule existence sociale ? Q u ' e s t - c e qui a le droit de contrarier ce voeu, o u de s ' o p poser en quelque façon à son

accomplissement

par la

manifestation de plans chimériques o u de principes a n a r c h i q u e s ? O u b i e n v o u d r a i t - o n nous réduire tous à n'être q u e des prolétaires sans influence ,

sans

participation

q u e l c o n q u e à l'ordre et à l'organisation politique ; nous forcer enfin à subir, à fléchir machinalement et en automate sous le p o u v o i r et les décisions d'hommes q u i , i n d é p e n damment de leur inimitié sans cesse manifestée,

n'ont

aucun d r o i t , aucune qualité, et sont dépourvus de toute connaissance réelle p o u r intervenir dans la discussion de nos intérêts,

et improviser p o u r nous des constitutions

aussi fausses qu'insensées ? i l suffit sans doute de constater cette contradiction et cette inconstitutionnalité p o u r e s pérer qu'elles seront mises sans retour au néant. E n démontrant l'importance des colonies p o u r leur m é tropole, nous avons, dans plusieurs endroits de cet écrit, et nous le ferons avec plus d'étendue dans l ' a p p e n d i c e , touché au droit qu'elles ont de régler leur administration intérieure avec l'approbation de sa majesté et sans la p a r t i cipation de la législature. Si ce droit avait été r e c o n n u tel qu'il

existait

même

sous

notre

ancienne

administration

et s'il avait été augmenté du privilége légitime de se gou-

,


323 verner par soi-même, dans toute l'étendue de ses rapports i n t é r i e u r s , c o n f o r m é m e n t aux principes de toute législation raisonnable,

les colonies auraient échappé à u n e

grande partie des m a u x qui les ont assaillies, et sous l e s quels Saint-Domingue a fini par s u c c o m b e r . C'est cet o u bli,

o u plutôt ce mépris de leurs d r o i t s , qui ont été la

cause originaire et principale de leurs malheurs et de leur infortune 5 et c'est encore à ces mêmes motifs q u ' o n p e u t attribuer la prolongation des m a u x de Saint-Domingue et les agitations, les m o u v e m e n s désordonnés auxquels toutes les Antilles ont été et sont encore exposées dans le m o m e n t actuel. Sous l'ancienne administration,

tant décriée par d ' i n -

sensés démagogues qui n'avaient jamais médité sur nos anciennes institutions, les ignorant m ê m e en totalité,

la-

quelle cependant n o u s présentait a p p u i , p r o t e c t i o n et b i e n v e i l l a n c e , encourageant nos efforts, protégeant nos biens et nos p e r s o n n e s , reconnaissant et respectant n o s droits civils et p o l i t i q u e s , dans plusieurs points i m p o r t a n s . N o u s allons en présenter ici u n e faible esquisse. Les conseils

supérieurs de justice étaieut autorisés à

surseoir à l'enregistrement des lois jugées par eux p r é j u diciables et contraires à l'intérêt public,

d'en

démontrer

les vices et les i n c o n v é n i e n s , à e n v o y e r des m é m o i r e s et leurs avis sur tous les objets de la législation, à n o m m e r des députés q u i siégeaient au conseil d'état o u y

étaient

appelés, l'éclairaient de leurs l u m i è r e s , de leur l o n g u e e x p é r i e n c e,

et aux avis desquels o n déférait souvent.

Les chambres d'agriculture à rendre c o m p t e au roi et à son conseil de la gestion et administration et intendans,

des gouverneurs

à l'expiration de leur autorité,

de tout le

b i e n et le mal qu'ils avaient fait pendant l'exercice de leur charge, à recueillir sur ces objets tous les renseignemens et de les faire passer aux ministres,

ce q u i établissait u n e


324 véritable responsabilité légale et étrangère à cette époque à la F r a n c e ; à rédiger des mémoires sur le c o m m e r c e et la p o l i c e g é n é r a l e . — L a colonie à se réunir de temps en temps en assemblée générale, p o u r régler tout ce qui avait rapport aux intérêts généraux,

à présenter ses vues particulières

sur tout ce qui pouvait importer à sa prospérité et à son bonheur

(1).

Enfin il n'existait, à p r o p r e m e n t p a r l e r , parmi nous n i corps de clergé ni corps de noblesse jouissant dé certains p r i v i l é g e s ; tous les b l a n c s , sans aucune distinction d e rang ni de f o r t u n e , étaient assimilés aux mêmes droits et mis sur un pied d'égalité dîmes,

ni

parfaite. Nous ne payions ni

tailles, aucune de ces taxes multipliées qui

mettent des entraves plus o u moins fortes en E u r o p e à l'industrie et à la liberté ; nos seuls impôts ëtaiènt

un

droit levé sur nos denrées à leur sortie et à leur i m p o r t a tion On F r a n c e , acquittées en grande partie par les c o n s o m mateurs de ces mêmes denrées ; celles de la métropole q u i n o u s arrivaient étaient affranchies de tout droit o u l é gèrement imposées ; nous payions seulement u n e capitation sur chaque tête de nègre de tout âge et de tout sexe,

éta-

blie et fixée par nos conseils s u p é r i e u r s , et s'élevant c o m m u n é m e n t de 3o à 40 s o u s , argent des colonies. N o t r e dépendance envers les autorités supérieures était à peine sentie ; et elle était toujours accompagnée d'égards et de considérations p o u r nos personnes et nos intérêts ( ? ) .

(1) V o y e z Moreau de Saint-Mery, Saint-Domingue, tom. 5,

Compilation

des

lois

de

tom. 2, pag. 37 ; liv. 4 , pag. 4 5 8 , 444, 451 865 ;

pag. 5 5 et 7 7 .

(a) Le gouvernement de la métropole ne manquait pas de recommander aux administrateurs, généraux et intendans, établis chefs suprêmes aux colonies, de traiter les habitans planteurs avec beaucoup de ménagomens et d'égards, d'user envers eux de


3 5 2

P o u r achever cette e s q u i s s e , l ' e x p r o p r i a t i o n f o r c é e n ' a vait jamais lieu par n o s l o i s , q u e l q u e endetté q u e fût l ' h a b i tant,

ce qui paraîtrait à la p r e m i è r e vue u n v i c e , mais n e

1 était p a s , p a r c e q u ' i l existait p e u n o u s , pas un seul capitaliste,

de n u m é r a i r e p a r m i

n o s négocians n'étant q u e des

commettanettans établis e n espèce de c o m m a n d i t e ; p a r c e q u e les propriétés avaient u n e grande v a l e u r , et auraient été vendues à m o i t i é de l e u r p r i x d ' e s t i m a t i o n , p l u t ô t par c o m p o s i t i o n q u e p a r

u n paiement effectif,

encore

au g r a n d

toutes sortes d'indulgences ; ce qui supposait et nécessitait, sans doute, une administration douce et tout-à-lait paternelle. Ces faveurs avaient pour but d'engager ces derniers à résider constamment dans la colonie, persuadé que leur surveillance

était

plus efficace et plus salutaire pour le maintien de l'ordre et de la subordination dans leurs innombrables ateliers, pour le contentement et la satisfaction de tous les individus qui les peuplent, que celle exercée par leurs préposés et représentais divers. L'expérience a justifié ces vues politiques d'une si haute sagesse. Aussi la révolte des esclaves a-t-elle éclaté primitivement dans la province du nord ; un soulèvement partiel avait également eu lieu, sur le même point deux ans avant, par la rébellion d ' O g é , Chavanne et consorts , parce que là il y avait peu de propriétaires , leurs

habitations

étant

toutes

administrées

presque

généralement

par des préposés en chef. C'est de ce foyer central que cette même révolte s'est répandue et propagée sur tous les points de la colonie, comme une lave dévorante ; c'est là où elle s'est consolidée et enracinée plus fortement, et où il s'y est commis plus de ravages, et de cruautés. Dans les deux autres départemens et particulièrement dans celui du sud,

elle n'a commencé à fomenter que six mois et

un an après l'explosion d u nord,

s'y est établie plus difficilement

et à la suite de tous les genres de violence et de corruption e m ployés dans les ateliers,

a eu un caractère un peu moins atroce ;

et c'est également en ces deux endroits où l'on a trouvé plus de dévouement de la part des nègres en faveur des blane-s, parce que là les habitations étaient en général, et à peu d'exceptions près , surtout celles du sud, administrées en personne par leurs propriétaires, tous résidaus sur leurs plantations.


326 détriment des créanciers et des p r o p r i é t a i r e s , e t d o n t le seul acquéreur qui

n'y avait a u c u n

droit

aurait profité

par

u n e sorte de privilége injuste. L e séquestre était admis p a r n o s lois,

mais o n y avait r a r e m e n t r e c o u r s ; de sorte q u e

n o u s r e s t i o n s , dans toutes les occasions, poser librement

de la totalité

de

nos

maîtres de d i s revenus,

soustraire souvent à l'acquit de nos obligations,

de

les

jouissant

e n o u t r e , dans n o s transactions c o m m e r c i a l e s avec la m é t r o p o l e,

d'un

crédit f a c i l e ,

abondant

et

à des longs

Je ne veux point dire que la révolte doit être attribuée à cette cause ; ce serait là commettre évidemment une erreur grande et grossière. Mais il est naturel de croire qu'elle a pu y contribuer comme cause simplement occasionelle ou concomitante, sans cependant vouloir rien imputer de notoirement répréhensible aux gérans et procureurs fondés. Car tout le monde conviendra facilement avec nous et sans peine, que des maîtres, au lieu d'agens et de personnes intermédiaires,

ont plus de pouvoir et d'autorité, plus

de moyens en tout genre pour contenir les nègres dans la subordination et le devoir, ceux-ci étant en outre plus disposés à reconnaître et à fléchir,

sans murmurer sous notre autorité,

comme

nous le prouverons tout à l'heure, que sous celle transmise par délégation, interposée ou temporaire. De plus, ces maîtres, surveillant, directement et par eux-mêmes, leurs esclaves, les suivant dans tous leurs mouvemens, doivent ressentir plus d'indulgence pour e u x , leur porter plus de secours et d'assistance, s'intéresser plus fortement à leur bien être et à leur contentement intérieur , que des étrangers qui ne sont pas liés avec eux par des rapports si intimes et par des devoirs également impérieux, mais lesquels , tenant plus directement à des sentimens et à des affections morales, sont les attributs libres de notre espèce, ceux-ci ne pouvant être, dans aucun c a s , commandés par aucune obligation coëreitive ; et c'est là tout ce que nous avons voulu en conclure. Je disais à l'instant, et c'est; là une vérité qui sera facilement avouée et sans contradiction, nies,

par toute personne résidante dans les colo-

que les nègres étaient portés à reconnaître et à fléchir, sans

murmurer, sous notre autorité, la regardant même comme juste et n'hésitant pas à en faire l'aveu de bonne foi, avec une sorte de sim-


327 termes de p a i e m e n t ,

d o n t plusieurs h a b i t a n s , il faut en

c o n v e n i r , abusaient parfois

et t r o p s o u v e n t .

Il semble q u e cet état s o c i a l ,

l o i n de

présenter

rien

d ' o n é r e u x et d ' o p p r e s s i f p o u r l e s personnes et les p r o p r i é t é s , peut

être

c o n s i d é r é au

privilégié, dans

et

toutes

tellement

nos

contraire

comme

privilégié que

relations

éminemment

nous jouissions

sociales d'une liberté

indivi-

duelle plus grande peut-être q u ' e n F r a n c e , m ê m e sorte

d'indépendance

assez

prononcée

qui

d'une

imprimait

p l i c i l é et d ' a b a n d o n ; t a n d i s q u e c e l l e e x e r c é e p a r n o s s u b o r d o n n é s , p l u s e n c o r e d e la p a r t d e s c o m m a n d e u r s d ' a t e l i e r s , l e u r p a r a i s s a i t t o u j o u r s , sinon i n j u s t e , au moins arbitraire et excédant

toute

b o r n e . A u s s i , et d ' a p r è s c e s d i s p o s i t i o n s, é t a i e n t - i l s p l u s e n c l i n s à m u r m u r e r , à r e g i m b e r c o n t r e les c h â t i m e n s infliges p a r d e s a g e n s subordonnés, quoique justes,

modérés et circonscrits

dans d'é-

troites l i m i t e s , q u e lorsque ces mêmes châtimens étaient c o m m a n d é s p a r l e u r s m a î t r e s a u x q u e l s ils se s o u m e t t a i e n t a v e c u n e p l e i n e r é s i g n a t i o n, q u o i q u e d a n s l e u r e s p r i t ils p o u v a i e n t p e u t - ê t r e l e s croire

injustes ; et ces sentimens sont peut-être

dans la nature.

En effet, e n s ' a d r e s s a n t à c e s d e r n i e r s , i l s l e u r d i s a i e n t e n l a n g a g e c r é o l e :«

M o i , c o n n a i s tête à m o i,

c'est p o u r v o u s, v o u s c a p a b l e

faire t o u t ç a v o u s v o u l e z a v e c c o r p s à m o i , m o i , p a s c a p a b l e

dire

à r i e n ; m a i s , b l a n c , c i l i la, l ' y p a s a c h e t é m o i , m o i , p a s p o u r l i , li pas g a g n é d r o i t b a t t r e m o i , t a n t ç a l y v o u l e z . » D e c e s d i v e r s e s c o n s i d é r a t i o n s , o n s e n t c o m b i e n i l est a v a n t a g e u x et i m p o r t a n t à c e q u e les n è g r e s s o i e n t s u r v e i l l é s et c o m m a n d é s immédiatement par leurs agens subordonnés ,

maîtres,

et immédiatement p a r des

é c o n o m e s et a u t r e s . C'est aussi d ' a p r è s c e t t e

v u e q u e j e d é s i r e r a i s , l o r s q u ' i l s'agira d ' u n e e x p é d i t i o n à S a i n t - D o mingue,

q u e l e g o u v e r n e m e n t e n g a g e â t e t s o l l i c i t â t les p r o p r i é -

t a i r e s d e se r e n d r e d a n s l a c o l o n i e , p a r c e q u e l e u r p r é s e n c e s e r a d e la p l u s g r a n d e u t i l i t é , e t c o n t r i b u e r a p l u s q u e t o u t a u t r e m o y e n accessoire a u maintien et à l'affermissement cependant, par

ses

qu'on

faveurs

ne ,

a

saurait tant

de

les

y

moyens

forcer pour

, les

d e l'ordre. mais y

le

Je s e n s ,

gouvernement

déterminer

qu'il

,

doit

s ' e m p r e s s e r d e l e s m e t t r e on u s a g e ; c a r l ' i n t é r ê t d e tous c o m m a n d e impérativement cette mesure importante.


328 à

nos m c u v e m e n s Si

cet

nous état

avions de

su

une

liberté franche

apprécier

tranrptillité

et

parfaite

goûter dont

le

et

généreuse.

notre

bonheur

cours

,

paisible

n'était jamais troublé par aucun de ces crimes qui souillent les annales des autres nations, ni par aucuns de ces m o u vemens populaires si incompatibles avec tout o r d r e et toute sûreté p u b l i q u e ; vivant sur nos habitations sans ambition n i désir de p l a c e , sans jalousie entre n o u s , avec une c o n fiance, une sécurité pleine et entière au milieu de nos ateliers sans jamais en éprouver aucun i n c o n v é n i e n t fâcheux n i aucune mésaventure, nous aurions b é n i le gouvernement paternel qui nous permettait en m ê m e temps de nous a b a n d o n n e r à toute la pente de notre caractère bienfaisant ; n o u s l'aurions secouru et assisté de tous nos efforts, ses droits et ses prérogatives,

maintenu

assuré notre repos et n o t r e

b o n h e u r p e r m a n e n s . Mais tant de p r é v o y a n c e et de sagesse n e sont pas données à l ' h o m m e, e n c o r e moins à u n e association particulière. Il semble q u e nous a y o n s b e s o i n , dans cette vie passagère, de ressentir la pointe des malheurs et des misères humaines p o u r nous tirer de notre état de sécurité et nous rappeler à nous-mêmes,

p o u r n o u s forcer

à reconnaître et à apprécier notre état de félicité passée et en déplorer à jamais la perte. N o u s sommes,

dans nos

prospérités habituelles et constantes, semblables à ces t e m péramens fortement constitués q u i , n'éprouvant jamais de maladies, n e connaissent et ne sentent point le p r i x de la santé ; mais à la première attaque ils apprécient m i e u x les avantages et les bienfaits d'une heureuse organisation : tant il est vrai q u e nos jouissances, de quelque nature qu'elles s o i e n t , ont besoin d'être entremêlées de peines et d o p r i v a t i o n s , si nous voulons en goûter les charmes et tous les délices ( 1 ) !

( 1) Un auteur moderne a dit : Les jpies les plus vives et les plus


329 Je ne prétends pas,

par tout cet exposé,

affirmer qu'il

n'existait aucun a b u s , a u c u n vice dans notre administration particulière, et quelle est en effet la constitution o u la forme de gouvernement qui n'en présente pas, et souvent d'une nature à ne p o u v o i r être e x t i r p é s , parce qu'elle est inséparable de certains avantages ? C e u x auxquels o n a u rait p u remédier auraient été néanmoins facilement abolis o u rectifiés, si la raison et ses mâles accens avaient p u faire entendre leur langage dans ces temps de f o l i e , d é g a remens et d'enivrement universels, Mais la révolution, dans son torrent impétueux,

nous

a tout enlevé, droits et garantie, libertés et propriétés ; et ces droits et g a r a n t i e , ces libertés et ces propriétés ont été ensuite reconnus et prodigués,

avec u n e telle e x a g é r a -

tion et d'une manière n o n m o i n s insensée qu'illégale,

en

faveur d'esclaves et d'affranchis, q u i s'en sont servis p o u r se livrer à des excès m o n s t r u e u x contre les colons,

leurs

maîtres et p a t r o n s , p o u r s'affranchir de toute dépendance envers la m é t r o p o l e en se constituant sous u n e f o r m e de république

anarchique o u

de despotisme

féroce.

Ce

sont là sans contredit les conceptions les plus disparates, les plus désastreuses et les plus sauvages que la r é v o l u tion ait enfantées dans ses excès m ô m e les plus d é m a g o giques. L a restauration, cet arche d'alliance, ne n o u s a p o i n t encore fait ressentir au m o i n s directement sa d o u c e et bienfaisante influence, sa protection tutélaire et paternelle ; car les secours accordés aux colons et si malheureusement faibles p o u r c h a c u n d'eux en raison de leur grand n o m -

p u r e s s o n t c e l l e s q u i s ' a c h è t e n t p a r l e s d o u l e u r s e t naissent d u sein des l a r m e s : s e m b l a b l e s a u x r a y o n s d u s o l e i l q u i n e

sont jamais

p l u s é c l a t a n s q u e q u a n d ils s o r t e n t d e la n u e p o u r se r é f l é c h i r suides c h a m p s t r e m p é s d e r o s é e .


330 b r e (1), ces secours sont antérieurs à la restauration, et ils n'ont p u qu'être conservés et augmentés en partie sous l'autorité légitime,

elle qui v o u d r a i t , s'il lui était p o s -

s i b l e , réparer toutes les pertes, apaiser toutes les douleurs et calmer toutes les inquiétudes. Cependant l'espérance, ce b a u m e salutaire et réparateur en quelque sorte des infortunes par anticipation les prestiges de l'imagination,

et par

semble s'enfuir et s'éloigner

de nous dans u n long avenir. M a l h e u r e u x colons ! tristes et déplorables victimes des erreurs des uns, de l'injustice des a u t r e s , de l'insouciance et de la prévention de tous ! Scriez-vous d o n c condamnés à subir toutes les i n f o r t u n e s , toutes les angoisses réservées à la race h u m a i n e dans ses périodes les plus désastreuses, sans q u ' u n rayon d'espoir n e puisse o u ne doive jamais luire sur vos têtes? Q u e l l e affreuse et déchirante perspective p o u r vous et p o u r toute génération présente et future.

votre

Fasse le ciel n é a n m o i n s

qu'une juste réparation n e vous soit pas p o u r toujours r e f u s é e , et q u e vous puissiez u n j o u r dans vos cités reconstruites,

dans vos habitations r é é d i t é e s, dans vos champs

fertilisés de nouveau et réunis au sein de vos familles ,

(1) I l v a u d r a i t m i e u x sans d o u t e, p o u r la t o t a l i t é d e s coloris et p o u r t o u s les i n t é r ê t s e n g é n é r a l , d e c o n v e r t i r ces s e c o u r s,

s'éle-

v a n t , j e c r o i s , à 900 m i l l e f r a n c s , r é p a r t i s e n t r e u n n o m b r e p l u s o u m o i n s g r a n d d e c o l o n s , e n r e n t e s p e r p é t u e l l e s q u ' o n a l i é n e r a i t , et d o n t le c a p i t a l s e r a i t u t i l e m e n t e m p l o y é p o u r

la c o n q u ê t e

et la

r é o r g a n i s a t i o n d e S a i n t - D o m i n g u e . V o i l à , ce m e s e m b l e , u n m o y e n s i m p l e et f a c i l e d e se c r é e r d e s f o n d s, - o n é r e u x à la n a t i o n

qui ne seraient guère plus

q u e les s e c o u r s a c t u e l l e m e n t a c c o r d é s , q u i

r é p o n d r a i e n t à u n e d e s t i n a t i o n p l u s u t i l e, p l u s g é n é r a l e et p l u s d i r e c t e m e n t eu r a p p o r t avec toute l'étendue de nos obligations sociales. Cette m e s u r e n'entraînerait d'autre dépense que celle relative à la c o n t i n u a t i o n de ces s e c o u r s a c c o r d é s a u x c o l o n s , j u s q u ' a u m o m e n t o ù ils p o u r r a i e n t r e n t r e r a v e c s û r e t é et c o n v e n a n c e s u r l e u r s propriétés.


331 actuellement dispersées et errantes sur le globe e n t i e r , répandant de nouveau la paix et le contentement p a r m i tous vos subordonnés en échange de ces idées de liberté et d'égalité qui firent et feront toujours leur malheur,

pro-

clamer et bénir à jamais, dans l'exaltation de votre r e c o n naissance et de votre a m o u r , les n o m s des régénérateurs et des bienfaiteurs de votre nouvelle destinée ! Les formes et les variétés sont tellement de l'essence de l ' h o m m e et de ses institutions qu'on n e d é c o u v r e aucun g o u v e r n e m e n t , ancien et m o d e r n e , entièrement semblable et h o m o g è n e, soit dans leurs principes politiques et dans ce qu'ils ont admis c o m m e base fondamentale,

soit dans

leurs rapports comparatifs et l'ensemble de leurs m o u vemens. Sans doute,

tout gouvernement offre le spectacle

matériel des trois modes d'existence p o s s i b l e , des trois pouvoirs

originels ; mais leurs c o m b i n a i s o n s

et

leurs

organisations, leur mélange et leur amalgame avec d'autres principes également

essentiels ; mais cette

multiplicité

d'institutions particulières q u i se lient et s'entrelacent si diversement avec ces p o u v o i r s originels o ù l'on rencontre les premiers germes des libertés publiques et individuelles modifiées

encore

à l'infini, o u ,

ce q u i

est également

i m p o r t a n t , ce p r i n c i p e fondamental et antérieur à tout a u t r e , celui de leur agrégation en corps politique c o n f o r mément à u n objet u n i q u e et p r i n c i p a l (1) ; toutes ces

(1) « Q u o i q u e

t o u s l e s états a i e n t e n g é n é r a l u n o b j e t , q u i est

de se m a i n t e n i r ,

c h a q u e é t a l e n a p o u r t a n t u n q u i l u i est p a r t i -

c u l i e r . L ' a g r a n d i s s e m e n t était l ' o b j e t d e R o m e ; la g u e r r e,

celui

de L a c é d é m o n e ; la r e l i g i o n , c e l u i d e s lois j u d a ï q u e s ; le c o m m e r c e , c e l u i d e M a r s e i l l e ; la t r a n q u i l l i t é p u b l i q u e , c e l u i d e la

Chine

( o b j e t n a t u r e l ' d ' u n état q u i n'a p o i n t d ' e n n e m i s a u d e h o r s , o u q u i c r o i t les a v o i r a r r ê t é s p a r des b a r r i è r e s ) ; la n a v i g a t i o n ; c e l u i d e s lois d e s R h o d i e n s ; la l i b e r t é n a t u r e l l e , l ' o b j e t de la p o l i c e d e s s a u v a g e s ; e n g é n é r a l , l e s d é l i c e s d u p r i n c e , c e l u i d e s états d e s p o -


532 circonstances forment sans doute une i n n o m b r a b l e v a riété de g o u v e r n e m e n t ,

de

m o d e s différens et carac-

téristiques. C'est d o n c une folie, une entreprise infructueuse et t é méraire de vouloir ramener tous les gouvernemens à une égalité de principes, à une marche u n i f o r m e , à une i d e n tité parfaite dans le m o d e do leur existence politique et tiques ; sa gloire et celle de l'état,

celui des monarchies : l'indé-

pendance de chaque particulier, est l'objet des lois de la Pologne; et ce qui en résulte, 5, liv.

l'oppression de tous.» (Esprit des Lois , eh-

11.)

« E u un mot, outre les maximes communes, chaque peuple rentenue en lui quelque cause qui l'ordonne d'une manière particulière et rend sa législation propre à lui seul. C'est ainsi qu'autrefois les Hébreux et récemment les Arabes ont eu pour objet principal la religion ; les Athéniens, les lettres ; Carthage et T v r , le commerce ; Rhodes, la marine ; Sparte, la guerre; et Rome, la vertu. L'auteur de l'Esprit des Lois a montré dans une foule d'exemples par quel art le législateur dirige l'institution.» (Contrat Social,

ch. X I , liv. I I )

D'après l'évidence de ce principe , confirmé par l'expérience , n'est-on pas fondé à admettre que l'esclavage aux Antilles est cet objet particulier qui a constitué primitivemenl leur gouvernement et les a ordonnés d'une manière toute particulière ? N'est-ce pas là Je principe de leur formation et de leur d u r é e , lequel ne peut être dès-lors détruit ou affaibli sans que la société n'en soit également dissoute ? O n dira peut-être que l'établissement des colonies aux Antilles

avait pour

objet particulier l'extension du

com-

merce. Mais cet objet ne pouvant être obtenu que par l'exploitation des terres, et les nègres étant les seuls propres, physique et sous un climat b r û l a n t , il a bien fallu s'aider de leurs

par leur

à les mettre on culture,

bras. Pour

les acquérir, il a

fallu les acheter ; ceux auxquels ils appartenaient, chefs et a u t r e s , n'ayant pas voulu s'en dessaisir sans en recevoir un équivalent quelconque. En suivaut cette série, on peut en conclure par une induction naturelle et fondée, que l'esclavage est le principe fondamental de l'organisation aux Antilles, de cet objet particulier auquel toutes leurs lois Subséquentes doivent constamment se rapporter, si ou veut les régir avec sagesse et équité.


333 morale. N o u s n'affirmons

pas qu'ils n e sont

suceptibles

d'aucuns c h a n g e m e n s , d'aucune m o d i f i c a t i o n , o u d'un certain degré de perfectionnement ; m a i s , si ces c h a n g e mens o u améliorations ne se règlent et ne se c o m b i n e n t pas avec leurs principes constitutifs, surtout avec ceux de leur formation originelle,

ils occasioneront une d i s s o n -

n a n e c , un tiraillement c o n t i n u e l , et l'état mis sur le p e n chant de sa. ruine se précipitera

rapidement vers

une

dissolution complète. L ' e x e m p l e de la F r a n c e et de S a i n t D o m i n g u e justifie amplement ces considérations i m p o r -

tantes;

Dans l'une,

o n n'est parvenu au retour de l'ordre

et o n ne l'atteindra entièrement qu'en r a p p e l a n t , qu'en rétablissant les principes et les formes monarchiques sous son p r i n c e l é g i t i m e , les droits et les prérogatives qui en

ferment l'essence ;

o n n'y parviendra dans l'autre qu'en

rappelant et en mettant en v i g u e u r , sous la puissance nationale et avec l'influence et l'autorité des propriétaires planteurs, les bases de sa constitution primitive, l'esclavage et ses diverses dépendances,

avec les modifications q u e

réclament l'humanité el l'intérêt général. Fortifions par des considérations nouvelles ces p r o positions diverses. Ce q u i constitue la science en g é n é r a l , c'est la c o n n a i s sance des faits, celle de leur enchaînement et leur rapport ° u leur application à u n e loi p r e m i è r e c t fondamentale. Ces faits, en se m u l t i p l i a n t , étendent sans doute la sphère; de la s c i e n c e , mais elle n e se perfectionne

véritablement

qu'en c o m b i n a n t les faits à u n fait antérieur et p r i n c i p a l , ou à une vérité unique déduite de ces faits qui donnerait la solution de tous les p r o b l è m e s appartenais à chaque science. Sous ce dernier r a p p o r t , o n peut dire que la science sociale est e n c o r e à naître (1).

(1) O n peut voir, dans le tome premier des

Mémoires

de

l'IRs


334 P a r e x e m p l e , la liberté est, si l'on v e u t , u n fait o u une vérité générale,

mais son application n'est pas la même

dans l'état de nature c o m m e dans l'état social ; elle varie également, suivant q u e l e gouvernement est m o n a r c h i q u e , aristocratique o u démocratique ; suivant que les constitu-

titut, article de M . Destust-Tracy, le développement qu'il donne à ces vérités diverses. « Les diverses parties de nos connaissances, ajoute-t-il, ne nous paraissent séparées les unes des antres que parce que nous ignorons encore les relations qui les rapprochent. Si elles étaient toutes arrivées, comme l'astronomie, au point de ne dériver chacune que d'un seul principe unique, il est clair que la totalité de la science humaine serait renfermée clans un petit nombre de propositions, et que, pour réunir toutes les branches en un tronc commun, il ne s'agirait que de trouver une proposition première, de laquelle dérivassent toutes ces propositions fondamentales de chaque science particulière : alors nous aurions vraiment une connaissance complète de tout ce qui existe, ct nous verrions distinctement que toutes les vérités secondaires ne sont que des conséquences d'une vérité première, dans laquelle elles sont toutes implicitement renfermées,

et dont elles ne nous présentent que des développemens

partiels. » D'après cette vue générale,

il semble

que nos

connaissances

resteront toujours dans un état d'imperfection plus ou moins grand , par l'impossibilité ou la difficulté de remonter à ce principe premier et générateur, appartenant e n c o m m u n à la totalité des sciences. 11 paraîtrait également qu'il n'existe dans l'univers entier qu'une seule vérité primitive et originelle,

dont les autres sont déduites

et en sont comme des corollaires, laquelle restera toujours inconnue aux mortels. Qui la possède ? Elle est renfermée au sein de l'Eternel,

et sa connaissance deviendra peut-être un jour la récom-

pense du juste dans le séjour des bienheureux après une longue épreuve. Alors tous les mystères s'éclairciront ; alors la nature entière se dévoilera à nos yeux ; et cet archétype du monde nous apparaîtra avec ses merveilles diverses, indéfinies comme l'espace sans bornes, comme la durée des temps sans fin avec cette clarté intuitive que constituera de toute éternité le bonheur des élus.


335 tions sont mixtes. L'histoire de toutes les nations et l'examen de leurs constitutions o u formes de gouvernement confirment cette vérité. Ainsi o n n'a rien dit lorsqu'on se b o r n e simplement à avancer que les h o m m e s sont o u doivent être libres. C'est la une vérité g é n é r a l e , sans désignation ni utilité p r é c i s e , tant que l'on n'a pas examiné de quelle sorte de liberté ils sont suceptibles, tant que l ' o n n'a pas examiné son a p p l i cation aux circonstances particulières ; c'est-à-dire à la forme d u gouvernement sous laquelle ils existent, à leur caractère particulier déterminé par la nature et qui reste peut-être, et jusqu'à u n certain p o i n t , indépendant d e nos institutions ; à leurs habitudes, à leurs m œ u r s , à leurs usages et à leurs préjugés ; à la nature d u s o l , d u climat et des propriétés ; aux progrès des lumières et à leur e x pansion plus o u moins étendue o u possible sur la masse entière de la population ; à cet esprit de c o m m e r c e et d ' i n dustrie plus o u moins r é p a n d u dans la s o c i é t é , et q u i , plus que tous les grands événemens arrivés au m o y e n âge, ont permis l'établissement des c o m m u n e s et l'affranchissement des serfs, et ont p r o c u r é à tous c e u x - c i les m o y e n s d'échanger le p r i x de leur travail p o u r u n équivalent g é néralement acceptable, seul m o y e n par lequel o n peut créer u n e classe libre et industrieuse. Ce sont ces objets généraux et ces circonstances, susceptibles de tant de m o difications diverses, q u i d o n n e n t à chaque peuple u n e physionomie distincte et u n caractère tout particulier, q u i nécessitent et f o r m e n t autant de m o d e s de gouvernemens et de nuances différentes de liberté ( 1 ) .

(1)«

Biais ces objets généraux de toute bonne institution, doi-

vent être modifiés en chaque pays par les rapports qui naissent, tant de la situation locale que du caractère de ses habitans ; et c'est sur ces rapports qu'il faut assigner à chaque p e u p l e , u n système


336 Cela est tellement v r a i , q u ' o n n'est pas l i b r e dans

nos

temps m o d e r n e s c o m m e o n l'était dans les r é p u b l i q u e s a n ciennes, grecque

et r o m a i n e ,

ni

comme

o n l'était dans

les m o n a r c h i e s d u m o y e n âge et dans les temps antérieurs. L a liberté

des A n g l o - A m é r i c a i n s

celle des A n g l a i s ,

ne

ressemble p o i n t à

quoique modelée en apparence

sur le

m ê m e système ; celle à laquelle tendent sensiblement les peuples

e u r o p é e n s , et qu'ils s'efforcent à v o u l o i r établir

sur la base d u g o u v e r n e m e n t représentatif, n e saurait c e pendant, pour

chacun d ' e u x ,

être c o m p o s é e

d'élémens

s e m b l a b l e s , ni avoir le m ê m e degré d ' a m p l i t u d e ,

parce

particulier d'institution qui soit le meilleur, non peut-être en lui-même. Elles doivent être tellement propres (les lois civiles et politiques) au peuple pour lequel elles sont faites, que c'est un très-grand h a sard si celles d'une nation peuvent convenir à une autre. Il faut qu'elles se rapportent à la nature et au principe du gouvernement établi, litiques,

soit qu'elles se forment, comme font les lois po-

soit qu'elles les maintiennent comme les lois civiles.

Elles doivent être relatives au physique du pays,

au climat

glacé, brûlant ou tempéré, à la qualité du terrain, à sa situation, à sa grandeur ; au genre de vie des peuples,

laboureurs,

seurs ou pasteurs; elles doivent se rapporter nu degré que la constitution peut souffrir,

chas-

de liberté

à la religion des habitans, à leurs

inclinations, à leurs richesses, à leur nombre,

à leur commerce,

à leurs m œ u r s , à leurs manières : enfin elles ont des rapports entre elles; elles en ont avec leur origine, avec l'esprit du législateur , avec l'ordre des choses sur lesquelles elles sont établies. » ( Esprit des Lois , liv. 1. chap. 5. ) Vérités précieuses, incontestables et dictées par un génie profond et méditatif, cité et admiré par tous les hommes éclairés des deux mondes comme autorité première, dédaignée seulement par nos novateurs ; mais que nous tous, nous devrions bien prendre pour guide et régulateur, systèmes enfantés,

à reflet de rectifier tous ces projets et

avec autant d'inconsidération que d'ignorance,

pour Saint-Domingue et nos possessions coloniales.


337 qu'ils seront forcés de les greffer sur leurs institutions d i verses, s'ils veulent les c o o r d o n n e r d'une manière juste et convenable -, et nous voyons d é j à , p o u r ceux qui les o n t a d o p t é s , des différences sensibles et remarquables : les l o i s , la police et toute la politique des O r i e n t a u x , sont et ont toujours été différentes de celles des peuples o c c i d e n taux, et aucun état n e présente à cet égard u n e égalité n i une identité parfaite. Cette dernière vérité acquiert u n nouveau degré d ' é v i dence par l'exemple des A n g l o - A m é r i c a i n s . Q u o i q u e c e peuple soit lié par des usages, des moeurs et des habitudes semblables dans leur

g é n é r a l i t é , et parlant la

môme

l a n g u e , et q u o i q u e chacun des états particuliers f o r m a n t la grande confédération américaine,

autrement dite des

Etats-Unis, se soit constitué séparément-sous la f o r m e r e présentative étayée sur u n e base entièrement

républi-

caine ; il n'est cependant aucun de ces états particuliers qui se ressemble p a r f a i t e m e n t , et n e présente des différences sensibles dans l'organisation et les attributions d é léguées aux différens pouvoirs p o l i t i q u e s , ainsi que de la manière plus o u moins étendue o u restreinte dont l e p e u p l e est appelé à la participation et à l'exercice de ces m ô m e s pouvoirs ( t ) .

( 1 ) Consultez la constitution américaine, et l'ouvrage intitulé le Fédéraliste,

publié par M M . Hamilton, Madisson et G a y , trois

citoyens distingués de cette république, et dont le second a été chef suprême de cette confédération, en sa qualité de président. Ce qui surprendra sans doute nos politiques, c'est que dans les états du centre et du sud (Virginie, Caroline et les autres ) , le nombre de leurs députés au congrès, réunion de tous les députés de la c o n fédération exerçant l'autorité souveraine, en tout ce qui concerne les intérêts généraux, est non-seulement en proportion des h o m mes libres, esclave,

mais on y a également fait entrer la population des

comme un des élémens premiers de la représentation 22


338 Cette m ê m e

vérité se p r o u v e e n c o r e par l'histoire des

anciens p e u p l e s . L a G r è c e , territoire circonscrit et trèsborné,

renfermant u n e foule de petites r é p u b l i q u e s , d é -

mocratiques ct aristocratiques et quelques états sous u n e apparence

monarchique,

différaient

néanmoins

entre

eux, sous ces trois formes radicales, p a r des nuances trèssensibles,

ce qui formait autant de

modes

de

gouver-

n e m e n s différens. C'est Aristote q u i n o u s l'apprend dans sa p o l i t i q u e , celle

et qui attribue en partie cette différence à

résultante des professions dominantes au sein

de

c h a q u e état. II y a ici u n e considération des plus importantes. Si les g o u v e r n e m e n s divers d o i v e n t être rappelés

à ces

droits

nationale. Si, à l'époque des états-généraux , nous eussions voulu , nous colons, réclamer le même privilège pour augmenter le nombre de nos députés, tous nos publicistes se seraient élevés avec indignation contre une pareille prétention, qu'ils auraient bafouée et anathématisée. Voici cependant un peuple auquel on ne peut refuser des lumières assez étendues en fait de législation et d'administration, qui y a donné son consentement sans opposition quelconque, parvenue du moins à notre connaissance. Voici une autre singularité. O n m'a assuré que,

dans l'état de New-Jersey, les

femmes étaient admises à voter dans les élections. A u reste, nous ne présentons ces diverses observations que pour faire voir combien tous les gouvernemens sans exception,

ct ceux-

là même qui sont fondés en apparence sur les mêmes principes, diffèrent entre eux, non-seulement par de simples nuances, mais même jusque dans leurs bases

constitutives. Et nous voulons,

nous tous, j'entends nos philanthropes et négrophiles, leurs partisans et leurs échos, organiser Saint-Domingue et nos autres possessions coloniales, si différentes, en tous points, de la métropole, avec les mêmes droits et les mêmes attributions, sur les mêmes principes de liberté et d'égalité ! Quelle absurdité choquante ! quelle ignorance profonde sur les premiers élémens sociaux, sur les hommes, les choses, et sur toutes nos institutions!


339 naturels préconisés avec tant d'emphase, à ces principes de rigueur absolue reconnus c o m m e évidens et i n d i s p e n sahlcment nécessaires au repos et à la sûreté de tous ; o u m i e u x encore à ce contrat originel,

exprès o u tacite,

par lequel u n peuple entier est supposé s'engager envers l u i - m ê m e sous la f o r m e d'un pacte c o n v e n t i o n n e l , il n'est p o u r lors aucun gouvernement subsistant q u i ne dût subir une réforme entière et radicale. Je n'en connais qu'un seul q u i f o r m e u n e exception à cette observation générale, celui des Etats-Unis de l ' A m é rique d u n o r d . E n c o r e remarquerais-je q u e le peuple n'a p o i n t été appelé à d o n n e r sa voix p o u r la formation d e l'association c o m m u n e et générale, mais seulement les états particuliers constitués en corps politique-, infraction évidente à ces droits originels, inaliénables et i m p r e s c r i p tibles,

à c e u x surtout relatifs à u n consentement indivi -

duel au pacte social ; tous droits attribués et appartenant irrévocablement au p e u p l e , suivant u n grand n o m b r e de publicistes. Il serait m ê m e difficile d'affirmer en cette o c casion, d'après la rigueur des principes q u e n o u s sommes l o i n de vouloir adopter o u de d é f e n d r e , q u e la majorité dût enchaîner la m i n o r i t é, si surtout celle-ci différait p e u d e la p r e m i è r e . Cette majorité est juste,

raisonnable dans

les délibérations des c o r p s constitués p o u r leurs résolutions particulières, mais l'unanimité semble à p e u près requise dans l'acte de l'association p r i m i t i v e ,

puisque

chaque individu est censé faire le sacrifice de cette p o r tion de sa liberté naturelle d o n t l'existence devient i n compatible avec l'ordre des sociétés; et personne dans ce c o n t r a t , supposé réel et antérieur au pacte social,

ne

peut s'obliger p o u r a u t r u i , s'engager contre son gré et e n c o r e m o i n s être soumis à des volontés en opposition avec la sienne. Je remarquerais, en o u t r e , que la majorité des États-


340 U n i s , autant que j e puis m e le rappeler, a déterminé l'un i o n fédérative, malgré l'opposition de quelques autres, et certainement malgré le voeu manifesté de vouloir i n t r o duire quelques modifications nel ( 1 ) ; autre infraction

dans l'acte

constitution-

plus évidente e n c o r e , en ce

q u ' u n état indépendant et tel qu'était chaque état avant son u n i o n , jouissant de la plénitude des p o u v o i r s , n'a jamais p u être a m e n é , c o n f o r m é m e n t aux principes de justice et de cette égalité p o l i t i q u e , de s'adjoindre et de s'incorporer forcément dans une association c o m m u n e et f é d é r a l e , s'il n'y a d o n n é u n acquiescement l i b r e , e n t i e r , et s'il n'a r e ç u la m ê m e autorisation de la part de tous ses t o n s tituans» V o i c i cependant u n des gouvernemens i n c o m p a r a b l e ment le plus libéral de tous c e u x q u i ont jamais e x i s t é , dont la base primitive est néanmoins entachée de d e u x vices radicaux. Q u e serait-ce d o n c des autres si nous en faisions l'examen et l'analyse ? Ils succomberaient toits sous cette épreuve investigatrice ( a ) . Il n'en est aucun d o n t o n

( 1 ) Plusieurs états , surtout ceux du m i d i , voulaient rester entièrement indépendans dans tous leurs rapports intérieurs et extérieurs , se constituer enfin avec la plénitude des pouvoirs souverains , ce qui a établi, dès cette époque , une scission entre ces deux partis, fédéraux et anti-fédéraux, subsistant encore dans leur entier. C e t t e scission entraînera vraisemblablement par Ja suite un démembrement de la confédération, provoqué encore par l'érection de nouveaux états, par l'accroissement d'une population , tant étrangère que régnicole, aussi rapide qu'étonnante. Je crois que Je président Jeffersona toujours passé pour être de ce dernier parti ou partisan de ce système de gouvernement, comme M . A d a m , second président et l'illustre , le vénérable W a s h i n g t o n , un des hommes les plus recommandablcs et les plus vertueux de nos temps modernes, o n t toujours été réputés fédéralistes.

(2) Aristote, dans son ouvrage, intitulé Politique , etc.,

avait


341

ne pourrait faire une critique judicieuse et souvent amère, si on s'arrêtait, comme on l'a fait pour les colonies, sur un seul principe, et si on en développait les conséquences, et si en même temps on avait la mauvaise foi d'en écarter ou d'en affaiblir les résultats avantageux comme on n'a cessé également de le faire envers ces mêmes colonies. Car les institutions les plus parfaites en apparence ne sont pas sans mélange d'imperfections ; c'est une suite des bornes de notre esprit et de l'incertitude de la science sociale. Celles que nous présumons régulières renferment des i n convéniens et des vices souvent majeurs, celles qui présentent des imperfections réelles sont accompagnées de certains avantages incontestables liés avec ces mêmes imperfections 5 et l'on ne peut, comme le remarque un auteur moderne, arracher un abus sans faire disparaître un avantage, ni créer un bien sans faire naître à c6té de lui un inconvénient. Il paraît donc que c'est au temps et aux circonstances, plus peut-être qu'au génie de l'homme, auxquels il est réservé d'améliorer nos institutions, et de pouvoir apprécier ce qu'elles ont d'utile ou de nuisible. Nous remarquerons même à cet égard, quelle que soitla perfection de l'organisation sociale, à quelque degré même qu'elle soitportée, qu'elle n'en restepas moins exposée à des inconvéniens majeurs et inévitables, aux chances et aux vicissitudes dépendantes de son exécution. En effet, pour lui imprimer son mouvement, pour la mettre en action et

soumis à son examen les diverses constitutions ou formes de gou^ vernemens, au nombre de cent cinquante, existans de son temps,. Les trois constitutions de Crète, de Sparte, et de Carthage étaient, suivant l u i , les plus parfaites ; et cependant il trouvait qu'elles renfermaient beaucoup de vices et d'imperfections, qu'il nous fait connaître dans toutes leurs circonstances les plus importantes.


342 assurer sa m a r c h e , ne faut-il d o n c pas la confier u n i q u e ment à des h o m m e s , par conséquent à tout ce qui peut en troubler l'ordre et le mécanisme,

à leurs passions effer-

vescentes, à leur inexpérience et souvent à leur impéritie, cet orgueil du p o u v o i r , cette soif de la domination p a r lesquels ils voudraient ramener et assujettir les individus et les choses à leur seule volonté et c o n c e p t i o n ? vices q u i affectent la généralité des hommes et plus encore c e u x revêtus d'une autorité t e m p o r a i r e , d'où résultent c o m m u n é m e n t les abus du p o u v o i r , des vexations, des injustices ct des m o u v e m e n s désordonnés dans tout le corps p o l i t i q u e , surtout de la part de c e u x q u i exercent les emplois les plus subalternes avec d u r e t é , sans égard et sans m é nagement envers tous leurs s u b o r d o n n é s . Ce sontlà des abus et des excès presque inévitables auxquels la surveillance et toute l'activité de l'administration supérieure ne sauraient a p p o r t e r , peut-être en tout t e m p s , des remèdes prompts et efficaces. Ne voyons-nous p a s , en confirmation de celte v é rité , que la religion elle-même, dictée par l'auteur de la n a t u r e , se ressent des passions des h o m m e s , de leurs erreurs et d e leurs prétentions mutuelles, parce q u e l'administration en est forcément remise à des êtres semblables à n o u s e n tout p o i n t , quoiqu'ils soient investis d'un caractère sacré ct d'une mission d i v i n e . Il nous serait facile en effet d e p r o u v e r q u e les fondateurs des sectes et les promoteurs des schismes et des hérésies sont en général tous ceux-là m ê m e q u i o n t reçu l'ordre exprès de nous instruire et de n o u s diriger dans la voie d u salut. Si la loi d o n n é e p a r l'être suprême l u i - m ê m e , d u m o n t Sinaï au p e u p l e h é b r e u , si celle prescrite par son fils en faveur de tous les h o m m e s , et s'immolant p o u r leur s a l u t , n'ont p u se conserver dans l e u r pureté et simplicité primitives ; si elles ont de plus e n gendré des schismes, des sectes et des hérésies toujours s u b sistans, des controverses interminables et sanglantes, des


343 dissensions intestines et parfois des guerres c i v i l e s , c o m m e 1 histoireneleconstatemalheureusementquetrop-, c o m m e n t peut-on espérer q u e des lois et des m o d e s de constitutions conçues par la seule sagesse h u m a i n e , n o u s garantiront des excès et des m a u x de la s o c i é t é , surtout des erreurs et des passions des personnes appelées à en exercer la puissance ? N o n,

cela est de toute impossibilité ; il faut se contenter

dans nos associations humaines d'un alternatif continuel en biens et en m a u x successifs, d'une sorte de b o n h e u r é p h é m è r e , encore et toujours partiel et relatif. C'est à ces c o n d i t i o n s , c'est avec ces imperfections q u e n o u s existons sur cette terre sans p o u v o i r nous en affranchir. Remarquez e n c o r e , j e vous p r i e , que ce g o u v e r n e ment si libéral des E t a t s - U n i s , f o n d é sur les droits de l'homme et de la souveraineté d u p e u p l e , servant de frontispice à la charte nationale, les citoyens de ce m ê m e g o u vernement possèdent des esclaves, les mêmes que c e u x des colonies. Ils n'ont pas c r u , par suite dé ces principes extrêmes et c o m m e c o r o l l a i r e s , devoir affranchir leurs e s claves, c o m m e le veulent les négrophiles ; persuadés q u e dans nos grandes associations politiques tout se règle et se c o m b i n e d'après les rapports qu'établissent des c i r c o n stances l o c a l e s , impératives et préexistantes,sous l'empire desquelles les principes e u x - m ê m e s , dans leur abstraction c o m m e dans leur application, sont forcés de fléchir o u de se modifier au m o i n s en c o n f o r m i t é de ces mêmes c i r c o n stances, ordonnatrices premières des élémens sociaux et de leur c o n c o r d a n c e h a r m o n i q u e . Puisque l'ensemble de nos institutions est si i m p a r fait par la faiblesse et les b o r n e s de notre e s p r i t , par les défauts et les passions inhérens

à la nature h u m a i n e ;

ah ! laissons, laissons p o u r l o r s , c r o y e z - m o i , chaque état, se gouverner c o m m e il l ' e n t e n d , d'après ses convenances


344 et son m o d e d'existence particulière-, c r o y o n s que les p e r sonnes qui les dirigent savent m i e u x apprécier ces lois f o n damentales et régulatrices, les c o o r d o n n e r avec toutes ses institutions diverses, quelque défectueuses qu'elles soient, q u e ces h o m m e s follement présomptueux, étrangers à ses lois ct à ses intérêts, cette foule de novateurs inexpérimentés dans l'art pratique du g o u v e r n e m e n t , tous ces réformateurs audacieux et téméraires, dédaignant dans leurs conceptions orgueilleuses et fantastiques de considérer l'ensemble de la législation,

et tout ce q u i constitue essentiellement

un

p e u p l e à part ; et restons tous enfin convaincus encore u n e fois que tous les états n e peuvent se modeler sur le m ê m e p l a n , ni se régir par les mêmes principes ; toutes les variétés observées étant le produit nécessaire d'une foule de r a p p o r t s et de combinaisons déterminés d ' a v a n c e , étant s u r tout 1 effet d u temps étayé de l'expérience avec ses phases diverses, ce grand et peut-être u n i q u e régulateur de toutes les institutions et destinées humaines i c i - b a s ,

indépen-

dant de celle d'un o r d r e plus é l e v é , hors de nos faibles c o n c e p t i o n s , mais n o n de nos ardentes ct glorieuses e s p é r a n c e s . N o u s n e saurions trop insister sur cette vérité p r e m i è r e,

en ce qu'elle constitue à elle seule le repos et l e

b o n h e u r durable des peuples. Q u e dirais-je ensuite ct de quelle expression m e servirais-je ce

pour

trafic

caractériser

bien

autrement

cette

transaction

scandaleux

et

diplomatique condamnable

,

que

la vente des nègres, au m o y e n duquel Bonaparte et le g o u v e r n e m e n t des Etats-Unis se sont e n t e n d u s , le p r e m i e r vendant et le second achetant p o u r plusieurs millions de d o l lars la possession etla souveraineté de la L o u i s i a n e ? perte é n o r m e et irréparable p o u r la F r a n c e sous u n e foule de r a p p o r t s . Q u e dirais-je e n c o r e de cette autre cession des d e u x Florides dont il est actuellement question

entre


345 l'Espagne et ce m ê m e g o u v e r n e m e n t , q u i serait également souscrite p o u r u n e s o m m e d'argent (1) ? V o i c i de la part de ces gouvernemens également c o u pables, l'un p o u r avoir p r o p o s é ces ventes et l'autre p o u r s'y être p r ê t é , u n nouvel attentat contre les droits de l'homme et de la société qui en outrage tous les principes, qu'aucune raison d'état, qu'aucune mesure de circonstance ne saurait justifier n i excuser,

si ce n'est le droit de c o n -

q u ê t e , déjà assez violent et cruel en l u i - m ê m e , sans être encore exposé à devenir l'objet et la victime d'un

trafic

o d i e u x et i m m o r a l . E n effet, peut-il être jamais p e r m i s , à moins d'y être contraint par la force des a r m e s , de faire passer u n e s e c tion de l'empire o u u n e colonie fondée par des régnicoles sous une domination é t r a n g è r e , et celle-ci l'accepter, sans le consentement exprès et f o r m e l de c e u x qui l'habitent(2) ; de leur faire perdre leurs liaisons de parenté et d'amitié , leurs relations sociales et commerciales, leurs lois et leurs usages ; d'effacer par degré jusqu'à leur origine p r e m i è r e et jusqu'à leur langue m ê m e , tout ce qu'ils o n t en c o m m u n de g l o i r e , de r e n o m m é e et d'illustration

avec u n e

n a t i o n , une m è r e - p a t r i e , dont ils n'ont cessé d'être u n e p o r t i o n intégrante, puisant les uns et les autres leur e x i s tence première dans les m ê m e s flancs,

ces premiers linéa-

Jnens de notre nature physique et morale ? contrat i l l é g a l , véritable stellionat,

et u n e exhérédation politique

des

plus douloureuses, p o u r tout h o m m e aimant et chérissant ( 0 A l'époque où j'écrivais,

cette seconde transaction n'était

qu'en projet, et depuis elle s'est effectuée. (2) Tous les publicistes, Puffendorff, Grotius et Vattel, disent clairement que, lorsqu'un prince est forcé d'abandonner une province de ses étals, il ne peut le faire sans le consentement du peuple de cette même province; et à bien plus forte raison lorsqu'il en fait volontairement le sacrifice sans y être contraint par la force des armes.


346 sa patrie, repoussé et rejeté d'un côté par l'injustice et l'ingratitude des g o u v e r n e m e n s , enfreignant les lois les plus sacrées; de l'autre attiré vers cette m ê m e patrie par ses habitudes, les souvenirs les plus chers, et par une sorte d'attraction m o r a l e , contraste également d é c h i r a n t , affectueux et pénible à supporter. M . T a l l e y r a n d , assistant à u n des c o n g r è s , demandait si les peuples n'ont pas de droit distinct de leurs souverains, et s'ils peuvent être assimilés au bétail d'une métairie p o u r être partagés sans leur consentement et soumis à une autorité étrangère. N o u s demanderons à notre tour si les colonies n'ont pas de droit distinct de leurs métropoles , et si elles peuvent être cédées ou vendues comme on se l'est permis envers la Louisiane à deux époques différentes, sans leur consentement exprès p o u r être dépendantes

d'une

puissance étrangère ; o u si la principale d'elles peut être abandonnée sans retour, e n opposition avec les vœux et les intérêts des propriétaires, à une horde de sauvageset de barbares, ce qui serait b i e n autrement irrégulier, scandaleux et révoltant. L ' u n e de ces concessions ne peut pas avoir lieu plus que l'autre; elles sont toutes les deux également contraires à toute administration juste et équitable, à tout ce qui constitue l'unité de l ' e m p i r e , à l'union el à l'ensemble de ses parties. Ainsi d o n c , d'après toutes ces considérations multipliées ct i m p o r t a n t e s , q u o i q u e le gouvernement

des Antilles

soit différent de c e u x de l ' E u r o p e ( j ' e n excepte ceux o ù la servitude de la glèbe e x i s t a i t ) , encore ce n'était pas u n m o t i f légitime ni ne saurait être une raison valable pointa proscrire c o m m e absurde et insensée. L e système d'esclavage, qui paraît en l u i - m ê m e si révoltant et qui l'est eu effet, considéré isolément et abstraction faite de la c o n f o r mation des h o m m e s qui s'y trouvent assujettis, ct de tous les avantages q u i en résultaient p o u r e u x , comparativement


347 à leur asservissement dans l e u r pays natal ; cet esclavage entrait c e p e n d a n t , n o n c o m m e a c c i d e n t , mais c o m m e u n des ressorts p r i n c i p a u x des g o u v e r n e m e n s a n c i e n s , de ces gouvernemens si v a n t é s , si exaltés par tous nos publicistes : de c e u x d e R o m e , d e la G r è c e , d'Athènes et particulièrement de Sparte p r é c o n i s é c o m m e le c h e f - d ' œ u v r e de l'esprit humain ( 1 ) . Sans l'établissement de la s e r v i t u d e , ces p e u ples n'auraient p u j o u i r de cette liberté

démocratique,

celle qu'ils exerçaient individuellement en c o m m u n sur la place p u b l i q u e et d o n t ils étaient si j a l o u x ( 2 ) . C o m m e n t

( 1 ) Je ne connais qu'un seul auteur, M . Hérensh'Whand, son ouvrage de l'Économie de l'espèce humaine,

dans

qui n'hésite pas à

déclaror que le gouvernement de Sparte était le plus vicieux et le plus monstrueux de tous ceux qui ont jamais existé ; ce sont ses propres expressions. Ce n'est pas là cependant une citation d'un auteur médiocre; car son écrit, sur la population, jouit d'une estime générale et méritée, à l'égal peut-être de celui de M. Malthus portant le même titre. Voilà sans contredit une opposition bien frappante qui choquera vraisemblablement la plus grande généralité des politiques. (2) « Chez les Grecs,

tout ce que le peuple avait à faire, il le

faisait par lui-même ; il était sans cesse assemblé sur la place p u blique. I l habitait un climat d o u x , il n'était point avide ; des esclaves faisaient ses travaux,

sa grande affaire était la liberté. —

Quoi ! la liberté ne se maintient qu'à l'appui de la servitude ? Peulêtre. Les deux excès se touchent; tout ce qui n'est pas dans la nature a ses inconvéniens, et la société civile plus que tout le reste ; il y a telle position malheureuse où l'on ne peut conserver sa liberté qu' aux dépens de celle d'autrui, et où le citoyen ne peut être parfaitement libre

que l'esclave ne soit parfaitement esclave. Telle

était la position de Sparte.»

( Contrat Social,

c h . 15, liv. 5.)

Cette vue générale peut être fortifiée par une considération nouvelle qui demanderait un certain développement. Si on avait bien étudié le système colonial, on aurait v u qu'il est établi sur un système d'agriculture relative fondé sur un système d'esclavage et sur l'extension du commerce où la classe libre dirige et surveille tous les travaux.


348 d o n c peut-on blâmer avec tant d'emportement et d'aîgreur c e q u e de l'autre on loue avec tant d'emphase et de p r é d i lection ? Je mets au défi tous les publicistes , tous les n é grophdes

et leurs partisans, frondeurs sévères et i m p i -

toyables, d u système colonial, approbateurs et admirateurs enthousiastes de celui

des a n c i e n s , de résoudre

cette

difficulté et de concilier cette contradiction choquante. Il y a ici m ê m e u n e considération de plus. Si o n a égard à toutes les c i r c o n s t a n c e s , affectant les îles occidentales, à celle du climat et des propriétés, à l'espèce d'hommes qui les h a b i t e n t , à leur défaut d'intelligence, de capacité m o rale et politique à se diriger par e u x - m ê m e s p o u r leur plus grand avantage c o m m u n , à leur qualité d'étranger, n'étant ni Français n i E u r o p é e n,

à leur état de d é p e n -

dance servîle et malheureuse dans leur pays n a t a l , au sort qu'ils éprouvent par leur transplantation qui les font participer à tous les avantages d'une société bien o r d o n n é e en les délivrant en m ê m e temps de la m o r t et des massacres annuels auxquels ils sont condamnés par suite de leur superstition et coutumes b a r b a r e s , à leur incivilisation perpetuelle et à tous les m a u x qui en r é s u l t e n t , constatés par les récits de tous les voyageurs q u i les o n t visités et observés : si o n a é g a r d , disons - n o u s , à toutes ces c i r c o n stances, o n s e r a , j e pense, pleinement c o n v a i n c u que leur servitude est plus juste, plus raisonnable, o u , si l'on veut, moins

déraisonnable

q u e celle

des

anciens ; puisque

b e a u c o u p d'esclaves de c e u x - c i étaient des Grecs et des R o m a i n s , leurs propres c o n c i t o y e n s , des h o m m e s de la m ê m e nature et de la m ê m e c o n d i t i o n , doués souvent de toutes les qualités du c œ u r et de l'esprit, qui n'avaient passé sous le j o u g , eux ct quelques étrangers, que par l'abus de la victoire et par leur qualité de débiteur insolvable. H o m m e s impartiaux de tout pays et de toute c o n d i t i o n , réfléchissez et prononcez: ! D i t e s - n o u s franchement s'il est


349 juste, s'il est conséquent de décrier u n ordre de choses q u i est u n véritable état d'amélioration et de perfectionnement p o u r les u n s , q u i leur serait autrement et entièrement i n c o n n u , envers lesquels nous ne sommes astreints qu'à des devoirs généraux ; tandis que l'autre préconisé avec tant d'exagération, est une infraction sacrilége de nos premières obligations sociales, celle de respecter au m o i n s les droits naturels et civils de c e u x qui sont nos compatriotesetnos c o n citoyens ? Cette infraction ne peut qu'engendrer des misères perpétuelles, physiques et morales p o u r tous les individus qui s'y trouvent assujettis, sans p o u v o i r offrir aucune c o m pensation, aucun dédommagement et aucune utilité p o u r e u x , n e présentant d'autre avantage p o u r le corps p o l i tique, b i e n désastreux sans doute, q u e celui d'une liberté démocratique exercée avec violence et dans sa plus grande latitude par u n certain n o m b r e de citoyens. P o u r j u g e r d o n c jusqu'à quel p o i n t l'esclavage est c o n v e nable aux Antilles et inhérent à leurs institutions, il faut en examiner tous les rapports, et voir s'il est en c o n c o r d a n c e avec les hommes et les c h o s e s , avec toutes les circonstances q u i ont déterminé leur association particulière et f o r c é e . Si cet examen est suivi dans tous ses détails, on se c o n vaincra aisément qu'aucun autre système n e peut lui être substitué, qu'il est de sa nature fixe, que les élémens e n sont indestructibles et en rapport constant avec les êtres qui lui sont subordonnés ; et q u e tout changement a m è nera sa dissolution p o u r la ruine et le malheur de tous T o u t est préjugé,

(1).

o u bien il n'en existe nulle part. L a

société tout entière est u n c o m p o s é de préjugés ; elle est fondée sur u n o r d r e factice, c o n v e n t i o n n e l , et les p r i n -

(1) Y o y e z - e n les p r e u v e s

d a n s l ' o u v r a g e déjà c i t é ; n o u s n e

pouvons nous répéter sur u n article qui comporte une étendue.

grande


350 cipes sont e n c o n t r a s t e , e n o p p o s i t i o n avec les lois g é n é rales de la nature (1) ; c'est u n e organisation m o r a l e toute d e la f a b r i q u e de l ' h o m m e , etvoilà p o u r q u o i elle est si d i v e r sement m o d i f i é e . Je n e v e u x pas dire par-là qu'il n'y ait des préjugés plus ou m o i n s u t i l e s , car il n'en existe point d'essentiellement nuisibles, et qui n'ait eu son o b j e t d'utilité au m o m e n t de sa f o r m a t i o n q u e le

sage seul fait a p e r c e -

v o i r ct apprécier ( 2 ) . L e s uns sont liésà nos institutions d'une manière indissoluble,

e n f o r m e n t le c i m e n t 5 ils servent

c o m m e forces morales au maintien de l ' h a r m o n i e sociale. Les

autres

sont

accidentels,

relatifs a u x

temps et aux

circonstances q u e d'autres temps et d'autres circonstances altèrent o u effacent. Les mêmes qui sont f o n d a m e n t a u x dans certains g o u v e r n e m e n s n e sont qu'accidentels dans d'autres.

( 1 ) Consultez l'ouvrage de M . Erchyny, trop peu connu, quoique publié au commencement de la révolution, sur les institutions civiles ,

de l'Égalité ou

Principes

généraux

politiques

ligieuses ,

où cette vérité renfermée dans notre texte est mise dans

et re-

tout son jour avec une force de raisonnement faite pour porter la conviction dans tous les esprits. (2) Nous nous prévaudrons ici de l'opinion de M . B u r k , le politique ct législateur, non théoricien, mais le plus profond praticien de nos temps modernes. Les trente années qu'il a siégé comme député dans la chambre des communes, avec un talent et une éloquence si marqués, la haute ct la célébre réputation dont il jouit parmi toutes les classes de la société en Angleterre, en sa qualité même d'auteur distingué,

sont de nouveaux titres en sa laveur.

V o i c i ce qu'il dit relativement aux préjugés que je traduis de son écrit : « V o u s v o y e z , monsieur,

que dans un siècle éclairé,

je suis

assez hardi pour avouer que nous sommes en général des hommes d'un sentiment assez peu réfléchi ; qu'au lieu de rejeter tous nos vieux préjugés,

nous les chérissons d'autant plus volontiers, et à

notre honte sans doute, que parce qu'ils sont des préjugés ; et plus long-temps ils ont duré ct ont prévalu généralement, plus nous


351 Or,

n o u s sommes e n c o r e ici dans n o t r e fort p a r r a p -

port à la cause q u e n o u s d é f e n d o n s ; p u i s q u e les préjugés de la c o u l e u r,

c e u x résultant de la distinction des r a c e s ,

sont inhérens à nos institutions c o l o n i a l e s , et n e sauraient être affaiblis sans e n p r o v o q u e r le r e n v e r s e m e n t avec tous les malheurs et les crimes qui en f o r m e n t les tristes a c c o m pagnemens (1). L e s événemens désastreux arrivés à SaintD o m i n g u e et p r o l o n g é s jusqu'à ce j o u r font ressortir cette vérité avec u n n o u v e l é t a t , avec u n e f o r c e tellement m a j e u r e et i m p o s a n t e , q u ' o n n e saurait désormais la m é c o n naître n i l ' o u b l i e r . C e p e n d a n t o n persiste Domingue,

qui

tient

encore

à vouloir

à la m é t r o p o l e p a r

que

les

Saint-

principes

g é n é r a u x , p a r c e u x surtout de la m o n a r c h i e légitime q u i

les chérissons. Nous sommes effrayés de laisser chaque homme vivre et trafiquer sur son fonds de raison particulière, parce que nous soupçonnons que ce fonds dans chaque homme est peu considérable,

et que les individus font mieux de se prévaloir de la

banque et du capital général des nations et des siècles. S'ils trouvent ce qu'ils cherchent, ils le réalisent assez communément, ils pensent qu'il est plus sage de continuer le préjugé avec la raison qu'il renferme,

que de rejeter l'enveloppe du préjugé et de ne

laisser autre chose que la raison toute nue ; parce que le préjuge avec sa raison donne une action à la raison et une affection qui lui imprimera de la permanence. L e préjugé est d'une application prompte dans les différentes occurrences

de la vie ; il engage

par avance l'esprit dans un cours de sagesse et de vertu ferme , et ne laisse pas l'homme , au moment de la décision, dans un état embarrassé, irrésolu et douteux. Le préjugé fait de la vertu d'un homme son état habituel, et non point une série d'actes sans liaisons. Par le moyen de préjugés raisonnables, le devoir forme une partie de sa nature. » (1) Consultez de nouveau les Considérations les trois classes

qui peuplent

les colonies,

générales

sur

etc., etc., où nous

croyons avoir donné les preuves les plus amples de cette vérité.


352 admet p a i r i e , n o b l e s s e , des électeurs et des éligibles, classeévidemment privilégiée, mais c o n f o r m e à la véritable science p o l i t i q u e , puisqu'elle f o r m e à elle seule cent mille électeurs et seize mille éligibles sur une population de trente millions d ' h o m m e s , o n persiste à vouloir qu'il n'y ait aucune distinction n i nuance parmi n o u s , plus nécessaire e n c o r e en ce point que cette distinction de races est la s e u l e , l'unique base sur laquelle nous puissions construire l'édifice colonial et en maintenir la d u r é e . O n veut contre toute raison et toute p o l i t i q u e , c o n f o n d r e sous des rapports c o m m u n s des blancs avec des n è g r e s , des ingénus avec des affranchis, des Français avec u n e race étrangère "et des êtres b i g a r r é s , inconnus à la nature primitive ct issus du mélange des races ; o n veut exclure toute classification d ' o r d r e , toute prééminence de race parmi cette masse libre o u n o n ; o n ne veut admettre aucun privilége, aucun avantage p o l i t i q u e , aucune supériorité en faveur d'une classe p a r t i c u l i è r e , lorsque la nature elle-même établit entre n o u s des inégalités si tranchantes et marquées de son sceau ineffaçable, q u e , malgré tous vos efforts, aucune constitution n i invention humaines n e sauraient altérer n i oblitérer. Nous invitons toutes ces

personnes à

consulter,

à

p a r c o u r i r les histoires anciennes et m o d e r n e s , celles de leurs constitutions, celles m ô m e des A n g l o - A m é r i c a i n s , o ù elles verront q u e des attributions et des distinctions diverses, dans l'ordre p o l i t i q u e , ont été partout admises et r e c o n n u e s , avec quelques faibles variations,

c o m m e la

pierre angulaire de l'architecture sociale ; plus encore dans les pays à esclaves, et m ê m e p o u r ceux d'entre eux qui p a r v i e n n e n t par la suite à obtenir la liberté et des propriétés. Quelles sont d o n c ces sources ignorées jusqu'à ce j o u r o ù elles ont puisé leurs nouvelles l u m i è r e s , p o u r vouloir qu'elles prévalent sur cet assentiment unanime et général,


353 fortifié encore par l'expérience invariable des siècles p a s sés et présens ? Il n'y a q u e des esprits rebours,

d'insensés

fanatiques qui puissent ainsi p r o v o q u e r le renversement de ce premier appui f o n d a m e n t a l , q u i ,

réuni avec les

principes r e l i g i e u x , a servi jusqu'ici à établir et consolider le système moral ct politique de toutes les associations r é gulières et possibles répandues sur la vaste étendue d u globe. Malgré ce que les philosophes moralistes et politiques ont avancé sur les lumières prétendues d u siècle et sur leur e x p a n s i o n , sur les progrès de la morale ct de la raison il est douteux que la nature humaine aille en s'éclairant, e n s'améliorant ct en se perfectionnant sans cesse dans u n e progression constamment croissante et sans terme. Elle est au c o n t r a i r e , p o u r tout observateur attentif et éclairé, dans u n état de

fluctuation

et d'oscillation

perpétuel,

sans pouvoir jamais dépasser certaines limites, tantôt p r o gressives, tantôt rétrogrades 5 et elle traverse ainsi, dans u n balancement alternatif ct continuel,

la succession des

âges, la période des siècles, avec toutes les chances d é pendantes des vicissitudes humaines. Si quelques nations gagnent en civilisation ct en p e r f e c t i o n n e m e n t , d'autres perdent tout à c o u p o u progressivement ces avantages ; d e manière qu'il s'opère sur notre globe u n e sorte de b a l a n cement ct d'équilibre entre la science ct l ' i g n o r a n c e , entre la civilisation ct la b a r b a r i e . E n considérant le n o m b r e d'erreurs ct de vérités qui se succèdent ct se remplacent m u t u e l l e m e n t , ces temps de t é n è b r e s , de nuits profondes ct de clartés successives ct périodiques ; en considérant ce que tant de peuples anciens étaient et sont d e v e n u s , les événemens q u i ont amené l'établissement ct le b o u l e v e r sement des e m p i r e s , leurs agrandissemens ct leurs c h u tes successives, o n n e peut s'empêcher d'admettre ces o b servations. 25


354 S'il faut m ê m e en croire le savant B a i l l y , il a existé, dans les temps les plus reculés q u i se perdent dans les profondeurs de l'antiquité, une nation sur le grand plateau de l'Asie, hautement civilisée, dont il n e nous reste aucun m o n u m e n t , sans compter cette fameuse Atlantique dont il ne subsiste que des notions c o n f u s e s , mêlées de fables diverses. L e m o n d e est b i e n v i e u x ; les anciens le croyaient coéterncl avec la cause p r e m i è r e , mais la religion lée nous o r d o n n e

de rejeter cette

révé-

o p i n i o n erronée et

païenne. Cependant il est plus que p r o b a b l e q u e , dans la succession des âges passés, plusieurs nations ont apparu, o ù les arts et les sciences étaient en h o n n e u r , ne laissant après elles sur cette terre aucune trace de leur existence passagère, alternativement éclairée dans la plus faible,

la

plus infime p o r t i o n de son é t e n d u e , et livrée ensuite aux ténèbres ; embellie et dévastée tour à tour par les passions des h o m m e s, par les irruptions des b a r b a r e s , par les r a vages et les convulsions de la n a t u r e , par la lutte des peuples et de leurs g o u v e r n e m e n s , par leur état p r o g r e s sif d'enfance et de virilité, de vieillesse et de décrépitude successive. Aussi la r é v o l u t i o n , quant aux nègres,

quant à la sa-

gesse et à la coordination de nos anciennes institutions coloniales, a i m p r i m é sur tous ces objets u n m o u v e m e n t r é t r o g r a d e , des plus convulsifs et des plus funestes. P e r sonne n'oserait nous le contester ; car l'exemple r é p o n d ici victorieusement à tous les a r g u m e n s , de quelque nature qu'ils soient. Si ces nouveaux p r i n c i p e s , si ces nouvelles maximes devaient continuer à p r é v a l o i r , à nous o b s c u r cir de leurs fausses lumières, nous et les corps politiques qui nous sont assimilés tomberaient en dissolution,

en

n o u s r e p o r t a n t , avec toutes les horreurs de la c o m b u s t i o n et de l ' a n a r c h i e , vers cet état b r u t et sauvage q u i f o r m e c o m m e le premier âge des nations.


355 Je ne sais m ê m e si o n ne serait pas fondé à dire q u e , lorsque les sciences ont atteint u n certain degré d'élévation q u ' o n peut regarder c o m m e leur z é n i t h , c'est alors q u e l'homme c o m m e n c e à raisonner sur ses devoirs au lieu de les r e m p l i r , à obscurcir,

à dénaturer ses senti-

mens à force de subtilité et de raffinemens, à mettre en doute et en discussion les vérités morales et religieuses : c'est alors que les préjugés sont examinés

abstractive-

m e n t , et sont déclarés puérils et a b s u r d e s , sans égard à leurs salutaires et bienfaisantes influences ; q u e les vertus mâles et généreuses, q u i exigent le r e n o n c e m e n t dé" s o i m ê m e et toute vue d'intérêt p e r s o n n e l , sont envisagées c o m m e des actes d'inconsidération , c o m m e u n e véritable duperie ; c'est alors que les institutions politiques

sont

jugées isolément, sans considérer leurs liaisons et leur ensemble q u i forment une sorte de faisceaux d o n t o n n e peut détacher les parties qu'avec b e a u c o u p de m é n a g e ment et de circonspection ; et remarquez que c'est au m o ment o ù les sciences régnent avec le plus d'empire et d'éclat q u e la c o r r u p t i o n des moeurs est la plus générale ; ce dernier effet correspondant constamment à sa cause et marchant c o n c u r r e m e n t ensemble. O n peut dire e n c o r e , dans u n autre sens et dans u n sens également exact, que toutes les sciences parties des extrémités de l ' O r i e n t , apparaissant avec l'astre du j o u r et c o m m e s o r tant de son s e i n , se sont avancées graduellement vers l ' O c cident en laissant derrière elles d'épaisses ténèbres : e t , parvenues depuis plusieurs siècles jusqu'aux confins de l'Europe, elles traverseront l'Atlantique, séjourneront en A m é r i q u e, visiteront u n j o u r peut-être quelques portions de cette immense p o l y n é s i e , quelques plages heureuses des îles p é l a g i e n n e s , et retourneront ensuite vers leur source première ; voyageant ainsi autour du globe, à pas l e n t s , graduels et entre le dixième et le soixantième d e -


356 gré de latitude n o r d, sa limite naturelle j u s q u ' i c i , aucun trait de lumière,

aucun signe de civilisation n'ayant e n -

core percé toute cetto partie comprise dans l'hémisphère australe, si l'on en excepte cetto seule et faible portion o c c u p é e par quelques

migrations

européennes

o ù les

o u plutôt quelques

illumi-

sciences sont encore dans l'enfance. Quelques métaphysiciens,

n é s , à la tête desquels se présentent M M . G o d w i n et C o n d o r c e t , ont prétendu que l'homme ici bas était suceplible d'un degré de perfectibilité à l ' i n f i n i ,

d u moins

sans

bornes assignables, et tel qu'il pourrait u n j o u r s'y rendre en quelque sorte immortel ; o p i n i o n en contradiction avec les simples lumières d u b o n sens,

avec la marche cons-

tante de la nature. L'homme ,

sur cette planète, est soumis aux lois g é n é -

rales de la nature, ses facultés intellectuelles,

son esprit,

son â m e , sont p o u r ainsi dire circonscrits et enchaînés dans la matière. Ils participent nécessairement aux i m perfections de ce mélange , de cette organisation double , partie spirituelle, partie animale ; mais , dégagée de ses entraves, de ses liens matériels, de ses formes périssables, cettep artie de n o u s - m ê m e s , immatérielle, et i m m o r t e l l e , acquerra tous les attributs, toute l'excellence de sa n a ture particulière ; elle s'élèvera à la c o n n a i s s a n c e , à la contemplation des vérités éternelles ct à celte

sublimité

d'essence, le but ct la fin de la c r é a t i o n , le c o m p l é m e n t des

vues

de

son

incomparable

auteur,

le

sceau

sacré

,

l'empreinte divine de son ineffable bonté et de sa clémence toute miséricordieuse. D e quelle utilité, en effet, serait u n e longue vie p r o longée sans fin sur cette t e r r e , exposée perpétuellement au conflit des passions h u m a i n e s , assujettie à tous les m a u x de la nature, dont les lois générales, c o m m e celles qui

affectent chaque

espèce en p a r t i c u l i e r , sont constantes


357 et invariables dans leur marche régulière et périodique ? Q u e signifierait, d'un autre côté, cette existence éphémère, cette o m b r e fugitive,

si elle ne devait recevoir une desti-

nation ultérieure ? Qu'importeraient à l'homme sa raison , son intelligence , les idées morales et religieuses qui lui permettent d'élever sa pensée jusqu'à l'existence du p r e mier des ê t r e s , s'il devait finir c o m m e le plus vil des a n i m a u x , l'instinct de c e u x - c i lui suffisant p o u r remplir icibas toutes les intentions de la n a t u r e , n a î t r e , végéter, se r e p r o d u i r e ,

et se perdre ensuite 6ans retour

dans

une matière m o r t e , tombant de toutes parts en dissolution ? Rejetons d o n c tous ces raisonnemens c a p t i e u x ,

tous

ces prestiges, ces idées de liberté et d'égalité absolues q u i n'existent véritablement q u e parmi les enfans de la nature, parmi ces sauvages e r r a n s , sans demeure fixe et sans a u c u n e sorte de police ; tous ces plans d ' u n i f o r m i t é , de s y métrie et de perfectionnemens supposés,

inconciliables

avec la nature variable des êtres ; tous ces sentimens faux et exagérés d ' h u m a n i t é , q u i , en imposant à leurs zélateurs des vertus c o m m o d e s et d'apparat, de fausse montre et sans sacrifice r é e l , les disposent en m ê m e temps à s'affranchir de toutes leurs obligations sociales, celles relatives à leurs parens et à leurs c o n c i t o y e n s . Car nos affections et nos devoirs d i v e r s , par u n o r d r e invariable prescrit par la suprême sagesse, doivent être circonscrits dans la sphère de nos relations privées et politiques, afin de leur conserver la vie et les m o u v e m e n s qui leur sont p r o p r e s , les seuls q u i sont en rapport et en h a r m o n i e avec l'ordre éternel des sociétés. Rejetons de plus ces lumières du p h i l o s o phisme m o d e r n e qui incendient

y

ravagent et portent la

m o r t au loin ; toutes ces notions chimériques sur l ' e x t e n sion des droits de l'homme ou société et sur la souveraineté


358 d u peuple (1), dernier p r i n c i p e anarchique, m ê m e en théorie,

en ce qu'il intervertit l'ordre conventionnel des s o -

ciétés,

et abandonne le p o u v o i r et le c o m m a n d e m e n t au

plus grand n o m b r e , à la multitude, là o ù d o m i n e déjà la f o r c e matérielle,

physique et les m o u v e m e u s populaires ;

(1) Le peuple est souverain, nous assure une foule de publicistes : qu'est-ce que cela signifie ? Le cri de guerre et l'appel aux armes. Car,

si le peuple est souverain,

quel que soit le degré de

limitation mise à sa souveraineté, il saura, à la faveur de la force physique qui lui est inhérente et de légers droits, exercer la puissance suprême, soit par attribution ou usurpation, et dès-lors il n'y a plus de gouvernement; car celui-ci ne commence que lorsque la souveraineté du peuple a cessé. Le mot peuple renferme dans un sens général et absolument tous les individus, à la seule exception du chef de la nation et de la famille royale, à partir des rangs les plus élevés, et en descendant jusqu'aux derniers. Mais, dans les républiques anciennes, même les plus démocratiques, tous les prolétaires,

les étrangers et les personnes exerçant certaines profes-

sions étaient exclus des assemblées publiques et punissables, s'ils y paraissaient. A i n s i , on nepeut comprendre, sous ce nom générique de peuple, que les personnes sans propriété et encore celles dont les propriétés sont insuffisantes pour leur procurer une subsistance journalière ; c'est-à-dire, cette portion en général la moins éclairée, intéressée à l'ordre public,

la moins

cette multitude enfin qui forme la

masse la plus nombreuse de toute

société, à laquelle on ne sau-

s s i t livrer les intérêts et les droits de tous, sans exposer l'état à des troubles iuévitables ct à des convulsions éternelles. Cette autre portion, composée de véritables propriétaires, est la nation proprement d i t e , réunie avec un chef héréditaire ou électif, avec un corps intermédiaire de notables ou nobles distincts des représent a i ; tous possédant les lumières et les qualités requises pour diriger avec sagesse et équité les grands intérêts de l'état ; ct la souveraineté ne peut s'entendre et n'est véritablement que l'exercice des pouvoirs originels de la société dans les personnes qui en sont revêtus. O n voit donc que la souveraineté proprement dite est nécessairement bornée ct circonscrite dans un petit nombre de p e r -


359 et là o ù il ne doit exister qu'obéissance et soumission absolues au jugement de cette plus petite portion de la c o m m u nauté, douée de sagesse, de lumières et de l'expérience acquise, résultat p r é c i e u x de son éducation et de sa station dans les diverses gradations de r a n g , de fortune et d'émi-

sonnes exerçant la puissance législative et exécutrice; c'est par abus, par une expression vicieuse et révolutionnaire qu'on l'a étendue à l'universalité du peuple ou de la nation. Elle est dans ce dernier sens tout à la fois fausse et dangereuse, ne peut être d'aucune utibté en politique,

et elle est féconde en erreurs et en calamités de tout

genre. Elle est simplement, et tout au p l u s , une arme meurtrière et perfide, une sorte de talisman et de jonglerie dont tous les n o vateurs et les factieux se servent pour s'emparer des pouvoirs p u b l i c s , à l'effet d'asservir la nation entière sous un joug de fer. Le gouvernement représentatif lui-même, quand il est composé d'une seule c h a m b r e , n'est dans ce cas qu'une faction subdivisée en plusieurs partis, se prévalant tous de l'engin de la souveraineté du peuple, pour en exercer la puissance et la tyrannie, au milieu d'une combustion et d'un bouleversement général, e t , jusqu'au moment où ils sont renversés par d'autres factieux, se livrant encore à plus d'excès que ces premiers, dont le résultat amène des guerres civiles et étrangères. L'histoire entière confirme ces vérités ; et les événemens arrivés pendant la révolution,

et ceux qui se

passent ailleurs en sontdes nouvelles preuves. Cette expression ne devrait jamais être employée par aucun publiciste, par aucun homme public,

éclairé et h u m a i n , à moins qu'en l'employant il ait soin

de lui donner sa véritable signification en la renfermant dans ses limites circonscrites. A l'appui de tout ce que nous venons de prouver contre la souveraineté du peuple, nous allons traduire quelques passages d'un auteur anglais anonyme : « Si un peuple est souverain, où sont ses sujets ? et si une nation est maîtresse, où sont ses serviteurs ? U n peuple n'a d'autres sujets que ses l'ois ; une nation n'a d'autres serviteurs que ses gouverneurs : glorieux renversement de tout o r d r e , et injure faite au sens commun ! — U n gouvernement ne pourrait pas subsister une semaine, un jour, ni même une heure s'il était rendu dépendant


360 n e n c e,

à laquelle appartient le droit de commander et de

régler, concurremment avec le chef suprême de l'empire , tout ce qui importe à là sûreté et au bien-être général do l'état. En

rejetant tous

ces échafaudages, tous ces appuis

des volontés de ceux qu'il est appelé à diriger d'après son institution. — Dans le gouvernement britannique, il paraît que la véritable doctrine veut que le pouvoir provienne originairement de la couronne, mais sujet à un certain contrôle de la part de la noblesse et des représentans du peuple. Renversez cette maxime, ct tous les vices de la démocratie en seront des conséquences inévitables. Si le pouvoir devait être considéré comme prenant sa source ct dérivant immédiatement du peuple,

ct si les députés devaient agir

conformément à ce principe dans toute sou étendue, les assemblées populaires dédaigneraient bientôt toute espèce de contrôle. Elles s'élèveraient au-dessus des limites constitutionnelles,

renverse-

raient toutes les barrières ct deviendraient un torrent irrésistible qui entraînerait dans un gouffre et la noblesse ct les trônes et toutes les institutious en les effaçant de dessus le sol. — L a résistance contre tout gouvernement établi ne peut jamais être justifié. A u c u n gouvernement ne pourrait maintenir une autorité permanente , si de telles doctrines étaient admises comme vérités , et adoptées comme principes d'action. Le droit général de résistance dans le peuple est incompatible avec le droit subistant de contrôle dans la partie gouvernante de l'état. Une de ces prétentions doit nécessairement prédominer ; il est impossible que toutes les deux puissent exister ensemble. Semblable à ces signes algébriques, elles se détruisent mutuellement : établissez la nécessité constante du gouvernement, le droit opposé s'anéantit aussitôt ct sans retour. » O n peut encore consulter l'ouvrage de M . Necker, intitulé flexions

sur l'Egalité ,

Ré-

où ces questions de la souveraineté du

p e u p l e , des droits de l'homme, de la liberté ct de l'égalité, sont également éclaircics,

ct où l'on démontre que l'universalité des

suffrages n'est pas plus la représentation de la souveraineté que la pluralité n'en est l'expression, ct que l'une de ces expressions est chimérique et l'autre dangereuse.


361 grossiers et t r o m p e u r s , r e c o u r o n s de nouveau à l ' e x p é rience,

ce vieux ouvrier entouré de la sagesse,

du génie

des siècles, et placé sur la route éternelle du temps p o u r nous diriger dans l'avenir ; confions-nous à des c o n n a i s sances pratiques et sûres plutôt qu'à de subtiles théories, q u i , loin de suppléer aux imperfections de notre n a t u r e , en augmentent, en perpétuent les vices ; et restons c o n vaincus de plus en plus que les états se régissent en définitive par la sagesse et la fermeté, par la c o n c o r d a n c e de leurs lois civiles et politiques, avec le système entier des h a bitudes et des inclinations naturelles des peuples,

par la

renovation et le maintien de leurs principes constitutifs, seules bases assurées d'un repos permanent et d'un b o n heur praticable,

préservatif salutaire et constant contre

les m a u x de la société, nés de nos fureurs délirantes, et contre leur funeste retour.

RÉSUMÉ. Cet é c r i t , par les détails dans lesquels n o u s sommes entrés, est bien p r o p r e à constater u n e vérité p r é c i e u s e , ignorée o u trop négligée par la plupart de nos écrivains politiques et de nos gouvernemens m o d e r n e s , la nécessité, avant de p r o m u l g u e r o u proposer u n e loi q u e l c o n q u e,

et

de b i e n s'assurer de la possibilité de son a p p l i c a t i o n , n o n seulement quant à son p r i n c i p e f o n d a m e n t a l , mais également dans son rapport avec toutes les circonstances d'une société d o n n é e . P o u r cet effet, il f a u t , c o m m e cet écrit le d é m o n t r e et c o m m e la simple raison l ' i n d i q u e , c o n n a î tre toutes ces c i r c o n s t a n c e s ; e t , quand ce p r i n c i p e est r e latif à u n o b j e t p a r t i c u l i e r , à u n e circonstance mentale,

tenant essentiellement

fonda-

aux bases constitutives

d'un état, il faut e x o m i n e r , analyser cet objet,

cette c i r -


362 constance dans ses diverses ramifications et jusque dans ses détails les plus m i n u t i e u x . Il faut de plus savoir si ce p r i n c i p e , d'une vérité rigoureuse, si l'on v e u t , en théorie, ne doit pas nécessairement subir quelques altérations, quelques m o d i f i c a t i o n s , afin de le rendre applicable à la pratique d'une manière possible et efficace, et sans o c c a sioner aucun trouble n i désordre. T e l l e est la marche d'un esprit sage et éclairé, de c e u x surtout appelés aux sublimes fonctions de législateurs, mais dédaigneusement rejetée par nos p h i l a n t h r o p o - j a c o b i n s et par tous les d o g matiseurs de la nouvelle école philosophique. Il n ' e s t , en effet, aucun p r i n c i p e en politique

qui,

dans sa rigueur primitive et dans ses divers corollaires , puisse

être

également

et

indistinctement

applicable

à

tous

les g o u v e r n e m e n s en g é n é r a l , c o m m e à chacun d'eux en p a r t i c u l i e r , dans toutes leurs relations variées et m u l t i pliées. Il n'y a peut-être q u ' u n seul p r i n c i p e , celui de la propriété, qui ne saurait souffrir la plus petite violation, la plus légère atteinte, sans c o m p r o m e t t r e la s û r e t é , les droits ct les intérêts de t o u s , sans exposer l'état à des c o n vulsions éternelles et à u n e ruine certaine. C o m m e n t se fait-il d o n c,

e n c o r e u n e f o i s , q u e tant

de personnes étrangères aux colonies, la plupart sans c a ractère ct sans mission,

n e connaissant n i leurs l o i s , n i

leurs usages, ni rien de ce qui en constitue l'existence physique, morale et politique, croient p o u v o i r, par u n e simple r é s o l u t i o n , par u n seul p r i n c i p e i s o l é , par u n e seule vérité abstraite, en régler souverainement les d e s tinées. A u s s i , dès q u ' u n h o m m e tant soit p e u versé dans des connaissances si importantes p o u r é c l a i r e r , p o u r d i riger son j u g e m e n t , vient à e x a m i n e r ces p r i n c i p e s , ces vérités et leur application aux différentes

circonstances

de la société dont il fait partie, les difficultés naissent, les objections se m u l t i p l i e n t , les obstacles se présentent en


363 foule et de toutes p a r t s , sans p o u v o i r être écartés n i r é solus ; et vous n'avez b i e n t ô t , au lieu d'un système r é g é nérateur, qu'une série d'inconséquences et d'incohérences, d'impossibilités et d'injustices, de malheurs et de r u i n e s , c o m m e cet écrit n e le démontre q u e trop évidemment. A q u o i , en effet, ont abouti jusqu'à présent toutes ces lois et m e s u r e s , tous ces plans et toutes ces tentatives de r e s tauration et d'amélioration prétendues enfantées

pour

la colonie de S a i n t - D o m i n g u e ? Ici l'exemple nous i n s truit m i e u x q u e les préceptes, q u e ces maximes masquées du saint n o m d ' h u m a n i t é , et il doit nous servir à jamais de l e ç o n , si nous voulons à la fin nous confier à la sagesse et à ses salutaires conseils. Elle n e sera pas p e r d u e p o u r le p r i n c e A u g u s t e , p o u r les législateurs appelés à sonder et à cicatriser les plaies de l'état, à étendre leur sollicitude sur toutes les parties soumises à leur inspection et sous leur a u t o r i t é , à les lier et à les faire c o n c o u r i r vers l'intérêt c o m m u n et le b o n h e u r général ; à ranimer l'industrie agricole et m a n u facturière, en o u v r a n t , en fertilisant de n o u v e a u les c o m munications c o m m e r c i a l e s , celles surtout des c o l o n i e s , cette source féconde et intarissable de richesses publiques et particulières, la seule planche dans le naufrage,

qui reste

à la

France

sans laquelle elle n e saurait croître et

prospérer avec ce degré de puissance et de richesse q u i convient à u n e nation continentale et maritime d u p r e mier o r d r e . Il faut remplir toutes les destinées auxquelles nous sommes naturellement appelés, et les colonies sont un des m o y e n s les plus puissans p o u r y parvenir, soit en totalité o u par degrés. Elle n e sera pas p e r d u e p o u r ces arbitres suprêmes de nos destinées futures,

chargés de la haute et superbe p r é -

rogative d'assurer et de consolider ces avantages p r é c i e u x par l'affermissement de leur p o u v o i r , par tous les m o y e n s


364 do puissance remis entre leurs mains et à leur disposition, par cette haute sagesse, ces lumières et ces vertus dont ils sont en possession,

et qui leur permettront de j o u i r tout

à la fois de leur gloire personnelle,

et de la reconnais-

sance et d u b o n h e u r des générations présentes et futures. Jamais l'histoire d'aucun p e u p l e , éclairé n i b a r b a r e , n'a présenté u n e suite progressive et u n e masse de calamités aussi affreuse, aussi déchirantes que celles q u i , d e puis près do trente a n n é e s , et sans aucune intermission, bouleversent ct ensanglantent la colonie de S a i n t - D o m i n gue, affligent et moissonnent toute sa population. D ' u n e p a r t , c'est une race ingrate et perfide transformée tout à c o u p en conspirateurs secrets, ensuite e n ennemis publics contre la société entièro ; d e l'autre,

c'est u n e p o r t i o n ,

et p a r suite la totalité des esclaves restés jusqu'alors i n v a riablement fidèles, mais excités sans cesse à la révolte par des insinuations perfides, par des machinations infernales dont ils n'ont p u ni su se garantir, et entre l e s mains d e s quels o n a remis la torche enflammée et le fer homicide : ici c e sont des habitans isolés ct disséminés sur u n e s u r face é t e n d u e , surpris et égorgés dans leurs demeures et au milieu des ténèbres ; là, des meurtres publics et généraux,

sans distinction d'âge ni de s e x e , q u i annoncent

l'horrible et parricide prescription de la classe blanche tout entière : ici c e sont des maîtres subissant, par les mains de leurs esclaves c t de leurs affranchis,

les traite-

niens les plus cruels, mutilés dans tous leurs m e m b r e s , ct expirans dans des tourmens, dans des cruautés inouïes et inconnues m ê m e chez les nations les plus barbares (1);

(1 ) En cherchant à tracer ct à taire connaître les différons genres, de m o r t , sous lesquels une foule do colons ont succombé, les a n goisses et les douleurs poignantes qu'ils ont éprouvées dans ces momeus affreux et terribles, les cœurs les plus insensibles eu frémi-


365 l à , des femmes forcées de recevoir les embrassemens de ces monstres tout dégoùtans e n c o r e du sang do leurs

ront de pitié, d'horreur et d'indignation. Co no sont point de simples exécutions, des hommes mitraillés, des fusillades et des noyades en masse ,

ces journées exécrables et d'une honteuse mé-

moire des 2 et 3 septembre ; toutes horribles et atroces qu'elles s o n t , sur lesquelles nous aurions seulement et de nouveau à gémir et à verser des larmes amères ; mais sur des supplices d'une nature encore plus atroce, sur des souffrances qui se sont prolongées d u rant plusieurs heures, des journées entières,

sur des tortures

qu'on se plaisait à répéter et à multiplier sous toutes les formes en y ajoutant les insultes et les outrages les plus sanglans, rendre nos derniers momens plus douloureux,

afin de

plus déchirans et

au physique et au moral. Succombant ainsi sous le fer de nos esclaves et de nos affranchis, sous les mains de barbares et d'anthropophages, ne respirant que le meurtre et le carnage, cette lin a quelque chose de plus cruel, de plus horriblement vexatoire et -dégradant que celle qu'éprouve des victimes par le soulèvement d'un peuple libre ; et l'âme en reste nécessairement froissée, brisée jusque dans les replis les plus inaccessibles, sein,

et il s'élève dans son

en flots tumultueux, toutes les passions d'une nature o u -

tragée et exaspérée. O n a vu des femmes enceintes éventrées, et le fruit de leurs entrailles livré à la voracité des cochons ; d'autres, après avoir assouvi la lubricité effrénée d'une foule de nègres qui se succédaient sans interruption les uns aux autres, être ensuite inhumainement torturées et mises à m o r t , ou gardées parfois et forcément comme concubines. O n a vu des enfans au berceau et de tout âge, transpercés tout vivanset portésau haut dos piques comme enseignes, ayant eu soin avant de leur arracher les oreilles qu'on portait en guise de cocardes ; d'autres qu'on brisait contre le premier objet dont on faisait la rencontre, et qu'on laissait à moitié gémissans et expirans. O n a vu des hommes suspendus aux arbres avec des crocs attachés au-dessous du menton, par degrés,

exposés à un feu qui les rôtissait

ou dont les m e m b r e s , fixés à plusieurs extrémités op-

posées, étaient tenus dans une tension forcée, prolongée, et qu'où avait encore soin d'augmenter à de certains intervalles ; d'autres qu'on sciait entre deux planches,

qu'on pilait dans des mortiers,


366 époux, de leurs proches, et des enfans empalés,

arborés

c o m m e étendards et c o m m e les enseignes de la victoire :

ou auxquels on arrachait, par passe-temps ct comme simple amusement, les yeux et les ongles; à eux tous enfin on leur faisait subir une fin plus ou moins horrible,

et dont peut-être tous les

détails ne nous sont pas encore entièrement connus. Il

n'est

enfin aucune famille à Saint-Domingue, je dis pas une seule,

qui

n'ait eu à pleurer et à gémir sur la mort funeste de plusieurs de ses membres les plus proches, les plus chers ; il en est d'autres qui ont totalement disparu sous les coups redoublés de ces monstres avides du sang français,

se délectant dans son effusion et s'en gorgeant.

Et ce sont de pareils hommes et cet ordre de choses ou les circonstances qui s'en sont ensuivies, qu'on préconise sans cesse au sein de la métropole, ou que du moins personne jusqu'ici ne s'est permis de blâmer publiquement avec ces vives émotions de pitié et d'indignation que doivent inspirer des victimes ct leurs b o u r reaux ; et où l'on trouve également que nous n'avons pas encore suffisamment expié ce détestable, cet horrible crime d'avoir en notre possession des nègres esclaves, éternité dans leur pays comme ailleurs,

eu

qui l'ont été de toute puisque

les

mêmes

préventions, la même malveillance subsistent encore, ct qu'on s'efforce sans cesse de flétrir nos personnes de noms et de qualifications les plus odieux ! Cependant cette possession n'est point le résultat d'un acte qui soit de notre fait seul ; nous n'y sommes intervenus que secondairement ct passivement, après l'acquisition faite par les commerçans de la métropole et maints spéculateurs de tout rang et de tout état, intéressés dans ce genre de trafic , commerce autorisé et garanti par le gouvernement suprême et par toutes les lois nationales. Pourquoi faut-il donc que les colons soient les seuls signalés et marqués du sceau de la réprobation générale, eux ou tous ceux des leurs qui ont déjà perdu l i b e r t é , vie et propriétés,

le droit

d'habiter leur s o l , cette seconde patrie créée par l'industrie de plusieurs générations d'entre eux pour la seule utilité de la mère patrie,

pour l'accroissement de ses richesses ct le développe-

ment de sa puissance maritime. Il ne reste plus à ceux qui ont survécu à tant de désastres sanglans,

au massacre presque gé-

néral de tous les leurs, ct de cet état de prospérité ct de bonheur


367 au n o r d,

les m o n u m e n s de sa superbe industrie effacés

du s o l , la terre couverte de ruines ct de cadavres ; dans

passés qu'une espérance fondée, raisonnable et légitime, on veut la leur ravir ; leurs vertus privées et publiques,

on les leur dis-

pute; l'honneur d'être né Français et de faire corps avec cette n o ble, cette illustre nation, on veut les dépouiller de cette qualité précieuse et indélébile, en leur refusant toute assistance nationale et en les rabaissant avec ignominie au-dessous de barbares africains, leur enlever les titres,

les droits ct les hautes prérogatives

attachés à leur naissance ; on veut enfin les réduire au dernier terme du désespoir, ou tout bien et toute espérance nous seraient désormais interdits, nous empêcher de nous sauver sur la seule planche qui nous reste dans le naufrage,

et sur laquelle repose

encore une partie des destinées de la France. O n ne saurait trouver d'expression

assez forte, assez énergique, pour

peindre et ca-

ractériser cet oubli total de tous nos devoirs. V o y e z d'un autre côté ce qu'est devenue une population paisible, heureuse et docilement soumise, dont ensuite une portion a été transformée en tigres et en bêtes féroces par leurs instigateurs de toute couleur, de tout état ct de toute secte ; pour l'avoir gratifiée d'une liberté qui leur fut de tout temps inconnue,

despotique

pour les uns, asservissement cruel et barbare pour les autres, ou anarchie pour tous,

en échange d'une dépendance douce et salu-

taire où elle trouvait sans trouble ct sans inquiétude toutes les jouissances, compatibles avec leur nature, sous la protection tutélaire et bienfaisante de maîtres éclairés, justes et humains. Maintenant nous vous adjurons, Français sensibles, généreux et amis de tous les vôtres, de prononcer entre nous et tous nos opposans et détracteurs divers : vous n'hésiterez pas sans doute à affirmer que ces derniers,

quels que soient leur puissance, leurs rangs et leurs

dignités dans l'ordre social, sont les ennemis de la patrie, de la prospérité nationale ct du bonheur de leurs semblables ; et que toutes leurs combinaisons et tous leurs efforts,

masqués du saint

nom d'humanité, ne sont qu'un jeu cruel et perfide pour l'anéantissement des hommes et des choses, et pour opposer des obstacles à la réintégration des colons sur leurs propriétés et à la nation de se ressaisir de son pouvoir légitime. Nous finirons ici par une remarque curieuse, mais bien triste ct


368 l'ouest et le sud,

u n e c o m m o t i o n générale,

des a t t r o u p e -

ra eus armés p a r m i les h o m m e s de c o u l e u r et les nègres libres avec l ' a d j o n c t i o n habitations, lesquels,

d'esclaves enlevés f o r c é m e n t des

à la faveur des circonstances m a l -

h e u r e u s e s , n o u s imposent impérativement et les armes à la m a i n les c o n d i t i o n s les plus oppressives et les plus h u miliantes,

incompatibles avec tout o r d r e et toute

société

régulière (1) ; et cet attroupement a r m é f a v o r i s a n t , tantôt

bien désespérante. Il semble qu'il ne soit plus permis à personne aujourd'hui en quelque sorte, au sein même de la France, d'élever la voix pour défendre la cause des colons, de Français,

pour

renouer et cimenter de plus en plus leurs rapports intimes et indissolubles avec leur métropole,

sans se voir de suite exposés à être

taxés par la généralité des esprits d'insensés fanatiques,

d'hommes

éternellement encroûtés dans leurs vieux et sots préjugés, incapables de recevoir aucune instruction utile et salutaire,

dont

les vues et les principes en fait d'administration coloniale se res' sentent encore de la rouille des temps, inconciliables avec les lumières transcendantes du siècle. Les intérêts et les droits prétendus des nègres sont de nos jours les seuls dignes d'occuper les esprits et d'embraser nos âmes d'un sentiment de patriotisme par excellence ; leur cause toujours à l'ordre du jour trouve une foule de défenseurs non moins empressés qu'ardens, également aveugles et infatués de leur doctrine nouvelle ; tandis que celle des colons et de leur système qui ont servi de base à leur prospérité, à la puissance et à la grandeur des métropoles,

restent étrangers et

indifférons à la presque généralité des Européens

: que dis-je ?

l'un et l'autre sont flétris, frappés de proscription, d'une sorte d'ostracisme perpétuel et nouveau au sein de nos sociétés mêmesQuel vertige et quelle perversité ! (1) Voici quelles étaient les conditions imposées par les chefs nègres et mulâtres libres. Ils se constituaient de leur plein gré en assemblées délibérantes et permanentes, faisaient des traités et des concordats d'abord avec une seule et ensuite avec quelques p a roisses de l'ouest, et qu'ils déclarent légaux et constitutionnels, auxquels la colonie entière doit se soumettre ; les enfreignant presqu'aussitôt sous les prétextes les plus frivoles, et pour assurer


369 secrètement , tantôt o u v e r t e m e n t 1

liers,

avec

son

horrible

la révolte dans les atte-

cortége,

les

incendies

et

les

massacres. A ces s c è n e s , t r o p affligeantes déjà sans doute,

en

suc-

céda de plus désastreuses e n c o r e aussitôt l'arrivée des s e c o n d s commissaires n a t i o n a u x

civils. A l o r s

la

confusion

ct le d é s o r d r e f u r e n t portés à l ' e x t r ê m e ; la révolte n e fut plus c o m b a t t u e , ct se propagea r a p i d e m e n t

sur tous les

p o i n t s de la c o l o n i e , le seul quartier de la grande

anse

par là et plus complètement ct leur domination tyrannique et notre asservissement honteux ; érigeant cet instrument de mort eu un corps complet de constitution non encore connue ni émise , dont la seule rédaction et l'émission légale n'appartenaient qu'à une assemblée générale conformément aux décrets rendus en cette matière par la première assemblée nationale ; s'arrogeant tous les pouvoirs publics par u n simple acte de leur volonté suprême ,' dissolvant les corps populaires, les municipalités ct jusqu'à l'assemblée coloniale elle-même, séante alors au Cap en vertu des décrets nationaux ; créant et organisant des bureaux de police avec des attributions nouvelles et tyranniques, noms et organisations inconnus dans l'ancienne comme dans la nouvelle administration, composés presqu'en totalité de leurs personnes, de leurs affidés et agens ; ordonnant la formation d'un corps de six mille hommes , dont

les

soldats,

les

officiers

supérieurs

et

subalternes

devaient

être pris ct nommés exclusivement par eux seuls ; formant dans u n coin de la colonie un attroupement tumulluairement et illégalement r é u n i , lequel ils ont l'insolence de vouloir constituer en force publique avec l'adjonction de quelques centaines d'esclaves e n levés forcément des habitations, à l'entretien ct au paiement desquels une province entière est arbitrairement astreinte ; s'établissantlcs seuls exécuteurs des décrets nationaux nés ct à naître, et enjoignant au gouverneur général de vouloir procéder de suite à l'exécution de toutes leurs mesures arbitraires et tyranniques. Toute réflexion de notre part devient superflue pour constater la monstruosité de tous ces actes ; ils parlent assez d'eux-mêmes, et tout lecteur impartial en jugera de même.

24


370 excepté ; les incendies et les massacres se multiplièrent d e toutes parts ; des v i l l e s , des cités entières furent b o m b a r d é e s , embrasées et réduites en c e n d r e s , les habitans fusillés par des b r i g a n d s , o u en s'échappant de leurs demeures, rançonnés par les commissaires ; et la classe b l a n c h e , après avoir été illégalement et inhumainement désarmée par ces derniers à l'aide de leurs satellites,

c o m m e n ç a à dispa-

raître de dessus son s o l , n e laissant après elle p o u r toute t r a c e , p o u r tout vestige de sa puissance passée, q u e ruines, cadavres et ossemens ; e x e m p l e u n i q u e dans l'histoire des n a t i o n s , et m o n u m e n t éternel de la perversité h u m a i n e ! A l o r s on v i t , et p o u r la p r e m i è r e f o i s , les délégués d'une nation

naguère

renommée,

entre

toutes

les

autres,

p o u r son u r b a n i t é , sa d o u c e u r , ses qualités aimables et b r i l l a n t e s , permettre

et

autoriser u n e

persécution

sans égale contre tous les enfans de la p a t r i e , et p o u r laquelle ces délégués ont été loués et récompensés : alors o n v i t , et p o u r la première f o i s , u n e population

en-

tière poursuivie par le fer et par le feu, chassée c o m m e desirâtes f a u v e s , forcée d'abandonner ses foyers et sa terre natale ; les uns errans de toutes parts et appelant la m o r t trop lente à les frapper; les autres arrêtés et enchaînés , réduits en servitude et travaillant à la voix sous la verge appesantie et le fer tranchant de leurs esclaves et de leurs affranchis ( 1 ) ; e u x tous s'efforçant de gagner les b o r d s de la m e r , se précipitant et s'entassant pêle-mêle sur des bâti—

( 1 ) À l'époque du premier incendie du C a p , ordonné et d i rigé par les commissaires,

de ce nouvel embrasement,

saccage-

ment et destruction générale, ceux des blancs qui ne lurent pas massacrés, ou qui ne purent s'enfuir sur la flotte et l'escadre française,

furent peu de jours après arrêtés dans les environs de la

ville et les quartiers circonvoisins, par des nègres et mulâtres , emprisonnés et enchaînés , jetés pêle - mêle sans égard aux sexes


371

mens neutres qui les transportèrent sur les rivages a m é r i cains, o ù ils arrivèrent dans u n état de nudité et d ' i n d i gence extrêmes; des corsaires anglais se tenant à l'affût, plus inflexibles et plus impitoyables e n c o r e , les ayant rencontrés et leur enlevant tout ce qu'ils avaient p u d é r o b e r à la fureur dévorante des f l a m m e s , aux mains r a -

et entassés dans des cachots infects où ils ne pouvaient pas m ê m e , par leur grand n o m b r e , s'étendre par terre dans toute leur l o n gueur, nourris avec du biscuit p o u r r i , et abreuvés avec de l'eau saumâtre. Ils sortaient tous les jours de ce réduit de misères e t d e souffrances humaines, d'opprobre et de dégradation ; on les menait par files, sous le fer tranchant de leurs féroces conducteurs, nègres ct mulâtres, libres et esclaves, portant sur leurs têtes des baquets remplis d'excrémens humains; et on les employait ensuite à ramasser et à brûler les cadavres de leurs infortunés compatriotes, à fouiller parmi les cendres ct les décombres pour y découvrir l'argent et autres objets précieux que les commissaires supposaient avoir été enfouis ou abandonnés dans les maisons. Ainsi une avarice sordide se réunissait à toutes ces horreurs d'une exécrable mémoire. On a v u , à cette époque, des habitans, dans leur désespoir extrême, se donner la m o r t , ct des femmes avec leurs enfans attachés sur leurs dos se précipiter dans les flots, ct disparaître tous incontinent. Dans les autres villes et quartiers de la colonie,

on fit en diffé-

rentes fois des chasses et des battues générales contre l'espèce blanche, dans lesquelle plusieurs centaiocs de victimes furent immolées à la fois : au n o r d , sous le commandement de Moïse,

pa-

rent de Toussaint, et ordonnées par lui; à Saint-Marc, le 9 et le 10 novembre 1 7 9 3 , au Port-au-Prince, dans le mois de décembre de la même année ; aux Gonaivcs, le 29 avril 1 7 9 4 j aux Cayes-SaintLouis, après la retraite des délégués des commissaires, Rey et Borgne ; au Fort-Dauphin, sous le féroce Jean François, où sept cents et plus de colons, rappelés du continent par le gouvernement espagnol, en vertu d'une proclamation rendue au. nom de sa majesté catholique, qui leur promettait sûreté et protection dans leurs biens e t personnes, furent, peu de temps après leur arrivée, e

désarmés

t massacrés par la bande de Jean François, entrant en ville tam-


372 paces et sanglantes de leurs assassins; et le petit n o m b r e de c e u x q u i échappèrent à tant d ' h o r r e u r s , à tant d ' i n f o r t u n e s , furent en partie

rançonnés

o u dénoncés

parles

capitaines à b o r d desquels ils se t r o u v a i e n t , t r o m p é s par quelques

n é g o c i a n s américains, et eurent la d o u l e u r

de

v o i r c e u x de leurs nègres q u i les avaient suivis v o l o n t a i r e m e n t dans l e u r é m i g r a t i o n , débauchés et enlevés p a r des quakers et des méthodistes

(1).

bour battant et enseignes déployées, en présence de neuf cents espagnols de troupes de ligne sous les armes, lesquels restèrent dans leurs rangs immobiles, et ne se servirent de leurs fusils que pour repousser les victimes réclamant en vain avec des accens plaintifs et les gémissemens du désespoir,

leur protection et leur huma-

nité contre leurs bourreaux. Enfin , et pour achever ce tableau , d'abord à l'époque de l'arrivée du général Leclerc, et ensuite à celle de l'évacuation des troupes françaises sous Rochambeau, on v i t , en cette occasion,

au milieu d'une proscription et d'un mas-

sacre général, des enfans arrachés des bras de leurs mères, et impitoyablement massacrés sous leurs yeux. Si ces traitemens atroces, ignominieux et sans exemple dans les temps passés et présens,

s'étendant sur une population entière et

toute française, trouvent toujours au sein de la patrie des cœurs froids et indifférens ; si ces malheurs insignes ne doivent jamais être soulagés ni réparés d'une manière efficace par la puissance nationale,

cette population française serait pour lors à jamais

maudite et plus malheureuse que celle sur laquelle une main toute puissante s'est appesantie, puisqu'elle ne pourrait dans ses infortunes se bercer même de cette espérance, tout illusoire et erronée qu'elle s o i t , de l'arrivée d'un messie ni d'un sauveur. (1) O n comprendrait mal le sens de mes expressions, si, par ce que je viens de dire de beaucoup d'Américains, on pouvait soupçonner que j'aie eu l'intention d'inculper toute leur nation ; et que j'aie voulu également par là méconnaître ou mettre en oubli les dons, les secours généreux et souvent répétés,

que plusieurs d'entre eux

et leurs assemblées législatives se sont empressés à prodiguer à mes malheureux compatriotes dans les premiers mois de leur émigration. Si j

d o i s , en colon sensible, être touché de l'intérêt


3 3 7

Enfin cette révolte g é n é r a l e , cette subversion totale et cette anarchie c o m p l è t e , ces attentats en tout genre p r o jetés et provoqués primitivement par des agens perfides, et subsidîairement par les philanthropes et leurs adhérens ; approuvés et favorisés depuis implicitement par les p r e miers commissaires nationaux c i v i l s , avec u n e duplicité

compatissant qu'ils nous ont m o n t r é , si je dois leur présenter le tribut de notre reconnaissance et de nos sentimens les plus affectueux, je dois également, pour satisfaire à l'impartialité, faire o b server que le plus grand nombre des capitaines ont exigé pour nos passages un prix exorbitant et calculé seulement sur la n é cessité de notre prompte fuite ; que quelques-uns n'ont pas r o u g i , sous l'appât d'une légère rétribution, de devenir les dénonciateurs des denrées qu'ils avaient à leur b o r d ; que plusieurs agens des maisons de commerce, répandus dans les villes, ont donné des lettres de change pour de l'argent reçu ou autres objets,

dont

quelques-unes ont été protestées; que deux corporations religieuses, qui n'avaient aucune juridiction civile,

se sont constamment plu

à débaucher nos esclaves restés jusqu'alors fidèles, à s'interposer entre eux et nous en leur servant de conseil et de protecteur dans les réclamations qu'ils leur suggéraient eux-mêmes. Le même devoir nous force à dire que beaucoup de négocians américains

n'ont

cessé de porter des munitions de guerre aux révoltés, ont reçu en retour des denrées, de l'argenterie et autres objets spoliés aux habitans que ceux-ci ont reconnus et ont eu le déplaisir de voir exposer en vente dans les magasins et aux enchères publiques ; qu'ils ont fait ensuite ce commerce par convois et en armes,

quoiqu'en

paix avec l'Europe; que leur gouvernement, après avoir suspendu toute relation commerciale avec la France et ses dépendances, rouverte seulement avec Saint-Domingue,

l'a

envoyant des consuls et

recevant quelques agens de la part de Toussaint. Cette conduite tout aussi contraire aux droits des g e n s , de la nentralité qu'il avait embrassée, qu'aux égards et aux obligations que se doivent les nations civilisées, lorsque

surtout elles ont

elles-mêmes des esclaves, a entretenu, fortifié la révolte,

et

leur a permis d'établir leur indépendance. Elle a été plus n u i sible à la chose publique et aux colons en général que les secours


374 et une mauvaise foi i n s i g n e , contre la teneur expresse de leurs mandats et des décrets subsistant alors ; convertis enfin sous la f o r m e de lois révolutionnaires avec leurs horribles conséquences par les seconds commissaires,

an

accordés à un certain nombre de ces derniers ne leur ont été p r o fitables. Qu'auraient dit les Anglo-Américains et leur gouvernement si les esclaves de leur provinces méridionales s'étaient soulevés contre leurs maîtres,

et si des Français avec lesquels ils

n'étaient point en guerre, dont ils étaient les amis et les alliés, se fussent empressés d'apporter à ces mêmes esclaves tous les objets propres à les

maintenir dans leur révolte, et si leur gouver-

înent eût favorisé ou toléré ces importations ? Cette conduite leur aurait paru aussi attentatoire aux droits des gens qu'odieuse et meurtrière. Nous devons donc eu juger de même,

et affirmer sans

crainte que les Américains et leur gouvernement n'ont point été, en cette occasion, exacts observateurs de la justice,

de l'humanité

et de la loi des nations. En finissant cette note, je ne dois pas oublier de rappeler, et je ne me le pardonnerais même pas, qu'au dernier massacre général, lors de l'évacuation des troupes françaises, les capitaines a m é ricains et surtout les négocians de cette nation, établis dans les principales villes de la colonie, s'empressèrent de sauver les victimes qui fuyaient à bord de leurs bâtimeus, dont plusieurs furent néanmoins immolées de la manière la plus tragique, malgré leurs efforts à les cacher dans les réduits les plus obscurs j que plusieurs se chargèrent de les transporter gratis

aux États-Unis en leur four-

nissant leurs premiers besoins; qued'autres s'employèrent et sollicitèrent la commisération de leurs féroces persécuteurs. M. Mackntosk,

résidant aux Cayes-Saint-Louis, offrit une somme d'argent

assez considérable, en forme de rançon, pour plusieurs blancs ; et il parvint ,par des démarches actives et qui pouvaient compromettre sa sûreté personnelle, à en faire échapper quelques-uns à bord de son bâtiment, qu'il expédia de suite pour la Jamaïque. Cette conduite aussi noble que généreuse et humaine est faite pour exciter notre plus vive sensibilité et tous les sentimens de la plus profonde reconnaissance. Il est doux et consolant, au milieu de ces récits sanglans et de ces scènes tragiques, de pouvoir parfois se reposer sur ces exemples touchans de dévouement, de vertu


375 mépris de leurs sermons les plus solennels, p r o n o n c é s au milieu d'un peuple assemblé

ct au pied des autels (1) ;

soutenus et c o r r o b o r é s par des agens de toute transformés

la plupart

en

prédicans,

et

espèce,

enseignant

et d'humanité ; en délivrant, en affranchissant notre esprit d'un poids insupportable,

ils soulagent, ils dilatent lo cœur et lui font

éprouver les plus douces jouissances ; plus heureux encore ceux qui les ont fait naître! Que ces i d é e s , ces sentimens les accompagnent dans leur carrière, et soient leur récompense comme leur sauvegarde contre les adversités de la vie ! ( 1 ) Aussitôt l'arrivée des seconds commissaires au Cap, ils p r o noncèrent dans l'église paroissiale et sur l'autel même où se célèbrent nos plus saints mystères, où tous les impies, tous les parjures devraient être foudroyés par la puissance céleste pour leur profanation sacrilége, lo serment suivaut: « Invariablement attachés aux lois que nous venons faire exé « cuter, nous déclarons, au nom de la métropole et de l'assem« blée nationale , que nous ne reconnaîtrons désormais que deux « classes d'hommes dans la colonie de Saint-Domingue ; les libres « sans aucune distinction de couleur, et les esclaves. Nous décla«

rons

qu'aux

assemblées

coloniales

seules,

constitutionnellement

« formées, appartient le droit de prononcer sur le sort des escla« ves. Nous déclarons que l'esclavage est nécessaire à la culture ct « à la prospérité des colonies , ct qu'il n'est ni dans les principes « ni dans la volonté de l'assemblée nationale de toucher à cet « égard aux prérogatives des colons; nous déclarons que nous ne « reconnaîtrons, pour les amis de la France, que ceux qui le seront « de sa constitution , sauf les modifications que commandent l'es« clavage et les localités. Tels sont nos principes ; telle est ma pro« fession de foi : que le jour où je changerai soit le dernier de ma « vie. S'il était possible, citoyens, que l'assemblée nationale égarée « pût se porter à oublier les prérogatives des habitans de Saint« Domingue, et à détruire dans le régime colonial le germe do sa « prospérité, je déclare que je m'y opposerai de toutes rocs forces; « j'en fais le serment solennel. » Écoulons actuellement Polverel :« Si contre toute probabilité, le corps législatif venait à se parjurer un jour ; s i , entraîne par les élans d'un enthousiasme inconsidéré, il osait jamais attenter sur


3 6 7

en véritables é n e r g u m è n e s , à des esprits grossiers, sur des e strades élevées en plein c h a m p, l'horrible doctrine r é v o lutionnaire; fortifiés et consolidés de nouveau par des n a tions alliées et neutres qui trafiquaient sur nos dépouilles, donnant en échange des vivres et des munitions de guerre , et finissant par reconnaître cette horde d'esclaves et d'affranchis,

d'assassins et d'incendiaires ,

avec les attributs

d'une puissance souveraine et i n d é p e n d a n t e , accordant à plusieurs de leurs chefs des dignités et des décorations nationales,

transigeant

et traitant

avec

elle

d'égal

à

vos propriétés, je déclare et j'atteste ici l'Etre suprême que je n'obéirai point à ces ordres : je fais plus, je vous jure, ô colons! île me réunir alors à vous, d'abdiquer des fonctions et un pouvoir qui me feraient horreur, et de vous aider de tous mes moyens à-repousser par la force la plus horrible des injustices et la plus barbare des perfidies. » Ce sont là sans doute des déclarations non équivoques et sans ambiguité, non-seulement authentiques et solennelles, niais également positives, explicites et données avec une nouvelle assurance contre la crainte ou la simple possibilité d'un événement ( l'affranchissement des esclaves), dont les commissaires eux-mêmes se déclarent les ennemis avoués, et auquel ils s'opposeront, disent-ils, de toutes leurs forces, si on venait jamais à vouloir l'effectuer , le signalant tout à la fois comme inconstitutionnel , attentatoire aux droits des colons, injuste, barbare et perfide. Comment se fait-il d o n c , par quelle mauvaise foi insigne et perfidie infâme , par quelle perversité et machination diabolique , ( les expressions nous manquent ici pour rendre notre indignation et caractériser cette trame odieuse et infernale ) , se permettent-ils, sans aucune autorisation légale et par un acte libre et spontané de leur part, au mépris et en contradiction formelle avec leurs promesses et déclarations, en violation de sermens auxquels un peuple entier est appelé et pris à témoin, invoqués au nom et eu présence de l'Éternel dans le lieu saint révéré par tous les mortels ; comment se permettent-ils de proclamer la liberté générale, de proscrire et de vouloir diffamer toutes les personnes qui en sout victimes, de justifier les massacres et l'anarchie qu'elle


377 égal par le m o y e n d'agens accrédités et résidans sur les lieux m ô m e s ;

et o u v r a n t enfin

nouvelle carrière matie,

dans

la

à l'univers é t o n n é

politique

et

dans

la

une

diplo-

la plus i m m o r a l e et la p l u s f é c o n d e e n calamités

p u b l i q u e s et particulières q u e la perversité des h o m m e s ct de l e u r g o u v e r n e m e n t ait e n c o r e enfantées. Dans c e renversement total, pas u n a m i , pas u n p r o tecteur, pas u n consolateur, n i m ê m e u n défenseur

a produit, vant

of-

de poursuivre ct de chasser les colons en leur enle-

liberté ct propriétés qu'ils confèrent à des esclaves ct à

des affranchis ? Ces mêmes assurances ct ces mêmes sermons ont été renouvelés par la proclamation, en date du 4 décembre 1 7 9 2 , huit mois avant celle de la liberté générale, dans les expressions suivantes : — «Auriez-vous o u b l i é , citoyens,

la déclaration solennelle de nos

principes, celle que nous avons laite en présence de l'Être s u prême, à la face du peuple assemblé pour notre installation ; je le renouvelle, etc., etc.» Voilà les hommes que la métropole nous envoyait pour nous gouverner, qui se jouaient effrontément des lois de la morale ct de la religion du serment, les regardant sans doute comme de vieilles erreurs ou d'insipides fadaises , bonnes tout au plus pour contenir des simples, des niais,

mais indignes

pour des régénérateurs

éclairés au flambeau de notre sainte ct sublime révolution, ou p l u tôt de la négromanie et de la mulàtromanie moderne. De pareils hommes devraient être, par u n accord général, exclus société humaine et relégués

parmi

de la

des tigres, puisqu'ils ont

fait scission avec elle, en abjurant les principes fondamentaux, religieux louant, (Voyez

ct sacrés de son organisation se glorifiant

de cet excès

première,

d'immoralité

et en se

ct d'impiété.

leur défense dans la discussion contradictoire entre eux ct

les commissaires colons de Saint-Domingue par-devant les deux comités des colonies et celui de la marine, aux pages 9 , 24, 32 et suivantes, jusqu'à la page 8 6 . ) Ce souhait n'est-il donc pas légitime? Pourrait-on le blâmer lorsqu'on reste accessible aux sentiWlens d'humanité, à ceux que nous commandent l'amour de nos proches et de nos concitoyens, auxquels nous devons rapporter nos


3 8 7

ficieux

p a r m i nos compatriotes

européens

(1).

Toutes

les représentations des colons errans sur les deux h é misphères, alternativement repoussées avec une moquerie insultante et dérisoire, avec u n e injustice odieuse et r é voltante ; toutes les plaintes

étouffées

par des clameurs

insensées, o u par de nouveaux actes d'oppression et de

premiers devoirs comme nos affections les plus intimes? Car encore une fois l'humanité qui se trouve eu opposition avec ces premiers principes ordonnateurs des sociétés, est une humanité

fausse,

fondée sur une profondo hypocrisie, ou sur l'égarement, sur la dépravation du cœur et do l'esprit. Nous ne saurions trop revenir et insister sur cette vérité première et fondamentale, parce que de son mépris ou oubli sont résultés toutes les erreurs, tous les maux et crimes de la révolution en ce qui concerne la malheureuse colonie de Saint-Domingue. (1) Je me trompe ; et remarquez ici l'inconstance des événemens et la bizarrerie des destinées humaines, co fut un nègre, ci-devant esclave à Saint-Domingue, oui, un nègre nommé Mentor et député à la convention,

qui s e u l , o u i , lui tout s e u l , éleva sa voix en

faveur des colons, laquelle fut incontinent étouffée par des clameurs qui retentirent de toutes les parties de la salle,

d'où s'ex-

halaient la haine et mille imprécations contre nous tous babitans blancs des colonies. Honneur cependant, et mille fois honneur à ce nègre généreux, l'ornement et l'orgueil de son espèce, auquel nous devrions, nous colons, élever un monument consacré par la reconnaissance publique pour avoir s u , au milieu de ce débordement général de toutes les folies, dépravations et perversités h u maines, respecter le malheur, conserver une conscience pure ; et pour avoir manifesté le désir que justice fût rendue à une classe malheure use et persécutée, sous l'administration douce et paternelle de laquelle il se ressouvenait sans doute que lui et les siens avaient joui de tout le bonheur que la nature de nos institutions et leur caractère particulier comportaient! Et houle et anathême éternel aux membres conventionnels, à ces promoteurs du terrorisme et fauteurs de tous les crimes révolutionnaires qui ont pu dans leur rage infernale méconnaître cette voix extraordinaire inspirée par un génie bienfaisant pour la justification et la consolation des colons !


379 tyrannie ; leurs gémissemens convertis

en

reproches,

la v o i x de la nature et d u sang m é c o n n u e o u o u t r a g é e , les droits des colons et c e u x

de la métropole

entière

enfreints d'une manière constamment et invariablement la m ê m e ; c e u x des nègres et m u l â t r e s ,

non-seulement

reconnus exclusivement et sans partage, mais exaltés e n core jusqu'au dernier d e g r é d'un fanatisme en délire ; et tous ces e x c è s , toutes ces violations sacriléges

com-

mises sous l'unique prétexte de favoriser exclusivement u n e race exotique et hétérogène et tous leurs chefs d o n t la substance entière est i m p r é g n é e , saturée de crimes et de forfaits ; une malveillance universelle, u n e persécution générale,

une proscription illimitée et sans terme c o n t r e

la classe blanche ; l ' o p p r o b r e et la servitude p o u r les u n s , des massacres en masse, périodiques et généraux p o u r les autres, l ' e x p r o p r i a t i o n , la misère et u n e défaveur g é n é rale p o u r tous

(1).

Ces m a u x sont affreux, excessifs; ils excèdent le c o u r a g e , la puissance de l ' h o m m e ; ils banniraient à jamais tout espoir de nos c œ u r s , si le n o u v e a u j o u r q u i luit sur la

(1)Un

sieur Greslicr, de Nantes, a adressé dernièrement une pé-

tition aux chambres, et il est étonnant que cette pétition soit sortie d'une ville de commerce des plus importantes, à l'effet d'envoyer tous les forçats de France dans les colonies, comme si celles-ci étaient le réceptacle naturel de tous les hommes flétris et condamnés aux travaux publics. Si la Frauce veut se débarrasser de ses forçats, elle ne peut les jeter ainsi parmi une population honnête ct étrangère à ses crimes ; mais former, comme chez les Anglais, un établissement particulier pour eux, et pour eux seuls, dans quelque point reculé du globe, dans la Nouvelle-Hollande, par exemple, ou dans quelques-unes des îles de la mer du Sud, à l'île de Pitcairn, où il existe pour tout habitant un seul Françaisavec deux ou trois femmes, dont la tranquillité et le bonheur seraient sans doute troublés par cet adjonction de forçats; car, dans sa position actuelle, je le suppose le mortel le plus heureux de tous ceux qui habitent sur ce globe.


38o F r a n c e n e venait

soulager nos douleurs,

ranimer nos

justes espérances. Ah ! bénissons le c i e l , rendons mille actions de grâces à l'Eternel p o u r a v o i r , dans les p r o fondeurs

de ses décrets inscrutables à l'esprit h u m a i n ,

permis le retour du prince légitime et l e rétablissement de sa p u i s s a n c e , seuls moyens efficaces p o u r de notre sol le germe terme

à nos

révolutionnaire,

innombrables

arracher

et mettre

calamités. Puisse

ce

un sou-

verain auguste et les autorités q u i c o n c o u r e n t à la p l é nitude d u p o u v o i r, se ressouvenir sans cesse et n e jamais oublier que n o u s sommes Français et les plus m a l h e u reux des h o m m e s ; et q u ' e n cette d o u b l e qualité

nous

avons droit et réclamons avec résignation et une pleine confiance la sollicitude et la protection paternelle de sa majesté, mère

l'assistance et les secours de la nation,

commune

dont

nous

sommes

les

précieux

de cette rejetons

,

les indispensables agens de son industrie et de sa richesse, les intermédiaires et les appuis de sa puissance c o m m e citoyens de la m ê m e patrie, c o m m e m e m b r e s de la m ê m e f a m i l l e , ayant aspiré le m ê m e lait, le m ê m e souffle, et v i vant d'une vie et d'une existence c o m m u n e s . L a restauration parfaite de l'ordre

sur les anciennes

bases coloniales est d'une importance générale, et embrasse dans son universalité les Antilles, l ' E u r o p e,

et leur m é -

t r o p o l e , ainsi que les innombrables tribus sorties de leur sein et des régions africaines. Elle portera le sentiment d u r e p o s , de la sécurité et d u bien-être dans toutes les s e n sations de ces dernières q u i leur étaient entièrement i n connues dans leur pays natal, et qu'elles n'ont p e r d u chez nous que par nos affreux désordres occasionés par u n e liberté i n s e n s é e , chimérique et dont la réalisation m ê m e est impossible ; la joie et la reconnaissance dans le coeur des colons ; la vie, la prospérité et le b o n h e u r dans toutes les parties du r o y a u m e . Elle assurera à jamais la paix des


381 Antilles, leur u n i o n et leur c o n c o r d e,

le libre d é v e l o p -

pement de leur industrie agricole, si importante p o u r les m é t r o p o l e s , et laquelle, réagissant sur elles et par le c o m m e r c e ct par les m a n u f a c t u r e s , en augmentera les richesses, ce premier véhicule de la puissance, cette p r i n cipale et seule base peut-être de la tranquillité ct de la s é curité des étals c o m m e de l'aisance et de la félicité des peuples. Elle amènera enfin et par degrés cette c o n c o r d e si désirable entre les gouvernemens possessionnés colonies,

aux

en les pénétrant de cette grande et importante

v é r i t é , dont l'oubli a été si fatal au système c o m m e r c i a l et politique des deux m o n d e s , qu'ils o n t tous un intérêt é g a l , u n but c o m m u n , u n m ê m e p r i n c i p e de vitalité dans ces établissemens l o i n t a i n s , celui d'en maintenir l'ordre h i é r a r c h i q u e , la stabilité et la dépendance sur les mêmes fondemens q u i en ont élevé la grandeur et la puissance à un degré de splendeur et de prospérité dont les progrès s étendaient indéfiniment dans l'avenir. Jamais entreprise ne fut c o m m a n d é e par des c i r c o n s tances plus

impérieuses,

plus impératives,

et ne p r é -

senta u n e source plus f é c o n d e en biens ct en utilités de tout g e n r e , p o u r l'intérêt p u b l i c et p o u r le b o n h e u r de tous. T r o p h e u r e u x si nos efforts peuvent tendre et amener u n pareil résultat! N o u s aurons rempli une tâche b i e n h o n o r a b l e , notre devoir de c o l o n, de F r a n ç a i s , d'Européen et de véritable ami de l'humanité ; n o n de cette h u m a nité proclamée avec emphase et fracas par ces sectaires nouveaux et illuminés,

fausse, h y p o c r i t e et m e n s o n g è r e ,

qui ravage, i n c e u d i e et p o r t e la m o r t au loin, c e l l e , au contraire,

mais de

q u i , d o u c e , tutélaire et sage dans

toutes ses déterminations, n'emploie q u e des moyens r é g u l i e r s , possibles et salutaires, conformes à la nature des êtres ct à leur organisation p a r t i c u l i è r e , dont les m o d e s d'existence physique, morale et p o l i t i q u e , sont aussi v a -


382 riables dans l'espèce h u m a i n e que leurs élémens constitutifs et originels sont divers, fixes et ineffaçables. N. B. P e n d a n t et depuis la rédaction de cet é c r i t , nous avons appris à différentes fois et par plusieurs v o i e s , tant publiques q u e particulières,

q u e des

mouvemens

d'une

nature très-alarmante et m ô m e des soulèvemens partiels avaient e u l i e u sur plusieurs points de l'archipel Occidental, à la J a m a ï q u e , à C u b a , à P o r t o - R i c o, à la Rarbade,

à

S a i n t - T h o m a s , e t c . , e t c . , etc. N o u s avons de plus été inform é s qu'aussitôt q u e la m o t i o n de M . R u x o n , faite au parlem e n t p o u r l'affranchissement graduel des esclaves,

a été

c o n n u e , D e m e r a r y s'est insurgée; qu'une agitation générale règne dans toutes les colonies anglaises, et q u ' o n a peine a maintenir les esclaves dans le devoir et la soumission. G o u v e r n e u r s , possesseurs des Antilles, le temps presse, la foudre est prête à éclater, et les éclairs qui la précèdent sillonnent déjà la partie occidentale et orientale des Antilles. Assaillies ainsi par d e u x points opposés et par son centre, les colons f r a n ç a i s , anglais, e s p a g n o l s ,

danois et h o l -

landais seront, enveloppés sous p e u avec leurs propriétés dans u n embrasement et u n massacre g é n é r a l , sans qu'il soit p e u t - ê t r e

physiquement

possible

d'y

apporter

à

temps u n remède efficace. Cet événement désastreux sera un

e x e m p l e frappant et à jamais m é m o r a b l e de notre

insouciance c o u p a b l e et de notre aveuglement funeste, qui n e p o u r r o n t être excusés par aucune de ces raisons d'état, p a r aucune de ces vues ambitieuses de la politique et de la d i p l o m a t i e , ni par ces principes de la liberté extrême de la philanthropie et de la n é g r o m a n i e m o d e r n e s, qu'on se plaît à v o u l o i r faire p r é d o m i n e r sur des considérations b i e n autrement importantes, celles relatives à nos rapports généraux et e u r o p é e n s , à tout ce qui en constitue l'essence et l'unité.


383 Nous n e cesserons d o n c de le répéter jusqu'à

satiété

et avec u n e confiance r e d o u b l é e , si S a i n t - D o m i n g u e n'est de nouveau et p r o m p t e m e n t assujetti sons l'empire de la métropole avec les droits des c o l o n s , les p r é c a u t i o n s , les c o m p r o m i s,

les demi-mesures et les moyens de défense,

autres que c e u x de la conquête a b s o l u e , seront aussi i n s i gnifians que désastreux ; ct nous n e tarderions pas à ressentir l'irruption volcanique aussi long-temps que le foyer du cratère ne sera pas éteint. Il est d o n c d u devoir de tous les gouvernemens possessionnés aux Antilles de se concerter et de réunir leurs efforts p o u r le salut universel. C'est le cri de l ' h u m a n i t é , c'est le vœu de tous les gens de b i e n et é c l a i r é s , c'est l'élan des âmes généreuses et p a t r i o t i q u e s , c'est enfin le b e s o i n , le devoir de tous les m e m b r e s composant la grande confédération maritime c t e u r o p é e n n e , et la tendance assurée p o u r n o u s tous vers nos destinées passées ct prospères. Espérons que les v œ u x q u e n o u s f o r m o n s p o u r le b o n h e u r d'une p o r t i o n si n o m breuse et si intéressante d e l'espèce h u m a i n e , ct p o u r que son sol n e soit plus de nouveau ravagé par tous ces élémens de dévastation et de c o m b u s t i o n , par tous ces systèmes homicides et anti-sociaux enfantés au milieu des orages et des convulsions

politiques ; espérons q u e ces

v œ u x fondés sur l ' h u m a n i t é , sur nos premiers devoirs et les plus sacrés, seront favorablement ct p r o m p t e m e n t accueillis : c'est l'espoir de nos cœurs, c'est le b u t de tous nos efforts, et ce sera la consolation de nos derniers instans.



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